28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

alentiraient pas le rythme. La moitié d’entre eux étaient<br />

mariés. Ils vivaient dans <strong>des</strong> cases en torchis. Quinze jours de<br />

vacances par an, pas un de plus, aucun syndicat pour les<br />

défendre, soixante-dix heures de travail par semaine, et cent<br />

euros de salaire mensuel, logés, nourris. « Good salary, mister<br />

Cortès, good salary. People are happy here ! Very happy !<br />

They come from all China to work here ! You don’t change the<br />

organization, very bad idea ! »<br />

Antoine s’était tu.<br />

Chaque matin donc, il se levait, prenait sa douche, se rasait,<br />

s’habillait et <strong>des</strong>cendait prendre le petit-déjeuner préparé par<br />

Pong, son boy, qui, pour lui faire plaisir, avait appris quelques<br />

mots de français et le saluait par un « Bien domi, mister Tonio,<br />

bien domi ? Breakfast is ready ! » Mylène se rendormait sous la<br />

moustiquaire. À sept heures, Antoine était aux côtés de mister<br />

Lee, face aux ouvriers qui, au garde à vous, recevaient leur<br />

feuille de travail pour la journée. Droits comme <strong>des</strong> bâtons<br />

d’encens, leur short flottant sur leurs cuisses allumettes, un<br />

éternel sourire aux lèvres et une seule réponse : « Yes, sir », le<br />

menton levé vers le ciel.<br />

Ce matin-là, il était dit que les choses ne se passeraient pas<br />

comme d’habitude. Antoine fit un effort et se réveilla tout à fait.<br />

— Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ? Tu as fait un cauchemar ?<br />

— Antoine… Là, regarde… Je ne rêve pas ! Il m’a léché la<br />

main.<br />

Il n’y avait ni chien ni chat dans la plantation : les Chinois ne<br />

les aimant pas, ils finissaient jetés en pâture aux <strong>crocodiles</strong>.<br />

Mylène avait recueilli un petit chat sur la plage de Malindi, un<br />

ravissant chaton blanc avec deux petites oreilles pointues et<br />

noires. Elle l’avait appelé Milou et lui avait acheté un collier en<br />

coquillages blancs. On retrouva le collier flottant sur l’eau d’une<br />

rivière à <strong>crocodiles</strong>. Mylène avait sangloté de terreur. « Antoine,<br />

le petit chat est mort ! Ils l’ont mangé. »<br />

— Rendors-toi, chérie, on a encore un peu de temps…<br />

Mylène enfonça ses ongles dans le cou d’Antoine et le força à<br />

se réveiller. Il fit un effort, se frotta les <strong>yeux</strong> et, se penchant par<strong>des</strong>sus<br />

l’épaule de Mylène, il aperçut, sur le parquet, un long<br />

crocodile luisant et gras qui le fixait de ses <strong>yeux</strong> <strong>jaunes</strong>.<br />

- 158 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!