Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées Si les spectateurs ne sont que 29,5 % des « violents », ils présentent néanmoins des caractéristiques similaires aux supporters. En effet, 95,16 % d’entre eux sont des hommes, 64,4 % ont moins de 25 ans, la plupart viennent très régulièrement aux matches (76,6 % à chaque rencontre) enfin, 79,9 % viennent avec des amis et s’installent toujours au même emplacement dans le stade : principalement dans les virages à proximité des groupes de supporters. Ces données sont semblables à celles des membres des noyaux durs (91,2 % sont des hommes, 67,6 % ont moins de 25 ans et 86,2 % viennent à chaque match) et conformes aux facteurs habituellement avancés pour expliciter la délinquance ordinaire en France ou le hooliganisme anglo-saxon. La violence est juvénile, masculine et groupale. Si plus d’un individu sur deux ayant répondu positivement à la question « avez-vous déjà participé à des affrontements violents » a moins de 25 ans, comment interpréter ce résultat ? A l’instar des études sur la délinquance, ou du taux des mises en examen pour crimes et délits publiés chaque année par le ministère de la justice, les jeunes (adolescents et jeunes adultes), sont effectivement sur représentés en matière de hooliganisme. Ne s’agit-il pas tout d’abord d’une simple tautologie ? Le football est, comme nous l’avons vu précédemment, le sport qui attire le public le plus grand nombre de jeunes, les jeunes se regroupent pour des raisons d’ambiance et d’affinités dans les groupes de supporters, les supporters sont principalement ceux qui commettent les actes de hooliganisme, cette forme de violence est plus présente dans le football que dans les autres sports, etc. Il ne s’agit en fait rien d’autre que du principe de « récursion organisationnelle » : le résultat devenant cause première (Morin, 1977) A l’inverse il existe une dynamique de l’âge. Si les 17-24 ans commettent 56,8 % des violences et les plus de 40 ans 5,7 % seulement, les moins de 17 ans, en s’engageant dans le supportérisme, vont être confrontés à la violence et, pour certains du moins, recourir progressivement à des conduites agonistiques. Cela s’explique par un désir mimétique, mais également par la volonté d’être reconnus, acceptés, intégrés par leurs aînés, voire encore pour défendre les valeurs de leur groupe. Mais les comportements violents de ces jeunes s’expliquent aussi par leur moindre respect des aspects normatifs. Ils sont plus tolérants vis à vis de la violence physique, la réprouvant peu, et dans tous les cas moins que les adultes, tant qu’il n’est pas fait utilisation d’armes (Roché, 2001). Cette analyse se retrouve dans plusieurs récits de vie de supporters. Ainsi S. (leader des Ultramarines Bordeaux) affirme : « A 20 ans, j’ai fait des trucs incroyables, on a « caillassé » des bus de supporters, on s’est rendu à Strasbourg avec des battes de base-ball, on a cherché des supporters adverses partout en ville… Bon c’est vrai que maintenant avec le recul, je me dis… mais comment j’ai pu faire tout ça ! J’aurais jamais dû ! Mais bon, on y croyait, on défendait les valeurs du groupe, tout ça. Avec l’âge tout semble moins important, et puis la plupart de ceux avec qui j’étais sont mariés, installés, c’est plus la même chose. Plus jeunes, on rigolait, on faisait des conneries, c’était à celui qui en ferait le plus… » (interview réalisée en 1997). Observer que jeunes et violences tendent à se conjuguer ne suffit cependant pas à définir « les jeunes » comme une classe « dangereuse », ce qui reviendrait selon Dubet « à considérer la jeunesse comme une classe sociale. [...] La période de latence psycho-sociale de la jeunesse des sociétés modernes est recouverte dans la galère par le zonage social, le chômage, les petits travaux, la faiblesse des attachements, une vie chaotique, des opportunités délinquantes [...] l’acteur des classes sociales dangereuses est un garçon de vingt ans, sans qualification ou ayant décroché, souvent au chômage, souvent immigré et vivant dans les grandes cités de banlieue » (1987, 158). La maturité, qui a, en règle générale, pour corollaire une intégration normative et un contrôle de soi plus important, se traduit par une moindre participation aux Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 75

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées affrontements. En intégrant effectivement les statuts, les rôles et les normes des adultes le public jeune adopte également une « distance au rôle » en tant que spectateur ou supporter. Age et rationalité de l’acteur Ces analyses, dont nous nous sommes longtemps contenté, dans un premier temps, circonscrivent, et limitent cependant la violence, à la construction d’identités individuelles, fondues dans une identité collective, dans une période d’incertitude sociétale. La question de l’âge n’est pas contestable. Les moins de 24 ans sont les plus nombreux à se comporter violemment. Nous avons changé de perspective en nous demandant si la violence a un sens et une finalité pour eux ? Si elle leur permet de construire une identité individuelle et d’obtenir rang et place dans la société, fut-elle restreinte aux seuls groups de supporters ? Il est intéressant d’observer que ceux qui reconnaissent avoir participé « souvent » 123 aux violences occupent une place hiérarchiquement plus élevée que les autres au sein du noyau dur. La structure des groupes de supporters semble s’établir ainsi, en partie, sur la violence ou, tout au moins, sur les bénéfices symboliques qu’elle procure à ses auteurs. Cette observation nous renvoie inéluctablement à l’une des caractéristiques de la déviance pour Becker (op. cit.) : un ensemble de comportements acquis dans le cadre d’une action collective, de la participation à un groupe déviant, d’interactions et d’expériences dans lequel un individu « normal » va peu à peu trouver plaisir, mais également apprendre à mener à bien des activités déviantes avec le moins d’ennuis possibles. Ainsi, cet individu « déviant » est amené à tenir successivement divers rôles et positions qui, sur le long terme, peuvent s’apparenter à une carrière. En retenant cette définition de la déviance et de la carrière déviante, un second questionnement s’impose : les leaders des groupes de supporters répondent-ils de cette logique ? Leur inscription dans le supportérisme, leur participation aux diverses activités du groupe, leur ascension dans la hiérarchie de celui-ci, l’acquisition d’un statut s’apparentent t’ils à une carrière déviante dans laquelle le hooliganisme tiendrait une place de choix ? Ce questionnement s’inscrit donc dans une définition culturaliste du statut et du rôle. Le rôle ne représentant que l’aspect dynamique du statut, la mise en œuvre des droits et devoirs qui constituent le statut (Linton, op. cit.). Ce double questionnement revient à se demander qui sont les leaders Ultras, s’ils ont des caractéristiques communes en terme de carrière déviante ? Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’au désordre, et au tumulte, apparent des tribunes répond en fait une organisation très hiérarchisée. Mais en dehors de la structuration traditionnelle des groupes existe en fait une multitude de statuts et de rôles. Aux « capos » italiens se substituent des responsabilités propres au soutien festif du matériel, de la bâche, des drapeaux et autres étendards, objets hautement symboliques qui authentifient et signent la présence du groupe dans le stade, sa capacité à rassembler, à organiser, à être tout simplement là. Le mégaphone qui harangue la foule et provoque les chants, les tifos mais aussi les quolibets et autres lazzis. Les responsables des tifos et de leur mise place par la délimitation du virage, la disposition de papiers multicolores ou de tout autre objet pouvant servir à construire une animation bigarrée, colorée et remarquable. Mais il existe également d’autres rôles moins connus et plus obscurs. C’est le cas de « l’aggro leader », parfois dénommé clown, dont le rôle est d’attiser, provoquer et fustiger les supporters adverses. L’objectif est davantage la provocation que l’affrontement, la dérision de l’autre ou la peur inspirée à l’autre pour le faire fuir, sans qu’il n’y ait de rencontre brutale, lui faisant perdre ainsi toute dignité. C’est également celui des responsables de la « communication » dans certains groupes, en 123 Selon les questions définis dans la méthodologie. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 76

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

affrontements. En intégrant effectivement les statuts, les rôles <strong>et</strong> les normes <strong>des</strong> adultes le<br />

public jeune adopte également une « distance au rôle » en tant que spectateur ou supporter.<br />

Age <strong>et</strong> rationalité de l’acteur<br />

Ces analyses, dont nous nous sommes longtemps contenté, dans un premier temps,<br />

circonscrivent, <strong>et</strong> limitent cependant la violence, <strong>à</strong> la construction d’identités individuelles,<br />

fondues dans une identité collective, dans une période d’incertitude sociétale. La question de<br />

l’âge n’est pas contestable. Les moins de 24 ans sont les plus nombreux <strong>à</strong> se comporter<br />

violemment. Nous avons changé de perspective en nous demandant si la violence a un sens <strong>et</strong><br />

une finalité pour eux ? Si elle leur perm<strong>et</strong> de construire une identité individuelle <strong>et</strong> d’obtenir<br />

rang <strong>et</strong> place dans la société, fut-elle restreinte aux seuls groups de supporters ?<br />

Il est intéressant d’observer que ceux qui reconnaissent avoir participé « souvent » 123 aux<br />

<strong>violences</strong> occupent une place hiérarchiquement plus élevée que les autres au sein du noyau<br />

dur. La structure <strong>des</strong> groupes de supporters semble s’établir ainsi, en partie, sur la violence ou,<br />

tout au moins, sur les bénéfices symboliques qu’elle procure <strong>à</strong> ses auteurs. C<strong>et</strong>te observation<br />

nous renvoie inéluctablement <strong>à</strong> l’une <strong>des</strong> caractéristiques de la déviance pour Becker (op.<br />

cit.) : un ensemble de comportements acquis dans le cadre d’une action collective, de la<br />

participation <strong>à</strong> un groupe déviant, d’interactions <strong>et</strong> d’expériences dans lequel un individu<br />

« normal » va peu <strong>à</strong> peu trouver plaisir, mais également apprendre <strong>à</strong> mener <strong>à</strong> bien <strong>des</strong> activités<br />

déviantes avec le moins d’ennuis possibles. Ainsi, c<strong>et</strong> individu « déviant » est amené <strong>à</strong> tenir<br />

successivement divers rôles <strong>et</strong> positions qui, sur le long terme, peuvent s’apparenter <strong>à</strong> une<br />

carrière. En r<strong>et</strong>enant c<strong>et</strong>te définition de la déviance <strong>et</strong> de la carrière déviante, un second<br />

questionnement s’impose : les leaders <strong>des</strong> groupes de supporters répondent-ils de c<strong>et</strong>te<br />

logique ? Leur inscription dans le supportérisme, leur participation aux diverses activités du<br />

groupe, leur ascension dans la hiérarchie de celui-ci, l’acquisition d’un statut s’apparentent<br />

t’ils <strong>à</strong> une carrière déviante dans laquelle le hooliganisme tiendrait une place de choix ? Ce<br />

questionnement s’inscrit donc dans une définition culturaliste du statut <strong>et</strong> du rôle. Le rôle ne<br />

représentant que l’aspect dynamique du statut, la mise en œuvre <strong>des</strong> droits <strong>et</strong> devoirs qui<br />

constituent le statut (Linton, op. cit.). Ce double questionnement revient <strong>à</strong> se demander qui<br />

sont les leaders Ultras, s’ils ont <strong>des</strong> caractéristiques communes en terme de carrière déviante ?<br />

Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’au désordre, <strong>et</strong> au tumulte, apparent <strong>des</strong> tribunes<br />

répond en fait une organisation très hiérarchisée. Mais en dehors de la structuration<br />

traditionnelle <strong>des</strong> groupes existe en fait une multitude de statuts <strong>et</strong> de rôles. Aux « capos »<br />

italiens se substituent <strong>des</strong> responsabilités propres au soutien festif du matériel, de la bâche,<br />

<strong>des</strong> drapeaux <strong>et</strong> autres étendards, obj<strong>et</strong>s hautement symboliques qui authentifient <strong>et</strong> signent la<br />

présence du groupe dans le stade, sa capacité <strong>à</strong> rassembler, <strong>à</strong> organiser, <strong>à</strong> être tout simplement<br />

l<strong>à</strong>. Le mégaphone qui harangue la foule <strong>et</strong> provoque les chants, les tifos mais aussi les<br />

quolib<strong>et</strong>s <strong>et</strong> autres lazzis. Les responsables <strong>des</strong> tifos <strong>et</strong> de leur mise place par la délimitation<br />

du virage, la disposition de papiers multicolores ou de tout autre obj<strong>et</strong> pouvant servir <strong>à</strong><br />

construire une animation bigarrée, colorée <strong>et</strong> remarquable. Mais il existe également d’autres<br />

rôles moins connus <strong>et</strong> plus obscurs. C’est le cas de « l’aggro leader », parfois dénommé<br />

clown, dont le rôle est d’attiser, provoquer <strong>et</strong> fustiger les supporters adverses. L’objectif est<br />

davantage la provocation que l’affrontement, la dérision de l’autre ou la peur inspirée <strong>à</strong> l’autre<br />

pour le faire fuir, sans qu’il n’y ait de rencontre brutale, lui faisant perdre ainsi toute dignité.<br />

C’est également celui <strong>des</strong> responsables de la « communication » dans certains groupes, en<br />

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