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Les yeux jaunes des crocodiles

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parler à un garçon. Je veux dire : sans le séduire ! Parfois je<br />

t’envie d’avoir deux filles. Ce doit être bien plus facile…<br />

Iris se sentit soudain incroyablement découragée. L’amour<br />

maternel lui paraissait une montagne qu’elle ne gravirait<br />

jamais. C’est incroyable, pensa-t-elle, je ne travaille pas, je n’ai<br />

rien à faire dans la maison si ce n’est choisir <strong>des</strong> fleurs et <strong>des</strong><br />

bougies parfumées, j’ai un seul enfant et je m’en occupe à<br />

peine ! Alexandre ne connaît de moi que le bruit <strong>des</strong> paquets<br />

que je dépose dans l’entrée ou celui du froufrou de ma robe<br />

quand je me penche le soir pour lui dire bonsoir avant de sortir !<br />

C’est un enfant élevé à l’oreille.<br />

— Je vais devoir te quitter, ma chérie, j’entends les pas de<br />

mon mari. Je t’embrasse et n’oublie pas : Cric et Croc<br />

croquèrent le grand Cruc qui croyait les croquer !<br />

Iris raccrocha et leva les <strong>yeux</strong> sur Philippe qui l’observait sur<br />

le pas de la chambre. Celui-là non plus, je ne le comprends pas,<br />

soupira-t-elle en reprenant le ballet de ses brosses. J’ai<br />

l’impression qu’il m’espionne, qu’il glisse ses pas dans les<br />

miens, que ses <strong>yeux</strong> se collent à mon dos. Me ferait-il suivre, par<br />

hasard ? Cherche-t-il à me prendre en défaut pour négocier un<br />

divorce ? Le silence s’était installé entre eux comme une<br />

évidence, un mur de Jéricho que nulle trompette ne ferait<br />

jamais tomber puisqu’ils ne criaient pas, ne claquaient pas les<br />

portes, ne haussaient jamais la voix. Heureux les couples qui se<br />

font <strong>des</strong> scènes, songea Iris, tout est plus facile après une bonne<br />

dispute. On s’époumone, on s’épuise, on se jette dans les bras de<br />

l’autre. Un temps de répit où les armes tombent, où les baisers<br />

adoucissent les rancœurs, effacent les reproches, signant un<br />

bref armistice. Philippe et elle ne connaissaient que le silence, la<br />

froideur, l’ironie blessante qui creusaient un peu plus chaque<br />

jour le fossé d’une séparation certaine. Iris ne voulait pas y<br />

penser. Elle se consolait en se disant qu’ils n’étaient pas le seul<br />

couple à dériver ainsi dans une indifférence polie. Tous ne<br />

divorçaient pas. C’était un sale moment à passer, un moment<br />

qui pouvait durer, certes, mais qui parfois évoluait doucement<br />

vers une vieillesse pacifiée.<br />

Philippe se laissa tomber sur le lit et enleva ses chaussures.<br />

La droite d’abord, puis la gauche. Puis la chaussette droite et la<br />

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