Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Les violences changent de nature La première période se situe à la fin des années 50 et au début des années 60. Journalistes et chercheurs, sociologues pour la plupart, constatent l’augmentation de violences organisées, non seulement en dehors du stade, mais également à l’intérieur de celui-ci. Ces violences se distinguent a priori clairement de ce que l’on connaissait auparavant et marquent « le passage d’une violence ritualisée et dionysiaque, relative à la logique du jeu et aux antagonismes qu’il suscite, à une violence préméditée » (Bodin, op. cit., 19). On était jusqu’alors habitué à des violences plus ou moins sporadiques qui trouvaient sens et origine dans l’ambiguïté de l’essence même du sport. N’est-il pas en effet, comme évoqué précédemment, ce qui rassemble les hommes pour mieux les opposer (Jeu, 1987) ? Du début du XX e siècle aux années 60, les incidents trouvaient effectivement leur origine non seulement dans la perception plus ou moins partiale de l’arbitrage, du jeu, mais aussi dans la rivalité sportive. Il s’agissait davantage de chauvinisme, de dépit ou de chahut dionysiaque propre à la culture des spectateurs habituels du football, issus pour la plupart des classes populaires. Ces formes de violences subsistent d’ailleurs parfois dans d’autres sports, comme le rugby. Cependant, les conflits qui se distinguent font apparaître en plus des oppositions sociales et culturelles. Le hooliganisme est à partir de cette époque défini comme étant une violence exercée délibérément, d’une manière organisée, structurée et préméditée, se rapprochant ainsi de la définition du « crime organisé » (Dufour-Gompers, 1992, 94). Cette appréhension de la question du hooliganisme externalise les causes potentielles et pose d’emblée un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, en distinguant la violence spontanée de la violence préméditée, les chercheurs ont éliminé de leurs analyses les facteurs liés au jeu, aux résultats, ou encore à la consommation excessive d’alcool. Les hooligans arrêtés ne sont effectivement pas tous en état d’ébriété. Les comportements violents des spectateurs ne succèdent pas non plus nécessairement aux erreurs d’arbitrage, aux actions de jeu litigieuses ou même aux défaites. Les incidents ne sont donc pas réductibles à ceux d’une foule alcoolique, fanatisée et sans conscience dépeinte par Brohm (1993), qui serait asservie à un sport dont la finalité et la fonction politique interne à la société serait d’être un « opium du peuple » servant à masquer les problèmes et conflits sociaux. Mais en se privant de l’analyse des enjeux sportifs, des incertitudes liées aux résultats, des études relatives aux sentiments de frustration individuels et collectifs et des effets qui pourraient en résulter sur des supporters passionnément partisans, le hooliganisme est restreint à des facteurs socioéconomiques. Thom, en vertu du « principe de la contagiosité des catastrophes », explique pourtant que « le paradigme de toute situation indéterminée est le conflit » (1980, 308). La tendance des individus regardant un conflit, fut-il ritualisé sous forme de rencontre sportive, est l’identification à l’un des protagonistes. Tous s’identifient cependant préférentiellement au gagnant. En faisant un parallèle avec le théâtre, Thom précise que « tant qu’il y a dans l’intrigue une situation réversible, on est dans le domaine du comique. [...] Par contre, dès qu’apparaissent les issues irréversibles, le comique vire au tragique [...] » (op. cit., 310). Le passage du réversible à l’irréversible, du comique au tragique pourrait cependant expliquer en partie le recours à la violence des supporters. Le choix de cette définition induit donc totalement les analyses successives. En restreignant l’observation à la violence physique, les analystes excluent de fait d’autres facteurs explicatifs qui sont aujourd’hui mis en exergue dans le domaine de la délinquance juvénile : la « tchatche », les joutes oratoires, la provocation, l’historicité des antagonismes, l’écart entre attente et situation réelle, qui précèdent pourtant bien souvent rixes, bagarres ou émeutes (Lepoutre, 1997 ; Duret, 1996, 1999 ; Wieviorka, 1999 ; Roché, 2001). Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 22

Chapitre 2 : Sports et violences. Contribution à un objet de recherche à partir de la question du hooliganisme Marsh (1978) critiquera cette conception du hooliganisme qu’il considère comme trop réductrice. Il n’est pas possible, pour lui, de se cantonner à la violence physique et d’éliminer les violences morales et symboliques, ce qui reviendrait à nier l’aggro, mise en scène ritualisée de la violence destinée à impressionner l’adversaire. Paraître fort et dangereux, chercher à faire peur aux autres supplantent ainsi bien souvent le passage à l’acte qui ne se produit que lors de la transgression des règles tacites de l’aggro (attaquer une fille par exemple 18 ), ou à la suite de l’intervention des forces de l’ordre. Chez les hooligans, être capable de faire peur aux adversaires au point qu’ils s’enfuient sans même chercher l’affrontement est considéré comme un must en matière de fighting spirit. Mais la frontière entre violences physiques, symboliques ou morales est parfois infime. Les violences ne représentent qu’un moment ou une étape dans les processus sociaux et « alimenteront, exacerberont ou renouvelleront en spirale d’autres expressions de violence » (Wieviorka, op. cit., 17). La violence morale ou symbolique, l’aggro, sont ainsi bien souvent les prémisses ou bien les soubassements d’affrontements très violents ou d’antagonismes entre groupes de supporters qui perdurent durant de nombreuses années. Le public du stade se modifie Si l’on admet néanmoins que la violence des foules sportives a changé de nature cela n’explique pas pour autant pourquoi elle semble avoir touché préférentiellement le football aux autres sports. C’est la modification de la composition des publics qui constitue la deuxième période de construction du hooliganisme et nous permet de répondre à cette question. A partir des années 50, le football anglo-saxon connaît un certain nombre de transformations. La première moitié du XX e siècle a vu l’Angleterre dominer les autres pays d’Europe. Ayant inventé ce sport, sa structuration, sa démocratisation et sa propagation y ont été plus rapides. Wahl (1990) note que l’école a joué un grand rôle dans sa diffusion au sein de toutes les couches de la population : 8 000 d’entre elles étaient inscrites au sein de l’English School F-B Association en 1948. Cependant, dans les années 50, les clubs connaissent une baisse de fréquentation. La société anglo-saxonne se transforme. Avec la modernité, les individus s’affranchissent progressivement des carcans sociaux, cet affranchissement ayant été amorcé avec la déchristianisation de la société à partir des années 30. L’immédiat après-guerre, période de reconstruction, est témoin d’une grande richesse économique. Les temps libres augmentent. Les individus tendent à profiter de cette insouciance retrouvée et ont soif de loisirs différents, nouveaux et multiples. C’est l’amorce de la société de consommation plus individualiste et plus individualisée. Le sport est réduit à un plaisir parmi d’autres : sorties, cinémas, vacances. Il n’est plus le seul, ou le principal loisir, des classes populaires. Un certain nombre de pratiques sportives plus individuelles apparaissent, comme le judo ; d’autres se démocratisent, ne serait-ce qu’en raison du coût plus abordable de la pratique, rendant accessible à un plus grand nombre d’individus la pratique sportive et permettant aussi à d’autres de passer à des sports différents plus ludiques, émergents, ou tout simplement dans l’air du temps. Le football n’est plus le seul spectacle abordable à tous et par tous. Les stades connaissent alors une baisse de fréquentation. Il n’est pas encore question à cette époque de droits de retransmission ou de sponsors tels qu’on les connaît aujourd’hui. Si les joueurs sont en partie professionnels ou restent parfois encore des « amateurs marrons », leur financement est assuré essentiellement par les recettes au guichet, à moins qu’ils ne soient des employés de certaines industries. Pour résoudre ce problème de 18 Cet exemple étant, à lui, seul révélateur d’un autre aspect : le rapport « genré » à l’activité physique et sportive. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 23

Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

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Marsh (1978) critiquera c<strong>et</strong>te conception du hooliganisme qu’il considère comme trop<br />

réductrice. Il n’est pas possible, pour lui, de se cantonner <strong>à</strong> la violence physique <strong>et</strong> d’éliminer<br />

les <strong>violences</strong> morales <strong>et</strong> symboliques, ce qui reviendrait <strong>à</strong> nier l’aggro, mise en scène<br />

ritualisée de la violence <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> impressionner l’adversaire. Paraître fort <strong>et</strong> dangereux,<br />

chercher <strong>à</strong> faire peur aux autres supplantent ainsi bien souvent le passage <strong>à</strong> l’acte qui ne se<br />

produit que lors de la transgression <strong>des</strong> règles tacites de l’aggro (attaquer une fille par<br />

exemple 18 ), ou <strong>à</strong> la suite de l’intervention <strong>des</strong> forces de l’ordre. Chez les hooligans, être<br />

capable de faire peur aux adversaires au point qu’ils s’enfuient sans même chercher<br />

l’affrontement est considéré comme un must en matière de fighting spirit. Mais la frontière<br />

<strong>entre</strong> <strong>violences</strong> physiques, symboliques ou morales est parfois infime. Les <strong>violences</strong> ne<br />

représentent qu’un moment ou une étape dans les processus sociaux <strong>et</strong> « alimenteront,<br />

exacerberont ou renouvelleront en spirale d’autres expressions de violence » (Wieviorka, op.<br />

cit., 17). La violence morale ou symbolique, l’aggro, sont ainsi bien souvent les prémisses ou<br />

bien les soubassements d’affrontements très violents ou d’antagonismes <strong>entre</strong> groupes de<br />

supporters qui perdurent durant de nombreuses années.<br />

Le public du stade se modifie<br />

Si l’on adm<strong>et</strong> néanmoins que la violence <strong>des</strong> foules sportives a changé de nature cela<br />

n’explique pas pour autant pourquoi elle semble avoir touché préférentiellement le football<br />

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deuxième période de construction du hooliganisme <strong>et</strong> nous perm<strong>et</strong> de répondre <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te<br />

question. A partir <strong>des</strong> années 50, le football anglo-saxon connaît un certain nombre de<br />

transformations. La première moitié du XX e siècle a vu l’Angl<strong>et</strong>erre dominer les autres pays<br />

d’Europe. Ayant inventé ce sport, sa structuration, sa démocratisation <strong>et</strong> sa propagation y ont<br />

été plus rapi<strong>des</strong>. Wahl (1990) note que l’école a joué un grand rôle dans sa diffusion au sein<br />

de toutes les couches de la population : 8 000 d’<strong>entre</strong> elles étaient inscrites au sein de<br />

l’English School F-B Association en 1948. Cependant, dans les années 50, les clubs<br />

connaissent une baisse de fréquentation. La société anglo-saxonne se transforme. Avec la<br />

modernité, les individus s’affranchissent progressivement <strong>des</strong> carcans sociaux, c<strong>et</strong><br />

affranchissement ayant été amorcé avec la déchristianisation de la société <strong>à</strong> partir <strong>des</strong><br />

années 30. L’immédiat après-guerre, période de reconstruction, est témoin d’une grande<br />

richesse économique. Les temps libres augmentent. Les individus tendent <strong>à</strong> profiter de c<strong>et</strong>te<br />

insouciance r<strong>et</strong>rouvée <strong>et</strong> ont soif de loisirs différents, nouveaux <strong>et</strong> multiples. C’est l’amorce<br />

de la société de consommation plus individualiste <strong>et</strong> plus individualisée. Le sport est réduit <strong>à</strong><br />

un plaisir parmi d’autres : sorties, cinémas, vacances. Il n’est plus le seul, ou le principal<br />

loisir, <strong>des</strong> classes populaires. Un certain nombre de pratiques sportives plus individuelles<br />

apparaissent, comme le judo ; d’autres se démocratisent, ne serait-ce qu’en raison du coût plus<br />

abordable de la pratique, rendant accessible <strong>à</strong> un plus grand nombre d’individus la pratique<br />

sportive <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tant aussi <strong>à</strong> d’autres de passer <strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong> différents plus ludiques,<br />

émergents, ou tout simplement dans l’air du temps. Le football n’est plus le seul spectacle<br />

abordable <strong>à</strong> tous <strong>et</strong> par tous. Les sta<strong>des</strong> connaissent alors une baisse de fréquentation. Il n’est<br />

pas encore question <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te époque de droits de r<strong>et</strong>ransmission ou de sponsors tels qu’on les<br />

connaît aujourd’hui. Si les joueurs sont en partie professionnels ou restent parfois encore <strong>des</strong><br />

« amateurs marrons », leur financement est assuré essentiellement par les rec<strong>et</strong>tes au guich<strong>et</strong>,<br />

<strong>à</strong> moins qu’ils ne soient <strong>des</strong> employés de certaines industries. Pour résoudre ce problème de<br />

18 C<strong>et</strong> exemple étant, <strong>à</strong> lui, seul révélateur d’un autre aspect : le rapport « genré » <strong>à</strong> l’activité physique <strong>et</strong><br />

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<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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