Régionales 2010 - Le Travailleur Catalan
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N°3350 - Semaine du 29 janvier au 4 février <strong>2010</strong><br />
forum des lecteurs<br />
«<strong>Le</strong> Barnum Circus débarque», suite<br />
À propos du billet d’humeur de Jean-Marie Philibert du TC du 15 janvier dernier intitulé «<strong>Le</strong> Barnum Circus<br />
débarque», nous avons reçu de Jean-Yves Costesèque, responsable du «Service incroyance et foi», le<br />
courrier suivant, qu’avec son autorisation nous publions.<br />
« Chers amis du <strong>Travailleur</strong> <strong>Catalan</strong>,<br />
J’ai reçu, ce matin, et lu votre excellent<br />
hebdomadaire, auquel je suis abonné. Je<br />
réagis ici à l’article de Jean-Marie<br />
Philibert, «<strong>Le</strong> Barnum Circus débarque».<br />
Si j’approuve les grandes lignes de cet<br />
article, et totalement le dernier paragraphe,<br />
une phrase m’a très désagréablement<br />
choqué et meurtri, moi qui considère<br />
les communistes comme des amis<br />
avec qui il est généralement possible de<br />
travailler; c’est celle qui se termine par<br />
«… dans un élan aussi mystique que<br />
rétrospectivement ridicule». Il s’agit<br />
d’une incitation au mépris. Catholique<br />
pratiquant, je condamne tous les dérapages<br />
de l’institution. Mais si j’étais<br />
journaliste, je ne me permettrais pas, par<br />
exemple, d’écrire que les gens qui chantaient<br />
«il n’y pas de sauveur suprême»<br />
« Ce n’est un secret pour personne:<br />
je suis impliquée, depuis plusieurs<br />
années, dans le Réseau éducation<br />
sans frontières. Pour la prise en<br />
compte de la dignité des sanspapiers<br />
en attente de régularisation<br />
sur le territoire français.<br />
Ce que l’on sait peut-être moins,<br />
c’est que ma fille vit, depuis quatre<br />
ans, avec Mohammed. Étudiant en<br />
Master 2. En France depuis dix ans.<br />
Français, quoi. Ils revenaient tous les<br />
deux d’un séjour à Paris pour leurs<br />
études. De la Sorbonne, plus précisément.<br />
Je suis allée les chercher à la<br />
gare.<br />
Que croyez-vous qu’il arrivât?<br />
Pendant que ma fille s’était éloignée<br />
de lui pour me dire bonjour, un policier<br />
s’est approché de Mohammed<br />
pour lui demander ses papiers. Je me<br />
suis aussitôt dirigée vers lui pour<br />
l’embrasser. Ma fille, en nous rejoignant,<br />
me demande ce qu’il se<br />
sont ridicules, quoique je sois totalement<br />
en désaccord avec cette affirmation! Si<br />
je vote communiste et que vous parveniez<br />
au pouvoir, serai-je un citoyen de<br />
seconde zone? Je souhaite que vous me<br />
rassuriez dans vos colonnes. Amitiés »<br />
La réponse<br />
de Jean-Marie Philibert<br />
« Tout d’abord, je prie notre fidèle lecteur<br />
d’accepter mes excuses pour avoir,<br />
par l’utilisation du mot «ridicule», «choqué»<br />
et «meurtri» sa foi de chrétien. Ce<br />
mot n’est pas neutre dans l’article incriminé,<br />
il qualifiait l’élan dans lequel me<br />
propulsait un chant religieux qui habite<br />
ma mémoire d’ancien enfant de chœur<br />
et le regard que, rétrospectivement, je<br />
porte sur cet épisode de ma vie. Celui<br />
Billet personnel<br />
passe. Je lui réponds «contrôle au<br />
faciès», en regardant le policier dans<br />
les yeux. Aucune réaction.<br />
Mohammed étant en règle, on lui<br />
rend poliment ses papiers. Je suis<br />
sous le choc. Mohammed me rassure:<br />
«Ne vous inquiétez pas. J’ai<br />
l’habitude.»<br />
Ça ne me rassure pas du tout. J’ai<br />
honte. J’ai honte pour ce pays. <strong>Le</strong><br />
mien. Mais j’ai aussi honte de moi.<br />
J’ai honte parce que je ne me suis<br />
pas interposée davantage. J’ai honte<br />
parce que j’ai l’impression que c’est<br />
moi qui viens de lui demander ses<br />
papiers. Que c’est moi qui le soupçonne.<br />
Lui qui aime ma fille. C’est<br />
comme si je suspectais ma propre<br />
fille. C’est un sentiment intolérable.<br />
Mais qu’est devenu ce pays, qui s’insinue<br />
dans la vie privée des gens, qui<br />
distille le soupçon et la méfiance à<br />
l’intérieur des familles? Comment<br />
avons-nous accepté cela? Banalisé,<br />
que je trouve ridicule, en la matière, ce<br />
n’est que moi: ma foi d’enfant n’a pas<br />
survécu à l’épreuve du temps, le mysticisme<br />
dont elle s’entourait (sans doute<br />
est-ce un bien grand mot!) s’est lézardé,<br />
pour bien vite être englouti dans les<br />
péripéties de la vie. Celles du monde,<br />
avec ses drames, ses joies, ses tragédies,<br />
ses luttes, son sang, ses fripouilles et…<br />
les êtres qu’on y aime. Ce mot «ridicule»<br />
n’a, dans mon billet d’humeur, qu’une<br />
vertu d’autodérision sur la versatilité et<br />
la fragilité des destins personnels. Et je<br />
sais gré à notre lecteur de m’avoir permis<br />
de le préciser.<br />
Je n’ai pas la prétention de porter un<br />
quelconque jugement, général, absolu<br />
ou définitif, sur la foi (chrétienne ou<br />
autre), sur ceux qui sont animés par ces<br />
croyances et veulent les faire partager, et<br />
intégré comme normal? Et comment<br />
se sentir français, se reconnaître une<br />
identité française quand on est, de<br />
fait, considéré comme différent?<br />
Maintenant que j’ai vécu personnellement<br />
cette scène d’humiliation, je<br />
ne pourrai plus ne pas intervenir<br />
lorsque je serai témoin d’un<br />
contrôle. Nous devrions tous intervenir.<br />
Nous sommes tous complices de<br />
ces dérives. N’attendons pas d’être<br />
personnellement concerné.<br />
Il s’agit de notre dignité à tous. Celle<br />
des sans-papiers, certes. Mais aussi<br />
celle des Français immigrés -dont<br />
d’ailleurs ma mère fait partie. Et surtout<br />
de la nôtre, Français incontestés.<br />
Si nous n’avons cette revendication<br />
de dignité pour tous, ce qui fait<br />
l’identité de la France ne se discute<br />
pas. »<br />
Anne-Marie Delcamp<br />
15<br />
que je me garderais bien de qualifier du<br />
moindre ridicule: du ridicule, je serai<br />
alors la première victime!<br />
Je considère la diversité de notre société,<br />
de nos croyances, de nos idées, de nos<br />
engagements comme une richesse à préserver<br />
et à approfondir. Je bénis le ciel<br />
ou Marx (comme vous voulez) de<br />
m’avoir fait naître dans une République<br />
que nos parents et grands-parents ont<br />
construite laïque et fière de l’être. Elle<br />
est censée autoriser l’expression de tous<br />
dans un respect réciproque à consolider.<br />
Il y a tant à faire ensemble pour qu’elle<br />
soit plus juste, plus solidaire, moins dure<br />
pour tous ceux qui souffrent, que je trouverais,<br />
aujourd’hui, totalement ridicule<br />
de réactiver une querelle stérile entre<br />
ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y<br />
croyaient pas. Fraternellement. »