Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme en 1984 lors d’une conférence introductive aux jeux Olympiques : « Le sport n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour atteindre d’autres buts ». Sur ces critères le sport ne peut pas avoir pour fonction le contrôle de la violence. Le sport est violence sur soi, envers soi, contre les autres. En prenant deux critères que nous nommerons « stabilité » (définie comme la capacité pour le sport à conserver cette fonction de contrôle quels que soient l’époque et le lieu) et « homogénéité » (de la garder quels que soient les espaces et les modalités de pratique, l’origine sociale et les buts et finalités poursuivies), cette fonction s’avère à travers le seul exemple français illusoire. Le sport n’offrira aucun critère de stabilité dans l’espace et le temps. Il oscillera entre une conception revancharde contre l’Allemagne, des perspectives sanitaires et hygiénistes, la promotion d’un système politique indépendant pour être parfois utilisé dans les banlieues comme moyen de prévention des violences. Il n’offre pas non plus d’homogénéité. Selon les lieux de pratiques (clubs, séance d’EPS, sport dans la cité, etc.) selon les modalités (spectacle, compétition, entretien du corps) et selon l’origine sociale comme l’ont montré entre autres Bourdieu (1978) et Pociello (1983, 1995) sa fonction variera. Il n’est donc pas possible d’affirmer comme Elias que le sport, au sens générique du terme, participe du contrôle de la violence à moins de définir très précisément les lieux (la séance d’EPS par exemple) et les modalités de pratique qui favorisent cette fonction. Lorsqu’il s’intéresse aux manifestations hooligans il en vient finalement à poser la question du sport spectacle ou du sport mis en spectacle. La réponse apportée : « décivilisation » d’une partie des « outsiders » ignore en fait la question de l’influence du spectacle sportif sur les comportements violents des spectateurs. On sait pourtant depuis longtemps que les effets cathartiques du spectacle sportif sont illusoires (Bromberger, 1998a/b) 33 . Le sport est différent du théâtre grec. La tragédie qui se joue n’est pas connue des spectateurs. L’issue est incertaine. Les arbitrages émis sont sujets au doute et à caution : on juge au football de l’intentionnalité de la faute et non de la faute elle-même. Le tacle a-t-il été effectué par derrière ? La main était-elle volontaire ? En distinguant la violence spontanée de la violence préméditée, et en associant cette dernière à la définition couramment utilisée pour caractériser le hooliganisme les facteurs liés au jeu et aux résultats, ont été éliminés. Deux études seulement (Dunand, 1987 ; Leyens et Rimé, 1988) se sont intéressés, dans le cas très précis du hooliganisme, à l’effet instigateur provoqué par la vision de spectacles violents. Les résultats font apparaître pourtant une forte augmentation de l’agressivité des spectateurs assistant à des rencontres violentes ou mal gérées. Un certain nombre de facteurs pourraient néanmoins être pris en compte (l’importance du match, les enjeux, la qualité de l’arbitrage, la manière dont les supporters se sentent « volés par l’arbitre » etc.) tout autant que les incertitudes liées au résultat. En étudiant l’évolution du score dans les rencontres de football dans cinq pays européens (Allemagne, Angleterre, Espagne, France et Italie) Clanché (1998) a ainsi montré que ce sport possédait des propriétés particulières « d’instabilité » (le résultat y est davantage que dans les autres sports imprévisible) et « d’intranquillité », terme emprunté à Pessoa (le match est incertain tant qu’un écart de but suffisant ne sépare pas les équipes) qui influent sur la passion des publics. De la passion à la déraison il n’y a peut être qu’un pas à franchir. D’autant que ce sport possède d’incontestables qualités scéniques et dramaturgiques (Bromberger, 1995) mises en évidence lors de la dernière finale du championnat d’Europe des nations opposant la France à l’Italie, mais aussi une complexité, qui le rend attrayant et discutable. En raison du mélange des joueurs sur le terrain le football est peut-être un jeu plus 33 Pour compléter ces propos, il faut noter les études sur l’influence des médias sur les comportements violents sont très nombreuses comme le montrent le dossier : (1995). Médias et violences. Les cahiers de la sécurité intérieure, n°20. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 40

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme incertain que d’autres, qui renforce cette idée oppositionnelle liée au « jeu de la horde et du territoire » (Jeu, 1977). Mais cette interprétation du hooliganisme est prise à nouveau en défaut lorsque Elias et Dunning, énoncent, c’est un exemple parmi d’autres, que : « parce qu’il leur est difficile de trouver un sens, un statut et une gratification et de se constituer des identités satisfaisantes dans les domaines de l’école et du travail, les mâles des fractions « dures » de la classe ouvrière adoptent des formes de comportement particulières : intimidation physique, échanges de coups, consommation excessive d’alcool, relations sexuelles fondées sur l’exploitation de l’autre » (Elias et Dunning, op. cit., 355). Il semble en effet légitime de s’interroger sur une assertion qui, si elle ne dénote pas un profond mépris pour la classe ouvrière, généralise cependant de manière exagérée le fonctionnement social et affectif de celle-ci. A moins que cela ne mette en évidence, bien que Dunning (1996) s’en défende, dans le domaine précisé, voire limité, du hooliganisme, une théorie qu’un certain nombre d’auteurs, comme Heargraves (1992), Horne et Jary (1987), Williams (op. cit.) ou (Taylor (op. cit.), entre autres 34 , n’ont pas hésité à dénoncer et à critiquer comme entachée d’un évolutionnisme latent. Se comporte t’on en effet de manière nécessairement plus violente que l’on soit ouvrier ou lorsque l’on appartient à l’intelligentsia ? Les travaux relatifs aux violences conjugales (Jaspard et al., 2003), aux violences faites aux femmes en général (Dauphin et Farge, 1997, Marinova, 2002) ou à l’éducation des enfants (Ariès, 1973) sont là pour infirmer cette théorie 35 . Certes, il s’agit de violences « plus feutrées » qui appartiennent au registre de l’intime, moins visibles socialement et, qui surtout ne viennent pas troubler « l’ordre en public » (Roché, 1996) mais, qui sont cependant exercées par des individus qui ne sont pas tous des exclus sociaux ou moins avancés dans le procès de civilisation. Une violence résultant du fonctionnement culturel « normal » des membres de la rough working class, moins avancés dans le procès de civilisation, pose le problème d’une civilisation qui serait réservée aux nantis. Certes, Elias énonce dans sa théorie que tous les membres d’une société ne se civilisent pas en même temps, renforçant ainsi la perspective évolutionniste. Cette approche reste empreinte, malgré une interprétation plus culturaliste des faits, d’une vision déterministe dans laquelle la culture ne serait que le bras armé de la nature, la prolongeant et produisant d’une manière quasi instinctive des comportements violents qui échappent largement au contrôle individuel (Boudon et Bourricaud, 1990). Des données idéologisées Le savoir construit ici devient un construit idéologisé dès lors qu’une lecture pointue des données utilisées dans le cadre des études anglo-saxonnes montre qu’elles sont par bien des points sujettes à caution comme nous avons déjà eu l’occasion de le discuter (Bodin, 1998, 1999a, 2001b, 2003). 34 Pour une classification de ces critiques lire également : Bonny, De Queiroz, Neveu (2003) ; Tabboni, (2000) ; Dunning (1996). 35 Parmi les nombreux travaux, et pour n’en citer que quelques-uns. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 41

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

incertain que d’autres, qui renforce c<strong>et</strong>te idée oppositionnelle liée au « jeu de la horde <strong>et</strong> du<br />

territoire » (Jeu, 1977).<br />

Mais c<strong>et</strong>te interprétation du hooliganisme est prise <strong>à</strong> nouveau en défaut lorsque Elias <strong>et</strong><br />

Dunning, énoncent, c’est un exemple parmi d’autres, que :<br />

« parce qu’il leur est difficile de trouver un sens, un statut <strong>et</strong> une gratification <strong>et</strong> de<br />

se constituer <strong>des</strong> identités satisfaisantes dans les domaines de l’école <strong>et</strong> du travail,<br />

les mâles <strong>des</strong> fractions « dures » de la classe ouvrière adoptent <strong>des</strong> formes de<br />

comportement particulières : intimidation physique, échanges de coups,<br />

consommation excessive d’alcool, <strong>relations</strong> sexuelles fondées sur l’exploitation de<br />

l’autre » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit., 355).<br />

Il semble en eff<strong>et</strong> légitime de s’interroger sur une assertion qui, si elle ne dénote pas un<br />

profond mépris pour la classe ouvrière, généralise cependant de manière exagérée le<br />

fonctionnement social <strong>et</strong> affectif de celle-ci. A moins que cela ne m<strong>et</strong>te en évidence, bien que<br />

Dunning (1996) s’en défende, dans le domaine précisé, voire limité, du hooliganisme, une<br />

théorie qu’un certain nombre d’auteurs, comme Heargraves (1992), Horne <strong>et</strong> Jary (1987),<br />

Williams (op. cit.) ou (Taylor (op. cit.), <strong>entre</strong> autres 34 , n’ont pas hésité <strong>à</strong> dénoncer <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

critiquer comme entachée d’un évolutionnisme latent. Se comporte t’on en eff<strong>et</strong> de manière<br />

nécessairement plus violente que l’on soit ouvrier ou lorsque l’on appartient <strong>à</strong><br />

l’intelligentsia ? Les travaux relatifs aux <strong>violences</strong> conjugales (Jaspard <strong>et</strong> al., 2003), aux<br />

<strong>violences</strong> faites aux femmes en général (Dauphin <strong>et</strong> Farge, 1997, Marinova, 2002) ou <strong>à</strong><br />

l’éducation <strong>des</strong> enfants (Ariès, 1973) sont l<strong>à</strong> pour infirmer c<strong>et</strong>te théorie 35 . Certes, il s’agit de<br />

<strong>violences</strong> « plus feutrées » qui appartiennent au registre de l’intime, moins visibles<br />

socialement <strong>et</strong>, qui surtout ne viennent pas troubler « l’ordre en public » (Roché, 1996) mais,<br />

qui sont cependant exercées par <strong>des</strong> individus qui ne sont pas tous <strong>des</strong> exclus sociaux ou<br />

moins avancés dans le procès de civilisation.<br />

Une violence résultant du fonctionnement culturel « normal » <strong>des</strong> membres de la rough<br />

working class, moins avancés dans le procès de civilisation, pose le problème d’une<br />

civilisation qui serait réservée aux nantis. Certes, Elias énonce dans sa théorie que tous les<br />

membres d’une société ne se civilisent pas en même temps, renforçant ainsi la perspective<br />

évolutionniste. C<strong>et</strong>te approche reste empreinte, malgré une interprétation plus culturaliste <strong>des</strong><br />

faits, d’une vision déterministe dans laquelle la culture ne serait que le bras armé de la nature,<br />

la prolongeant <strong>et</strong> produisant d’une manière quasi instinctive <strong>des</strong> comportements violents qui<br />

échappent largement au contrôle individuel (Boudon <strong>et</strong> Bourricaud, 1990).<br />

Des données idéologisées<br />

Le savoir construit ici devient un construit idéologisé dès lors qu’une lecture pointue <strong>des</strong><br />

données utilisées dans le cadre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> anglo-saxonnes montre qu’elles sont par bien <strong>des</strong><br />

points suj<strong>et</strong>tes <strong>à</strong> caution comme nous avons déj<strong>à</strong> eu l’occasion de le discuter (Bodin, 1998,<br />

1999a, 2001b, 2003).<br />

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Pour une classification de ces critiques lire également : Bonny, De Queiroz, Neveu (2003) ; Tabboni, (2000) ;<br />

Dunning (1996).<br />

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Parmi les nombreux travaux, <strong>et</strong> pour n’en citer que quelques-uns.<br />

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