Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Si l’observation de la construction sociale de notre objet, nous permit tout à la fois de commencer à nous débarrasser de nos prénotions naïves en entrant de plein pied dans la recherche, l’écriture de cette analyse critique fut beaucoup plus difficile. C’est une étape délicate où doit se faire l’apprentissage d’une lecture distanciée et débarrassée du respect et de la déférence, non convenus, que tout jeune chercheur a devant ses prédécesseurs renommés. Ce n’est somme toute que l’activité scientifique normale et le cheminement habituel de tout chercheur : être capable tout à la fois de présenter ses travaux à la critique des autres et de critiquer les leurs. Lecture critique qui oblige également à rassembler, et organiser, logiquement des connaissances souvent éparses. C’est également accepter l’idée que la déconstruction d’un savoir n’est pas un jugement de valeur en soi, mais bel et bien, la délimitation précise d’un travail en fonction d’un contexte, dépassant les querelles de méthodes ou de chapelles qui peuvent exister. Debarbieux avait bien remarqué nos hésitations à formuler l’intégralité de notre analyse, notant dans son rapport de thèse : « Bien sûr, il faut à Bodin, une certaine audace pour remettre en question une grande partie des études antérieures. L’exposition des différentes thèses dans les premiers chapitres est trop révérencieuse, […] il faut attendre la page 58 pour qu’il « tue le père », pas totalement cependant : il lui reste difficile de remettre en question Elias et Dunning ». Fort d’un petit peu plus d’expérience, d’audace très certainement, respectant également la logique interne de l’activité scientifique liée à la lutte permanente contre les images trompeuses et les erreurs, ce sont les fondements de cette analyse, qui existait pourtant alors, telle quelle, bien que présentée plus sommairement 27 , que nous livrons maintenant, considérant que le progrès scientifique est cumulatif, œuvre d’une quantité de personnes qui critiquent, ajoutent et élaguent (Maspéro, 1983), dans un « scepticisme organisé » respectant le « principe d’universalisme » (Merton, 1942). Construire un objet de recherche, c’est donc entrer dans le débat, contester et discuter, au sens dialectique du terme, les analyses précédentes pour tenter, autant que faire se peut d’apporter sa pierre à l’édifice global. Bachelard affirmait ainsi que « l’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées », erreurs qui peuvent être personnelles, celles du chercheur en posture de recherche, ou le fait des autres que l’on observe et relève à la lueur d’investigations nouvelles ou d’analyses facilitées car distanciées. Nous avons eu maintes fois depuis l’occasion de remettre en cause certaines composantes de ces analyses (Bodin, 1999a, 2003a ; Bodin, Héas, 2002 ; Bodin, Robène, Héas, 2004a). La critique est évidente et facile : l’analyse du hooliganisme repose a priori, comme le suggère Kuhn (1962) sur un paradigme dominant et une vision hyper déterministe du phénomène. Cette remarque liminaire ne remet pas en question la qualité, ni même la véracité, de ces travaux. Ce n’est pas non plus dévaloriser les théories et les modèles conceptuels utilisés, que d’en observer les limites, mais simplement de constater, comme le suggérait Bourdieu (1979), que les productions intellectuelles ne sont que l’émanation et le reflet des structures sociales d’une époque. Une définition restrictive de la violence hooligan qui ne rend pas compte des dynamiques sociales La première objection que l’on puisse formuler est la définition extrêmement restrictive utilisée par l’ensemble des chercheurs pour rendre compte du hooliganisme. Hormis Marsh, qui nous l’avons vu s’insurge contre ce fait, et à l’inverse d’autres objets de recherche, comme la violence à l’école, ou plus généralement la violence juvénile, la définition du hooliganisme ne fait l’objet d’aucun débat. Le hooliganisme est en effet caractérisé par son expression finale : la violence physique ou la dégradation de biens et matériels. Violence qui peut être exercée entre groupes de supporters dans le stade ou de manière relativement éloignée de 27 In Bodin (1998). Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 34

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme celui-ci, compte tenu du contrôle social mis en œuvre aujourd’hui (périmètre de sécurité, présence de stewards dans les stades, forces de l’ordre, vidéosurveillance, procédures de comparution immédiate), à l’encontre des forces de l’ordre, contre des passants sans relation directe avec le football, ou encore dans le but de détruire des voitures, des vitrines, de « caillasser » les bus des supporters adverses, etc. Ce n’est en fait qu’un constat amenant à considérer les violences sous le seul angle du passage à l’acte ou de la transgression réprimée de normes établies, limitant ainsi son acception à la définition sociologique du crime (Durkheim, 1895). L’utilisation d’une définition aussi restrictive pose de nombreux problèmes. Le plus évident, comme le suggérait Marsh, est qu’elle ne permet pas de rendre compte de la dynamique d’apparition masquant de fait les processus d’émergence des violences tout en altérant l’interprétation de celles-ci. Comme l’ont montré, entre autres, Skogan (1990), Roché (1996, 2001), Debarbieux (1996, 2002), dans d’autres domaines des conduites agonistiques, il n’est pas possible de considérer la violence uniquement dans sa version la plus abrupte, celle des coups et blessures, volontaires ou involontaires, a fortiori sur le modèle du crime prémédité ou non. Car, le moindre petit fait ou les incivilités ont des effets de spirale sur la violence. Rapporté au hooliganisme c’est en effet dans l’enchaînement successif de faits plus ou moins dérisoires (vols d’insignes ou d’emblèmes, insultes et provocations) qu’il faut, peut-être, aller chercher la genèse d’événements beaucoup plus dramatiques et inquiétants. Les violences décrites précédemment ne sont en fait qu’un « accomplissement pratique » (Garfinkel, 1967), aboutissement d’un long processus d’interactions sociales subtiles et complexes entre les différents acteurs du spectacle sportif (supporters, dirigeants, policiers, journalistes), de rivalités sportives, provocations, vendettas, elles-mêmes reflets de constructions identitaires et culturelles qui s’inscrivent dans la « petite » et la « grande » histoire du football et de ses clubs. Cette logomachie de la violence est importante car déterminante. Rapporté au seul hooliganisme que faire de la violence verbale si l’on ne retient qu’une définition aussi restreinte ? Que faire également des démonstrations racistes et xénophobes lorsqu’elles ne vont pas jusqu’à la ratonnade ? Comment discuter de la place des femmes, victimes de violences, mais parfois instigatrices de celles-ci également sans pour autant y participer physiquement ? Comment discuter de la collusion entre dirigeants et supporters ? Finalement comment interpréter le hooliganisme sans chercher à faire émerger les processus complexes et subtils qui l’ont engendré ? Le second problème découle du premier : l’uniformisation de la violence perçue. Pourtant, selon que l’on se place du point de vue de l’agresseur ou de la victime, du fort ou du faible, que l’on habite en Europe occidentale ou dans un pays en guerre, dans une cité sensible ou dans un quartier chic, que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, que l’on en ait déjà fait l’expérience ou non, la violence diffère pour chacun au point de pouvoir dire qu’elle peut être objective ou subjective (Wieviorka, 1999). « Ce que nous qualifions de violence, ou tout au moins ce qui est ressenti comme telle, dans nos sociétés occidentales modernes n’a certainement pas la même signification en d’autres lieux et en d’autres temps » (Bodin, 2001a, 11). A ce titre, la violence ne peut être considérée comme un thème unitaire. Le troisième problème posé par une vision aussi restrictive est le rejet des facteurs concomitants à l’apparition des violences : consommation excessive d’alcool, particularismes géographiques liés à l’implantation des clubs, influence du spectacle sportif, influences des cultures groupales, historicité des antagonismes et bien d’autres. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 35

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

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celui-ci, compte tenu du contrôle social mis en œuvre aujourd’hui (périmètre de sécurité,<br />

présence de stewards dans les sta<strong>des</strong>, forces de l’ordre, vidéosurveillance, procédures de<br />

comparution immédiate), <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong> forces de l’ordre, contre <strong>des</strong> passants sans relation<br />

directe avec le football, ou encore dans le but de détruire <strong>des</strong> voitures, <strong>des</strong> vitrines, de<br />

« caillasser » les bus <strong>des</strong> supporters adverses, <strong>et</strong>c. Ce n’est en fait qu’un constat amenant <strong>à</strong><br />

considérer les <strong>violences</strong> sous le seul angle du passage <strong>à</strong> l’acte ou de la transgression réprimée<br />

de normes établies, limitant ainsi son acception <strong>à</strong> la définition sociologique du crime<br />

(Durkheim, 1895).<br />

L’utilisation d’une définition aussi restrictive pose de nombreux problèmes. Le plus évident,<br />

comme le suggérait Marsh, est qu’elle ne perm<strong>et</strong> pas de rendre compte de la dynamique<br />

d’apparition masquant de fait les processus d’émergence <strong>des</strong> <strong>violences</strong> tout en altérant<br />

l’interprétation de celles-ci. Comme l’ont montré, <strong>entre</strong> autres, Skogan (1990), Roché (1996,<br />

2001), Debarbieux (1996, 2002), dans d’autres domaines <strong>des</strong> conduites agonistiques, il n’est<br />

pas possible de considérer la violence uniquement dans sa version la plus abrupte, celle <strong>des</strong><br />

coups <strong>et</strong> blessures, volontaires ou involontaires, a fortiori sur le modèle du crime prémédité<br />

ou non. Car, le moindre p<strong>et</strong>it fait ou les incivilités ont <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s de spirale sur la violence.<br />

Rapporté au hooliganisme c’est en eff<strong>et</strong> dans l’enchaînement successif de faits plus ou moins<br />

dérisoires (vols d’insignes ou d’emblèmes, insultes <strong>et</strong> provocations) qu’il faut, peut-être, aller<br />

chercher la genèse d’événements beaucoup plus dramatiques <strong>et</strong> inquiétants. Les <strong>violences</strong><br />

décrites précédemment ne sont en fait qu’un « accomplissement pratique » (Garfinkel, 1967),<br />

aboutissement d’un long processus d’interactions sociales subtiles <strong>et</strong> complexes <strong>entre</strong> les<br />

différents acteurs du spectacle sportif (supporters, dirigeants, policiers, journalistes), de<br />

rivalités sportives, provocations, vend<strong>et</strong>tas, elles-mêmes refl<strong>et</strong>s de constructions identitaires <strong>et</strong><br />

culturelles qui s’inscrivent dans la « p<strong>et</strong>ite » <strong>et</strong> la « grande » histoire du football <strong>et</strong> de ses<br />

clubs. C<strong>et</strong>te logomachie de la violence est importante car déterminante. Rapporté au seul<br />

hooliganisme que faire de la violence verbale si l’on ne r<strong>et</strong>ient qu’une définition aussi<br />

restreinte ? Que faire également <strong>des</strong> démonstrations racistes <strong>et</strong> xénophobes lorsqu’elles ne<br />

vont pas jusqu’<strong>à</strong> la ratonnade ? Comment discuter de la place <strong>des</strong> femmes, victimes de<br />

<strong>violences</strong>, mais parfois instigatrices de celles-ci également sans pour autant y participer<br />

physiquement ? Comment discuter de la collusion <strong>entre</strong> dirigeants <strong>et</strong> supporters ? Finalement<br />

comment interpréter le hooliganisme sans chercher <strong>à</strong> faire émerger les processus complexes <strong>et</strong><br />

subtils qui l’ont engendré ?<br />

Le second problème découle du premier : l’uniformisation de la violence perçue. Pourtant,<br />

selon que l’on se place du point de vue de l’agresseur ou de la victime, du fort ou du faible,<br />

que l’on habite en Europe occidentale ou dans un pays en guerre, dans une cité sensible ou<br />

dans un quartier chic, que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, que l’on en ait déj<strong>à</strong> fait<br />

l’expérience ou non, la violence diffère pour chacun au point de pouvoir dire qu’elle peut être<br />

objective ou subjective (Wieviorka, 1999). « Ce que nous qualifions de violence, ou tout au<br />

moins ce qui est ressenti comme telle, dans nos sociétés occidentales modernes n’a<br />

certainement pas la même signification en d’autres lieux <strong>et</strong> en d’autres temps » (Bodin,<br />

2001a, 11). A ce titre, la violence ne peut être considérée comme un thème unitaire.<br />

Le troisième problème posé par une vision aussi restrictive est le rej<strong>et</strong> <strong>des</strong> facteurs<br />

concomitants <strong>à</strong> l’apparition <strong>des</strong> <strong>violences</strong> : consommation excessive d’alcool, particularismes<br />

géographiques liés <strong>à</strong> l’implantation <strong>des</strong> clubs, influence du spectacle sportif, influences <strong>des</strong><br />

cultures groupales, historicité <strong>des</strong> antagonismes <strong>et</strong> bien d’autres.<br />

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