Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme permet d’observer que si le football touche, aujourd’hui, une population plus hétérogène, il reste néanmoins, en poids relatif, plus populaire dans sa globalité que les autres grands sports collectifs. La classification en grandes rubriques ne rend pas assez compte de ces différences. Prenons un exemple parmi d’autres. Si les commerçants, artisans et chefs d’entreprises représentent 12.5 % du public du football et 14.8 % du rugby, chiffres a priori relativement similaires, en éclatant cette rubrique, on observe que 67.3 % de cette catégorie au football ont moins de 5 salariés, contre 29.8 % au rugby. Il reste donc néanmoins des différences avec les autres sports que l’engouement pour le football, durant les dix dernières années, n’a pas entièrement gommées. Si le public des stades reflète bien souvent, dans ses grandes lignes, la diversité professionnelle des villes et des régions observées la comparaison de la composition de ces publics avec celle des unités urbaines, fait apparaître des différences notoires en matière d’âge et de sexe. Catégorie d'âge Sport Basket-Ball Football Rugby Volley-Ball TOTAL - 17 ans 17 - 24 ans 25 - 39 ans 40 - 59 ans 60 ans et + TOTAL 10,1% 23,1% 26,9% 30,0% 9,9% 100% 10,0% 37,2% 28,4% 18,3% 6,1% 100% 8,2% 9,7% 20,9% 40,3% 20,9% 100% 6,4% 22,0% 27,5% 31,2% 12,8% 100% 9,7% 28,8% 27,1% 25,3% 9,2% 100% Répartition par catégories d’âges des publics des différents sports collectifs étudiés La dépendance est très significative. Chi2=152.68, ddl=12, 1-p=>99.99 %. Deux catégories sont sur-représentées : les 17-24 ans au football et les plus de 60 ans au rugby. Cette distinction est importante car très souvent on oppose football et rugby, en se demandant, puisque ce sont deux sports « masculins », comme nous le verrons ci-après, pourquoi les spectateurs du rugby, sport considéré comme intrinsèquement violent, s’avèrent placides. Une première raison tient peut-être à l’âge si on se souvient des données générales mises en évidence par les criminologues : la délinquance et la violence sont essentiellement juvéniles. Ces données ne sont que des moyennes. L’écart est encore plus grand si on distingue au football le public des tribunes de celui des virages, lieux où se regroupent les plus fervents : 61.2 % des publics situés dans les virages ont moins de 24 ans. La seconde raison est la plus ou moins grande féminisation des publics. 87.4 % du public du football est de sexe masculin, contre seulement 64.6 % au basket-ball, et 62.4 % au volley-ball. Seul le rugby offre un profil similaire avec 84.7 % d’hommes. S’il n’est pas possible à ce stade d’établir une correspondance entre composition sociale des publics et recours au hooliganisme, ce qui constituerait un raccourci sans fondement, on peut néanmoins observer que le football, en tant que théâtre privilégié de violences, se distingue nettement des autres sports sur les critères PCS, sexe et âge. Spectateurs et supporters A l’unisson qui semble marquer le soutien à l’équipe au football, le stade se décompose pourtant en entités distinctes. La répartition des spectateurs n’est pas seulement financière. Bromberger (op. cit.) affirmait : « au-delà du prix des places des territoires ». La territorialisation de l’espace s’effectue à travers des logiques de visibilité mais également des Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 64

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme distinctions d’âge, de culture, de passion etc. Aux tribunes sages et respectueuses du jeu et de l’arbitre, aux loges ou s’affichent aujourd’hui entrepreneurs et responsables politiques locaux, s’oppose le public tumultueux, bruyant et chahuteur des virages. Se distinguent ainsi, selon la terminologie consacrée, spectateurs et supporters : « ceux qui se voient comme les authentiques soutiens d’une équipe et ceux qui se contentent d’assister passivement à un match » (Mignon, 1993, 73). Une distinction supplémentaire s’impose : si le spectateur peut prendre plaisir au jeu produit par les deux équipes, encourager et applaudir les belles actions, tout en préférant néanmoins voir son club l’emporter, le supporter s’imagine comme le soutien d’une équipe exclusive qu’il encourage de manière partisane. Ce soutien partial et inconditionnel, ce chauvinisme exacerbé à travers vociférations, encouragements et chahuts ne doivent cependant pas être surchargés de sens. C’est sans doute « l’affirmation bruyante d’une identité mais aussi la condition nécessaire de la plénitude de l’émotion »(Bromberger, 1996, 34). Le supportérisme c’est donc avant toute chose le reniement de toute distance au rôle (Goffman, 1956) : « assister à un match de football n’est généralement pas une consommation retenue comme au cinéma, ou recueillie, comme au théâtre ou dans une exposition de peinture, ni une consommation distraite, comme c’est souvent le cas à la télévision, ou une compétition que l’on regarde avec fair-play, comme le tennis ou le golf. Sans doute peut-on assister à un match de foot de ces quatre manières, mais ce n’est pas du supportérisme. » (Ehrenberg, op. cit., 53). Chez les supporters l’émotion n’est pas intériorisée. Elle se traduit dans un charivari coloré et une euphorie ou un mécontentement bruyamment voire vulgairement partagés. Dans nos sociétés contemporaines, sécuritaires et prophylactiques, le stade est peut-être effectivement le dernier endroit où l’on peut « s’encanailler », laisser libre cours à sa gestuelle et à des propos orduriers, crier sa joie de vivre et sa peur d’être ou du lendemain ! Est-il envisageable d’avoir les mêmes comportements ou les mêmes mots dans la rue, au travail ou dans tout autre lieu ? Certes non ! Et c’est peut être là tout le problème, toute forme de violence, ou tout au moins d’excès, nous est semble-t-il devenu impensable. Cette distinction entre spectateurs et supporters n’est pas seulement un point de vue comportementaliste distinguant jeunes et vieux à travers un soutien retenu ou carnavalesque. Cette différence tient également à la conception et à l’organisation du soutien. Seul le deuxième point sera développé ici, d’autres auteurs (Bromberger, op. cit. ; Roumestan, 1998, entre autres) ayant amplement décrits l’originalité d’un supportérisme exacerbé à travers les oppositions et les passions sportives, locales et nationales. Plus frappant encore est l’existence, ou non, d’un supportérisme structuré en associations de type loi de 1901. S’il existe quelques associations de fait 58 de supporters au rugby (3), il n’y a aucune trace d’association officielle, ayant déposée des statuts, entretenant des rapports administratifs avec les clubs et bénéficiant d’aides diverses de ceux-ci. Au volley-ball non plus. Les clubs de supporters recensés émanent donc tous du basket-ball et du football avec des différences quantitatives considérables en nombre de clubs et en nombre d’adhérents. Ainsi, le basket-ball en pro A et en pro B comptait 19 clubs de supporters regroupant approximativement 1 000 adhérents au total en 2000. Dans le football de première et de seconde division 113 clubs et 47 000 adhérents sont aujourd’hui recensés. En terme de supportérisme organisé ces deux sports offrent des disparités et des disproportions importantes. Hormis le CSP Limoges où cohabitaient deux entités au sein du même club, chaque association de basket-ball ne possède qu’un groupe de supporters dont la moyenne des effectifs avoisine 50 éléments. Le football fait figure de phénomène en affichant jusqu’à 14 58 Une association de fait est le regroupement de personnes dont le fonctionnement est identique à celui d’une association de type loi 1901 sans avoir déposé de statuts à la préfecture et donc par voie de conséquence qui ne possède pas la personnalité juridique avec les avantages et les inconvénients liés à celle-ci. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 65

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

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distinctions d’âge, de culture, de passion <strong>et</strong>c. Aux tribunes sages <strong>et</strong> respectueuses du jeu <strong>et</strong> de<br />

l’arbitre, aux loges ou s’affichent aujourd’hui <strong>entre</strong>preneurs <strong>et</strong> responsables politiques locaux,<br />

s’oppose le public tumultueux, bruyant <strong>et</strong> chahuteur <strong>des</strong> virages. Se distinguent ainsi, selon la<br />

terminologie consacrée, spectateurs <strong>et</strong> supporters : « ceux qui se voient comme les<br />

authentiques soutiens d’une équipe <strong>et</strong> ceux qui se contentent d’assister passivement <strong>à</strong> un<br />

match » (Mignon, 1993, 73). Une distinction supplémentaire s’impose : si le spectateur peut<br />

prendre plaisir au jeu produit par les deux équipes, encourager <strong>et</strong> applaudir les belles actions,<br />

tout en préférant néanmoins voir son club l’emporter, le supporter s’imagine comme le<br />

soutien d’une équipe exclusive qu’il encourage de manière partisane. Ce soutien partial <strong>et</strong><br />

inconditionnel, ce chauvinisme exacerbé <strong>à</strong> travers vociférations, encouragements <strong>et</strong> chahuts<br />

ne doivent cependant pas être surchargés de sens. C’est sans doute « l’affirmation bruyante<br />

d’une identité mais aussi la condition nécessaire de la plénitude de l’émotion »(Bromberger,<br />

1996, 34). Le supportérisme c’est donc avant toute chose le reniement de toute distance au<br />

rôle (Goffman, 1956) : « assister <strong>à</strong> un match de football n’est généralement pas une<br />

consommation r<strong>et</strong>enue comme au cinéma, ou recueillie, comme au théâtre ou dans une<br />

exposition de peinture, ni une consommation distraite, comme c’est souvent le cas <strong>à</strong> la<br />

télévision, ou une compétition que l’on regarde avec fair-play, comme le tennis ou le golf.<br />

Sans doute peut-on assister <strong>à</strong> un match de foot de ces quatre manières, mais ce n’est pas du<br />

supportérisme. » (Ehrenberg, op. cit., 53). Chez les supporters l’émotion n’est pas intériorisée.<br />

Elle se traduit dans un charivari coloré <strong>et</strong> une euphorie ou un mécontentement bruyamment<br />

voire vulgairement partagés. Dans nos sociétés contemporaines, sécuritaires <strong>et</strong><br />

prophylactiques, le stade est peut-être effectivement le dernier endroit où l’on peut<br />

« s’encanailler », laisser libre cours <strong>à</strong> sa gestuelle <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>des</strong> propos orduriers, crier sa joie de<br />

vivre <strong>et</strong> sa peur d’être ou du lendemain ! Est-il envisageable d’avoir les mêmes<br />

comportements ou les mêmes mots dans la rue, au travail ou dans tout autre lieu ? Certes<br />

non ! Et c’est peut être l<strong>à</strong> tout le problème, toute forme de violence, ou tout au moins d’excès,<br />

nous est semble-t-il devenu impensable.<br />

C<strong>et</strong>te distinction <strong>entre</strong> spectateurs <strong>et</strong> supporters n’est pas seulement un point de vue<br />

comportementaliste distinguant jeunes <strong>et</strong> vieux <strong>à</strong> travers un soutien r<strong>et</strong>enu ou carnavalesque.<br />

C<strong>et</strong>te différence tient également <strong>à</strong> la conception <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’organisation du soutien. Seul le<br />

deuxième point sera développé ici, d’autres auteurs (Bromberger, op. cit. ; Roumestan, 1998,<br />

<strong>entre</strong> autres) ayant amplement décrits l’originalité d’un supportérisme exacerbé <strong>à</strong> travers les<br />

oppositions <strong>et</strong> les passions sportives, locales <strong>et</strong> nationales.<br />

Plus frappant encore est l’existence, ou non, d’un supportérisme structuré en associations de<br />

type loi de 1901. S’il existe quelques associations de fait 58 de supporters au rugby (3), il n’y a<br />

aucune trace d’association officielle, ayant déposée <strong>des</strong> statuts, <strong>entre</strong>tenant <strong>des</strong> rapports<br />

administratifs avec les clubs <strong>et</strong> bénéficiant d’ai<strong>des</strong> diverses de ceux-ci. Au volley-ball non<br />

plus. Les clubs de supporters recensés émanent donc tous du bask<strong>et</strong>-ball <strong>et</strong> du football avec<br />

<strong>des</strong> différences quantitatives considérables en nombre de clubs <strong>et</strong> en nombre d’adhérents.<br />

Ainsi, le bask<strong>et</strong>-ball en pro A <strong>et</strong> en pro B comptait 19 clubs de supporters regroupant<br />

approximativement 1 000 adhérents au total en 2000. Dans le football de première <strong>et</strong> de<br />

seconde division 113 clubs <strong>et</strong> 47 000 adhérents sont aujourd’hui recensés. En terme de<br />

supportérisme organisé ces deux <strong>sports</strong> offrent <strong>des</strong> disparités <strong>et</strong> <strong>des</strong> disproportions<br />

importantes. Hormis le CSP Limoges où cohabitaient deux entités au sein du même club,<br />

chaque association de bask<strong>et</strong>-ball ne possède qu’un groupe de supporters dont la moyenne <strong>des</strong><br />

effectifs avoisine 50 éléments. Le football fait figure de phénomène en affichant jusqu’<strong>à</strong> 14<br />

58 Une association de fait est le regroupement de personnes dont le fonctionnement est identique <strong>à</strong> celui d’une<br />

association de type loi 1901 sans avoir déposé de statuts <strong>à</strong> la préfecture <strong>et</strong> donc par voie de conséquence qui ne<br />

possède pas la personnalité juridique avec les avantages <strong>et</strong> les inconvénients liés <strong>à</strong> celle-ci.<br />

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