Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées martens à lacets rouges comme les Redskins (skinheads d’extrême gauche). Pour les leaders du groupe, « tout cela est venu comme ça, par provocation et par envie de se distinguer des fachos de l’autre groupe qui les traitent de “Rebe” 143 ». Les affirmations gauchistes sont davantage feintes que réelles. L’esprit qui a prévalu à la formation des groupes Ultras, au sens large du terme, leur recherche d’indépendance vis-à-vis des adultes, le militantisme dont les adhérents font preuve, l’autonomisation vis-à-vis des contraintes familiales et l’opposition à l’autorité parentale en raison de l’âge rapprochent bien souvent ces jeunes supporters d’une idéologie libertaire. L’aspect le plus important de la dimension politique chez les Winners transparaît dans l’application au quotidien des valeurs communautaires : solidarité, refus de faire des profits importants, aide financière des membres et de nombreuses autres formes d’assistance. Cet esprit libertaire coïncide aussi tout simplement avec les difficultés sociales, le sens de la débrouille et la nécessaire mise en commun des ressources de ces jeunes pour s’en sortir. C’est cette solidarité qui fonde, en partie du moins, l’esprit de corps qui transparaît dans les affrontements. A Marseille il n’est pas question d’infiltration. L’idéologie affichée est bien un prétexte pour se différencier. Aucun groupe marseillais d’extrême droite ou d’extrême gauche ne s’est jamais affilié avec des homologues idéologiques dans d’autres stades. Les groupes font au contraire front commun contre les « fachos » parisiens ou lyonnais. Contrairement aux Parisiens, aucun ne participe aux services d’ordre d’un quelconque parti politique. Il ne s’agit pas, en disant cela, de stigmatiser les uns en angélisant les autres. Ce n’est que l’expérience du terrain qui est retransmise ici et se trouve confortée par les analyses de la Direction centrale de la sécurité publique. Les idéologies présentes, affichées et revendiquées dans les stades français, n’ont donc pas toute la même signification. Pas plus qu’elles ne l’ont dans les autres pays d’Europe. Dans celles qui émergent et se donnent à voir dans certains pays de l’ex-Europe de l’Est se retrouvent les mêmes raisons sociales : l’effondrement d’un système économique qui conduit une partie de la jeunesse à s’extrémiser en réaction à la paupérisation dont elle est l’objet. Il en est ainsi des supporters d’extrême droite de Budapest descendant dans le stade pour frapper leurs propres joueurs qui ne se battaient pas assez selon eux. Le procédé est condamnable, mais ne doit-on pas observer et accepter, en tant que gestionnaire d’un pays ou d’un sport, que le football puisse devenir une sorte de « laboratoire social » de la société ? Quand l’économie d’un pays se transforme radicalement au point de laisser pour compte une partie de sa population, la visibilité de la réaction (violence, revendications politiques extrémistes) devrait devenir un signal politique compris et perçu par nos gouvernants. Le stade est en effet, très certainement le « dernier espace toléré de débridement des émotions » (Elias, Dunning, op. cit.) dans nos sociétés de plus en plus pacifiées et prophylactiques. Peut-être faut-il accepter l’idée que le sport est tout à la fois un exutoire social et bien le lieu privilégié du « controlling-decontrolling » des pulsions ? Dire cela ne revient pas à affirmer qu’il faut laisser s’installer les idéologies racistes, xénophobes et violentes dans nos stades, mais simplement accepter l’idée qu’il est peut-être mieux pour la société de les voir s’exprimer dans un espace clos, réglementé et structuré (le stade) que dans la rue, et de pouvoir observer ainsi, avant que le malaise ne s’installe définitivement, ou de manière plus cruciale, au sein de la société, la déstructuration sociale. Ce qui est moins acceptable est le manque de réactivité des instances dirigeantes sportives face à la montée du racisme et de la xénophobie dans les stades. Ainsi, l’Unesco titrait-elle en 2000 : « la FIFA entre indignation et indulgence » expliquant que la récente déclaration de la FIFA, condamnant les actes et manifestations de racisme ne devait « pas faire oublier l’absence de réaction observée à la suite du comportement critiquable de certaines personnalités du football, comme Mehmet Ali Yilmaz. 143 Arabe en verlant. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 109

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées Ce dernier, qui est président du club Turc de Trabzonsport, avait traité l’attaquant Noir anglais Kevin Campbell de « cannibale » et de « décoloré », le forçant à se mettre en grève avant d’obtenir son transfert au club anglais d’Everton » 144 . Le cas n’est pas isolé puisque, Ron Atkinson, consultant de la chaîne britannique ITV et entraîneur d’Aston Villa, se croyant hors antenne, a traité Marcel Desailly, de « putain de fainéant de nègre » 145 . Pour combattre le racisme dans les stades, l’UEFA et le FARE (Football Against Racism in Europe) réunis à Londres en mars 2003 ont adopté une charte proposant dix mesures concrètes pour lutter contre le racisme dans le football. Il s’agit d’une étape importante puisque le FARE avait comptabilisé 120 incidents racistes graves dans les dix années précédentes. On peut néanmoins se rendre compte du décalage entre la rédaction d’une telle charte, nécessaire à la prévention et à la condamnation des manifestations raciste dans les stades, et les premières grandes manifestations xénophobes au sein du football à la fin des années 1970 ! Émergent cependant aujourd’hui, dans le sport, d’autres revendications idéologiques dont le fondement n’est plus seulement l’exclusion économique et sociale d’une partie de la population. Ces affirmations s’avèrent plus dangereuses et plus radicales dans leur expression. Il ne s’agit plus de réclamer une place dans la société, ni même d’affirmer son mal être. Ce sont les conflits ethniques, culturels et religieux, inhérents, par exemple, à la dernière guerre des Balkans qui sont le ferment des violences xénophobes. A un niveau moindre, la montée des communautarismes (Wieviorka, 2001), en France, comme ailleurs nous expose à ce type de dérives, refondant la partition et la compréhension des violences, à travers un repli communautaire et le renversement des stigmates. Ces dernières sont plus difficiles à endiguer, car elles reposent non seulement sur des a priori, des préjugés et des jugements de valeurs, mais aussi sur des atrocités que la mémoire individuelle et collective ne peut effacer d’un seul trait. De la rationalité de l’acteur à l’influence des minorités actives. A lire ce qui précède, restreindre les interprétations à une vision déterministe et holiste, où le supporter violent serait tout à la fois prisonnier de ses appartenances et de ses rôles, repose sur une conception trop réductrice de l’acteur. Si le hooliganisme s’inscrit bien dans des comportements groupaux et passionnels (faire entrer des fumigènes, chahut, provocations, affrontements intergroupes, etc.), le supporter qui s’adonne aux violences peut être considéré, du moins à certains moments, comme un acteur rationnel, à rationalité limitée, c’est à dire possédant une liberté d’action et une capacité à effectuer des choix, en prise directe avec un système qu’il a contribué à construire. Il ne s’agit pas de psychologiser et naturaliser l’analyse et les discours mais, il n’y a pas si longtemps que nous nous sommes aperçu que, pour affiner la compréhension du hooliganisme, il fallait s’intéresser aux fins, aux moyens et aux occasions de l’action violente du point de vue du supporter lui-même. Les supporters sont en effet libres de s’associer ou non aux actions violentes. La question est donc double : pourquoi certains participent-ils tandis que d’autres ne le font pas ? Certains n’osent peut être tout simplement pas : par peur d’un « mauvais coup », des représailles ou des poursuites judiciaires s’ils sont pris. D’autres participent mais dans quels buts et à quelles fins ? L’absence de contrôle social ne peut tout expliquer. En reprenant la typologie de Cusson (1981) concernant les finalités de l’action délinquante, on peut observer que les actes hooligans poursuivent eux aussi quatre grands types de fins : l’action, l’appropriation, l’agression et la domination. L’action violente est vécue par les supporters comme excitante, 144 Article consultable sur le site de l’Unesco : http://www.unesco.org/courier/2000_11/fr/ethique.htm. 145 Propos faisant l’objet d’un carton rouge dans L’Équipe Magazine du 30 avril 2004, 104, 19. Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 110

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Ce dernier, qui est président du club Turc de Trabzonsport, avait traité l’attaquant Noir<br />

anglais Kevin Campbell de « cannibale » <strong>et</strong> de « décoloré », le forçant <strong>à</strong> se m<strong>et</strong>tre en grève<br />

avant d’obtenir son transfert au club anglais d’Everton » 144 . Le cas n’est pas isolé puisque,<br />

Ron Atkinson, consultant de la chaîne britannique ITV <strong>et</strong> entraîneur d’Aston Villa, se croyant<br />

hors antenne, a traité Marcel Desailly, de « putain de fainéant de nègre » 145 . Pour combattre le<br />

racisme dans les sta<strong>des</strong>, l’UEFA <strong>et</strong> le FARE (Football Against Racism in Europe) réunis <strong>à</strong><br />

Londres en mars 2003 ont adopté une charte proposant dix mesures concrètes pour lutter<br />

contre le racisme dans le football. Il s’agit d’une étape importante puisque le FARE avait<br />

comptabilisé 120 incidents racistes graves dans les dix années précédentes. On peut<br />

néanmoins se rendre compte du décalage <strong>entre</strong> la rédaction d’une telle charte, nécessaire <strong>à</strong> la<br />

prévention <strong>et</strong> <strong>à</strong> la condamnation <strong>des</strong> manifestations raciste dans les sta<strong>des</strong>, <strong>et</strong> les premières<br />

gran<strong>des</strong> manifestations xénophobes au sein du football <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années 1970 !<br />

Émergent cependant aujourd’hui, dans le sport, d’autres revendications idéologiques dont le<br />

fondement n’est plus seulement l’exclusion économique <strong>et</strong> sociale d’une partie de la<br />

population. Ces affirmations s’avèrent plus dangereuses <strong>et</strong> plus radicales dans leur expression.<br />

Il ne s’agit plus de réclamer une place dans la société, ni même d’affirmer son mal être. Ce<br />

sont les conflits <strong>et</strong>hniques, culturels <strong>et</strong> religieux, inhérents, par exemple, <strong>à</strong> la dernière guerre<br />

<strong>des</strong> Balkans qui sont le ferment <strong>des</strong> <strong>violences</strong> xénophobes. A un niveau moindre, la montée<br />

<strong>des</strong> communautarismes (Wieviorka, 2001), en France, comme ailleurs nous expose <strong>à</strong> ce type<br />

de dérives, refondant la partition <strong>et</strong> la compréhension <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, <strong>à</strong> travers un repli<br />

communautaire <strong>et</strong> le renversement <strong>des</strong> stigmates. Ces dernières sont plus difficiles <strong>à</strong> endiguer,<br />

car elles reposent non seulement sur <strong>des</strong> a priori, <strong>des</strong> préjugés <strong>et</strong> <strong>des</strong> jugements de valeurs,<br />

mais aussi sur <strong>des</strong> atrocités que la mémoire individuelle <strong>et</strong> collective ne peut effacer d’un seul<br />

trait.<br />

De la rationalité de l’acteur <strong>à</strong> l’influence <strong>des</strong> minorités actives.<br />

A lire ce qui précède, restreindre les interprétations <strong>à</strong> une vision déterministe <strong>et</strong> holiste, où le<br />

supporter violent serait tout <strong>à</strong> la fois prisonnier de ses appartenances <strong>et</strong> de ses rôles, repose sur<br />

une conception trop réductrice de l’acteur. Si le hooliganisme s’inscrit bien dans <strong>des</strong><br />

comportements groupaux <strong>et</strong> passionnels (faire <strong>entre</strong>r <strong>des</strong> fumigènes, chahut, provocations,<br />

affrontements intergroupes, <strong>et</strong>c.), le supporter qui s’adonne aux <strong>violences</strong> peut être considéré,<br />

du moins <strong>à</strong> certains moments, comme un acteur rationnel, <strong>à</strong> rationalité limitée, c’est <strong>à</strong> dire<br />

possédant une liberté d’action <strong>et</strong> une capacité <strong>à</strong> effectuer <strong>des</strong> choix, en prise directe avec un<br />

système qu’il a contribué <strong>à</strong> construire. Il ne s’agit pas de psychologiser <strong>et</strong> naturaliser l’analyse<br />

<strong>et</strong> les discours mais, il n’y a pas si longtemps que nous nous sommes aperçu que, pour affiner<br />

la compréhension du hooliganisme, il fallait s’intéresser aux fins, aux moyens <strong>et</strong> aux<br />

occasions de l’action violente du point de vue du supporter lui-même. Les supporters sont en<br />

eff<strong>et</strong> libres de s’associer ou non aux actions violentes. La question est donc double : pourquoi<br />

certains participent-ils tandis que d’autres ne le font pas ? Certains n’osent peut être tout<br />

simplement pas : par peur d’un « mauvais coup », <strong>des</strong> représailles ou <strong>des</strong> poursuites<br />

judiciaires s’ils sont pris. D’autres participent mais dans quels buts <strong>et</strong> <strong>à</strong> quelles fins ?<br />

L’absence de contrôle social ne peut tout expliquer. En reprenant la typologie de Cusson<br />

(1981) concernant les finalités de l’action délinquante, on peut observer que les actes<br />

hooligans poursuivent eux aussi quatre grands types de fins : l’action, l’appropriation,<br />

l’agression <strong>et</strong> la domination. L’action violente est vécue par les supporters comme excitante,<br />

144 Article consultable sur le site de l’Unesco : http://www.unesco.org/courier/2000_11/fr/<strong>et</strong>hique.htm.<br />

145 Propos faisant l’obj<strong>et</strong> d’un carton rouge dans L’Équipe Magazine du 30 avril 2004, 104, 19.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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