culture cinéma 44 / <strong>Spirit</strong> # 46
© Warner Bros. Pictures France À cœur Hoover Clint Eastwood s’encorde avec Leonardo DiCaprio et Dustin Black pour l’ascension de la face cachée du plus fameux des patrons du FBI. Sans atteindre des sommets, J.Edgar se glisse habilement dans les coulisses de l’histoire américaine. Un biopic oscarisable à souhait. Par Stéphanie Pichon Sortie le 11.01 Après les deux déceptions engendrées par Invictus et Au-delà, Clint Eastwood avait besoin de redorer son blason de monstre du cinéma américain. Montrer qu’à l’âge honorable de 82 ans, il en avait encore dans le ventre. Tant qu’à faire, il a choisi un gros morceau, John Edgar Hoover, monsieur FBI pendant 48 ans, l’homme <strong>qui</strong> a vu passer huit présidents, et piloté les grands épisodes - et les moins reluisants - de l’histoire américaine. Du taillé pour Clint : noir, ambigu, avec dans le rôle-titre Leonardo DiCaprio et au script Dustin Lance Black, scénariste en vogue depuis le très beau Harvey Milk. L’Académie des Oscars, friande du genre, appréciera. Qui sait, Leonardo décrocha peut-être - enfin ! - sa statuette… Quand Clint Eastwood sait à ce point s’entourer - et on n’oublie pas les seconds rôles Armie Hammer, révélé dans The Social Network, et Judi Dench - et qu’il maîtrise la palette de sa réalisation, classique, précise, limpide, le résultat ne peut pas vraiment décevoir. J. Edgar a cette dose de complexité <strong>qui</strong> le rend digeste malgré ses 2h15 et son genre bien casse-gueule. \ DiCaprio, grand numéro \ De ce personnage appartenant à la mythologie américaine - et pourtant à mille lieux du héros hollywoodien - il sait à la fois montrer l’agent fédéral <strong>qui</strong> a révolutionné l’institution américaine, et l’homme aux fêlures et blessures intimes. Applaudissements des deux mains pour DiCaprio, magistral, même sous les couches de ma<strong>qui</strong>llage nécessaires à un personnage qu’il interprète de 20 à 77 ans. Jamais dans l’outrance, ni dans le trop psychologique, il insuffle ce supplément d’âme au « bulldog », dans un registre pas si éloigné du Aviator de Scorsese. Le recours aux ellipses (les périodes Kennedy et Nixon passent quasiment à la trappe) et le va-et-vient d’une grande fluidité entre les époques, allègent la leçon d’histoire pour se concentrer sur la figure d’un homme ayant passé sa vie à bâtir sa propre légende, au point de se vanter d’un meurtre de gangster qu’il n’a pas commis. Traitant avec des pincettes son homosexualité supposée, Clint ne s’en attarde pas moins sur les rapports ambigus avec Clyde Tolson, son adjoint et potentiel amant, dont Hoover fut inséparable jusqu’à sa mort en 1972. Il fait aussi de sa mère (formidable Judi Dench), capable de lâcher un cruel « je préfère avoir un fils mort qu’une pédale », la clef essentielle pour comprendre les désé<strong>qui</strong>libres du puissant. Décrit ainsi comme un être paranoïaque et sexuellement frustré, John Edgar Hoover n’est plus seulement cet être froid et calculateur calculateur, mais un homme pathétique, devenu sa propre caricature à la fin de sa carrière. Eastwood s’interrogerait-il aussi sur son propre mythe ? J. Edgar de Clint Eastwood avec Leonardo DiCaprio, Judi Dench, Armie Hammer, Naomi Watts <strong>Spirit</strong> # 46 / 45