Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

Contribution à l'étude des relations entre sports et violences Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

sites.univ.rennes2.fr
from sites.univ.rennes2.fr More from this publisher
27.06.2013 Views

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées « dans tous les groupes vous avez des violents, il y en a qui sont plus violents que d’autres, qui viennent davantage pour ça, ou qui sont tout simplement plus sur les nerfs que d’autres parce qu’ils ont des problèmes personnels. Il y a des groupes plus violents, mais tout simplement parce qu’ils ont plus de violents dans le groupe ». Le danger tient aussi dans le nombre. Lorsqu’un noyau dur est composé de 300 à 500 personnes, comme c’est le cas de la plupart des groupes à Marseille, il peut, à lui seul, provoquer la violence et s’opposer à l’intégralité des Ultras d’un autre club. 146 L’écueil est ici qu’une minorité puisse en arriver à se considérer et se comporter comme une majorité, voire se mettre en totale opposition avec les idées de celle-ci et agir sans son approbation. C’est ainsi que naissent des groupes totalement déviants et violents ou que parfois des individus totalement réfractaires à la violence sont entraînés malgré eux dans des affrontements. Le supportérisme est bien en ce sens un modèle centripète de la violence qui conjugue volontairement ou non de nombreuses raisons de recourir au hooliganisme. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’on s’adresse à des jeunes et que pour eux tout « acte qui n’est pas sanctionné n’est pas grave » (Roché, 2001). Dans le cas, précédemment cité, du fils d’un ministre, il renforce de surcroît l’idée qu’il puisse y avoir, comme c’est le cas dans les « affaires politiques », une justice à deux vitesses : celle de la « France d’en haut et celle de la France d’en bas ». Comme dans le cas de la délinquance juvénile, il nous faut cependant renoncer à confondre cette forme de violence avec une quelconque lutte des classes. Le hooliganisme met tout simplement en exergue « l’éclatement des normes » (Wieviorka, 1999), le manque d’encadrement des jeunes supporters, le vide-social, la une complicité ou la mansuétude qui marquent le déficit en matière relationnelle et d’encadrement des dirigeants, des supporters et des joueurs. Les violences que nous avons décrites jusqu’alors semblent dresser un tableau dont la noirceur est sans commune mesure avec l’impression générale qui se dégage du supportérisme en France ou des statistiques officielles. Affabulation, dramatisation de la situation du supportérisme français par une étude sectorielle qui ne rend compte que d’un aspect - le revers négatif du supportérisme - et qui ne restituerait pas la proportionnalité entre aspects positifs - le soutien, les spectacles, le supportérisme comme créateur de lien social... - et négatifs ? Malheureusement non ! La gravité de la situation est sans commune mesure avec les représentations ordinaires sur le sujet. L’utilisation d’armes, la violence préméditée nous ont déjà permis de clamer haut et fort qu’il ne nous était pas possible de continuer à distinguer supportérisme et hooliganisme, et que ce dernier était tout à la fois une forme et une partie intégrée du supportérisme. Quelles peuvent être dès lors les raisons de ce décalage entre le perçu et le réel, le supposé et le vécu ? En dehors de ce que nous avons déjà évoqué - faits non comptabilisés par la police, faits déformés par les journalistes - il est nécessaire d’ajouter la mise en place du contrôle social. D’une manière un peu caricaturale, nous pouvons nous demander si en allant au stade, c’est bien à un spectacle sportif auquel nous nous rendons ? Sans prendre l’exemple du PSG qui est un point extrême en la matière - les matches au Parc des Princes mobilisant jusqu’à 1 500 policiers en tenue et en civil aux abords du stade mais également dans le métro et ce, en sus des stadiers - nous nous contenterons de celui de Toulouse, site relativement calme, et d’une rencontre sans supporters très véhéments, le match TFC-Lens. 146 Souvenons-nous que la plupart des groupes ne sont composés que de 50 à 300 membres. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 113

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées Un sentiment d’insécurité vous envahit dès votre arrivée tant les mesures de sécurité sont importantes. L’entrée dans l’enceinte du stade se fait par une unique porte située en contrebas d’une passerelle de périphérique. De part et d’autre de la porte, des cordons de vigiles, entièrement vêtus de noirs. Un vigile sur cinq est accompagné d’un chien. A chaque porte d’accès aux tribunes, deux vigiles supplémentaires sont en faction, et des groupes de 3 ou 4 vigiles avec chiens font des rondes incessantes. A l’extérieur stationnent les cars de la compagnie d’intervention de la police nationale ainsi que ceux des C.R.S., tous prêts à intervenir. La foule entre et ressort sans problème mais peut-il y en avoir ? Les affrontements entre supporters, sauf cas extrêmes, n’opposent guère plus de quelques dizaines d’individus. La violence ne peut pas, ou ne peut plus, avoir lieu sur place. Cette violence s’est déplacée tout simplement « ailleurs » du fait même de l’efficacité des divers services -policiers ou sécurité - mis en place. Le problème n’existe donc apparemment plus ! « Finalement, ils servent à empêcher qu’il y ait des incidents dans le stade, c’est tout. Bon que les mecs, comme je te disais, ils arrivent à 5 heures du matin pour tout casser, eux ils ne prévoient pas ça, eux ils comptent les bus, les écharpes et puis le reste... Nous, il nous est arrivé de se faire attaquer à Paris par les Boulogne Boys,, ils l’ont vu et c’est nous qui avons ramassé au final, rien de très logique, ils distribuent les coups de matraque à tout le monde comme ça pas de jaloux. Mais eux, bien souvent ils ne se rendent même pas compte que bon ils sont là au stade, c’est sûr, il n’y a plus d’incidents ou presque mais ils ne voient pas qu’en réalité ça se passe ailleurs, pour eux, ça ne se passe plus là donc, il n’y a plus de problèmes, c’est tout. » (Supporter membre des South Winners marseillais). A l’image de ce qui s’est passé en Angleterre, en Belgique ou en Hollande, la mise en place d’un contrôle « policier » plus important en dehors du déplacement spatial du problème a introduit une nouvelle forme de supportérisme dur : les « casuals ». L’assimilation « introduction d’objets-supporters-volonté de nuire-hooliganisme » n’a fait que modifier les règles du jeu. Les supporters « violents », ou qui tentent d’introduire des fusées ou autres matériels, sont devenus invisibles. De fait, ils ne répondent pas aux critères de détection des supporters extrémistes, ils passent inaperçus lors de l’entrée au stade et ne font pas l’objet d’un contrôle aussi poussé comme le confirme ce délégué à la sécurité : « [...] j’ai remarqué en les observant un truc : tu arrives au stade sans sac, ils te palpent, tu arrives avec un sac on fouille ton sac on ne te palpe pas ! Va expliquer pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe dans le mécanisme du fouilleur, du policier, tu arrives sans sac, on te palpe, tu arrives avec ton sac, tu tends ton sac, on te le fouille et on te le rend en te disant merci. T’es bien habillé ils te fouillent moins, tu es en supporter, c’est la complète ! C’est des études de comportement... c’est pas bon, c’est incroyable ! Des trucs comme cela, il y a des moments tu te dis... Non, la loi Alliot-Marie... » (Délégué à la sécurité). La législation a de fait créé comme dans les autres pays européens une nouvelle forme de hooliganisme, moins contrôlable et identifiable. En faisant état d’une « assimilation de plus en plus marquée entre violences sportives et violences urbaines. Cette assimilation se manifeste dans l’exacerbation de violences collectives qui ne se limitent plus aux enceintes sportives mais gagnent la voie publique » (DCSP, 1995, 3) à aucun moment la DCSP ne met en cause, ou s’interroge, sur l’influence du contrôle social dans le déplacement de ce phénomène. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 114

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Un sentiment d’insécurité vous envahit dès votre arrivée tant les mesures de sécurité sont<br />

importantes. L’entrée dans l’enceinte du stade se fait par une unique porte située en contrebas<br />

d’une passerelle de périphérique. De part <strong>et</strong> d’autre de la porte, <strong>des</strong> cordons de vigiles,<br />

entièrement vêtus de noirs. Un vigile sur cinq est accompagné d’un chien. A chaque porte<br />

d’accès aux tribunes, deux vigiles supplémentaires sont en faction, <strong>et</strong> <strong>des</strong> groupes de 3 ou 4<br />

vigiles avec chiens font <strong>des</strong> ron<strong>des</strong> incessantes. A l’extérieur stationnent les cars de la<br />

compagnie d’intervention de la police nationale ainsi que ceux <strong>des</strong> C.R.S., tous prêts <strong>à</strong><br />

intervenir.<br />

La foule <strong>entre</strong> <strong>et</strong> ressort sans problème mais peut-il y en avoir ? Les affrontements <strong>entre</strong><br />

supporters, sauf cas extrêmes, n’opposent guère plus de quelques dizaines d’individus. La<br />

violence ne peut pas, ou ne peut plus, avoir lieu sur place. C<strong>et</strong>te violence s’est déplacée tout<br />

simplement « ailleurs » du fait même de l’efficacité <strong>des</strong> divers services -policiers ou sécurité -<br />

mis en place. Le problème n’existe donc apparemment plus !<br />

« Finalement, ils servent <strong>à</strong> empêcher qu’il y ait <strong>des</strong> incidents dans le stade, c’est<br />

tout. Bon que les mecs, comme je te disais, ils arrivent <strong>à</strong> 5 heures du matin pour<br />

tout casser, eux ils ne prévoient pas ça, eux ils comptent les bus, les écharpes <strong>et</strong><br />

puis le reste... Nous, il nous est arrivé de se faire attaquer <strong>à</strong> Paris par les Boulogne<br />

Boys,, ils l’ont vu <strong>et</strong> c’est nous qui avons ramassé au final, rien de très logique, ils<br />

distribuent les coups de matraque <strong>à</strong> tout le monde comme ça pas de jaloux. Mais<br />

eux, bien souvent ils ne se rendent même pas compte que bon ils sont l<strong>à</strong> au stade,<br />

c’est sûr, il n’y a plus d’incidents ou presque mais ils ne voient pas qu’en réalité<br />

ça se passe ailleurs, pour eux, ça ne se passe plus l<strong>à</strong> donc, il n’y a plus de<br />

problèmes, c’est tout. » (Supporter membre <strong>des</strong> South Winners marseillais).<br />

A l’image de ce qui s’est passé en Angl<strong>et</strong>erre, en Belgique ou en Hollande, la mise en place<br />

d’un contrôle « policier » plus important en dehors du déplacement spatial du problème a<br />

introduit une nouvelle forme de supportérisme dur : les « casuals ». L’assimilation<br />

« introduction d’obj<strong>et</strong>s-supporters-volonté de nuire-hooliganisme » n’a fait que modifier les<br />

règles du jeu. Les supporters « violents », ou qui tentent d’introduire <strong>des</strong> fusées ou autres<br />

matériels, sont devenus invisibles. De fait, ils ne répondent pas aux critères de détection <strong>des</strong><br />

supporters extrémistes, ils passent inaperçus lors de l’entrée au stade <strong>et</strong> ne font pas l’obj<strong>et</strong><br />

d’un contrôle aussi poussé comme le confirme ce délégué <strong>à</strong> la sécurité :<br />

« [...] j’ai remarqué en les observant un truc : tu arrives au stade sans sac, ils te<br />

palpent, tu arrives avec un sac on fouille ton sac on ne te palpe pas ! Va expliquer<br />

pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe dans le mécanisme du fouilleur, du policier, tu<br />

arrives sans sac, on te palpe, tu arrives avec ton sac, tu tends ton sac, on te le<br />

fouille <strong>et</strong> on te le rend en te disant merci. T’es bien habillé ils te fouillent moins,<br />

tu es en supporter, c’est la complète ! C’est <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de comportement... c’est<br />

pas bon, c’est incroyable ! Des trucs comme cela, il y a <strong>des</strong> moments tu te dis...<br />

Non, la loi Alliot-Marie... » (Délégué <strong>à</strong> la sécurité).<br />

La législation a de fait créé comme dans les autres pays européens une nouvelle forme de<br />

hooliganisme, moins contrôlable <strong>et</strong> identifiable. En faisant état d’une « assimilation de plus en<br />

plus marquée <strong>entre</strong> <strong>violences</strong> sportives <strong>et</strong> <strong>violences</strong> urbaines. C<strong>et</strong>te assimilation se manifeste<br />

dans l’exacerbation de <strong>violences</strong> collectives qui ne se limitent plus aux enceintes sportives<br />

mais gagnent la voie publique » (DCSP, 1995, 3) <strong>à</strong> aucun moment la DCSP ne m<strong>et</strong> en cause,<br />

ou s’interroge, sur l’influence du contrôle social dans le déplacement de ce phénomène.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 114

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!