Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme demande du talent, de la réussite, du mérite mais également un peu de friponnerie (Bromberger, 1995). Le match met en scène la réussite ou la mort d’une équipe, d’un club, d’un public, d’une ville et d’une région. Il est effectivement l’affirmation d’une identité régionale, locale. Les supporters du sud de la France soulignent leur appartenance à la culture occitane, tout comme ils arborent dans leurs locaux des photographies de la ville, du club, du stade et des joueurs. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le propre des Marseillais même si les images du vieux port s’affichent sur les murs du local des Winners ou des Yankees 59 . Chaque club de supporters revendique ainsi une appartenance sociale et une identité culturelle différenciée des autres. La passion ne prend pas racine n’importe où. En prenant deux critères simples (le nombre moyen de spectateurs par journée et le nombre de supporters inscrits dans les différents groupes) pour mesurer la passion des publics, le résultat est flagrant. Passion et épopée sportive se conjuguent. La passion prend effectivement racine là où le club a su porter haut les valeurs locales. La passion reste intacte même lorsque le club connaît une faiblesse de résultats. L’AS St Etienne est à ce sujet exemplaire. Ce n’est certes pas la seule raison car c’est aussi le propre des villes sinistrées de reporter sur le football une telle ferveur, de se « venger » de sa disqualification sociale. Bromberger (1995) parle ainsi de « la revanche du sud » pour expliciter les antagonismes entre Naples et Turin, comme de l’opposition entre Marseille, ville économiquement tombée en désuétude en l’espace d’un siècle, et Paris, la capitale oppressante. Lens et son public en est un autre, alors que le club est enclavé dans une région longtemps marquée par l’abandon industriel, la fermeture des mines et le chômage, le public continue de suivre fidèlement et solidairement ces « hérauts » du nord qui leur apportent un exutoire mais également une compensation sociale à la déliquescence sociétale. Le football fait rêver les publics. La réussite du club et de l’équipe devient par identification la réussite d’une région, d’une ville et de chacun des individus. A l’exubérance et au désordre observable dans les virages se substitue une réalité toute autre. Les groupes de supporters sont de réelles communautés (Tonnies, 1887), où se fabrique du lien social. L’envie de partager des goûts et des émotions, le plaisir de retrouver des amis sont très souvent à l’origine de l’inscription dans ces groupes formels, ou informels. Il s’agit également d’un lieu et d’un moment porteur de rencontres et d’amitiés nouvelles. En ce sens le supportérisme, dans une perspective postmoderne, est créateur de lien social et répond à un besoin face à la déstructuration de la société. C’est le « temps des tribus » avec toutes les précautions d’usage nécessitées par l’emploi de ce terme (Bromberger, 1998) où les liens communautaires tendent à remplacer progressivement les liens contractuels. Les jeunes s’y socialisent, en partie du moins, y nouent des affinités, y acquièrent une culture, des normes et des coutumes. Le club de supporters est souvent assimilé à une « famille ». Ces communautés sont néanmoins fortement hiérarchisées et organisées. Les supporters possèdent des statuts et y remplissent des rôles (Linton, 1936). Certains sont communs à n’importe quelle association (président, trésorier, responsables du matériel), d’autres spécifiques aux Ultras. Quelques-uns sont pacifiques et relatifs au soutien ou au spectacle (responsable des chants, du traçage des tifos, le mégaphone qui dirige le groupe, le « clown » chargé de divertir et de provoquer les autres supporters, du fanzine) d’autres sous-jacents aux comportements violents (« aggro leader » chargé de provoquer les autres mais aussi de diriger les affrontements directs, ceux qui filment les affrontements). Les diverses études relatant la composition des groupes font apparaître une unité de structuration quels que soient l’époque et le lieu. Dupuis distingue ainsi trois entités : « les meneurs leur nombre varie entre cinq et dix personnes », ce sont les responsables, les leaders 59 Les South Winners et la North Army Yankee sont deux groupes de supporters Marseillais, les premiers installés dans le virage sud du stade vélodrome et les seconds dans le virage nord. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 68

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme du groupe, souvent fondateurs de celui-ci, « le noyau dur. Il peut compter de dix à deux cents membres [...] Ils sont présents à presque chaque match à domicile et effectuent au minimum tous les déplacements à hauts risques. Agressifs en paroles et en actes, ils sont souvent responsables des incidents » et enfin, la masse du groupe des supporters, « les stagiaires aussi appelés « satellites », « suiveurs » ou « figurants » [...] La masse des stagiaires est beaucoup plus différenciée que le noyau dur. On y trouve aussi bien des adolescents de treize ou quatorze ans qui veulent jouer au casseur que des quadragénaires en mal de sensations fortes » (op. cit., 135-137). Les membres du noyau dur des clubs de supporters sont effectivement ceux qui ont une expérience du supportérisme inscrite dans le temps. Ils sont les plus assidus et les plus expérimentés et sont généralement présents à tous les matches que ce soit à domicile ou en déplacement. Cette structuration est conforme à celle que nous avons observée en France. Les suiveurs participent aux actions du groupe sans être très assidus. Ils s’affilient très souvent à un groupe pour des raisons d’amitié et d’ambiance. La conséquence logique de la structuration des groupes, de la volonté de paraître de leurs membres, de la théâtralisation des tribunes est la nécessité de posséder un territoire dans le stade. Celui-ci n’est pas seulement un lieu d’exhibition il est aussi affirmation de sa force et de son nombre, de sa capacité à organiser des spectacles de meilleure qualité que les autres. En bref, il renforce la reconnaissance sociale et participe à la construction identitaire de chacun des groupes. La construction typologique des groupes Ces analyses et ces observations ne sont cependant pas originales en soi, d’autres chercheurs ayant, avant nous, montré les fondements et les mécanismes de ce supportérisme passionnel. L’analyse des discours 60 des supporters, ou de ceux qui se considèrent comme tels, nous a par contre permis de construire une typologie originale, de ces publics passionnés (AFC suivante), qui met en évidence les profondes distinctions entre les publics des différents sports, à travers, comme le proposait Crozier et Friedberg (op. cit.) leurs activités, telles qu’ils les conçoivent, leurs relations, les uns avec les autres, l’évaluation de leurs activités et leurs possibilités d’action. Cette construction typologique élaborée en 1998, n’a connu, malgré la multiplication des sites investis, pratiquement aucune modification majeure, contrairement à ce que nous imaginions alors, compte tenu du faible nombre de sites investis à l’origine (4 au football, 2 au basketball, 1 au rugby et 1 au volley-ball) et qui nous faisait dire, à juste titre, que notre travail « n’était pas généralisable, qu’il était un instantané ». Cette stabilité des discours sur la genèse et le vécu des passions sportives est tout à la fois intéressante et surprenante car elle met en évidence des permanences dont l’analyse montre la façon dont des individus distincts, aux orientations et aux motivations personnelles divergentes, peuvent s’intégrer à une organisation collective. Comme le suggéraient Crozier et Friedberg (op. cit., 20) : « ni les objectifs, ni les motivations des acteurs ne sont en cause. […] Ils sont les prisonniers des moyens qu’ils ont utilisés pour régler leur coopération et qui circonscrivent jusqu’à leurs capacités de se définir de nouvelles finalités ». 60 L’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel Sphinx . L’unité pratique et opérationnelle retenue est le thème défini par « classification analogique et progressive des éléments » (Bardin, 1977, 152-153) avec comme règle d’énumération la présence ou l’absence des thèmes en fonction de leur fréquence d’apparition. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 69

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

du groupe, souvent fondateurs de celui-ci, « le noyau dur. Il peut compter de dix <strong>à</strong> deux cents<br />

membres [...] Ils sont présents <strong>à</strong> presque chaque match <strong>à</strong> domicile <strong>et</strong> effectuent au minimum<br />

tous les déplacements <strong>à</strong> hauts risques. Agressifs en paroles <strong>et</strong> en actes, ils sont souvent<br />

responsables <strong>des</strong> incidents » <strong>et</strong> enfin, la masse du groupe <strong>des</strong> supporters, « les stagiaires aussi<br />

appelés « satellites », « suiveurs » ou « figurants » [...] La masse <strong>des</strong> stagiaires est beaucoup<br />

plus différenciée que le noyau dur. On y trouve aussi bien <strong>des</strong> adolescents de treize ou<br />

quatorze ans qui veulent jouer au casseur que <strong>des</strong> quadragénaires en mal de sensations fortes »<br />

(op. cit., 135-137). Les membres du noyau dur <strong>des</strong> clubs de supporters sont effectivement<br />

ceux qui ont une expérience du supportérisme inscrite dans le temps. Ils sont les plus assidus<br />

<strong>et</strong> les plus expérimentés <strong>et</strong> sont généralement présents <strong>à</strong> tous les matches que ce soit <strong>à</strong><br />

domicile ou en déplacement. C<strong>et</strong>te structuration est conforme <strong>à</strong> celle que nous avons observée<br />

en France. Les suiveurs participent aux actions du groupe sans être très assidus. Ils s’affilient<br />

très souvent <strong>à</strong> un groupe pour <strong>des</strong> raisons d’amitié <strong>et</strong> d’ambiance. La conséquence logique de<br />

la structuration <strong>des</strong> groupes, de la volonté de paraître de leurs membres, de la théâtralisation<br />

<strong>des</strong> tribunes est la nécessité de posséder un territoire dans le stade. Celui-ci n’est pas<br />

seulement un lieu d’exhibition il est aussi affirmation de sa force <strong>et</strong> de son nombre, de sa<br />

capacité <strong>à</strong> organiser <strong>des</strong> spectacles de meilleure qualité que les autres. En bref, il renforce la<br />

reconnaissance sociale <strong>et</strong> participe <strong>à</strong> la construction identitaire de chacun <strong>des</strong> groupes.<br />

La construction typologique <strong>des</strong> groupes<br />

Ces analyses <strong>et</strong> ces observations ne sont cependant pas originales en soi, d’autres chercheurs<br />

ayant, avant nous, montré les fondements <strong>et</strong> les mécanismes de ce supportérisme passionnel.<br />

L’analyse <strong>des</strong> discours 60 <strong>des</strong> supporters, ou de ceux qui se considèrent comme tels, nous a par<br />

contre permis de construire une typologie originale, de ces publics passionnés (AFC<br />

suivante), qui m<strong>et</strong> en évidence les profon<strong>des</strong> distinctions <strong>entre</strong> les publics <strong>des</strong> différents<br />

<strong>sports</strong>, <strong>à</strong> travers, comme le proposait Crozier <strong>et</strong> Friedberg (op. cit.) leurs activités, telles qu’ils<br />

les conçoivent, leurs <strong>relations</strong>, les uns avec les autres, l’évaluation de leurs activités <strong>et</strong> leurs<br />

possibilités d’action.<br />

C<strong>et</strong>te construction typologique élaborée en 1998, n’a connu, malgré la multiplication <strong>des</strong> sites<br />

investis, pratiquement aucune modification majeure, contrairement <strong>à</strong> ce que nous imaginions<br />

alors, compte tenu du faible nombre de sites investis <strong>à</strong> l’origine (4 au football, 2 au bask<strong>et</strong>ball,<br />

1 au rugby <strong>et</strong> 1 au volley-ball) <strong>et</strong> qui nous faisait dire, <strong>à</strong> juste titre, que notre travail<br />

« n’était pas généralisable, qu’il était un instantané ». C<strong>et</strong>te stabilité <strong>des</strong> discours sur la genèse<br />

<strong>et</strong> le vécu <strong>des</strong> passions sportives est tout <strong>à</strong> la fois intéressante <strong>et</strong> surprenante car elle m<strong>et</strong> en<br />

évidence <strong>des</strong> permanences dont l’analyse montre la façon dont <strong>des</strong> individus distincts, aux<br />

orientations <strong>et</strong> aux motivations personnelles divergentes, peuvent s’intégrer <strong>à</strong> une organisation<br />

collective. Comme le suggéraient Crozier <strong>et</strong> Friedberg (op. cit., 20) : « ni les objectifs, ni les<br />

motivations <strong>des</strong> acteurs ne sont en cause. […] Ils sont les prisonniers <strong>des</strong> moyens qu’ils ont<br />

utilisés pour régler leur coopération <strong>et</strong> qui circonscrivent jusqu’<strong>à</strong> leurs capacités de se définir<br />

de nouvelles finalités ».<br />

60 L’analyse a été réalisée <strong>à</strong> l’aide du logiciel Sphinx . L’unité pratique <strong>et</strong> opérationnelle r<strong>et</strong>enue est le thème<br />

défini par « classification analogique <strong>et</strong> progressive <strong>des</strong> éléments » (Bardin, 1977, 152-153) avec comme règle<br />

d’énumération la présence ou l’absence <strong>des</strong> thèmes en fonction de leur fréquence d’apparition.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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