ouvre-toit 16 / <strong>Spirit</strong> # 46
des pierres à l’édifice La maison du docteur Guy Auriol a été conçue par l’un des architectes français les plus doués de sa génération. Fidèle à ses convictions, Edmond Lay a façonné la pierre pour construire ce repaire, abolissant les frontières entre l’intérieur et l’extérieur. Texte : Léa Daniel / Photos : arnaud Saint-Germès À la voir, enracinée dans cette lourde terre béarnaise, on pourrait croire que la maison conçue par Edmond Lay a toujours existé. Elle aurait pu naître dans un caprice tellurique ou émerger tel le dommage collatéral d’une inconstante tectonique des plaques. Pas du tout ! Malgré ses courbes revêches et sa silhouette rocheuse, cette étonnante demeure est l’œuvre d’un visionnaire. Natif de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées, l’homme a grandi rebelle à toute forme d’académisme. Alors qu’il étudie l’architecture aux Beaux-Arts de Paris, il est sur le point de tout abandonner, lassé par le conformisme de l’enseignement. Heureusement, il rencontre Louis Arretche. Professeur à l’atelier, celui-ci donne un nouveau souffle à ses études. Très vite, ils travaillent ensemble. Lui le salarié. Arretche, le patron à <strong>qui</strong> il doit ses premiers voyages à l’étranger. Le plus marquant l’entraîne aux États-Unis, où Lay côtoie Franck Lloyd Wright, l’un de ses pères spirituels. Ainsi élevé à une nouvelle conception de l’habitat, il poursuit ses réflexions sur un courant naissant : « l’archologie », contraction d’architecture et d’écologie. De retour en France, il fonde sa propre agence et travaille principalement dans le Sud-Ouest où il réalise le siège de la Caisse d’Épargne dans le quartier Mériadeck de Bordeaux. Un immeuble organique, presque vivant. \ La première pierre \ Emballé par cet impressionnant édifice bordelais signé de la main de Lay, Guy Auriol contacte l’architecte pour le projet personnel <strong>qui</strong> l’occupe. Nous sommes en 1978, et le plan est rapidement tracé. 180 m 2 de surface habitable, un grand espace de plain-pied ouvert sur le sud et réunissant, tout à la fois, le salon, la salle à manger, un petit salon et une cuisine ouverte dont on envie les crédences rocheuses. Quand la suite parentale se love tout près d’une salle de bain privative, les chambres des enfants investissent les volumes du toit, reliées par une galerie suspendue. La pierre et le bois sont partout. À l’image des murs de façade, ils sont un savant assemblage percé de fentes, ouvert par endroit, incliné à d’autres. En regardant cet épiderme poreux, on voit à quel point l’architecte s’intéresse aux relations <strong>qui</strong> existent entre l’intérieur et l’extérieur, aux rapports <strong>qui</strong> naissent entre le paysage et l’habitat, l’habitat et l’homme. « Je ne recherche qu’à exprimer ce que je ressens. Je m’intéresse à la façon dont on vit dans ce que je construis » dira-t-il de son travail. \ Le mythe de la caverne \ À l’intérieur, l’ambiance est surannée. On jurerait pouvoir siroter un whisky glace avec Tony Curtis et Roger Moore, confortablement installé dans le canapé en cascade <strong>qui</strong> borde la cheminée. Avec son mobilier sixties et ses influences seventies, cette maison a des allures de reine élégante <strong>qui</strong> aurait gardé sa garde-robe d’antan. Elle comporte aussi sa part de mystère, ses zones d’ombre où la nature pourrait l’emporter. C’est le cas de la salle de bain où les parois rocheuses et le sol de pierre composent un décor de caverne. Mais alors qu’on se croit perdu dans les tréfonds de la terre, l’architecte rattrape les esprits déboussolés. Il suffit de se retourner pour ne pas sombrer : une vasque sculptée, des lumières disposées autour d’un miroir comme dans une loge de star, une baignoire « naturelle » du meilleur effet. Pourquoi choisir entre nature et culture ? Pierre de carrière : Guy Auriol et Edmond Lay sont allés chercher leur matière première à Bidache, une carrière près de Bayonne. Le propriétaire se rappelle que Lay est resté pendant tout le temps du gros-œuvre, orientant les maçons comme un sculpteur installerait ses blocs pour former son œuvre. Le résultat est impressionnant. <strong>Spirit</strong> # 46 / 17