Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels être composé uniquement de guerriers homosexuels, était convaincu que la meilleure armée du monde serait celle qui saurait réunir en ses rangs des amants capables d’accomplir les plus grands exploits en raison de leur attachement réciproque. Le héros antique, contrairement au héros sportif contemporain, pouvait donc être « pédé » sans perdre pour autant les qualités attribuées illusoirement et sans raison scientifique particulière à l’homme hétérosexuel ! Même si la permissivité de l’opinion à l’égard des homosexuels a considérablement crû depuis une décennie, ils sont en fait bien souvent encore condamnés à la dualité sociale à moins qu’ils n’arrivent, comme le propose Wieviorka (2001), à opérer « un renversement du stigmate » comportant deux dimensions entremêlées : un travail de l’acteur sur lui-même qui doit s’accepter sans réserve, ni honte, ni gêne et la confrontation de sa personnalité au regard de la société sans crainte des jugements rendus ou potentiels. Les récents débats sur le PACS ou sur l’adoption d’enfants par des couples homosexuels démontrent davantage une tolérance grandissante à leur égard qu’une réelle acceptation et intégration dans le corps social en tant qu’individus différents mais égaux devant la loi et aux yeux de tous. Les sportifs homosexuels se sentent ainsi prisonniers de leur appartenance identitaire qui les condamnent au silence ou à la perfection. Le moindre faux pas leur est inenvisageable. En se révélant homosexuels ils ont tout à la fois peur de perdre ce statut de héros mais sont aussi effrayés de (re)devenir dans la défaite ou l’échec des « pédés » disqualifiant ainsi leur communauté toute entière plutôt que de l’aider à faire accepter sa différence comme le montre cet extrait d’entretien : « Tu sais j’ai peur en affirmant mon homosexualité que cela choque mais que tout se passe bien au fond tant que je serai bon, que je gagnerai, mais après ? Si je perds ? Est-ce que je resterai un sportif ou est-ce que je serai une tapette ? Le dire c’est bien, cela rendra peut être service aux autres homosexuels et après quand je perdrai est-ce que cela ne sera pas parce que je suis pédé ou la faute de tous les pédés ? ». Au regard de la société le sportif homosexuel est ainsi bien souvent contraint d’assumer une identité et une sexualité duale : réelle d’une part, vécue au quotidien, mais cachée aux yeux de tous pour se protéger des lazzis, quolibets et jugements de valeurs et, supposée d’autre part, pour les journalistes et les spectateurs qui imaginent dans ce sportif un hétérosexuel accompli. Cette dualité sociale oppose ainsi quotidiennement la sphère privée à la sphère publique. On peut légitimement dès lors se demander dans quelle mesure cette double vie imposée, soit par la société soit par le sportif lui-même, n’induit pas une désorganisation des résultats et de la performance ? Ce qui s’applique aux sportifs n’est en fait rien d’autre que le vécu quotidien des homosexuels ordinaires protégés du pouvoir des médias mais exposés davantage encore, peut-être, à l’opprobre général. Il n’y a pas si longtemps que l’homosexualité, n’est plus pénalisée et a droit de citer. Si les Love parade de Berlin ou les Lesbian and Gay prides de Paris offrent une visibilité et un droit d’exister, elles marquent surtout un changement dans la morale mais aussi des mentalités d’une grande partie de nos concitoyens. La honte est aujourd’hui davantage du côté des homophobes que des homosexuels. Mais l’héritage de la morale judéo-chrétienne, des législations, des persécutions et des brimades en tous genres restent très prégnantes. Le poids social et l’arbitraire subi depuis des siècles imposent toujours aux homosexuels prudence et réserve dans l’affirmation de ce qu’ils sont. L’homophobie et la honte sont à ce point intériorisées que beaucoup préfèrent rester cachés. Quelques exemples suffisent à le prouver. La bible a condamné l’homosexualité à maintes reprises (Genèse XVIII et XIX ; Corinthiens VI ; Juges XIX ; Lévitique XVIII et XX ; Romains I ; Sagesse XIV). L’homosexualité resta passible de peine de mort dans la plus grande partie du monde chrétien Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 129

Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels jusqu’au 18 ème siècle. Le pape Paul VI réaffirma la condamnation de l’homosexualité en 1976 qui restera ainsi dans l’esprit de tout un chacun assimilée au vice, au péché, au crime ou à la perversion. Les homosexuels furent internés dans l’Allemagne nazie et certains furent jetés vivants aux chiens pour être dévorés devant leurs congénères. Ce n’est enfin que dans les années 1980 que les lois anti-homosexuelles furent abrogées en France, entraînant la suppression du fichage par les Services des Renseignements Généraux ainsi que les brigades spécialisées des préfectures de police chargées de les contrôler et de les interpeller. Au sein de la sphère sportive on ne peut pas vraiment parler de dualité sociale : chacun sait qui est et ce que fait l’autre. A défaut il faut bien admettre qu’il est attendu des sportifs homosexuels qu’ils soient « invisibles ». Il s’agit presque d’un « secret de famille ». Chacun sait mais personne n’en parle. Le sujet est tout simplement éludé. Dans le sport de haut niveau l’homosexualité est tolérée sous un certain nombre de conditions : de ne pas être dragué, de ne pas s’afficher ou de ne pas afficher ses sentiments, de ne pas en parler, réaffirmant par la même le tabou social en la matière. A l’inverse aucune remarque désobligeante ou blessante n’est adressée à celui dont le style de vie diffère de la norme sociale habituelle. Le positionnement dans le sport masculin, fût-il collectif, est bien différent de ce qui se passe dans le sport féminin où certaines équipes sont composées exclusivement d’homosexuelles dans lesquelles la règle tacite de recrutement, de cooptation ou d’acceptation est que la nouvelle le soit aussi (Bodin, Héas, op. cit.). Cette « acceptation sous réserve d’invisibilité » est souvent évoquée de manière très concrète de différentes manières : « Dans le groupe personne ne m’en a jamais parlé ou au début si : ta copine vient te chercher après le match ? Comme je répondais non et que finalement ils ne m’ont jamais vu avec une fille plus personne ne m’a branché sur le sujet. Je sais que certains sont au courant maintenant parce que le sport est un tout petit monde et puis voilà ! Personne ne m’en parle. Moi non plus d’ailleurs ». « Ils ont tout de suite su que j’étais homo car il y en avait un qui le savait mais personne ne m’a jamais fait de remarque. Les rares fois ou mon ami est venu me chercher il a été accepté sans problème par le groupe. Bon c’est vrai que l’on ne s’affiche pas non plus et puis peut être aussi… en y réfléchissant bien… qu’ils l’ont accepté… comme un copain à moi pas comme mon compagnon ! Ils ont fait semblant de ne pas voir ou pas comprendre quoi ! Finalement c’est peut-être eux les plus gênés ». A travers ces propos se ressentent bien les tensions cristallisées qui façonnent et structurent les relations au sein même de la sphère sportive. L’homosexuel est toléré et accepté, car c’est un coéquipier, un partenaire d’entraînement sur lequel on peut compter et avec lequel il faut compter. Mais la barrière entre la sphère privée et publique est ici très nette. Tout ne peut être partagé. A moins peut être que le sportif habituellement confronté à l’amitié virile ne sache comment s’y prendre, ni que dire ou faire. Le sportif homosexuel garde pour sa part une certaine réserve dans ses rapports sociaux qui n’est pas sans rappeler les propos de Chauncey (2002) sur « la « double vie » de la génération d’avant Stonewall ». A l’inverse les autres sportifs font « comme si », acceptent la situation parce que c’est un coéquipier et qu’il sait maintenir une réserve et une discrétion sur la question. Mais il est évident également qu’ils participent au maintien du secret et protègent leur partenaire sportif. Même s’il s’agit d’un « secret de polichinelle » celui-ci reste préservé. Aucune remarque ou déclaration, qu’elle soit désobligeante ou non, ne filtre sur l’homosexualité supposée d’un membre du groupe dans les médias. Il s’agit bien d’une « famille » qui fait clan et corps en protégeant la réputation de ses membres. Il y a ici tout à la fois respect de la vie privée d’autrui, amitié, valeurs sportives, Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 130

Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

être composé uniquement de guerriers homosexuels, était convaincu que la meilleure armée<br />

du monde serait celle qui saurait réunir en ses rangs <strong>des</strong> amants capables d’accomplir les plus<br />

grands exploits en raison de leur attachement réciproque. Le héros antique, contrairement au<br />

héros sportif contemporain, pouvait donc être « pédé » sans perdre pour autant les qualités<br />

attribuées illusoirement <strong>et</strong> sans raison scientifique particulière <strong>à</strong> l’homme hétérosexuel !<br />

Même si la permissivité de l’opinion <strong>à</strong> l’égard <strong>des</strong> homosexuels a considérablement crû<br />

depuis une décennie, ils sont en fait bien souvent encore condamnés <strong>à</strong> la dualité sociale <strong>à</strong><br />

moins qu’ils n’arrivent, comme le propose Wieviorka (2001), <strong>à</strong> opérer « un renversement du<br />

stigmate » comportant deux dimensions <strong>entre</strong>mêlées : un travail de l’acteur sur lui-même qui<br />

doit s’accepter sans réserve, ni honte, ni gêne <strong>et</strong> la confrontation de sa personnalité au regard<br />

de la société sans crainte <strong>des</strong> jugements rendus ou potentiels. Les récents débats sur le PACS<br />

ou sur l’adoption d’enfants par <strong>des</strong> couples homosexuels démontrent davantage une tolérance<br />

grandissante <strong>à</strong> leur égard qu’une réelle acceptation <strong>et</strong> intégration dans le corps social en tant<br />

qu’individus différents mais égaux devant la loi <strong>et</strong> aux yeux de tous. Les sportifs homosexuels<br />

se sentent ainsi prisonniers de leur appartenance identitaire qui les condamnent au silence ou <strong>à</strong><br />

la perfection. Le moindre faux pas leur est inenvisageable. En se révélant homosexuels ils ont<br />

tout <strong>à</strong> la fois peur de perdre ce statut de héros mais sont aussi effrayés de (re)devenir dans la<br />

défaite ou l’échec <strong>des</strong> « pédés » disqualifiant ainsi leur communauté toute entière plutôt que<br />

de l’aider <strong>à</strong> faire accepter sa différence comme le montre c<strong>et</strong> extrait d’<strong>entre</strong>tien :<br />

« Tu sais j’ai peur en affirmant mon homosexualité que cela choque mais que tout<br />

se passe bien au fond tant que je serai bon, que je gagnerai, mais après ? Si je<br />

perds ? Est-ce que je resterai un sportif ou est-ce que je serai une tap<strong>et</strong>te ? Le dire<br />

c’est bien, cela rendra peut être service aux autres homosexuels <strong>et</strong> après quand je<br />

perdrai est-ce que cela ne sera pas parce que je suis pédé ou la faute de tous les<br />

pédés ? ».<br />

Au regard de la société le sportif homosexuel est ainsi bien souvent contraint d’assumer une<br />

identité <strong>et</strong> une sexualité duale : réelle d’une part, vécue au quotidien, mais cachée aux yeux de<br />

tous pour se protéger <strong>des</strong> lazzis, quolib<strong>et</strong>s <strong>et</strong> jugements de valeurs <strong>et</strong>, supposée d’autre part,<br />

pour les journalistes <strong>et</strong> les spectateurs qui imaginent dans ce sportif un hétérosexuel accompli.<br />

C<strong>et</strong>te dualité sociale oppose ainsi quotidiennement la sphère privée <strong>à</strong> la sphère publique. On<br />

peut légitimement dès lors se demander dans quelle mesure c<strong>et</strong>te double vie imposée, soit par<br />

la société soit par le sportif lui-même, n’induit pas une désorganisation <strong>des</strong> résultats <strong>et</strong> de la<br />

performance ?<br />

Ce qui s’applique aux sportifs n’est en fait rien d’autre que le vécu quotidien <strong>des</strong> homosexuels<br />

ordinaires protégés du pouvoir <strong>des</strong> médias mais exposés davantage encore, peut-être, <strong>à</strong><br />

l’opprobre général. Il n’y a pas si longtemps que l’homosexualité, n’est plus pénalisée <strong>et</strong> a<br />

droit de citer. Si les Love parade de Berlin ou les Lesbian and Gay pri<strong>des</strong> de Paris offrent une<br />

visibilité <strong>et</strong> un droit d’exister, elles marquent surtout un changement dans la morale mais aussi<br />

<strong>des</strong> mentalités d’une grande partie de nos concitoyens. La honte est aujourd’hui davantage du<br />

côté <strong>des</strong> homophobes que <strong>des</strong> homosexuels. Mais l’héritage de la morale judéo-chrétienne,<br />

<strong>des</strong> législations, <strong>des</strong> persécutions <strong>et</strong> <strong>des</strong> brima<strong>des</strong> en tous genres restent très prégnantes. Le<br />

poids social <strong>et</strong> l’arbitraire subi depuis <strong>des</strong> siècles imposent toujours aux homosexuels<br />

prudence <strong>et</strong> réserve dans l’affirmation de ce qu’ils sont. L’homophobie <strong>et</strong> la honte sont <strong>à</strong> ce<br />

point intériorisées que beaucoup préfèrent rester cachés. Quelques exemples suffisent <strong>à</strong> le<br />

prouver. La bible a condamné l’homosexualité <strong>à</strong> maintes reprises (Genèse XVIII <strong>et</strong> XIX ;<br />

Corinthiens VI ; Juges XIX ; Lévitique XVIII <strong>et</strong> XX ; Romains I ; Sagesse XIV).<br />

L’homosexualité resta passible de peine de mort dans la plus grande partie du monde chrétien<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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