Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées charge de filmer ou photographier les affrontements. Films qui seront diffusés plus tard dans le local, pour le plaisir de revivre l’événement, mais aussi pour l’instruction culturelle et agonistique des plus jeunes. Les photos paraîtront dans les fanzines, ou s’afficheront au mur, rappelant ainsi la force, la puissance et l’invincibilité du groupe. Ce sont aussi les leaders à proprement parler du groupe ceux qui lancent les ordres et déclenchent l’ensemble des actions, qui appellent parfois à « la course », c’est à dire à poursuivre et violenter les supporters adverses. La première chose observable, est la « distinction » qui authentifie le statut et l’appartenance au noyau dur. Les membres des noyaux durs, quel que soit le groupe, portent tous des insignes distincts des autres membres. Ce peut être de simples écussons, des croix gammées, ou des aigles, comme dans certains groupes du Paris Saint Germain, ou encore un bombers 124 , qui se porte retourné, doublure orange visible comme dans le cas des South Winners marseillais. Ces insignes distinctifs sont autant de signifiants qui authentifient un rôle et un statut particulier au sein du groupe auprès des autres membres, mais également à ceux des autres groupes de supporters. Certains supporters associent insignes distinctifs, noyaux durs et violence : « lorsque les membres du noyau dur sont là, ceux qui portent le bombers orange, ce n’est pas la peine de chercher l’affrontement parce que tu sais eux ce sont les plus forts, ils sont invaincus, partout même à Paris tout le monde en a peur, tu les reconnais tout de suite et vaut mieux les éviter » (Supporter Magic Fans, stéphanois, 2001). Fantasme, propos visant à discriminer l’autre ou réalité ? Tout est possible dans le supportérisme où parler de l’autre, sur l’autre, est un jeu qui permet également de se disculper d’éventuelles accusations tout en construisant et renforçant l’identité et la culture distinctive de son groupe. Deuxième observation, les leaders Ultras. Ce sont tous des « leaders charismatiques » (Weber, 1919). Les autres membres parlent d’eux comme ayant fait leurs preuves, comme s’étant investis à fond dans le groupe et ayant défendu les valeurs de celui-ci. Comme dans « Le métier et la vocation d’homme politique » les leaders trouvent donc leur légitimité dans des qualités reconnues et valorisées dans le groupe, et par le groupe, à travers des actes d’héroïsme pour défendre et affirmer également la force et la puissance de celui-ci. Il n’est pas besoin, ni même question, d’élection dans les groupes de supporters qui sont pourtant des associations. Les leaders sont donc des individus qui ayant fait preuve de leur loyauté, de leur courage et de leur engagement ont été reconnus, nommés, « portés » à ce statut par leurs pairs, désignés par les autres membres qui leur sont entièrement dévoués. Car il est en effet possible de parler de dévotion et d’attitude empreintes de crainte et de respect, qui entourent, et accompagnent, les leaders. Tout cela est accentué par le respect des néophytes vis à vis des plus anciens. Personne n’ose contester la suprématie des leaders, leur discours ou leurs ordres. La perte du pouvoir ne peut se concevoir que pour un leader qui ne serait plus totémique et mènerait le groupe vers une négation des valeurs sur lesquelles il s’est construit, ou dans des actions qui lui feraient perdre de son prestige. Les exemples ne manquent pas. Les Devils (Supporters bordelais) évoquent ainsi l’éviction de leur ancien leader : « il ne pouvait plus être le chef, ce n’était plus possible, ne pas bâcher à Metz c’était trop. On allait devenir un groupe de rien qui avait peur de se déplacer, de montrer qu’il était là. Non c’était pas possible pour être reconnu comme un grand groupe, il 124 Reproduction du blouson d’aviateur. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 77

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées faut pas seulement faire des tifos, il faut aussi aller au baston même si ça ne nous fait pas rire mais c’est une question d’honneur et de survie ». Parfois cohabitent un président, responsable officiel, déclaré en tant que tel à la préfecture, et un ou plusieurs leaders, véritables responsables du groupe, comme chez les South Winners marseillais. Le premier s’occupe de la gestion du groupe et les autres de l’activité proprement dite de supporters. Troisième observation : le poids du secret. Personne ne répond ouvertement à la question de savoir comment on devient membre du noyau dur. Ou alors de manière allusive et évasive : « il faut faire ses preuves… il faut être savoir défendre les valeurs du groupe… ». En interrogeant des membres néophytes sur cette question il nous est arrivé maintes fois d’être interrompu par des membres plus anciens qui, en s’immisçant dans la conversation, détournaient les réponses ou provoquaient le mutisme de nos interviewés. Puisque l’objectif semblait être de les empêcher de parler c’est que nous approchions du fondement même du problème de l’acquisition des statuts et des rôles. Cette question du secret rejoint celle de l’intégration au groupe. Comment en effet les nouveaux sont-ils intégrés ? A ce nouveau questionnement suit le même type de réponse fuyante et ambiguë : « en faisant ses preuves » ! Les Winners distinguent, par exemple, l’inscription de l’intégration, le fait d’être membre (payer sa cotisation) et le fait d’être accepté et reconnu comme un élément valable à qui il est possible de faire confiance. Certains évoquent même alors, dans ce groupe, comme dans d’autres, des rites initiatiques et des rites intégratifs, les premiers consistant en la réalisation d’épreuves nécessaires à l’entrée dans la communauté, les seconds marquant l’adoption et la réception des néophytes par les membres plus anciens. Ce processus nous renvoie au double mécanisme de l’intégration. Il s’agit tout d’abord d’un acte délibéré et rationnel d’un individu attiré par les valeurs et l’esprit d’un groupe particulier. Mais il existe également l’autre versant celui du groupe qui accepte, ou non, de recevoir ce nouveau membre en qui il reconnaît un individu capable de partager les idéaux et les valeurs du groupe. A ce niveau il y un choix délibéré de l’individu d’abandonner une partie de lui-même au profit des valeurs et de la culture du groupe auquel il aspire. C’est un choix conscient de la part de chacun des nouveaux membres qui veut intégrer le groupe au sein du noyau dur. Les autres peuvent toujours participer aux activités annexes, aux tifos, aux chants et aux déplacements, mais ils ne seront pas reconnus comme étant des membres « initiés ». Il ne s’agit rien d’autre que du fonctionnement habituel des « sociétés secrètes » (Simmel, 1908 ; Martin Saint-Léon, 1901). Le poids du secret est omniprésent et, ce n’est qu’en interprétant les dires et les faits, les nondits et les actions observables, en croisant les discours des membres des différents groupes les uns sur les autres que l’on peut interpréter l’importance des violences dans les sous-cultures déviantes. Le secret est d’ailleurs un élément intégrateur, qui permet de gagner la confiance des autres membres et de protéger le groupe. Pour être intégrés les nouveaux membres doivent participer activement au fonctionnement de la communauté. Les leaders des grands groupes Ultras ont une caractéristique supplémentaire : ils ont tous été interpellés, voire condamnés, dans le cadre de la loi Alliot-Marie (1995). Ainsi, LS à Bordeaux pour « caillassage » d’un bus, RZ et C à Marseille pour agression physique, LT à Marseille pour violences et pour avoir introduit dans le stade vélodrome une camionnette de fumigènes etc. Aucun leader de groupe important en nombre et en réputation, quel que soit le club, n’échappe à cette règle. Interpellations et condamnations qui demandent cependant à être nuancées par le simple fait qu’il est qui plus est plus facile d’arrêter les leaders connus, et reconnaissables, qu’un individu quelconque. Arrêter un leader c’est aussi adresser un message à l’ensemble du groupe en lui signifiant d’une certaine manière « faites attention, n’allez pas trop lion ». Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 78

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charge de filmer ou photographier les affrontements. Films qui seront diffusés plus tard dans<br />

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rappelant ainsi la force, la puissance <strong>et</strong> l’invincibilité du groupe. Ce sont aussi les leaders <strong>à</strong><br />

proprement parler du groupe ceux qui lancent les ordres <strong>et</strong> déclenchent l’ensemble <strong>des</strong><br />

actions, qui appellent parfois <strong>à</strong> « la course », c’est <strong>à</strong> dire <strong>à</strong> poursuivre <strong>et</strong> violenter les<br />

supporters adverses.<br />

La première chose observable, est la « distinction » qui authentifie le statut <strong>et</strong> l’appartenance<br />

au noyau dur. Les membres <strong>des</strong> noyaux durs, quel que soit le groupe, portent tous <strong>des</strong> insignes<br />

distincts <strong>des</strong> autres membres. Ce peut être de simples écussons, <strong>des</strong> croix gammées, ou <strong>des</strong><br />

aigles, comme dans certains groupes du Paris Saint Germain, ou encore un bombers 124 , qui se<br />

porte r<strong>et</strong>ourné, doublure orange visible comme dans le cas <strong>des</strong> South Winners marseillais. Ces<br />

insignes distinctifs sont autant de signifiants qui authentifient un rôle <strong>et</strong> un statut particulier au<br />

sein du groupe auprès <strong>des</strong> autres membres, mais également <strong>à</strong> ceux <strong>des</strong> autres groupes de<br />

supporters. Certains supporters associent insignes distinctifs, noyaux durs <strong>et</strong> violence :<br />

« lorsque les membres du noyau dur sont l<strong>à</strong>, ceux qui portent le bombers orange,<br />

ce n’est pas la peine de chercher l’affrontement parce que tu sais eux ce sont les<br />

plus forts, ils sont invaincus, partout même <strong>à</strong> Paris tout le monde en a peur, tu les<br />

reconnais tout de suite <strong>et</strong> vaut mieux les éviter » (Supporter Magic Fans,<br />

stéphanois, 2001).<br />

Fantasme, propos visant <strong>à</strong> discriminer l’autre ou réalité ? Tout est possible dans le<br />

supportérisme où parler de l’autre, sur l’autre, est un jeu qui perm<strong>et</strong> également de se disculper<br />

d’éventuelles accusations tout en construisant <strong>et</strong> renforçant l’identité <strong>et</strong> la culture distinctive<br />

de son groupe.<br />

Deuxième observation, les leaders Ultras. Ce sont tous <strong>des</strong> « leaders charismatiques » (Weber,<br />

1919). Les autres membres parlent d’eux comme ayant fait leurs preuves, comme s’étant<br />

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métier <strong>et</strong> la vocation d’homme politique » les leaders trouvent donc leur légitimité dans <strong>des</strong><br />

qualités reconnues <strong>et</strong> valorisées dans le groupe, <strong>et</strong> par le groupe, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> actes<br />

d’héroïsme pour défendre <strong>et</strong> affirmer également la force <strong>et</strong> la puissance de celui-ci. Il n’est<br />

pas besoin, ni même question, d’élection dans les groupes de supporters qui sont pourtant <strong>des</strong><br />

associations. Les leaders sont donc <strong>des</strong> individus qui ayant fait preuve de leur loyauté, de leur<br />

courage <strong>et</strong> de leur engagement ont été reconnus, nommés, « portés » <strong>à</strong> ce statut par leurs pairs,<br />

désignés par les autres membres qui leur sont entièrement dévoués. Car il est en eff<strong>et</strong> possible<br />

de parler de dévotion <strong>et</strong> d’attitude empreintes de crainte <strong>et</strong> de respect, qui entourent, <strong>et</strong><br />

accompagnent, les leaders. Tout cela est accentué par le respect <strong>des</strong> néophytes vis <strong>à</strong> vis <strong>des</strong><br />

plus anciens. Personne n’ose contester la suprématie <strong>des</strong> leaders, leur discours ou leurs ordres.<br />

La perte du pouvoir ne peut se concevoir que pour un leader qui ne serait plus totémique <strong>et</strong><br />

mènerait le groupe vers une négation <strong>des</strong> valeurs sur lesquelles il s’est construit, ou dans <strong>des</strong><br />

actions qui lui feraient perdre de son prestige. Les exemples ne manquent pas. Les Devils<br />

(Supporters bordelais) évoquent ainsi l’éviction de leur ancien leader :<br />

« il ne pouvait plus être le chef, ce n’était plus possible, ne pas bâcher <strong>à</strong> M<strong>et</strong>z c’était<br />

trop. On allait devenir un groupe de rien qui avait peur de se déplacer, de montrer<br />

qu’il était l<strong>à</strong>. Non c’était pas possible pour être reconnu comme un grand groupe, il<br />

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<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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