Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées coups », c’est peut-être que certains parmi eux recherchent la violence, mais c’est aussi et surtout, bien souvent, parce qu’en raison de leur réputation, s’attaquer à eux, les provoquer, devient un honneur pour les petits groupes. Dans cette quête de distinction la force d’un groupe se mesure à sa capacité à se déplacer en masse, à faire le spectacle chez l’autre (chants, drapeaux, etc.), à signifier sa présence à travers une unité culturelle et sociale. Ces actions sont vécues comme autant de provocations par les groupes qui « reçoivent ». Affronts qui, dans une logique d’honneur ou d’hégémonie groupale, doivent être lavés. Ainsi après les matches, les leaders « appellent à la course » (faire la chasse aux supporters adverses pour les dépouiller de leurs insignes, les frapper…). Chaque groupe possède son musée où sont exposés les trophées dérobés lors des multiples escarmouches avec les policiers et les supporters adverses (casques de CRS, insignes, Bombers, écharpes, bâches etc.). Au match suivant les trophées dérobés seront exhibés dans les tribunes, là encore par provocation, mais aussi par esprit de domination de l’autre, à l’image des seigneurs d’autrefois qui arboraient les armoiries de ceux qu’ils avaient vaincus et vassalisés. Au match retour les supporters tenteront de se déplacer plus nombreux, pour venger l’affront, pour montrer leur force. Ceux qui se sont fait voler une bâche, ou des emblèmes importants, viendront en force, voire armés pour les reprendre. Une spirale sans fin s’amorce : provocation, réponse à la provocation, vendetta. Elle favorise le passage d’une passion exacerbée au supportérisme passionnel : le hooliganisme. C’est bien de vendetta dont il est question car la vengeance s’exercera de manière atemporelle, sans aucune proportionnalité avec la faute commise et sur chacun des membres de la famille (groupe). Plus personne ne connaît réellement l’origine des conflits, ni même qui a commencé : mais c’est toujours l’autre, l’ennemi. L’organisation de ces expéditions punitives et vengeresses marque un déplacement conceptuel important : le passage d’une violence spontanée (mots échangés, provocations réciproques, coups) aux origines diverses, à une violence préméditée et organisée. Cependant l’une et l’autre sont du hooliganisme. Car l’une est à l’origine de l’autre et la violence armée qui se donne à voir n’est que la résultante et la partie émergée d’un grand nombre de conflits anodins trop souvent négligés. Hooliganisme, sous-cultures et politique Le supportérisme dès lors qu’il dépasse le soutien, fût-il inconditionnel et partisan, à l’équipe pose une question : est-il une sous-culture festive et dionysiaque ou engendre-t-il des souscultures déviantes ? Nous avons déjà répondu en partie à cette question en montrant qu’à l’intérieur des groupes la question est de distinguer, parmi les supporters, les individus qui s’adonnent au hooliganisme de manière occasionnelle et passagère de ceux qui l’érigent en mode et style de vie . La sous-culture des supporters est donc très souvent double et instable : communautaire d’un côté, et déviante de l’autre. L’équilibre entre ces deux pôles antagonistes dépend à ce niveau de bien des facteurs : les valeurs et l’idéologie du groupe, la rationalité de certains acteurs, l’influence des « minorités actives », mais aussi du contexte particulier dans lequel s’exerce le supportérisme. Violences et culture des groupes. Mais, la violence a parfois d’autres fonctions. Elle permet d’une part, de renforcer la cohésion du groupe par la distanciation, donc la différenciation avec les autres et, d’autre part, elle est constitutive de son propre groupe amené à choisir entre s’unir et faire front ou reculer et Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 101

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées disparaître. Dès lors la violence va être, au même titre que le soutien festif à l’équipe, un élément culturel de chacun des groupes. Celui-ci est à bien des égards une « famille », un lieu de socialisation privilégié, voire un refuge, pour certains, au sortir de l’adolescence. Un des leaders des South Winners (l’un des groupes les plus violents de France) affirme que son groupe permet aux jeunes de se structurer et de canaliser leurs violences malgré la violence latente et réelle du groupe: « C’est vrai qu’on est violents. C’est vrai que les jeunes du groupe sont violents, plus violents que les autres. Mais tu sais c’est rien par rapport à la violence de la rue dans laquelle ils sont tous les jours. Non tu sais je dirais que le groupe les rend moins violents car chez nous ils retrouvent des amis, ils participent à la vie du groupe, ils ont un lieu à eux, un objectif : l’équipe » (RZ leader des South Winners). Ils effectuent des tâches, apprennent la solidarité, le respect, l’entraide, la fidélité. Le groupe joue un rôle social important dans la lutte contre les inégalités et l’exclusion. Le stade et les spectacles ne sont en fait que l’aboutissement du supportérisme. Le local est un lieu de rencontres et de convivialité dans lequel se nouent des amitiés. L’identité locale et régionale y est valorisée à travers les photos de la ville, du club, du groupe mais aussi la revendication de l’appartenance à une culture spécifique : l’Occitanie par exemple. Ces communautés sont porteuses de repères. Mais la transmission des valeurs du groupe, sa spécificité, son histoire, ses hauts faits et gestes, la biographie de ses leaders tiennent également compte de la violence. Les antagonismes sont inculqués par imprégnation. Les rivalités sont entretenues par les leaders et les oppositions constituées au préalable de simples rivalités sportives dégénèrent ainsi, progressivement, en rivalités intergroupes, permettant la construction, la pérennisation et l’unification de chacun des groupes, en une sorte de mythologie fondatrice. Certes la narration des actes violents est très souvent déformée et subjective. Le groupe est toujours victorieux quels que soient le nombre et la réputation des assaillants, car ce sont aussi continuellement les autres qui attaquent et provoquent. « Ouais ! On m’a raconté : c’était hallucinant ! Les mecs, ils en ont bouffé comme jamais ! Dans le stade, et à l’extérieur du stade : ils ont pris deux raclées monumentales » (Supporter membre des Devils bordelais). « Nous on était tranquillement installé à la terrasse d’un bar quand les Parisiens sont arrivés. On cherchait pas la bagarre. Ils ont fondu sur nous comme ça. Ils étaient une bonne quinzaine de plus. Je peux te dire qu’ils sont pas tombés sur des ingrats on a sorti les ceinturons, les battes et les matraques et on leur a mis une raclée » (Supporter membre des Bad gones lyonnais). Comme dans le cas de la construction des identités personnelles, celle du groupe, nécessairement positive et valorisante, manque totalement d’objectivité et fait appel à « l’égocentration », le groupe est au centre de l’action, et à la « bénefficience », les réussites sont davantage mises en avant que les échecs, (Greenwald, 1992). Encore faut-il que les groupes auxquels on a été confronté soient des groupes connus et reconnus. La narration de la violence est sélective, la notoriété et le prestige, ne s’acquièrent qu’en s’opposant aux groupes les plus prestigieux. Ainsi, certains jeunes supporters, développent une animosité, ou une haine, envers les supporters adverses sans les connaître si ce n’est à travers une historiographie partiale. A l’intérieur de la quasi totalité des groupes se développe une sous- Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 102

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

disparaître. Dès lors la violence va être, au même titre que le soutien festif <strong>à</strong> l’équipe, un<br />

élément culturel de chacun <strong>des</strong> groupes. Celui-ci est <strong>à</strong> bien <strong>des</strong> égards une « famille », un lieu<br />

de socialisation privilégié, voire un refuge, pour certains, au sortir de l’adolescence. Un <strong>des</strong><br />

leaders <strong>des</strong> South Winners (l’un <strong>des</strong> groupes les plus violents de France) affirme que son<br />

groupe perm<strong>et</strong> aux jeunes de se structurer <strong>et</strong> de canaliser leurs <strong>violences</strong> malgré la violence<br />

latente <strong>et</strong> réelle du groupe:<br />

« C’est vrai qu’on est violents. C’est vrai que les jeunes du groupe sont violents,<br />

plus violents que les autres. Mais tu sais c’est rien par rapport <strong>à</strong> la violence de la<br />

rue dans laquelle ils sont tous les jours. Non tu sais je dirais que le groupe les rend<br />

moins violents car chez nous ils r<strong>et</strong>rouvent <strong>des</strong> amis, ils participent <strong>à</strong> la vie du<br />

groupe, ils ont un lieu <strong>à</strong> eux, un objectif : l’équipe » (RZ leader <strong>des</strong> South<br />

Winners).<br />

Ils effectuent <strong>des</strong> tâches, apprennent la solidarité, le respect, l’entraide, la fidélité. Le groupe<br />

joue un rôle social important dans la lutte contre les inégalités <strong>et</strong> l’exclusion. Le stade <strong>et</strong> les<br />

spectacles ne sont en fait que l’aboutissement du supportérisme. Le local est un lieu de<br />

rencontres <strong>et</strong> de convivialité dans lequel se nouent <strong>des</strong> amitiés. L’identité locale <strong>et</strong> régionale y<br />

est valorisée <strong>à</strong> travers les photos de la ville, du club, du groupe mais aussi la revendication de<br />

l’appartenance <strong>à</strong> une culture spécifique : l’Occitanie par exemple. Ces communautés sont<br />

porteuses de repères. Mais la transmission <strong>des</strong> valeurs du groupe, sa spécificité, son histoire,<br />

ses hauts faits <strong>et</strong> gestes, la biographie de ses leaders tiennent également compte de la violence.<br />

Les antagonismes sont inculqués par imprégnation. Les rivalités sont <strong>entre</strong>tenues par les<br />

leaders <strong>et</strong> les oppositions constituées au préalable de simples rivalités sportives dégénèrent<br />

ainsi, progressivement, en rivalités intergroupes, perm<strong>et</strong>tant la construction, la pérennisation<br />

<strong>et</strong> l’unification de chacun <strong>des</strong> groupes, en une sorte de mythologie fondatrice. Certes la<br />

narration <strong>des</strong> actes violents est très souvent déformée <strong>et</strong> subjective. Le groupe est toujours<br />

victorieux quels que soient le nombre <strong>et</strong> la réputation <strong>des</strong> assaillants, car ce sont aussi<br />

continuellement les autres qui attaquent <strong>et</strong> provoquent.<br />

« Ouais ! On m’a raconté : c’était hallucinant ! Les mecs, ils en ont bouffé comme<br />

jamais ! Dans le stade, <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’extérieur du stade : ils ont pris deux raclées<br />

monumentales » (Supporter membre <strong>des</strong> Devils bordelais).<br />

« Nous on était tranquillement installé <strong>à</strong> la terrasse d’un bar quand les Parisiens<br />

sont arrivés. On cherchait pas la bagarre. Ils ont fondu sur nous comme ça. Ils<br />

étaient une bonne quinzaine de plus. Je peux te dire qu’ils sont pas tombés sur <strong>des</strong><br />

ingrats on a sorti les ceinturons, les battes <strong>et</strong> les matraques <strong>et</strong> on leur a mis une<br />

raclée » (Supporter membre <strong>des</strong> Bad gones lyonnais).<br />

Comme dans le cas de la construction <strong>des</strong> identités personnelles, celle du groupe,<br />

nécessairement positive <strong>et</strong> valorisante, manque totalement d’objectivité <strong>et</strong> fait appel <strong>à</strong><br />

« l’égocentration », le groupe est au c<strong>entre</strong> de l’action, <strong>et</strong> <strong>à</strong> la « bénefficience », les réussites<br />

sont davantage mises en avant que les échecs, (Greenwald, 1992). Encore faut-il que les<br />

groupes auxquels on a été confronté soient <strong>des</strong> groupes connus <strong>et</strong> reconnus. La narration de la<br />

violence est sélective, la notoriété <strong>et</strong> le prestige, ne s’acquièrent qu’en s’opposant aux groupes<br />

les plus prestigieux. Ainsi, certains jeunes supporters, développent une animosité, ou une<br />

haine, envers les supporters adverses sans les connaître si ce n’est <strong>à</strong> travers une<br />

historiographie partiale. A l’intérieur de la quasi totalité <strong>des</strong> groupes se développe une sous-<br />

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