Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels pratique et, d’autre part, une demande émanant de collèges bretons, faisant écho à notre intervention, intitulée « le sport remède miracle ou dernier rempart contre la violence ? », lors du colloque URAPEL/UGSEL de novembre 2002. Le sport dans la cité La première (Bodin, Héas, Robène, 2002) interroge tout d’abord le rôle attribué a priori au sport lui-même devenu en quelques années le parangon de la lutte contre l’exclusion et le moyen, semble t-il, le plus adéquat pour favoriser la socialisation d’une jeunesse considérée comme difficile, et prévenir les violences juvéniles émergentes. Elle questionne également une « politique » qui est tout à la fois naturalisation du sport et naturalisation des « sauvageons » qu’il convient de pacifier. Elle fait apparaître, enfin, à travers l’étude des pratiques sportives à l’intérieur de trois cités sensibles de la banlieue bordelaise, les limites de cette politique répondant trop souvent de la « pédagogie couscous ou du social ethnique » (El Houlali El Houssaïne, 2001). Ces pratiques centrées sur la cité exclues plus qu’elles ne socialisent en raison du repli communautaire, de l’exclusion de certaines catégories (jeunes, filles, jeunes des autres cités), confinement au sein même de la cité, absence d’encadrement, absence de passerelles vers le sport fédéral, non que celui-ci soit meilleur (les tricheries diverses y sont également de mise), ou plus socialisant mais tout simplement parce qu’il présente, davantage que le sport dans la cité, d’hétérogénéité sociale, donc d’apprentissage du respect de l’altérité. De surcroît, en limitant les pratiques sportives au football et au basketball, peut-être a t-on tout simplement oublié de concevoir, ou d’imaginer, la mise en place d’APS structurantes comme les activités à risque pourtant plébiscitées de nos jours par un nombre sans cesse grandissant de jeunes en raison des sensations qu’elles procurent (Le Breton, 1991, 2002 ; Chantelat et al. 2002 ; Clément 2000) et qui nécessitent une adaptation des individus au milieu, le recours parfois obligé à l’autre, l’adulte ou le moniteur, sans lequel tout danger et toute difficulté ne peuvent être écartés. Devant l’émergence et la répétitivité de flambées de violences dans certaines « banlieues » françaises, comme à Vaux-en-Velin près de Lyon dans les années 1980, dans le quartier du Mirail à Toulouse dans les années 1990, dans le « triangle d’or » (Lille-Roubaix-Tourcoing) en 1995 ou encore dans les quartiers nord de Marseille aujourd’hui 188 et face au débat récurrent sur la violence à l’école, certains hommes politiques ont cru voir dans le sport ce que Duret (2001) a appelé un « contre-feu immédiat à la violence des cités ». Le sport semble changer de paradigme. Alors que durant de nombreuses années il est resté considéré, dans la société française, comme un objet « culturellement bas de gamme par excellence » (Ehrenberg, 1991), il devient, de manière aussi inopinée que surprenante, le dernier espoir, le dernier recours voire, le dernier rempart, face aux délinquances et violences émergentes dans certains quartiers. Les premières explosions urbaines et l’irruption des émeutes étaient pourtant davantage à mettre sur le compte de la fracture sociale, de la précarité grandissante, et de l’absence, perceptible et intériorisée, d’avenir que de la transformation d’une partie de notre jeunesse en « classe dangereuse » (Bachmann, Le Guennec, 1996, 1997). Ainsi, au mépris longtemps affiché face aux pratiques corporelles jugées « populaires », au sens vulgaire du terme, comme le football jusque dans les années 1970, ou au dédain à peine feint et souvent convenu, des enseignants encadrant les matières « principales » (français, 188 Prenant volontairement des exemples sur tout le territoire français pour sortir de l’image ténue d’une violence qui serait propre, ou essentiellement liée, aux seules cités de la région parisienne. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 137

Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels mathématiques, sciences etc.) à l’égard de leurs collègues « profs de gym » dans les collèges et lycées 189 , s’est substitué, ce qu’il est convenu d’appeler, un « prêt à porter idéologique » faisant des APS (activités physiques et sportives) le parangon de la lutte contre l’exclusion et le moyen, semble t-il, le plus adéquat pour favoriser la socialisation d’une jeunesse considérée comme difficile et que nous préférons qualifier, pour notre part, de jeunesse « en difficulté » voulant montrer par la même que l’expérience et l’incertitude sociale dans lesquelles ces jeunes vivent pèsent de tout leur poids sur leur vécu quotidien, par conséquent dans leurs interactions sociales. Mais cette soudaine sportivisation des cités n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes conceptuels. Elle traduit avant toute chose l’épuisement du travail socioculturel qui avait prévalu dans les mêmes lieux depuis les années 1960 (Labbé, 1992). La priorité était alors l’éducation et l’accès à la culture des habitants, jeunes et moins jeunes, des cités. C’était l’époque des « banlieues rouges » habitées par des populations socialement homogènes, ouvrières et « françaises » 190 pour la plupart, possédant une forte conscience et culture de classe. Les MJC (Maisons des jeunes et de la culture) et les animateurs socioculturels ont ainsi fleuri sans réussir à adapter leurs actions à la ghettoïsation ainsi qu’à l’hétérogénéité sociale et au multiculturalisme ethnique grandissant qui l’ont accompagnée. Le deuxième problème revient au rôle attribué a priori au sport lui-même : prévenir les violences juvéniles émergentes. Cette « politique » mise en place dans l’urgence médiatique revient à naturaliser le sport (Bodin, Debarbieux, 2001) qui jouirait ainsi de vertus intrinsèques favorisant la pacification et la socialisation des « sauvageons » pour reprendre l’expression de J-P Chevènement, alors ministre de l’intérieur. Concevoir le sport comme pacificateur par essence témoigne d’une approche réductrice assimilant obligatoirement violence, comme étant le fait d’une partie de la jeunesse, jeunesse, aimant obligatoirement le sport, sport, favorisant nécessairement le « contrôle et l’autocontrôle des pulsions » et offrant un « espace toléré de débridement des émotions » (Elias et Dunning, op. cit.). A moins que l’activité physique encouragée dans les cités ne réponde tout simplement à la logique de « surveiller et courir », c’est à dire de rassembler dans un même lieu, à travers des activités communes ces jeunes qui dérangent et font peur. Mais ces jeunes aiment-ils tous les APS ? Ont-ils tous envie d’en pratiquer ? La lutte contre les violences urbaines et l’insécurité est conçue arbitrairement et illusoirement, à l’image du sport en prison, comme un moyen occupationnel. Rien n’empêche en effet cette jeunesse, considérée comme « dangereuse », de recourir à de multiples violences avant et/ou après le temps du sport. Les APS sont de toute façon saisonnières. Les pratiques extérieures sont soumises aux aléas climatiques. Le temps du sport dans la cité est donc davantage ponctuel que régulier. Le troisième problème est celui des violences elles-mêmes. Les violences que les hommes politiques veulent prévenir, à moins qu’ils ne veulent tout simplement politiquement s’en prémunir, dans les banlieues et cités sensibles, sont-elles réellement nouvelles ? La description de Bachmann et Le Guennec (1996) de ces jeunes qui hantent les halls d’immeubles est d’une incroyable modernité, mais concerne pourtant ceux que nous appelions les blousons noirs dans les années 1960. Le vieux mythe assimilant « classes laborieuses et 189 Appellation utilisée souvent tout autant par les parents, peut-on leur en vouloir, que par les autres enseignants ce qui dénote un manque de reconnaissance. Parle t-on de « prof de calcul » réduisant ainsi les matières enseignées et les enseignants qui les encadrent aux aspects les plus dérisoires de leur travail ? 190 Française entre guillemets voulant rappeler ainsi que, si aujourd’hui dans les représentations collectives trop souvent la délinquance est le fait d’étrangers, ce n’est que par pure confusion entre « couleur de peau » et nationalité, confusion qui fait bien souvent le lit des opinions politiques les plus extrémistes, prônant le retour des délinquants de couleur « chez eux ». Ce délit de faciès fonctionne sur une physiognomonie moderne bien décrite par certaines analyses (Le Breton, 1992). Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 138

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mathématiques, sciences <strong>et</strong>c.) <strong>à</strong> l’égard de leurs collègues « profs de gym » dans les collèges<br />

<strong>et</strong> lycées 189 , s’est substitué, ce qu’il est convenu d’appeler, un « prêt <strong>à</strong> porter idéologique »<br />

faisant <strong>des</strong> APS (activités physiques <strong>et</strong> sportives) le parangon de la lutte contre l’exclusion <strong>et</strong><br />

le moyen, semble t-il, le plus adéquat pour favoriser la socialisation d’une jeunesse considérée<br />

comme difficile <strong>et</strong> que nous préférons qualifier, pour notre part, de jeunesse « en difficulté »<br />

voulant montrer par la même que l’expérience <strong>et</strong> l’incertitude sociale dans lesquelles ces<br />

jeunes vivent pèsent de tout leur poids sur leur vécu quotidien, par conséquent dans leurs<br />

interactions sociales.<br />

Mais c<strong>et</strong>te soudaine sportivisation <strong>des</strong> cités n’est pas sans poser un certain nombre de<br />

problèmes conceptuels. Elle traduit avant toute chose l’épuisement du travail socioculturel qui<br />

avait prévalu dans les mêmes lieux depuis les années 1960 (Labbé, 1992). La priorité était<br />

alors l’éducation <strong>et</strong> l’accès <strong>à</strong> la culture <strong>des</strong> habitants, jeunes <strong>et</strong> moins jeunes, <strong>des</strong> cités. C’était<br />

l’époque <strong>des</strong> « banlieues rouges » habitées par <strong>des</strong> populations socialement homogènes,<br />

ouvrières <strong>et</strong> « françaises » 190 pour la plupart, possédant une forte conscience <strong>et</strong> culture de<br />

classe. Les MJC (Maisons <strong>des</strong> jeunes <strong>et</strong> de la culture) <strong>et</strong> les animateurs socioculturels ont<br />

ainsi fleuri sans réussir <strong>à</strong> adapter leurs actions <strong>à</strong> la gh<strong>et</strong>toïsation ainsi qu’<strong>à</strong> l’hétérogénéité<br />

sociale <strong>et</strong> au multiculturalisme <strong>et</strong>hnique grandissant qui l’ont accompagnée.<br />

Le deuxième problème revient au rôle attribué a priori au sport lui-même : prévenir les<br />

<strong>violences</strong> juvéniles émergentes. C<strong>et</strong>te « politique » mise en place dans l’urgence médiatique<br />

revient <strong>à</strong> naturaliser le sport (Bodin, Debarbieux, 2001) qui jouirait ainsi de vertus<br />

intrinsèques favorisant la pacification <strong>et</strong> la socialisation <strong>des</strong> « sauvageons » pour reprendre<br />

l’expression de J-P Chevènement, alors ministre de l’intérieur. Concevoir le sport comme<br />

pacificateur par essence témoigne d’une approche réductrice assimilant obligatoirement<br />

violence, comme étant le fait d’une partie de la jeunesse, jeunesse, aimant obligatoirement le<br />

sport, sport, favorisant nécessairement le « contrôle <strong>et</strong> l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions » <strong>et</strong> offrant<br />

un « espace toléré de débridement <strong>des</strong> émotions » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit.). A moins que<br />

l’activité physique encouragée dans les cités ne réponde tout simplement <strong>à</strong> la logique de<br />

« surveiller <strong>et</strong> courir », c’est <strong>à</strong> dire de rassembler dans un même lieu, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> activités<br />

communes ces jeunes qui dérangent <strong>et</strong> font peur. Mais ces jeunes aiment-ils tous les APS ?<br />

Ont-ils tous envie d’en pratiquer ? La lutte contre les <strong>violences</strong> urbaines <strong>et</strong> l’insécurité est<br />

conçue arbitrairement <strong>et</strong> illusoirement, <strong>à</strong> l’image du sport en prison, comme un moyen<br />

occupationnel. Rien n’empêche en eff<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te jeunesse, considérée comme « dangereuse », de<br />

recourir <strong>à</strong> de multiples <strong>violences</strong> avant <strong>et</strong>/ou après le temps du sport. Les APS sont de toute<br />

façon saisonnières. Les pratiques extérieures sont soumises aux aléas climatiques. Le temps<br />

du sport dans la cité est donc davantage ponctuel que régulier.<br />

Le troisième problème est celui <strong>des</strong> <strong>violences</strong> elles-mêmes. Les <strong>violences</strong> que les hommes<br />

politiques veulent prévenir, <strong>à</strong> moins qu’ils ne veulent tout simplement politiquement s’en<br />

prémunir, dans les banlieues <strong>et</strong> cités sensibles, sont-elles réellement nouvelles ? La<br />

<strong>des</strong>cription de Bachmann <strong>et</strong> Le Guennec (1996) de ces jeunes qui hantent les halls<br />

d’immeubles est d’une incroyable modernité, mais concerne pourtant ceux que nous appelions<br />

les blousons noirs dans les années 1960. Le vieux mythe assimilant « classes laborieuses <strong>et</strong><br />

189 Appellation utilisée souvent tout autant par les parents, peut-on leur en vouloir, que par les autres enseignants<br />

ce qui dénote un manque de reconnaissance. Parle t-on de « prof de calcul » réduisant ainsi les matières<br />

enseignées <strong>et</strong> les enseignants qui les encadrent aux aspects les plus dérisoires de leur travail ?<br />

190 Française <strong>entre</strong> guillem<strong>et</strong>s voulant rappeler ainsi que, si aujourd’hui dans les représentations collectives trop<br />

souvent la délinquance est le fait d’étrangers, ce n’est que par pure confusion <strong>entre</strong> « couleur de peau » <strong>et</strong><br />

nationalité, confusion qui fait bien souvent le lit <strong>des</strong> opinions politiques les plus extrémistes, prônant le r<strong>et</strong>our<br />

<strong>des</strong> délinquants de couleur « chez eux ». Ce délit de faciès fonctionne sur une physiognomonie moderne bien<br />

décrite par certaines analyses (Le Br<strong>et</strong>on, 1992).<br />

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