Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées La prise en charge de l’enceinte sportive par les clubs sécurise effectivement davantage les stades par des contrôles plus poussés, une présence massive de stadiers, l’installation de portillons, d’équipements de vidéo-surveillance, de règlements intérieurs... Les policiers sont maintenant à l’extérieur des stades, s’occupant des abords immédiats, de la sécurité urbaine, de l’accueil et du raccompagnement des supporters adverses. Dès lors, le Football est un sport propre et les incidents ont lieu en-dehors des stades. Les dirigeants du Football peuvent donc arguer fièrement qu’il ne s’agit pas de supporters puisque tout cela se déroule loin temporellement et spatialement des compétitions sportives, qui plus est avec des individus qui ne portent quelquefois même plus les couleurs du club. La violence devient ainsi celle de délinquants ordinaires, de bandes de jeunes qui s’affrontent dans la rue ou dans les quartiers réputés sensibles confirmant ce que le football clamait depuis toujours. Le monde sportif peut ainsi se décharger allègrement et sans scrupule de toute responsabilité : c’est la société qui doit prendre en charge les défauts inhérents à la structure sociale. Ce déplacement du problème présente un autre avantage, en dehors de l’éthique ou de l’image du football, tout simplement financier. La participation des C.R.S. et des policiers avait un coût financier, au sens strict du terme : les interventions et les déplacements avant l’application de la loi Pasqua 147 étaient facturés aux clubs. Dès lors que les policiers sont relégués à l’extérieur des stades et n’interviennent plus de manière permanente dans une enceinte à caractère privé, régie par un règlement intérieur, c’est l’état qui prend en charge les frais d’intervention sur la voie publique du fait de son monopole en matière de police administrative et de son obligation de maintien de l’ordre public. Seules les interventions des forces de l’ordre à l’intérieur de l’enceinte sportive, restent à la charge de l’organisateur. On comprend mieux l’intérêt du football à clamer haut et fort que les hooligans ne sont pas ses supporters. On comprend mieux également cette volonté d’asseoir les publics des virages, et donc de les pacifier, mais également de les sélectionner par une politique de prix plus élevés ? « Paie, assieds-toi, taistoi » semble être la politique privilégiée pour mater les débordements de supporters à l’image des stades anglais où le fait de se lever peut donner lieu à une exclusion à vie. 148 Que d’avantages pour le Football qui n’a pas, ou qui n’a plus, à gérer un contexte social qu’il a cependant induit, généré et, jusqu’alors méprisé ou, tout au moins, duquel il s’est totalement désintéressé en dehors du poids que les supporters pouvaient avoir sur l’équipe adverse. Le football devient ainsi un promoteur de spectacles et n’a pas plus d’obligations que les organisateurs de concerts ou autres spectacles de masse. Le football abandonne derrière lui, en se déchargeant sur la société, des passions qu’il a volontairement ou non suscitées et des effets pervers engendrés par son développement. Le problème existe cependant toujours et ce n’est pas en sécurisant les stades à outrance, en déplaçant la violence en d’autres lieux qu’elle disparaît. Mais ce problème n’intéresse peut-être tout simplement personne et n’est probablement qu’un élément futile et dérisoire, qui agace certes, mais qu’il suffit de mépriser pour faire en sorte qu’il ne soit plus visible. 147 Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, « d’orientation et de programmation relative à la sécurité », prévoit dans son article 10 des « dispositions relatives à la prévention de l’insécurité » et ce, notamment au moyen de la vidéo-surveillance « dans des lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol... » et, modifiant la loi « relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives » n° 84-610 du 16 juillet 1984, prévoit également dans son article 23 que « les organisateurs de manifestations sportives... peuvent être tenus d’assurer un service d’ordre », les frais supplémentaires de maintien de l’ordre, assurés par les forces de police sont à la charge de l’organisateur, que celui-ci est responsable en cas d’incidents ou accidents. 148 En avril 1995, Steve BRISCOE supporter de Manchester United est exclu à vie du stade pour être resté debout dans les tribunes à encourager l’équipe malgré les appels réitérés de la sécurité. (Équipe magazine, n° 806, 16). Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 115

Chapitre 4 : Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels Renouveler son objet entre contraintes sociales et intérêts personnels : des violences observables aux aspects éducatifs Consciemment en formulant ce titre, nous rejetons d’emblée, la norme de désintéressement énoncée par Merton, selon laquelle l’unique objectif du chercheur serait l’accroissement des connaissances et non une satisfaction personnelle. C’est une vision fonctionnaliste de la science, répondant à la question « à quoi sert la recherche ? » et non « comment ? dans quel contexte ? dans quel objectif ? par qui se fait-elle ? ». Elle s’oppose en cela à la passion weberienne, tout comme elle nie le besoin de reconnaissance par la communauté scientifique, en termes de publications, de postes, d’invitations en tant que conférencier, etc., que chacun attend de cet investissement même si cela n’est pas la finalité première. Mais comment expliquer qu’un objet se transforme, se renouvelle, puisse changer même ? Dans le monde universitaire les conseils distribués en la matière encouragent le chercheur en construction, celui qui n’a pas encore satisfait aux ultimes épreuves académiques de l’habilitation à diriger des recherches, à poursuivre son travail initial afin de ne montrer aucun signe d’égarement ou d’éparpillement. Certains s’engagent alors dans la voie d’une hyper spécialisation qui va à l’encontre même de la complexité que doivent analyser les sciences anthropo-sociales. Ces conseils sont pourtant pertinents car ils contiennent, en eux-mêmes, une des réalités de la recherche dans nos champs scientifiques : il faut savoir pousser l’analyse d’un phénomène au maximum car on ne peut qu’approcher, au mieux, la vérité de la complexité sociale, sans jamais, cependant, la faire éclater totalement. Ce qui fait dire à Weil que « si une vérité a été révélée, elle l’a été, elle ne l’est plus pour la seule raison qu’elle l’a été » (op. cit., 334). Comme le suggérait Weber (1919, 87 et passim) il faut se résigner à accepter que tout travail scientifique est appelé à être dépassé et à vieillir et n’a d’autre sens que de faire naître de nouvelles questions. La multiplication des approches, l’utilisation parfois de champs distincts, le recours à des méthodologies variées, les investigations renouvelées à quelques mois, ou années d’intervalles, sur un même site, forment l’essence d’une recherche et renforcent également la logique de la preuve. A l’inverse, le manque de diversité, qu’il ne faut cependant pas confondre avec la dispersion, pose le problème simple de la spécialisation précoce antagoniste à une formation plus ouverte, voire, le propos est peut-être quelque peu exagéré, « encyclopédique », permettant à l’étudiant, puis au chercheur qui se construit, de donner libre cours à sa libido sciendi, pour effectuer, après coup et à bon escient, le choix du savoir le plus approprié aux questions qu’il se pose (Moscovici, 1998). La recherche du pluralisme n’équivaut pourtant en rien à un quelconque relativisme, mais à une érudition nécessaire ne serait-ce que pour choisir un modèle préférentiel en connaissance de cause. Comment en effet exprimer une préférence si ce n’est après des lectures assidues de l’ensemble des textes à notre disposition ? Le chercheur se doit d’être curieux ; « l’ignorance est la mère des traditions » écrivait Montesquieu qui soutenait aussi, tout comme Voltaire, que nous devons accepter et défendre tout autant la pluralité d’opinion, que les possibilités d’expression de personnes avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Trop souvent ces conseils confondent en fait objet et sujet de recherche, tout comme ils semblent ignorer que le chercheur, avec toute l’objectivité qu’il est supposé construire et posséder n’est pas pour autant exclu des interactions sociales qu’il étudie, influençant de fait son travail. C’est à l’aune de ces quelques remarques que nous allons montrer, comment et par quels processus sociaux, notre sujet s’est progressivement modifié, à travers une succession de Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 116

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

La prise en charge de l’enceinte sportive par les clubs sécurise effectivement davantage les<br />

sta<strong>des</strong> par <strong>des</strong> contrôles plus poussés, une présence massive de stadiers, l’installation de<br />

portillons, d’équipements de vidéo-surveillance, de règlements intérieurs... Les policiers sont<br />

maintenant <strong>à</strong> l’extérieur <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>, s’occupant <strong>des</strong> abords immédiats, de la sécurité urbaine,<br />

de l’accueil <strong>et</strong> du raccompagnement <strong>des</strong> supporters adverses. Dès lors, le Football est un sport<br />

propre <strong>et</strong> les incidents ont lieu en-dehors <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>. Les dirigeants du Football peuvent donc<br />

arguer fièrement qu’il ne s’agit pas de supporters puisque tout cela se déroule loin<br />

temporellement <strong>et</strong> spatialement <strong>des</strong> compétitions sportives, qui plus est avec <strong>des</strong> individus qui<br />

ne portent quelquefois même plus les couleurs du club. La violence devient ainsi celle de<br />

délinquants ordinaires, de ban<strong>des</strong> de jeunes qui s’affrontent dans la rue ou dans les quartiers<br />

réputés sensibles confirmant ce que le football clamait depuis toujours.<br />

Le monde sportif peut ainsi se décharger allègrement <strong>et</strong> sans scrupule de toute responsabilité :<br />

c’est la société qui doit prendre en charge les défauts inhérents <strong>à</strong> la structure sociale. Ce<br />

déplacement du problème présente un autre avantage, en dehors de l’éthique ou de l’image du<br />

football, tout simplement financier. La participation <strong>des</strong> C.R.S. <strong>et</strong> <strong>des</strong> policiers avait un coût<br />

financier, au sens strict du terme : les interventions <strong>et</strong> les déplacements avant l’application de<br />

la loi Pasqua 147 étaient facturés aux clubs. Dès lors que les policiers sont relégués <strong>à</strong> l’extérieur<br />

<strong>des</strong> sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> n’interviennent plus de manière permanente dans une enceinte <strong>à</strong> caractère privé,<br />

régie par un règlement intérieur, c’est l’état qui prend en charge les frais d’intervention sur la<br />

voie publique du fait de son monopole en matière de police administrative <strong>et</strong> de son obligation<br />

de maintien de l’ordre public. Seules les interventions <strong>des</strong> forces de l’ordre <strong>à</strong> l’intérieur de<br />

l’enceinte sportive, restent <strong>à</strong> la charge de l’organisateur. On comprend mieux l’intérêt du<br />

football <strong>à</strong> clamer haut <strong>et</strong> fort que les hooligans ne sont pas ses supporters. On comprend<br />

mieux également c<strong>et</strong>te volonté d’asseoir les publics <strong>des</strong> virages, <strong>et</strong> donc de les pacifier, mais<br />

également de les sélectionner par une politique de prix plus élevés ? « Paie, assieds-toi, taistoi<br />

» semble être la politique privilégiée pour mater les débordements de supporters <strong>à</strong> l’image<br />

<strong>des</strong> sta<strong>des</strong> anglais où le fait de se lever peut donner lieu <strong>à</strong> une exclusion <strong>à</strong> vie. 148 Que<br />

d’avantages pour le Football qui n’a pas, ou qui n’a plus, <strong>à</strong> gérer un contexte social qu’il a<br />

cependant induit, généré <strong>et</strong>, jusqu’alors méprisé ou, tout au moins, duquel il s’est totalement<br />

désintéressé en dehors du poids que les supporters pouvaient avoir sur l’équipe adverse. Le<br />

football devient ainsi un promoteur de spectacles <strong>et</strong> n’a pas plus d’obligations que les<br />

organisateurs de concerts ou autres spectacles de masse. Le football abandonne derrière lui, en<br />

se déchargeant sur la société, <strong>des</strong> passions qu’il a volontairement ou non suscitées <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

eff<strong>et</strong>s pervers engendrés par son développement. Le problème existe cependant toujours <strong>et</strong> ce<br />

n’est pas en sécurisant les sta<strong>des</strong> <strong>à</strong> outrance, en déplaçant la violence en d’autres lieux qu’elle<br />

disparaît. Mais ce problème n’intéresse peut-être tout simplement personne <strong>et</strong> n’est<br />

probablement qu’un élément futile <strong>et</strong> dérisoire, qui agace certes, mais qu’il suffit de mépriser<br />

pour faire en sorte qu’il ne soit plus visible.<br />

147 Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, « d’orientation <strong>et</strong> de programmation relative <strong>à</strong> la sécurité », prévoit dans<br />

son article 10 <strong>des</strong> « dispositions relatives <strong>à</strong> la prévention de l’insécurité » <strong>et</strong> ce, notamment au moyen de la<br />

vidéo-surveillance « dans <strong>des</strong> lieux <strong>et</strong> établissements ouverts au public particulièrement exposés <strong>à</strong> <strong>des</strong> risques<br />

d’agression ou de vol... » <strong>et</strong>, modifiant la loi « relative <strong>à</strong> l’organisation <strong>et</strong> <strong>à</strong> la promotion <strong>des</strong> activités physiques<br />

<strong>et</strong> sportives » n° 84-610 du 16 juill<strong>et</strong> 1984, prévoit également dans son article 23 que « les organisateurs de<br />

manifestations sportives... peuvent être tenus d’assurer un service d’ordre », les frais supplémentaires de<br />

maintien de l’ordre, assurés par les forces de police sont <strong>à</strong> la charge de l’organisateur, que celui-ci est<br />

responsable en cas d’incidents ou accidents.<br />

148 En avril 1995, Steve BRISCOE supporter de Manchester United est exclu <strong>à</strong> vie du stade pour être resté<br />

debout dans les tribunes <strong>à</strong> encourager l’équipe malgré les appels réitérés de la sécurité. (Équipe magazine, n°<br />

806, 16).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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