Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Implantation urbaine des stades et gestion des foules La gestion des foules sportives est complexifiée par l’implantation des stades en milieu urbain comme c’est le cas dans la plupart des pays d’Europe. Les problèmes posés par l’accueil, la gestion et le contrôle des foules sportives vont alors de pair avec le nombre de spectateurs. Même si le public français reste quantitativement très largement en deçà de ses homologues européens, pratiquement deux fois moins nombreux qu’en Espagne, en Angleterre et en Italie selon l’UEFA (Union Européenne de Football Association), il n’en est pas moins vrai qu’il faut, dans les 4 ou 5 plus grands clubs, prendre en compte un flux de personnes, comparable à celui de la population d’une ville comme Châtellerault (36 000 habitants), qui accéderait au stade dans l’heure qui précède la rencontre. Les services d’ordre doivent donc, après avoir banalisé les lieux, contrôler les déplacements de population tout en laissant les gens se garer, installer un périmètre de sécurité aux abords des stades tout en permettant la libre circulation de la population locale et le maintien de l’ordre public. Tout ceci n’est pas sans poser de nombreux problèmes lorsque par exemple, dans le cas du Parc des Princes, implanté dans le 16 ème arrondissement de Paris, la mise en place du périmètre de sécurité oblige à condamner les principales voies d’accès dont l’avenue Mozart : « le problème du périmètre de sécurité dans ce secteur est très important. Il faut prendre en compte un grand nombre de facteurs : de voisinage, afin de perturber le moins possible la vie des habitants, les commerces pour prévenir les actes de vandalisme, l’entrée ou la sortie des élèves, le libre accès ou la libre circulation des services médicaux d’urgence, les pompiers etc. » (Commissaire JPP, 1998). Comment dès lors concevoir, avec une foule passionnée et chauvine, aux comportements festifs et à la ferveur exacerbée, composée d’individus solitaires mais également de groupes propices aux conduites excessives, qu’il ne puisse pas y avoir d’incidents lors d’un match de football ? Pourquoi voudrait-on également qu’il y ait moins de problèmes de violences dans le stade que dans une ville entière ? Car il y a là un rapport évident au nombre et à l’anonymat procuré par la foule. Même s’il n’est pas possible de partager l’intégralité de la pensée de Le Bon et de ses successeurs – Freud (1921) et Moscovici (1981) – notamment sur les questions de régression de la personnalité consciente au profit de la personnalité inconsciente, conduisant l’individu en foule à régresser de « plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation » (Le Bon, op. cit. 14), il faut néanmoins reconnaître que l’homme en foule est parfois capable de commettre des actes qu’il ne saurait réaliser en tant qu’individu socialement isolé. La foule procure un sentiment de puissance et d’invincibilité qui peut entraîner quelquefois un individu ordinaire à commettre, inconsciemment ou par jeu, des faits qu’il condamnerait en temps normal. Se contenter de cette explication limiterait cependant le hooliganisme à la déraison et à la perte de sens faisant de l’homme en foule un barbare atteint de démesure, son humanité cédant le pas à son animalité. Si certains comportements peuvent effectivement trouver leur ancrage dans la foule, comme la contagion des opinions ou des émotions et expliquer partiellement les actes violents, cette incapacité à raisonner limiterait à étudier une violence qui serait soit spontanée, résultat d’une frustration, soit dirigée et orchestrée par des meneurs que la foule suivrait servilement. Il y a là disjonction car les publics violents sont tout à fait conscients de leurs actes ; sans préméditation ni organisation, il ne serait d’ailleurs pas possible de parler de hooliganisme. Comme dans toutes manifestations, il y a très certainement des acteurs conscients et d’autres qui suivent inconsciemment le reste de la troupe ou qui n’ont tout simplement pas (par appartenance au groupe) ou plus (parce qu’ils doivent se défendre) le choix de faire autrement. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 58

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Le problème de la gestion des spectateurs ne s’arrête cependant pas aux seuls risques liés aux comportements des foules. L’analyse du contrôle social mis en place, ainsi que notre implication dans l’observatoire de la violence 51 , nous ont amené à décrire les difficultés liées à une stricte application des lois et règlements en vigueur (Bodin, 2001b) ainsi que l’influence que pouvait avoir la non-application, partielle ou totale, des normes comme vecteur de la violence (Bodin, 1999b). Plutôt que de reprendre la fastidieuse description de l’émergence et des modifications du contrôle social des foules sportives, nous insisterons sur deux points particuliers : d’une part, les problèmes liés à l’application de la loi Alliot-Marie 52 et d’autre part, sur le contexte anomique provoqué par cette inapplication. La « non-application » de cette loi par les parquets, ou les différences d’application de l’une à l’autre des juridictions, est une évidence. Pour une même faute, les sanctions sont très souvent différentes. L’application des normes dépend très souvent de « campagnes périodiques » (Becker, op. cit.) liées à un contexte particulier ou provoquées par des événements qui, rendus publics, ne peuvent plus être négligés, sous peine de renforcer le climat d’insécurité, de rendre inopérant les mesures en cours, ou plus simplement de faire perdre toute crédibilité aux politiques de contrôle social, voire, aux hommes politiques eux-mêmes. La promulgation de la loi Alliot-Marie suit cette logique d’urgence. Il a fallu en effet attendre 1993, pour que cette loi, réclamée pourtant depuis fort longtemps par les différents acteurs de la sphère sportive, soit adoptée et promulguée. Si celle-ci était en préparation depuis quelques temps déjà, les événements du 28 août 1993 au Parc des Princes durant la rencontre opposant le PSG à Caen (cités précédemment), ont fortement accéléré le processus et mis en évidence la nécessité d’encadrer au plus vite ce type de comportement. Le second problème est lié à l’application géographique d’une loi qui ne s’impose que dans le cas des manifestations sportives. Comment délimiter l’espace d’une manifestation ? Jusqu’au 25 février 1998 la délimitation de compétence, selon la loi, comprenait l’enceinte sportive et les parties neutralisées aux abords par les forces de l’ordre. Tout acte répréhensible commis dans cette zone était soumis à la loi Alliot-Marie. Tout acte commis en dehors, le fut-il par un groupe de supporters identifié et reconnu, était assujetti au nouveau code pénal. Il s’agit là d’un élément très important à prendre en considération puisque la loi Alliot-Marie 53 prévoyant des peines plus sévères que le code pénal pour les mêmes délits, cette délimitation territoriale a provoqué un déplacement de la violence du stade à la voie publique, mais également l’apparition des « casuals 54 ». Loin de prévenir les violences la loi a, en fait, engendré une modification des comportements violents et déviants 55 . 51 Observatoire bipartite, commun au Ministère de l’Intérieur et au Ministère de la jeunesse et des sports, concevant et planifiant la gestion des publics lors de la Coupe du monde 1998 en France. 52 Loi n° 93-1282 du 6 décembre 1993 « relative à la sécurité des manifestations sportives », dite loi « Alliot- Marie », du nom du ministre de la Jeunesse et des Sports, a donné un cadre juridique et répressif face aux infractions commises à l’intérieur d’un stade lors d’une manifestation sportive. Elle prévoit également l’interdiction à toute personne en état d’ivresse de pénétrer dans une enceinte sportive, ainsi que d’y faire pénétrer tout arme « par nature » ou « par destination » ou tout élément pyrotechnique. 53 A titre d’exemple les peines maximales prévues pour des dégradations légères commises sur la voie publique sont passibles selon l’art. 322-1 du nouveau code pénal de 25 000 F d’amendes, et de 100 000 F d’amendes et 3 ans d’emprisonnement dans le cadre de la loi Alliot-Marie. 54 Vient de « Casual clothing » (habit de classe) ; par extension les casuals sont des hooligans qui bien habillés, passent plus facilement inaperçus et font l’objet de moins de fouilles ou de contrôles. 55 Problème partiellement réglé par l’adoption par le parlement de la loi du 25/2/98, qui étend la compétence et la portée territoriale de la loi Alliot-Marie aux infractions commises à l’extérieur de l’enceinte sportive dès lors que celles-ci sont en relation directes avec l’épreuve ou le fait de supporters. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 59

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Implantation urbaine <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> gestion <strong>des</strong> foules<br />

La gestion <strong>des</strong> foules sportives est complexifiée par l’implantation <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> en milieu urbain<br />

comme c’est le cas dans la plupart <strong>des</strong> pays d’Europe. Les problèmes posés par l’accueil, la<br />

gestion <strong>et</strong> le contrôle <strong>des</strong> foules sportives vont alors de pair avec le nombre de spectateurs.<br />

Même si le public français reste quantitativement très largement en deç<strong>à</strong> de ses homologues<br />

européens, pratiquement deux fois moins nombreux qu’en Espagne, en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en Italie<br />

selon l’UEFA (Union Européenne de Football Association), il n’en est pas moins vrai qu’il<br />

faut, dans les 4 ou 5 plus grands clubs, prendre en compte un flux de personnes, comparable <strong>à</strong><br />

celui de la population d’une ville comme Châtellerault (36 000 habitants), qui accéderait au<br />

stade dans l’heure qui précède la rencontre. Les services d’ordre doivent donc, après avoir<br />

banalisé les lieux, contrôler les déplacements de population tout en laissant les gens se garer,<br />

installer un périmètre de sécurité aux abords <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> tout en perm<strong>et</strong>tant la libre circulation<br />

de la population locale <strong>et</strong> le maintien de l’ordre public. Tout ceci n’est pas sans poser de<br />

nombreux problèmes lorsque par exemple, dans le cas du Parc <strong>des</strong> Princes, implanté dans le<br />

16 ème arrondissement de Paris, la mise en place du périmètre de sécurité oblige <strong>à</strong> condamner<br />

les principales voies d’accès dont l’avenue Mozart : « le problème du périmètre de sécurité<br />

dans ce secteur est très important. Il faut prendre en compte un grand nombre de facteurs : de<br />

voisinage, afin de perturber le moins possible la vie <strong>des</strong> habitants, les commerces pour<br />

prévenir les actes de vandalisme, l’entrée ou la sortie <strong>des</strong> élèves, le libre accès ou la libre<br />

circulation <strong>des</strong> services médicaux d’urgence, les pompiers <strong>et</strong>c. » (Commissaire JPP, 1998).<br />

Comment dès lors concevoir, avec une foule passionnée <strong>et</strong> chauvine, aux comportements<br />

festifs <strong>et</strong> <strong>à</strong> la ferveur exacerbée, composée d’individus solitaires mais également de groupes<br />

propices aux conduites excessives, qu’il ne puisse pas y avoir d’incidents lors d’un match de<br />

football ? Pourquoi voudrait-on également qu’il y ait moins de problèmes de <strong>violences</strong> dans le<br />

stade que dans une ville entière ? Car il y a l<strong>à</strong> un rapport évident au nombre <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’anonymat<br />

procuré par la foule. Même s’il n’est pas possible de partager l’intégralité de la pensée de Le<br />

Bon <strong>et</strong> de ses successeurs – Freud (1921) <strong>et</strong> Moscovici (1981) – notamment sur les questions<br />

de régression de la personnalité consciente au profit de la personnalité inconsciente,<br />

conduisant l’individu en foule <strong>à</strong> régresser de « plusieurs degrés sur l’échelle de la<br />

civilisation » (Le Bon, op. cit. 14), il faut néanmoins reconnaître que l’homme en foule est<br />

parfois capable de comm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> actes qu’il ne saurait réaliser en tant qu’individu<br />

socialement isolé. La foule procure un sentiment de puissance <strong>et</strong> d’invincibilité qui peut<br />

entraîner quelquefois un individu ordinaire <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre, inconsciemment ou par jeu, <strong>des</strong> faits<br />

qu’il condamnerait en temps normal.<br />

Se contenter de c<strong>et</strong>te explication limiterait cependant le hooliganisme <strong>à</strong> la déraison <strong>et</strong> <strong>à</strong> la<br />

perte de sens faisant de l’homme en foule un barbare atteint de démesure, son humanité<br />

cédant le pas <strong>à</strong> son animalité. Si certains comportements peuvent effectivement trouver leur<br />

ancrage dans la foule, comme la contagion <strong>des</strong> opinions ou <strong>des</strong> émotions <strong>et</strong> expliquer<br />

partiellement les actes violents, c<strong>et</strong>te incapacité <strong>à</strong> raisonner limiterait <strong>à</strong> étudier une violence<br />

qui serait soit spontanée, résultat d’une frustration, soit dirigée <strong>et</strong> orchestrée par <strong>des</strong> meneurs<br />

que la foule suivrait servilement. Il y a l<strong>à</strong> disjonction car les publics violents sont tout <strong>à</strong> fait<br />

conscients de leurs actes ; sans préméditation ni organisation, il ne serait d’ailleurs pas<br />

possible de parler de hooliganisme. Comme dans toutes manifestations, il y a très<br />

certainement <strong>des</strong> acteurs conscients <strong>et</strong> d’autres qui suivent inconsciemment le reste de la<br />

troupe ou qui n’ont tout simplement pas (par appartenance au groupe) ou plus (parce qu’ils<br />

doivent se défendre) le choix de faire autrement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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