Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées Lille, les North Warriors et les Skinhead belges de Lens, la Brigade Ultra de Mulhouse, les Bad Gones de Lyon, les Casuals Firms parisiens, le PSG Assas Club, etc. Les déplacements de ces groupes, dans la France entière, vont entraîner le développement du mouvement Ultra en France par contagion et émulation. De nombreux groupent apparaissent alors dans l’indifférence quasi générale. Les clubs de football y trouvent leur compte en bénéficiant d’une animation gratuite mais également de la logique du 12 ème homme. Personne ne remarque que de nombreux groupes se créent à partir de scissions avec les groupes originels. Ainsi à Marseille, le CU84 éclate en 3 groupes distincts (Ultras, South Winners, Fanatics), les Dodgers émanent des Yankees, les South Winners voient une partie de leurs membres fonder les MTP (Marseille Trop Puissant). Il en est de même à Toulouse où les jeunes supporters échappent aux Violets pour devenir les Ultras occitans ou encore à Bordeaux avec les l’éclatement des UB85 en Ultramarimes et Devils. Cette multiplication par scission et mimétisme était déjà pourtant un signe avant coureur de logiques oppositives plus importantes. Les médias amplifieront ce phénomène en montrant les images festives de virages animés et colorés. Chaque groupe cherchera à reproduire ce qui se fait ailleurs, voudra montrer qu’il est capable de supporter et d’encourager son équipe aussi bien que les Bordelais ou les Marseillais, essaiera de faire mieux en étant plus nombreux, en donnant des spectacles de meilleure qualité dans un désir de visibilité sociale et aussi par rivalité sportive. Si ce supportérisme s’est construit par mimétisme, il s’est trouvé renforcé par la logique oppositive de la compétition. Le niveau sportif et les résultats ont suscité les vocations de supporters qui affirment leur passion et leur engagement pour le club. En arborant sur leurs bâches et leurs insignes les armoiries de la ville, de la région, ils affichent leur attachement mais également leur appartenance et leur réussite : « fiers d’être marseillais » , « bordelais toujours ». Ne faisant qu’un avec le club, porteur de leurs espoirs et de leurs passions, celui-ci doit gagner, car la victoire de l’équipe est également leur réussite. Il faut se souvenir que l’inscription dans le supportérisme Ultra correspond à un moment particulier de la fin de l’adolescence, période d’opposition et de rupture avec la famille, étape importante de l’intégration sociale mais également dans la construction sociale de son identité personnelle en tant qu’adulte, dans « la dualité de sa définition même : identité pour soi et identité pour autrui ». Être supporter du premier club à avoir gagné une coupe d’Europe ou du club champion de France permet ainsi de se construire une identité positive tant pour soi qu’au regard des autres. Il ne s’agit plus d’une passion ordinaire. Elle devient à ce niveau extraordinaire, car elle est aventure, empiète sur le temps libre, sur les études et même sur le travail. C’est une passion débordante et dévorante. Supporter devient un style de vie et marque l’appartenance à une communauté spécifiée. Chez les Ultras, il n’est pas question, comme ce peut être le cas au basket-ball, de convivialité avec les autres groupes. Les groupes Ultras, se construisent par « acculturation antagoniste », se comparant sans cesse aux autres et cherchant à se différencier des autres. Ces influences mutuelles sont d’autant plus nécessaires que les groupes sont proches et semblables. L’identité du groupe et sa cohésion sont renforcés par la tendance à valoriser en permanence l’in-group et à dévaloriser ou stigmatiser l’out-group. La féminisation des supporters adverses dans les chants et la fustigation de l’équipe opposée ne sont en fait que des processus sociaux qui permettent aux groupes de se construire par rassemblement et opposition. La compétition est duale elle a lieu sur le terrain mais également dans les tribunes. Les supporters veulent être les meilleurs, réaliser les plus beaux tifos, être les plus âpres à chanter, à soutenir et à encourager l’équipe, les plus nombreux à se déplacer, prolongeant ainsi, ou cherchant à participer à la victoire sur le terrain. Certes, la ségrégation des supporters ne favorise pas la convivialité, ni même le respect de l’autre. Elle attise au contraire les antagonismes. Ces mesures sont même parfois inutiles compte tenu du peu de supporters qui Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 97

Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : des analyses renouvelées se déplacent. Mais, en excluant toute idée de convivialité, ils refusent en fait le dialogue qui n’est pourtant rien d’autre que la négation de la violence (Changeux, Ricœur, 1998). Ce refus du dialogue est de toute façon nécessaire à la construction identitaire : l’identité « se pose en s’opposant ». La proximité identitaire de ces différentes communautés impose une nécessité de s’opposer et de se distinguer, la violence devient alors parfois un vecteur de cette affirmation identitaire. Ce supportérisme est donc passionnel, au sens phénoménologique du terme, mais aussi au sens du crime passionnel tel que le définit Dufour-Gompers, « quand la passion [amoureuse] est présente avec ses ingrédients de trahison, jalousie, aveu, abandon, colère, réactions disproportionnées et incontrôlées, passage à l’acte impulsif [...] » (op. cit. 96), lorsque les clubs de supporters par l’usage de conduites agonistiques, se concurrencent, s’opposent, recherchent l’hégémonie territoriale dans les tribunes... et quelquefois recourent à la violence. Le hooliganisme doit dès lors être perçu comme la dérive passionnelle du supportérisme. Dire cela ne réactive pas le débat entre passion et déraison, mais oblige tout simplement à chercher à travers ce rapport passionnel au groupe et au club la dynamique sociale et historique de certaines exactions. Apparu dans les années 1990, Sup’ Mag, magazine entièrement consacré au mouvement Ultra va catalyser l’esprit de compétition entre les groupes en les incitant à faire toujours mieux et en établissant un classement officiel et officialisé des « meilleurs supporters ». Si les critères originels étaient la qualité des spectacles et le nombre de fans, progressivement, s’intégreront des critères « d’invincibilité », relatifs à la violence. On y retrouvera ainsi quantité d’articles ayant trait au hooliganisme, des interviews de jeunes hooligans, des articles mettant en cause les délégués à la sécurité des clubs... Ce mensuel va peu à peu extrêmiser son contenu vers un supportérisme plus dur. Les supporters reconnaîtront eux-mêmes les effets néfastes de la revue qui, en catalysant le mouvement, a drainé de nouveaux publics et instauré une compétition accrue au sein des groupes : « L'année dernière, il y a eu une embellie: tu parlais de "Sup Mag"... "Sup Mag" a eu un effet que j'appelle un effet pervers, parce que "Sup Mag" a créé une mode du mouvement ultra en France, et les gens se sont dits ultras comme ça, du jour au lendemain, parce qu'ils avaient lu des choses dans "Sup Mag"... Comme toutes les modes ! Les modes, ce n'est pas toujours très profond ! Il est parfois difficile d'expliquer le pourquoi du comment! Enfin moi j'ai du mal par rapport à ça. "Sup Mag" a eu un effet pervers parce qu'il a drainé une quantité de gens dans les stades ou dans les groupes ultras qui, sans "Sup Mag", n'y seraient jamais venus ! Mais, en plus il a entraîné des dissensions dans le mouvement, des jalousies toujours plus importantes, des oppositions entre les groupes parce que quand on parle d’un groupe dans un journal comme ça et bien c’est normal, il faut faire mieux et si tu ne peux pas le faire positivement par le spectacle, tu vas le faire autrement, en cassant, en provoquant les autres et puis voilà... » (Rital). Progressivement s’instaure une hiérarchie officieuse et officielle des groupes de supporters. La concurrence et les rivalités intergroupes vont naître de cette comparaison dans la « qualité » du soutien. Mise en spectacle et territorialisation des tribunes. Si tout est prétexte à concurrence et sujet à opposition dans le supportérisme la mise en spectacle des tribunes est néanmoins ce qui procure la plus grande visibilité aux supporters. Pour organiser leurs spectacles, les supporters ont besoin d’un espace. Ils vont donc investir et Contribution à l’étude des relations entre sports et violences. De leurs manifestations à leurs préventions. Page 98

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Lille, les North Warriors <strong>et</strong> les Skinhead belges de Lens, la Brigade Ultra de Mulhouse, les<br />

Bad Gones de Lyon, les Casuals Firms parisiens, le PSG Assas Club, <strong>et</strong>c.<br />

Les déplacements de ces groupes, dans la France entière, vont entraîner le développement du<br />

mouvement Ultra en France par contagion <strong>et</strong> émulation. De nombreux groupent apparaissent<br />

alors dans l’indifférence quasi générale. Les clubs de football y trouvent leur compte en<br />

bénéficiant d’une animation gratuite mais également de la logique du 12 ème homme. Personne<br />

ne remarque que de nombreux groupes se créent <strong>à</strong> partir de scissions avec les groupes<br />

originels. Ainsi <strong>à</strong> Marseille, le CU84 éclate en 3 groupes distincts (Ultras, South Winners,<br />

Fanatics), les Dodgers émanent <strong>des</strong> Yankees, les South Winners voient une partie de leurs<br />

membres fonder les MTP (Marseille Trop Puissant). Il en est de même <strong>à</strong> Toulouse où les<br />

jeunes supporters échappent aux Viol<strong>et</strong>s pour devenir les Ultras occitans ou encore <strong>à</strong><br />

Bordeaux avec les l’éclatement <strong>des</strong> UB85 en Ultramarimes <strong>et</strong> Devils. C<strong>et</strong>te multiplication par<br />

scission <strong>et</strong> mimétisme était déj<strong>à</strong> pourtant un signe avant coureur de logiques oppositives plus<br />

importantes.<br />

Les médias amplifieront ce phénomène en montrant les images festives de virages animés <strong>et</strong><br />

colorés. Chaque groupe cherchera <strong>à</strong> reproduire ce qui se fait ailleurs, voudra montrer qu’il est<br />

capable de supporter <strong>et</strong> d’encourager son équipe aussi bien que les Bordelais ou les<br />

Marseillais, essaiera de faire mieux en étant plus nombreux, en donnant <strong>des</strong> spectacles de<br />

meilleure qualité dans un désir de visibilité sociale <strong>et</strong> aussi par rivalité sportive. Si ce<br />

supportérisme s’est construit par mimétisme, il s’est trouvé renforcé par la logique oppositive<br />

de la compétition. Le niveau sportif <strong>et</strong> les résultats ont suscité les vocations de supporters qui<br />

affirment leur passion <strong>et</strong> leur engagement pour le club. En arborant sur leurs bâches <strong>et</strong> leurs<br />

insignes les armoiries de la ville, de la région, ils affichent leur attachement mais également<br />

leur appartenance <strong>et</strong> leur réussite : « fiers d’être marseillais » , « bordelais toujours ». Ne<br />

faisant qu’un avec le club, porteur de leurs espoirs <strong>et</strong> de leurs passions, celui-ci doit gagner,<br />

car la victoire de l’équipe est également leur réussite. Il faut se souvenir que l’inscription dans<br />

le supportérisme Ultra correspond <strong>à</strong> un moment particulier de la fin de l’adolescence, période<br />

d’opposition <strong>et</strong> de rupture avec la famille, étape importante de l’intégration sociale mais<br />

également dans la construction sociale de son identité personnelle en tant qu’adulte, dans « la<br />

dualité de sa définition même : identité pour soi <strong>et</strong> identité pour autrui ». Être supporter du<br />

premier club <strong>à</strong> avoir gagné une coupe d’Europe ou du club champion de France perm<strong>et</strong> ainsi<br />

de se construire une identité positive tant pour soi qu’au regard <strong>des</strong> autres. Il ne s’agit plus<br />

d’une passion ordinaire. Elle devient <strong>à</strong> ce niveau extraordinaire, car elle est aventure, empiète<br />

sur le temps libre, sur les étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> même sur le travail. C’est une passion débordante <strong>et</strong><br />

dévorante. Supporter devient un style de vie <strong>et</strong> marque l’appartenance <strong>à</strong> une communauté<br />

spécifiée. Chez les Ultras, il n’est pas question, comme ce peut être le cas au bask<strong>et</strong>-ball, de<br />

convivialité avec les autres groupes. Les groupes Ultras, se construisent par « acculturation<br />

antagoniste », se comparant sans cesse aux autres <strong>et</strong> cherchant <strong>à</strong> se différencier <strong>des</strong> autres.<br />

Ces influences mutuelles sont d’autant plus nécessaires que les groupes sont proches <strong>et</strong><br />

semblables. L’identité du groupe <strong>et</strong> sa cohésion sont renforcés par la tendance <strong>à</strong> valoriser en<br />

permanence l’in-group <strong>et</strong> <strong>à</strong> dévaloriser ou stigmatiser l’out-group. La féminisation <strong>des</strong><br />

supporters adverses dans les chants <strong>et</strong> la fustigation de l’équipe opposée ne sont en fait que<br />

<strong>des</strong> processus sociaux qui perm<strong>et</strong>tent aux groupes de se construire par rassemblement <strong>et</strong><br />

opposition. La compétition est duale elle a lieu sur le terrain mais également dans les tribunes.<br />

Les supporters veulent être les meilleurs, réaliser les plus beaux tifos, être les plus âpres <strong>à</strong><br />

chanter, <strong>à</strong> soutenir <strong>et</strong> <strong>à</strong> encourager l’équipe, les plus nombreux <strong>à</strong> se déplacer, prolongeant<br />

ainsi, ou cherchant <strong>à</strong> participer <strong>à</strong> la victoire sur le terrain. Certes, la ségrégation <strong>des</strong> supporters<br />

ne favorise pas la convivialité, ni même le respect de l’autre. Elle attise au contraire les<br />

antagonismes. Ces mesures sont même parfois inutiles compte tenu du peu de supporters qui<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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