Fraction Armée Rouge : l'utopie meurtrière - Festival international du ...

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28.06.2013 Views

ien que ceux-ci ne peuvent le comprendre, il fait preuve ainsi d’une certaine impuissance. Pour Bleibtreu Baader était un être apolitique mais qui avait un besoin de se faire valoir extrême et c’est pour cette raison et non pour des raisons politiques qu’il a pris part aux manifestations étudiantes. De fait Baader n’utilise jamais d’arguments politiques. Ce n’est qu’à la prison de Stammheim qu’il se confronte à la politique, il se met à lire et se confronte à l’arrière plan politique qui sous-tend la RAF. Il ne voulait pas non plus perdre ce statut de meneur auquel l’avait élu les sympathisants de la RAF. Il aimait aussi ce statut d’ennemi public numéro un et cela ne lui plaisait pas d’être le numéro deux sur l’affiche des personnes recherchées. Bleibtreu a fait énormément de recherches sur Baader pour pouvoir le jouer comme il avait compris le personnage. C’est ainsi qu’il affiche continuellement ce même sourire lorsqu’il conduit des voitures rapides ou qu’ils jouent avec des armes et il semble éprouver une joie maligne à provoquer les autres. Bleibtreu réussit avec sa mimique, ce sourire suffisant à avoir d’un côté l’air sympathique qui lui donne un charme presque enfantin et d’un autre côté cela le rend terrible comme si sa vie et celle des autres lui étaient indifférentes. Cela relève d’autant plus d’une prouesse d’acteur que Bleibtreu est un acteur qui a la sympathie du public et que tout à coup il apparaît comme un terroriste brutal à l’écran. D’aucun ont dit que de ce fait Baader ne pouvait que trouver un accueil sympathique auprès du public. Peu de temps avant le début du tournage les protocoles audio du procès à Stammheim ont été accessibles, si bien que Bleibtreu a été le premier acteur qui a incarné Baader a pouvoir se confronter avec la façon de s’exprimer du terroriste. Il en est arrivé à la conclusion que Baader zozotait légèrement et qu’il parlait avec cette diction lente et à la fois nerveuse typique des années 70. Bleibtreu prit la décision suivante : « Je ne voulais pas tout à coup me mettre à zozoter pour ne pas rendre Baader ridicule et je ne voulais pas non plus, en accord avec Eidel, imiter cette diction caractéristique, car elle ne contribuait en aucune manière à une meilleure compréhension de la part du public ». En revanche Bleibtreu a été particulièrement attentif au lien qui unissait Baader à Enssslin. Selon lui cet amour était passionnel, honnête et sans compromis, ce qui a conduit les deux personnages à mener le projet RAF jusqu’au bout. Ainsi, les actions qu’ils menèrent n’étaient possibles que grâce à la confiance qu’ils avaient l’un dans l’autre. D’autre part cet amour déclenchait chez les gens qui fréquentaient le couple un sentiment d’admiration qui contribua à leur pouvoir d’attraction. Grâce à cet amour, personne ne pu s’attaquer à ce couple et cela est très visible dans le film. Gudrun seule parvenait à stopper les explosions de colère de Baader et le spectateur a le sentiment qu’ils étaient inséparables. Stefan Aust confirme que rien n’aurait pu les désunir. On a l’impression que la RAF n’aurait pas pu fonctionner sans eux. Cette indestructibilité de leur lien est visible dans cette scène que nous avons déjà évoquée où les deux se liguent contre Meinhof et s’embrassent. Même la vie en prison ne semble pas avoir réussi à les éloigner. Une seule scène dans tout le film nous présente Baader comme un homme calme, rationnel, versé dans la politique, lorsque l’envoyé ministériel lui rend visite à la prison. Baader donne l’impression d’être au clair avec lui-même, il est détendu et semble vouloir pour la première fois mener une discussion sobrement. Il explique que la deuxième et la troisième génération de la RAF sont encore plus brutales qu’il ne l’était eux et que Baader et Ensslin pourraient avoir une influence positive sur les événements s’ils étaient libérés. Baader semble déjà en avoir fini avec la vie, c’est pourquoi il parle si calmement et il fait même une allusion au début de la conversation au suicide planifié : « En fait, cet entretien a lieu un peu tard » dit-il et un peu plus loin « dites au secrétaire d’Etat que s’il veut encore parler avec moi, il faudra peut-être qu’il voyage loin… ». Le jeu d’acteur est sobre, Baader se contente de se rouler une cigarette. 79

Gudrun Ensslin est interprétée par Johanna Wokalek. Selon les critiques, elle est la plus crédible parmi les actrices qui se sont essayées à ce rôle. Elle fait parler ses yeux plutôt que d’avoir recours à de gestes. Elle a une diction calme er réfléchie, si bien qu’elle apparaît comme le personnage le plus fort du film, ce qu’elle était dans la réalité selon Stefan Aust : « Elle était certainement le personnage le plus fort du groupe, cela ne fait aucun doute. Elle a cru à la révolution, comme elle a cru dans la maison familiale à Jésus Christ. Psychologiquement elle était forte. » Ainsi elle se pose en contraste avec Baader. Contrairement à lui, elle est plus réfléchie, plus patiente, elle arrive à se contrôler, ce n’est qu’à Stammheim qu’elle perdra un peu de ce selfcontrol. Jusque là elle ne crie pratiquement pas, elle invective ou réprimande les gens. L’actrice insiste sur les consonnes dans sa diction comme plus paraître plus dangereuse, plus menaçante. Dès sa première apparition et bien qu’elle se trouve dans un contexte familial elle montre qu’elle a une très forte personnalité, quelqu’un qui ne se pliera plus très longtemps aux conventions de la société. Elle a envie de passer à l’acte et reproche à son père de faire des sermons plutôt que d’agir. Wokalek a cherché à se rapprocher le plus possible du personnage original en lisant sa biographie ainsi que ses lettres. Pour elle Ensslin a agi ainsi parce qu’elle avait le désir de créer un monde meilleur, plus juste. Mais sa peur et sa colère la pousseront bientôt à aller jusqu’à un point de non retour. C’est ce qui a sans doute attiré Ulrike Meinhof chez Ensslin et ce dès la première interview. Et un lien complexe se développera entre les deux femmes. Au début on sent une certaine sympathie, mais déjà Ensslin lance une remarque sarcastique à Meinhof en lui disant : » Crois-tu que tu vas changer quelque chose avec ton blabla théorique ? » De même Ensslin ne semble éprouver que mépris pour la manière d’agir « théorique » de Meinhof. Lorsque cette dernière ne semble pas prendre au sérieux le plan destiné à libérer Baader, Ensslin lui jette un regard méprisant et lui dit froidement : » Tu pourras en faire le récit a postériori, tu n’es capable de rien d’autre. » Le regard de Wokalek est plus efficace que mille paroles et elle ne cessera de poursuivre Ulrike Meinhof de ce regard. Wokalek a auusi été attentive à la féminité d’Ensslin. En effet, celle-ci aimait bien s’habiller et était très féminine. Par exemple elle insista pour se procurer une veste de cuir rouge lors du procès des incendiaires. A Stammheim elle portait des converses et des bas résilles qui furent recrées spécialement dans le style des années 60 pour les besoins du film. Son maquillage prouve aussi sa volonté de mise en scène personnelle et son besoin de faire sensation chez les autres. Sa démarche est très élégante aussi. L’actrice chercha à reconstruire ce personnage et elle mena elle aussi une diète sévère pour ressentir ce que l’on ressent lors d’une grève de la faim. Elle son visage émacié est conforme à l’image d’Ensslin à Stammheim. Les cheveux courts et mal coiffés, les cernes noirs autour des yeux, les pommettes sont saillantes. Mais cependant Ennslin ne semble pas affaiblie, au contraire il émane d’elle de la brutalité, du fanatisme et de l’opiniâtreté. Elle ne semble absolument pas brisée. C’est Martina Gedeck qui tient le rôle d’Ulrike Meinhof. Elle l’incarne comme une journaliste sérieuse, douce, portée par de grands idéaux. Au début du film, on peut la trouver arrogante, comme dans la scène où elle ne semble pas prendre au sérieux le plan pour faire évader Baader. Ce qui frappe, c’est le travail de l’actrice pour s’approcher le plus possible du personnage historique. Les premières phrases qu’elle prononce semblent venues d’ailleurs pour le spectateur, étant donné que personne ne parle plus ainsi aujourd’hui. La voix est mélancolique, pensive, mais en même temps claire et douce, elle ressemble selon Martina Gedeck à celle de Meinhof. Avant son suicide, sa voix avait beaucoup changé au fil des 80

ien que ceux-ci ne peuvent le comprendre, il fait preuve ainsi d’une certaine impuissance.<br />

Pour Bleibtreu Baader était un être apolitique mais qui avait un besoin de se faire valoir<br />

extrême et c’est pour cette raison et non pour des raisons politiques qu’il a pris part aux<br />

manifestations étudiantes. De fait Baader n’utilise jamais d’arguments politiques. Ce n’est<br />

qu’à la prison de Stammheim qu’il se confronte à la politique, il se met à lire et se confronte à<br />

l’arrière plan politique qui sous-tend la RAF. Il ne voulait pas non plus perdre ce statut de<br />

meneur auquel l’avait élu les sympathisants de la RAF. Il aimait aussi ce statut d’ennemi<br />

public numéro un et cela ne lui plaisait pas d’être le numéro deux sur l’affiche des personnes<br />

recherchées. Bleibtreu a fait énormément de recherches sur Baader pour pouvoir le jouer<br />

comme il avait compris le personnage. C’est ainsi qu’il affiche continuellement ce même<br />

sourire lorsqu’il con<strong>du</strong>it des voitures rapides ou qu’ils jouent avec des armes et il semble<br />

éprouver une joie maligne à provoquer les autres. Bleibtreu réussit avec sa mimique, ce<br />

sourire suffisant à avoir d’un côté l’air sympathique qui lui donne un charme presque enfantin<br />

et d’un autre côté cela le rend terrible comme si sa vie et celle des autres lui étaient<br />

indifférentes. Cela relève d’autant plus d’une prouesse d’acteur que Bleibtreu est un acteur<br />

qui a la sympathie <strong>du</strong> public et que tout à coup il apparaît comme un terroriste brutal à l’écran.<br />

D’aucun ont dit que de ce fait Baader ne pouvait que trouver un accueil sympathique auprès<br />

<strong>du</strong> public.<br />

Peu de temps avant le début <strong>du</strong> tournage les protocoles audio <strong>du</strong> procès à Stammheim ont été<br />

accessibles, si bien que Bleibtreu a été le premier acteur qui a incarné Baader a pouvoir se<br />

confronter avec la façon de s’exprimer <strong>du</strong> terroriste. Il en est arrivé à la conclusion que<br />

Baader zozotait légèrement et qu’il parlait avec cette diction lente et à la fois nerveuse typique<br />

des années 70. Bleibtreu prit la décision suivante :<br />

« Je ne voulais pas tout à coup me mettre à zozoter pour ne pas rendre Baader ridicule et je ne<br />

voulais pas non plus, en accord avec Eidel, imiter cette diction caractéristique, car elle ne<br />

contribuait en aucune manière à une meilleure compréhension de la part <strong>du</strong> public ».<br />

En revanche Bleibtreu a été particulièrement attentif au lien qui unissait Baader à Enssslin.<br />

Selon lui cet amour était passionnel, honnête et sans compromis, ce qui a con<strong>du</strong>it les deux<br />

personnages à mener le projet RAF jusqu’au bout. Ainsi, les actions qu’ils menèrent n’étaient<br />

possibles que grâce à la confiance qu’ils avaient l’un dans l’autre. D’autre part cet amour<br />

déclenchait chez les gens qui fréquentaient le couple un sentiment d’admiration qui contribua<br />

à leur pouvoir d’attraction. Grâce à cet amour, personne ne pu s’attaquer à ce couple et cela<br />

est très visible dans le film. Gudrun seule parvenait à stopper les explosions de colère de<br />

Baader et le spectateur a le sentiment qu’ils étaient inséparables. Stefan Aust confirme que<br />

rien n’aurait pu les désunir. On a l’impression que la RAF n’aurait pas pu fonctionner sans<br />

eux. Cette indestructibilité de leur lien est visible dans cette scène que nous avons déjà<br />

évoquée où les deux se liguent contre Meinhof et s’embrassent. Même la vie en prison ne<br />

semble pas avoir réussi à les éloigner.<br />

Une seule scène dans tout le film nous présente Baader comme un homme calme, rationnel,<br />

versé dans la politique, lorsque l’envoyé ministériel lui rend visite à la prison. Baader donne<br />

l’impression d’être au clair avec lui-même, il est déten<strong>du</strong> et semble vouloir pour la première<br />

fois mener une discussion sobrement. Il explique que la deuxième et la troisième génération<br />

de la RAF sont encore plus brutales qu’il ne l’était eux et que Baader et Ensslin pourraient<br />

avoir une influence positive sur les événements s’ils étaient libérés. Baader semble déjà en<br />

avoir fini avec la vie, c’est pourquoi il parle si calmement et il fait même une allusion au<br />

début de la conversation au suicide planifié : « En fait, cet entretien a lieu un peu tard » dit-il<br />

et un peu plus loin « dites au secrétaire d’Etat que s’il veut encore parler avec moi, il faudra<br />

peut-être qu’il voyage loin… ». Le jeu d’acteur est sobre, Baader se contente de se rouler une<br />

cigarette.<br />

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