Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Les entretiens Deux sortes d’entretiens semi-directifs ont été utilisés. Le premier concernait les supporters. Il était de type « histoire de vie » (Pineau et Legrand, 1993) et répondait à un triple objectif : donner du sens aux actions, et aux interactions, violentes ou non, à partir des histoires de vie des individus passionnellement engagés dans le supportérisme ; acquérir, comme le suggère Chauchat (op. cit.) une familiarité de membre et le langage habituel de ces groupes ; confronter sur un même sujet (ex : un affrontement précis) les points de vue d’acteurs appartenant à des groupes différents. L’intérêt de l’entretien, comme de l’observation participante que nous examinerons un peu plus loin, ne s’arrête cependant pas aux les objectifs habituels de ce type de technique. Il s’est avéré, a posteriori, beaucoup plus aisé de faire parler les supporters sur leur vie que de leur demander de répondre aux questionnaires. Chauchat suggère ainsi que parfois « l’entretien semble mieux adapté que le questionnaire par exemple. Plusieurs facteurs peuvent intervenir, notamment la difficulté ou le refus de répondre à une série de questions définies à l’avance, ou le besoin d’établir un contact personnel pour répondre... Cela peut être le cas de populations marginales... » (op. cit., p. 153). Dépassant l’aspect péjoratif de ces propos, qui s’avère cependant réel dans un certain nombre de cas, il est vrai que les supporters préfèrent parler à un interlocuteur, connu, identifié et qu’ils ont accepté, plutôt que de répondre anonymement à un questionnaire dont ils craignent l’utilisation ultérieure. C’est aussi et surtout entrer dans la sphère de l’intime. La passation du questionnaire se fait à l’entrée des tribunes et des virages. Les individus arrivent en groupes plus ou moins importants. Certains ne veulent pas répondre, d’autres le font mais sous les railleries et les provocations de leurs congénères. Un certain nombre de questionnaires ont été écartés pour ces raisons. Le contexte de l’entretien s’avère différent. En acceptant l’interview, ils en profitent pour s’isoler et parler de ce que leurs amis ne savent pas toujours ou, du moins, pas complètement. Ils ont une liberté de parole et d’opinion. Huit thèmes principaux constituaient la trame de l’entretien : 1. la genèse de la passion, 2. l’attachement au club, à la ville, à la région, 3. les relations avec les autres supporters, 4. la violence, 5. l’influence des médias, 6. les rapports avec la police, 7. les relations avec le club, 8. la politique. Cette trame n’était cependant ni fixe, ni ordonnée. Certains thèmes apparaissaient dans l’entretien sans que l’on ait besoin de les aborder. D’autres, imprévus faisaient jour suscitant un questionnement complémentaire. Si ce type de recherche pose problème aux supporters, car le hooliganisme n’est pas la partie dont ils sont le plus fiers, ils acceptent cependant volontiers d’en parler, loin de nier et réfuter les actes de violences dont ils font parfois preuve. Mais ce ne peut en aucun cas être l’objet de la première conversation ou, du moins, des premiers instants de la rencontre. Ainsi, avec R, évoqué plus haut, nous avons réalisé un entretien de près de 4 heures qui a débuté par un monologue interminable, mais très intéressant et très enrichissant, d’environ 1 h 30 sur l’histoire du supportérisme et son Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 50

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme organisation. A la fin de ce propos sur le bien fondé des groupes Ultras, étonné peut-être, de notre attention il se livra entièrement aux questions relatives au hooliganisme. La liberté de parole, laissée à l’interviewé, a permis souvent de dépasser le stade de la défiance et de l’inhibition. Ainsi, « c’est la durée et non la technique, la sympathie et non l’habileté qui ont été les facteurs déterminants de réussite. C’est au bout d’une heure ou deux que le combat entre inhibition et exhibition se dénouait au profit des forces extravertrices. L’entretien est réussi à partir du moment où la parole de l’interviewé est libérée des inhibitions et devient une communication » (Morin, op. cit., 219-220). De la théorie à la pratique il y a néanmoins un pas de géant. Sur les 131 entretiens réalisés lors de la série d’enquête 1996-1998, seuls une soixantaine ont répondu complètement à cette attente. Le deuxième type d’entretiens concernait les personnes en charge de la sécurité des stades : policiers et gendarmes, délégués à la sécurité des clubs, substituts ou procureurs de la république. Il s’agissait d’un récit de pratiques destiné à recueillir « un tronçon du vécu d’un certain nombre de personnes correspondant à une pratique sociale » (Pineau et Legrand, op. cit., p. 112). Quatre thèmes principaux étaient abordés : 1. leurs relations avec les supporters, 2. l’encadrement des supporters, 3. la prévention des violences, 4. leurs représentations des supporters et des hooligans. L’observation participante La troisième technique, l’observation participante, s’est avérée très intéressante car, en dehors de l’éclairage différent, et complémentaire, qu’elle apporte à l’enquête par questionnaire et aux entretiens, elle a permis de rendre compte des pratiques, au sens anthropologique, et de vérifier si les individus interrogés « faisaient ce qu’ils nous disaient et/ou nous disaient ce qu’ils faisaient ». Comme pour l’entretien, il y a un moment difficilement palpable où l’enquêteur fait partie du groupe, ou nous ne sommes plus considérés comme un élément extérieur et invité, devant lequel il faut parfois se retenir. Cet oubli fait émerger des mots, des gestes, des attitudes, des comportements que l’on voulait nous cacher. C’est dans la relation humaine qui s’établit, effaçant petit à petit les clivages « enquêteur-enquêté », qu’émerge en fait tout l’intérêt du recours à l’entretien et à l’observation participante. Le savoir est cumulatif. Les choses apprises, entendues, vues ou constatées avec l’un ou l’autre des moyens d’investigation permettent de comprendre des attitudes, des propos ou des actions qui seraient restées obscures autrement. Si, par exemple, R. à Bordeaux ne nous avait pas longuement expliqué le supportérisme, le langage utilisé, si nous ne nous étions pas fondu dans le groupe au point de faire oublier notre présence et notre statut, ne serait-ce que l’espace d’un moment, l’appel de R. au mégaphone dans le virage sud de Bordeaux serait passé inaperçu : « je vous rappelle qu’à la fin du match on se retrouve pour faire la course ». Phrase anecdotique dont la traduction signifie qu’à la fin du match les Ultramarines 48 doivent se regrouper pour attaquer et poursuivre les supporters adverses. 48 Un des groupes de supporters des Girondins de Bordeaux. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 51

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les <strong>entre</strong>tiens<br />

Deux sortes d’<strong>entre</strong>tiens semi-directifs ont été utilisés. Le premier concernait les supporters. Il<br />

était de type « histoire de vie » (Pineau <strong>et</strong> Legrand, 1993) <strong>et</strong> répondait <strong>à</strong> un triple objectif :<br />

donner du sens aux actions, <strong>et</strong> aux interactions, violentes ou non, <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> histoires de vie<br />

<strong>des</strong> individus passionnellement engagés dans le supportérisme ; acquérir, comme le suggère<br />

Chauchat (op. cit.) une familiarité de membre <strong>et</strong> le langage habituel de ces groupes ;<br />

confronter sur un même suj<strong>et</strong> (ex : un affrontement précis) les points de vue d’acteurs<br />

appartenant <strong>à</strong> <strong>des</strong> groupes différents.<br />

L’intérêt de l’<strong>entre</strong>tien, comme de l’observation participante que nous examinerons un peu<br />

plus loin, ne s’arrête cependant pas aux les objectifs habituels de ce type de technique. Il s’est<br />

avéré, a posteriori, beaucoup plus aisé de faire parler les supporters sur leur vie que de leur<br />

demander de répondre aux questionnaires. Chauchat suggère ainsi que parfois « l’<strong>entre</strong>tien<br />

semble mieux adapté que le questionnaire par exemple. Plusieurs facteurs peuvent intervenir,<br />

notamment la difficulté ou le refus de répondre <strong>à</strong> une série de questions définies <strong>à</strong> l’avance,<br />

ou le besoin d’établir un contact personnel pour répondre... Cela peut être le cas de<br />

populations marginales... » (op. cit., p. 153). Dépassant l’aspect péjoratif de ces propos, qui<br />

s’avère cependant réel dans un certain nombre de cas, il est vrai que les supporters préfèrent<br />

parler <strong>à</strong> un interlocuteur, connu, identifié <strong>et</strong> qu’ils ont accepté, plutôt que de répondre<br />

anonymement <strong>à</strong> un questionnaire dont ils craignent l’utilisation ultérieure. C’est aussi <strong>et</strong><br />

surtout <strong>entre</strong>r dans la sphère de l’intime. La passation du questionnaire se fait <strong>à</strong> l’entrée <strong>des</strong><br />

tribunes <strong>et</strong> <strong>des</strong> virages. Les individus arrivent en groupes plus ou moins importants. Certains<br />

ne veulent pas répondre, d’autres le font mais sous les railleries <strong>et</strong> les provocations de leurs<br />

congénères. Un certain nombre de questionnaires ont été écartés pour ces raisons. Le contexte<br />

de l’<strong>entre</strong>tien s’avère différent. En acceptant l’interview, ils en profitent pour s’isoler <strong>et</strong> parler<br />

de ce que leurs amis ne savent pas toujours ou, du moins, pas complètement. Ils ont une<br />

liberté de parole <strong>et</strong> d’opinion.<br />

Huit thèmes principaux constituaient la trame de l’<strong>entre</strong>tien :<br />

1. la genèse de la passion,<br />

2. l’attachement au club, <strong>à</strong> la ville, <strong>à</strong> la région,<br />

3. les <strong>relations</strong> avec les autres supporters,<br />

4. la violence,<br />

5. l’influence <strong>des</strong> médias,<br />

6. les rapports avec la police,<br />

7. les <strong>relations</strong> avec le club,<br />

8. la politique.<br />

C<strong>et</strong>te trame n’était cependant ni fixe, ni ordonnée. Certains thèmes apparaissaient dans<br />

l’<strong>entre</strong>tien sans que l’on ait besoin de les aborder. D’autres, imprévus faisaient jour suscitant<br />

un questionnement complémentaire. Si ce type de recherche pose problème aux supporters,<br />

car le hooliganisme n’est pas la partie dont ils sont le plus fiers, ils acceptent cependant<br />

volontiers d’en parler, loin de nier <strong>et</strong> réfuter les actes de <strong>violences</strong> dont ils font parfois preuve.<br />

Mais ce ne peut en aucun cas être l’obj<strong>et</strong> de la première conversation ou, du moins, <strong>des</strong><br />

premiers instants de la rencontre. Ainsi, avec R, évoqué plus haut, nous avons réalisé un<br />

<strong>entre</strong>tien de près de 4 heures qui a débuté par un monologue interminable, mais très<br />

intéressant <strong>et</strong> très enrichissant, d’environ 1 h 30 sur l’histoire du supportérisme <strong>et</strong> son<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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