Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Tout ceci vient s’ajouter aux diverses exactions commises dans les mois et les années précédentes par les supporters des autres clubs anglo-saxons et ceux de l’équipe d’Angleterre. Le service d’ordre était nombreux et avait reçu des consignes de fermeté. Les supporters des deux équipes ont été introduits très tôt dans le stade, séparés seulement d’un grillage. Attente, provocations, insultes, tentatives d’intimidation, alcool, jets de canettes, panique morale, quelques supporters anglais réussissent à s’introduire dans le bloc Z réservé à la Juve, et chargent. Les policiers débordés laissent passer. Les supporters italiens des derniers rangs, affolés, se mettent à descendre leurs gradins, écrasant contre le grillage inférieur leurs congénères qui ne savaient pas ce qui se passait au-dessus d’eux. La sécurité du stade a attendu durant de longues minutes l’ordre de déverrouiller les grillages en bas de la tribune. Cela aurait pourtant permis aux supporters d’échapper à l’écrasement. Il n’y a pas eu affrontement dur direct, mais un défaut dans la sécurité passive du stade malgré la présence de 2 290 policiers ! Défaut qui sera réparé le 19 août 1985 par la mise en place d’une Convention européenne « sur la violence et les débordements des spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ». Il s’agit bien d’un effort rétroactif de prévention d’un phénomène pourtant prévisible, d’une campagne périodique (Becker, op. cit.) visant à instaurer des normes et un contrôle social afin de rassurer la population. La commission d’enquête montrera également que des billets ont été vendus « à n’importe qui », au mépris total des règles élémentaires de sécurité. Quoi qu’il en soit dans l’urgence médiatique des événements qui se sont joués au Heysel, les journalistes, en répétant en boucle les interprétations sur le hooliganisme anglo-saxon, ont contribué très largement à la fabrication des représentations collectives en la matière : le hooligan est devenu définitivement un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire et imbibé d’alcool. A aucun moment quelqu’un ne s’est interrogé sur l’origine des antagonismes entre ces deux groupes, ni même de savoir si les supporters de Liverpool étaient bien à l’origine de l’animosité et de cet événement tragique. A l’instar de Kapuscinski (2002), on peut effectivement se demander si les médias reflètent bien la réalité ou si devenue une marchandise, l’information se soucie vraiment de la vérité : l’essentiel est peut être tout simplement de vendre. Le hooliganisme vient de perdre définitivement son insularité, car en commentant, en reformulant, en repassant incessamment les mêmes images dans la plus pure tradition journalistique du « poids des mots et du choc des photos », les médias ont donné une visibilité sans précédent aux supporters et hooligans. Auparavant, ils soutenaient leur équipe, le hooliganisme étant la forme ultime, dérive extrême du supportérisme jusqu’au-boutiste ; dorénavant, ils seront en plus connus et reconnus, leurs actes seront authentifiés. La médiatisation du Heysel va donc accélérer l’extension du phénomène au niveau européen. Accélérer seulement, car le hooliganisme existait dans le reste de l’Europe bien avant. Le passage des supporters anglais dans les autres pays avait déjà servi, par mimétisme, de détonateur aux exactions dans les années 1975 à 1980. On peut s’étonner d’ailleurs du silence des journalistes à ce sujet, tout comme de celui des instances nationales ou internationales du football. En ce qui concerne la France, des évènements hooligans émaillaient déjà les rencontres du Paris Saint-Germain depuis 1979 (Rouibi, 1989), ainsi que celles de Marseille, Strasbourg, Nantes depuis 1980. Le football belge rencontrait également les mêmes problèmes depuis les années 1980 (Dupuis, 1993a/b). La République fédérale allemande (RFA), l’Italie et la Yougoslavie voyaient les matchs perturbés depuis le début des années 1980 par de nombreux affrontements entre fans. Broussard (op. cit.), dans sa minutieuse enquête sur les ultras du football européens relève des affrontements dans la quasi totalité des pays de l’Europe à partir de cette même période. Le hooliganisme, a contrario des représentations collectives, n’était donc pas seulement anglo-saxon. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 30

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Mais en dehors des difficultés socio-économiques plus précoces en Grande-Bretagne que dans les autres nations européennes, on peut se demander pourquoi ce pays a été davantage touché ou concerné par cette forme de violence ? Un certain nombre de raisons simples permet de l’expliquer. La première est commune d’ailleurs au hooliganisme très violent qui sévit en Belgique ou aux Pays-Bas : la proximité spatiale des clubs. En 1996, pas moins de 11 clubs évoluaient en première ou deuxième division du football anglais sur la seule agglomération londonienne (ville et banlieues de Londres confondues). La superficie de l’Angleterre, pays anglo-saxon le plus touché par le hooliganisme, ne représente que le quart de celle de la France ou de l’Espagne, la moitié de l’Italie, ou deux fois et demi moins que l’Allemagne, pour ne prendre comme exemple que quelques pays très concernés par le football professionnel. La Belgique et les Pays-Bas sont deux pays plus petits que la seule région Aquitaine en France. Les déplacements sont donc aisés et peu onéreux. Les supporters se déplacent ainsi facilement, fréquemment et en grand nombre à chacune des rencontres. Ainsi, si les comportements agonistiques, au sens éthologique du terme, s’inscrivent bien souvent dans des rivalités sportives, la proximité spatiale des clubs se conjugue et cristallise les antagonismes locaux et territoriaux, qui s’ancrent « dans des histoires singulières de villes, de pays, de classes et de crises » (Bromberger, op. cit., 242). La deuxième raison tient aux médias. Le rôle des médias dans l’extension du hooliganisme ne s’arrête pas à l’hyper-médiatisation du Heysel. Pour combattre le hooliganisme, les journalistes anglo-saxons vont créer la thugs league (ligue des voyous). L’objectif était honorable en soi. Il s’agissait de combattre les groupes hooligans en les stigmatisant et en les offrant à la vindicte et à l’opprobre populaire. Mais ce classement va être récupéré et utilisé par ces jeunes supporters en quête de visibilité sociale. Être premier de la thugs league va devenir progressivement l’objectif prioritaire de chacun des groupes. Il s’agit bien d’un effet pervers, au sens où l’entend Boudon (1977), qui va entretenir et catalyser la concurrence et les violences intergroupes. Il en sera d’ailleurs de même en France avec la création de Sup’Mag (Supporter Magazine), magazine créé à l’origine pour parler des supporters, faire connaître et valoriser leurs tifos et qui instaura progressivement une animosité et une concurrence à travers un classement officiel des meilleurs supporters. Cette revue extrêmisera peu à peu son contenu vers un supportérisme plus dur et un grand nombre d’articles consacrés aux hooligans. A travers l’action et l’influence des médias « les terrains de football furent de plus en plus « vendus » comme des lieux où l’on assistait régulièrement non seulement à des matchs de football, mais, aussi à des affrontements ou aggro. Cette image attira les jeunes mâles des fractions « dures » de la classe ouvrière [...] » (Elias et Dunning, op. cit., 363). Si les médias ne sont pas la cause du hooliganisme, ils en sont néanmoins un élément amplificateur, multiplicateur et catalyseur. Ils ont amplement contribué à sa diffusion, sa promotion et sa valorisation, du moins auprès de ceux qui y trouvèrent par la suite une possibilité d’existence et reconnaissance sociale. Extension du hooliganisme à l’Europe entière Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 31

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

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Mais en dehors <strong>des</strong> difficultés socio-économiques plus précoces en Grande-Br<strong>et</strong>agne que dans<br />

les autres nations européennes, on peut se demander pourquoi ce pays a été davantage touché<br />

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Un certain nombre de raisons simples perm<strong>et</strong> de l’expliquer. La première est commune<br />

d’ailleurs au hooliganisme très violent qui sévit en Belgique ou aux Pays-Bas : la proximité<br />

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division du football anglais sur la seule agglomération londonienne (ville <strong>et</strong> banlieues de<br />

Londres confondues). La superficie de l’Angl<strong>et</strong>erre, pays anglo-saxon le plus touché par le<br />

hooliganisme, ne représente que le quart de celle de la France ou de l’Espagne, la moitié de<br />

l’Italie, ou deux fois <strong>et</strong> demi moins que l’Allemagne, pour ne prendre comme exemple que<br />

quelques pays très concernés par le football professionnel. La Belgique <strong>et</strong> les Pays-Bas sont<br />

deux pays plus p<strong>et</strong>its que la seule région Aquitaine en France. Les déplacements sont donc<br />

aisés <strong>et</strong> peu onéreux. Les supporters se déplacent ainsi facilement, fréquemment <strong>et</strong> en grand<br />

nombre <strong>à</strong> chacune <strong>des</strong> rencontres. Ainsi, si les comportements agonistiques, au sens<br />

éthologique du terme, s’inscrivent bien souvent dans <strong>des</strong> rivalités sportives, la proximité<br />

spatiale <strong>des</strong> clubs se conjugue <strong>et</strong> cristallise les antagonismes locaux <strong>et</strong> territoriaux, qui<br />

s’ancrent « dans <strong>des</strong> histoires singulières de villes, de pays, de classes <strong>et</strong> de crises »<br />

(Bromberger, op. cit., 242).<br />

La deuxième raison tient aux médias. Le rôle <strong>des</strong> médias dans l’extension du hooliganisme ne<br />

s’arrête pas <strong>à</strong> l’hyper-médiatisation du Heysel. Pour combattre le hooliganisme, les<br />

journalistes anglo-saxons vont créer la thugs league (ligue <strong>des</strong> voyous). L’objectif était<br />

honorable en soi. Il s’agissait de combattre les groupes hooligans en les stigmatisant <strong>et</strong> en les<br />

offrant <strong>à</strong> la vindicte <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’opprobre populaire. Mais ce classement va être récupéré <strong>et</strong> utilisé<br />

par ces jeunes supporters en quête de visibilité sociale. Être premier de la thugs league va<br />

devenir progressivement l’objectif prioritaire de chacun <strong>des</strong> groupes. Il s’agit bien d’un eff<strong>et</strong><br />

pervers, au sens où l’entend Boudon (1977), qui va <strong>entre</strong>tenir <strong>et</strong> catalyser la concurrence <strong>et</strong> les<br />

<strong>violences</strong> intergroupes. Il en sera d’ailleurs de même en France avec la création de Sup’Mag<br />

(Supporter Magazine), magazine créé <strong>à</strong> l’origine pour parler <strong>des</strong> supporters, faire connaître <strong>et</strong><br />

valoriser leurs tifos <strong>et</strong> qui instaura progressivement une animosité <strong>et</strong> une concurrence <strong>à</strong> travers<br />

un classement officiel <strong>des</strong> meilleurs supporters. C<strong>et</strong>te revue extrêmisera peu <strong>à</strong> peu son<br />

contenu vers un supportérisme plus dur <strong>et</strong> un grand nombre d’articles consacrés aux<br />

hooligans.<br />

A travers l’action <strong>et</strong> l’influence <strong>des</strong> médias « les terrains de football furent de plus en plus<br />

« vendus » comme <strong>des</strong> lieux où l’on assistait régulièrement non seulement <strong>à</strong> <strong>des</strong> matchs de<br />

football, mais, aussi <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements ou aggro. C<strong>et</strong>te image attira les jeunes mâles <strong>des</strong><br />

fractions « dures » de la classe ouvrière [...] » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit., 363).<br />

Si les médias ne sont pas la cause du hooliganisme, ils en sont néanmoins un élément<br />

amplificateur, multiplicateur <strong>et</strong> catalyseur. Ils ont amplement contribué <strong>à</strong> sa diffusion, sa<br />

promotion <strong>et</strong> sa valorisation, du moins auprès de ceux qui y trouvèrent par la suite une<br />

possibilité d’existence <strong>et</strong> reconnaissance sociale.<br />

Extension du hooliganisme <strong>à</strong> l’Europe entière<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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