Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels
dissimulée ou condamnée, ignorée ou sujette à la rumeur et au commérage discriminatoire
« un tel en serait » visant à la disqualification sociale ou à la constitution d’une identité
négative des individus en question (Paugam, 1991). Pour nous renseigner davantage quelques
études évoquent de manière superficielle l’ambiguïté des relations dans certains sports
collectifs masculins. Badinter (1992) parlera « d’homo-érotisme » sur les terrains de football,
Saouter (2000) de pratiques « homosexuées » 184 pour décrire les modes particuliers de
sociabilité au rugby : « sport d’hommes ». La nudité, le rapport au corps, les contacts
corporels et les jeux sexuels de la troisième mi-temps ne sont peut être en effet rien d’autres
que la résurgence des rites initiatiques masculins dans les sociétés traditionnelles. Aucun
n’osera aborder l’impensable : le sportif de haut niveau, même s’il est le héros (héraut) des
temps modernes, peut également, et malgré tout, être homosexuel. Alors que certains de nos
hommes politiques n’hésitent plus à déclarer leur homosexualité, rares sont les sportifs
« gays » de haut niveau à oser l’affirmer ou le revendiquer. Singulièrement les athlètes
féminins semblent plus promptes que leurs homologues masculins à le faire durant leur
carrière sportive. L’exemple récent de Mauresmo nous le confirme. Seraient-elles plus enclins
à défendre leur identité collective à travers cet acte ? Qui sait par exemple, en dehors du
cercle retreint et fermé du monde sportif, qu’un de nos plus grands joueurs de football a vécu
trois années durant avec un célèbre danseur étoile ? A ce niveau la discrétion des chercheurs,
des dirigeants et des sportifs eux-mêmes rejoint, celle, ô combien surprenante, des journalistes
qui jamais n’évoquent cette question. Il est vrai que le sport de haut niveau jouit d’a priori et
de présupposés laudatifs que le caractère déviant (Becker, 1963) et pervers longtemps attribué
à « cet amour qui n’ose pas dire son nom » prend en défaut. Très longtemps en effet
l’homosexualité a été considérée « contre nature », assimilée par indéfinition à la perversion
pédophile, ou dénommée par défaut sémantique : bougrerie, sodomite, antiphysique, « amour
des garçons », troisième sexe etc.
Il est pourtant vraisemblable qu’il existe un taux au moins similaire d’homosexuels parmi les
athlètes de haut niveau que dans le reste de la population. Comment pourrait-il en être
autrement ? Envisager l’inverse reviendrait à naturaliser et limiter les compétences sportives
en les associant ou les confondant à la seule virilité hétérosexuelle. Les qualités sportives ne
s’inscriraient donc pas dans un processus ou une construction sociale mais serait intrinsèque à
l’homme résolvant d’un seul coup, un seul, le dilemme de nombreuses fédérations : savoir
comment détecter les athlètes !
Notre propos n’était cependant pas d’étudier les mœurs de nos sportifs qu’un récent ouvrage
(Alric, 2002) vient d’aborder, pas plus qu’il n’était question d’y apporter en la matière un
quelconque « jugement », fût-il dénué de toute homophobie, ni même d’envisager la question
de l’inné ou l’acquis dans cette forme de sexualité, mais au contraire de nous focaliser sur la
question qui s’avère centrale dans le combat de la communauté homosexuelle pour sa
reconnaissance et l’acquisition de ses droits : le coming out. 185 Car s’interroger sur la
présence ou non d’homosexuels parmi les sportifs de haut niveau revient à se demander
pourquoi si peu d’entre eux « sortent du placard », mais aussi s’il est nécessaire qu’ils le
fassent et dans ce cas pour qui et dans quels buts ? Nous avons eu pour cela recours aux
histoires de vie de douze athlètes de haut niveau. Ce qui nous intéressait était de comprendre
et d’articuler les domaines d’existence et voir s’il existait dans ces histoires singulières des
traits communs et des récurrences. Ces histoires de vie se sont cependant limitées à la
question de leur appartenance sexuelle depuis qu’ils font du sport. Un constat s’est imposé
d’emblée pour tous sans exception : sortir du placard leur semble impensable et
184
Reprenant à travers ce néologisme « l’homosexualité désexualisée » de Bastide in Encyclopédia
Universalis,1980, 1034).
185
Faire la révélation de son homosexualité. On parle aussi de « sortir du placard ».
Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à
leurs préventions. Page 127