Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels efforts, recherche de performances partagés mais peut-être également auto-protection car, la révélation malencontreuse de l’homosexualité d’un sportif pourrait éventuellement avoir des répercussions sur l’ensemble du groupe ou du sport en question. Ce double impératif moral de protéger ses coéquipiers « gays » tout en se protégeant afin d’éviter toute révélation scandaleuse renforce bien souvent les relations de confiance entre sportifs : « Tu sais ce qui est très différent pour moi c’est la confiance que j’ai en eux. Je sais qu’ils n’en parleront jamais à l’extérieur. Et ça c’est super. Ils ne me jugent pas ou au moins je pense mais ils ne me trahiront pas non plus. Rien que pour cela. Je ferai tout aussi pour les aider si je peux car je ne sais pas, j’en suis même certain que c’est pas pareil pour ceux qui n’ont pas la chance d’être sportifs, pour ceux qui travaillent dans un bureau ou n’importe où. Pour eux ce n’est pas sûr que personne ne le répétera et dans ce cas là ils perdront peut-être tout espoir de promotion ou autre ». Moins proches que leurs coéquipiers l’attitude des dirigeants est identique et s’inscrit également dans le statu quo : s’ils sont vraisemblablement au courant, ils n’en parlent pas. Il y a néanmoins déni de reconnaissance et d’existence, certains n’hésitant pas à déclarer que : « cela ne les regarde pas, qu’ils ne veulent pas savoir ce que font leurs sportifs en-dehors des entraînements et des compétitions ». Peut-on pourtant concevoir pour la réussite d’un athlète pareil découpage des sphères privées, publiques, sportives, etc. ? L’absence de coming out trouve aussi son origine dans la marchandisation du sport et du sportif. Certains évoquent le fait que leurs sponsors individuels leur ont promulgué moult recommandations sur la révélation ou l’affichage de leur homosexualité, leur demandant « de donner le change », de s’afficher de temps à autres avec des femmes. Dans tous les cas ceux qui n’ont pas reçu de telles directives ressentent d’eux-mêmes la nécessité de rester cachés sous peur de perdre leurs contrats. Il y a donc encore à ce niveau nécessité d’entretenir la dualité sociale et de préserver l’image du sportif mâle obligatoirement hétérosexuel. La logique communicationnelle ne diffère donc en rien de l’héritage social. Pour en avoir la certitude nous avons interrogé le directeur du marketing d’une grande marque en lui demandant si sa société sponsoriserait un athlète homosexuel ? La réponse s’avère complexe et pleine de précautions oratoires : « C’est très complexe comme cela. Il faudrait étudier très précisément la question. Car il faut exposer le problème à différents niveaux : s’agit-il d’un sportif confirmé ou en devenir ? Quelle est son image : s’agit-il d’un athlète adulé du public ou non ? A t-il révélé son homosexualité ou pas ? Cette première série de questions s’ajoute bien évidemment à celles que nous nous posons habituellement : est-il un vecteur potentiel de communication ? S’inscrit-il dans notre secteur de marché ? En quoi peut-il nous permettre de développer nos parts de marchés, d’en conquérir de nouvelles etc. ? Il est certain que dans l’état actuel des choses en France comme en Europe la situation s’améliore, les homosexuels sont mieux acceptés mais, peut-on associer notre marque à un sportif homosexuel pour autant ? C’est très délicat. Ce n’est pas faire de la discrimination en disant cela. Il faut tout simplement accepter l’idée que notre démarche n’est pas philanthropique. Elle s’inscrit dans une logique économique qui détermine l’image de l’entreprise et son avenir immédiatement mais pour longtemps. Tout faux pas est interdit. J’aurais tendance à dire que si la rumeur sur son homosexualité n’entachait en rien sa popularité cela ne poserait aucun problème. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 131

Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels Dans les autres cas… Bon pour les plus forts c’est toujours plus facile : regardez Navratilova en tennis, cela ne gênait personne. Il y a maintenant une autre dimension à considérer c’est le devenir de la communauté homosexuelle, son intégration dans la population. Regardez aujourd’hui tout le monde se moque que le maire de Paris soit homosexuel. Cela n’aurait pas été concevable il y a dix ou vingt ans. L’évolution des mœurs et des mentalités peut très bien bouleverser notre approche en la matière. Il faut aussi regarder la communauté homosexuelle comme un groupe de consommateurs à part entière. Cela pourrait aussi s’inscrire dans une logique commerciale qui ciblerait ce public précis. Je ne crois pas que nous en soyons là mais qui sait ? ». Faire son coming out ne semble pas plus aisé dans le sport de haut niveau que dans le reste de la société. Mais est-il vraiment nécessaire que les sportifs le fassent ? Ne faut-il pas tout simplement considérer que les pratiques sexuelles relèvent de la sphère privée et qu’à ce titre, hormis les cas délictueux (atteintes aux mœurs, pédophilie, viol etc.) elle n’a pas à être révélée. Demande t-on aux sportifs hétérosexuels de s’affirmer en tant que tels ? Dans un souci égalitariste, ou pour se donner bonne conscience et prouver que nous ne sommes pas homophobes nous insistons peut-être trop sur un acte qui a pour première valeur de faire oublier à tous le scandale de la mise à l’écart d’une partie de la population sous les prétextes les plus fallacieux. Dans un souci d’intégration et de reconnaissance le coming out s’impose cependant comme le recours le plus efficace de toute une communauté, souvent bafouée, qui en se révélant cherche à s’affirmer et se protéger. Car si faire la sociologie de la différence revient à s'intéresser aux questions d’exclusion, d’inégalités, de discrimination, de disqualification ou de ségrégation, c’est aussi et surtout s’interroger sur la manière dont les identités collectives se forment et « se déforment » ainsi que sur la place du « sujet » au sein de celles-ci. Si faire son coming out revient comme le suggérait Sartre à mettre fin à la honte comme « conscience de soi sous le regard d’autrui » (1943, 263), l’enjeu ne peut se limiter cependant à libérer l’individu en lui permettant d’assumer sa honte, d’accéder à une intégrité personnelle ou à un équilibre psychologique. L’enjeu est communautaire et la revendication n’est que la volonté d’accéder au quotidien à tous les possibles d’une société démocratique quel que soit le domaine : vie civile, travail, sport, etc. Révéler son homosexualité dépasse l’homme et consiste à s’exposer chaque jour plus nombreux et de manière plus visible pour mieux se fondre dans la masse, c’est à dire être intégré et assimilé sans craindre l’opprobre ou la discrimination. C’est aussi un message adressé aux autres qui n’osent pas le faire leur signifiant qu’ils ne sont pas seuls. Le coming out est donc une affirmation de soi mais aussi un défi qui marque l’engagement de l’individu dans un acte solidaire et politique. « Pour cesser d’être confinés dans l’espace privé ou considérés comme dégénérés (homosexuels) […] les acteurs qui construisent l’identité collective deviennent des militants qui interpellent la société » (Wieviorka, op. cit., 129). S’il est concevable que la revendication devienne un acte militant est-il possible néanmoins de concevoir que cette identité collective puisse se construire sans heurts ni douleurs, sans crises ni conflits ? Ce serait réduire l’identité collective à un ensemble d’individus homogènes dans leurs choix, calculs, envies et raisonnements. Les antagonismes relatés par Chauncey entre la génération d’avant et après Stonewall, entre ceux qui désiraient « rester dans le placard » et ceux qui souhaitaient en sortir, s’appliquent également aux sportifs « gays ». Si la visibilité revendiquée est une stratégie politique, elle s’oppose ainsi bien souvent à celle des sujets qui désirent rester libres et maîtres de leurs choix sans se voir imposer au nom d’un intérêt collectif un acte qui les engage individuellement. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 132

Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

efforts, recherche de performances partagés mais peut-être également auto-protection car, la<br />

révélation malencontreuse de l’homosexualité d’un sportif pourrait éventuellement avoir <strong>des</strong><br />

répercussions sur l’ensemble du groupe ou du sport en question. Ce double impératif moral de<br />

protéger ses coéquipiers « gays » tout en se protégeant afin d’éviter toute révélation<br />

scandaleuse renforce bien souvent les <strong>relations</strong> de confiance <strong>entre</strong> sportifs :<br />

« Tu sais ce qui est très différent pour moi c’est la confiance que j’ai en eux. Je<br />

sais qu’ils n’en parleront jamais <strong>à</strong> l’extérieur. Et ça c’est super. Ils ne me jugent<br />

pas ou au moins je pense mais ils ne me trahiront pas non plus. Rien que pour<br />

cela. Je ferai tout aussi pour les aider si je peux car je ne sais pas, j’en suis même<br />

certain que c’est pas pareil pour ceux qui n’ont pas la chance d’être sportifs, pour<br />

ceux qui travaillent dans un bureau ou n’importe où. Pour eux ce n’est pas sûr que<br />

personne ne le répétera <strong>et</strong> dans ce cas l<strong>à</strong> ils perdront peut-être tout espoir de<br />

promotion ou autre ».<br />

Moins proches que leurs coéquipiers l’attitude <strong>des</strong> dirigeants est identique <strong>et</strong> s’inscrit<br />

également dans le statu quo : s’ils sont vraisemblablement au courant, ils n’en parlent pas. Il y<br />

a néanmoins déni de reconnaissance <strong>et</strong> d’existence, certains n’hésitant pas <strong>à</strong> déclarer que :<br />

« cela ne les regarde pas, qu’ils ne veulent pas savoir ce que font leurs sportifs en-dehors <strong>des</strong><br />

entraînements <strong>et</strong> <strong>des</strong> compétitions ». Peut-on pourtant concevoir pour la réussite d’un athlète<br />

pareil découpage <strong>des</strong> sphères privées, publiques, sportives, <strong>et</strong>c. ?<br />

L’absence de coming out trouve aussi son origine dans la marchandisation du sport <strong>et</strong> du<br />

sportif. Certains évoquent le fait que leurs sponsors individuels leur ont promulgué moult<br />

recommandations sur la révélation ou l’affichage de leur homosexualité, leur demandant « de<br />

donner le change », de s’afficher de temps <strong>à</strong> autres avec <strong>des</strong> femmes. Dans tous les cas ceux<br />

qui n’ont pas reçu de telles directives ressentent d’eux-mêmes la nécessité de rester cachés<br />

sous peur de perdre leurs contrats. Il y a donc encore <strong>à</strong> ce niveau nécessité d’<strong>entre</strong>tenir la<br />

dualité sociale <strong>et</strong> de préserver l’image du sportif mâle obligatoirement hétérosexuel. La<br />

logique communicationnelle ne diffère donc en rien de l’héritage social. Pour en avoir la<br />

certitude nous avons interrogé le directeur du mark<strong>et</strong>ing d’une grande marque en lui<br />

demandant si sa société sponsoriserait un athlète homosexuel ? La réponse s’avère<br />

complexe <strong>et</strong> pleine de précautions oratoires :<br />

« C’est très complexe comme cela. Il faudrait étudier très précisément la question.<br />

Car il faut exposer le problème <strong>à</strong> différents niveaux : s’agit-il d’un sportif<br />

confirmé ou en devenir ? Quelle est son image : s’agit-il d’un athlète adulé du<br />

public ou non ? A t-il révélé son homosexualité ou pas ? C<strong>et</strong>te première série de<br />

questions s’ajoute bien évidemment <strong>à</strong> celles que nous nous posons<br />

habituellement : est-il un vecteur potentiel de communication ? S’inscrit-il dans<br />

notre secteur de marché ? En quoi peut-il nous perm<strong>et</strong>tre de développer nos parts<br />

de marchés, d’en conquérir de nouvelles <strong>et</strong>c. ? Il est certain que dans l’état actuel<br />

<strong>des</strong> choses en France comme en Europe la situation s’améliore, les homosexuels<br />

sont mieux acceptés mais, peut-on associer notre marque <strong>à</strong> un sportif homosexuel<br />

pour autant ? C’est très délicat. Ce n’est pas faire de la discrimination en disant<br />

cela. Il faut tout simplement accepter l’idée que notre démarche n’est pas<br />

philanthropique. Elle s’inscrit dans une logique économique qui détermine<br />

l’image de l’<strong>entre</strong>prise <strong>et</strong> son avenir immédiatement mais pour longtemps. Tout<br />

faux pas est interdit. J’aurais tendance <strong>à</strong> dire que si la rumeur sur son<br />

homosexualité n’entachait en rien sa popularité cela ne poserait aucun problème.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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