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Contribution à l'étude des relations entre sports et violences

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Université Rennes 2 Haute Br<strong>et</strong>agne<br />

UFR <strong>des</strong> Sciences <strong>et</strong> Techniques <strong>des</strong> Activités Physiques <strong>et</strong> Sportives<br />

Campus de la Harpe Avenue Charles Tillon CS 24414 35044 Rennes Cedex<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong><br />

<strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong><br />

De leurs manifestations <strong>à</strong> leurs préventions<br />

Composition du jury<br />

Curriculum vitae, dossier de publications,<br />

attestations, rapports de soutenance de thèse, articles<br />

M. le Professeur Éric Debarbieux. Rapporteur.<br />

M. le Professeur Pascal Dur<strong>et</strong>. Rapporteur.<br />

M. le Professeur Jean-Michel Faure.<br />

M. le Professeur Yvon Léziart. Directeur.<br />

M. le Professeur Charles Suaud. Rapporteur.<br />

M. le Professeur Fabien Ohl.<br />

Dominique BODIN<br />

Directeur : M. le Professeur Yvon Léziart<br />

2004


Remerciements<br />

Remerciements<br />

Comment remercier, sans oublier personne, ceux qui vous ont aidé tout au long<br />

de ces années, <strong>et</strong> sans lesquels, ce travail, ne serait pas ? La d<strong>et</strong>te est <strong>à</strong> ce<br />

niveau ineffaçable.<br />

A mes femmes tout d’abord, Sophie, Marie <strong>et</strong> Julie qui ont accepté <strong>et</strong> supporté<br />

un époux <strong>et</strong> un papa relié <strong>à</strong> son ordinateur comme un malade <strong>à</strong> son goutte-<strong>à</strong>goutte<br />

chaque jour <strong>et</strong> <strong>à</strong> chacune <strong>des</strong> vacances depuis 10 ans maintenant.<br />

A Bernard Jeu qui ne le saura jamais mais <strong>à</strong> qui je dois tant <strong>et</strong> sans lequel je<br />

ne serai pas l<strong>à</strong> aujourd’hui : de la réponse <strong>à</strong> mes interrogations naïves <strong>à</strong> ses<br />

encouragements pour reprendre mes étu<strong>des</strong> <strong>à</strong> l’université, sans oublier ses<br />

conseils en matière de lecture.<br />

A Éric Debarbieux <strong>et</strong> Yvon Léziart, ensuite, le premier pour m’avoir donné le<br />

goût <strong>et</strong> la passion de la recherche, le plaisir du terrain <strong>et</strong> une première<br />

opportunité d’écrire, le second la possibilité de le faire. Les promesses<br />

n’engagent dit-on que ceux qui les reçoivent ou y croient. Certains pourtant en<br />

font <strong>et</strong> les tiennent. Ma d<strong>et</strong>te, Yvon, est <strong>à</strong> ce niveau si importante qu’elle n’est<br />

pas quantifiable !<br />

A André Menaut qui fut un directeur de thèse attentif, présent <strong>et</strong> efficace.<br />

A Pascal Dur<strong>et</strong>, pour ses encouragements <strong>et</strong> sans lequel je ne me serais<br />

probablement pas engagé dans c<strong>et</strong>te HDR, mais aussi pour avoir accepté mes<br />

sollicitations en matière d’écriture, pour m’avoir ouvert son réseau d’auteurs,<br />

bref, pour m’avoir tout simplement permis de continuer <strong>à</strong> cheminer <strong>et</strong><br />

progresser.<br />

A Christian Bromberger qui m’a aidé, conseillé, guidé <strong>et</strong> encouragé <strong>et</strong> continue<br />

aujourd’hui <strong>à</strong> le faire alors que je n’étais, <strong>et</strong> ne suis, ni son étudiant ni son<br />

collaborateur.<br />

A Alain Jeannel pour ses précieux <strong>et</strong> pertinents conseils, pour m’avoir guidé <strong>et</strong><br />

orienté. Il est ainsi <strong>des</strong> gens qui, discrètement, vous aident <strong>à</strong> tracer votre<br />

chemin. Je n’étais venu <strong>à</strong> l’université que pour actualiser mes diplômes, il m’a<br />

encouragé <strong>à</strong> essayer de faire davantage <strong>et</strong> mieux.<br />

A Pierre Clanché pour m’avoir fait découvrir « la passion partisane » <strong>et</strong> la<br />

sociologie de l’École de Chicago mais aussi pour son enthousiasme. Lorsque je<br />

prépare un cours <strong>et</strong> essaie de le rendre attrayant <strong>et</strong> dynamique, j’ai toujours<br />

en souvenir « la chèvre de Monsieur Seguin ».<br />

A Raymond Thomas qui un matin de février m’a offert ce que je n’aurais<br />

jamais osé espérer. Il fut l’initiateur d’un proj<strong>et</strong> sans en voir malheureusement<br />

la réalisation.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 3


Remerciements<br />

A Stéphane Héas <strong>et</strong> Luc Robène, mes amis <strong>et</strong> collègues, <strong>des</strong> vrais, pas<br />

les « chers collègues de Latour », pour notre amitié sans limite, notre<br />

collaboration sans calcul <strong>et</strong> sans modération, pour le plaisir <strong>à</strong> être <strong>et</strong> travailler<br />

ensembles sans compter, pour nos proj<strong>et</strong>s <strong>à</strong> venir.<br />

A Jean-Pierre Titz pour m’avoir ouvert les portes du Conseil de l’Europe <strong>et</strong> pour<br />

son amitié. Pour notre collaboration <strong>et</strong> nos proj<strong>et</strong>s communs.<br />

A Jean-Bernard Lafaye qui, débordé par son travail, a toujours su me<br />

consacrer un temps précieux <strong>et</strong> m’ouvrir <strong>des</strong> portes qui sans lui seraient<br />

restées fermées. A un homme de terrain dont le recul <strong>et</strong> la réflexion sur son<br />

activité n’ont d’égal que la qualité de son investissement professionnel.<br />

A Dominique Trouilh<strong>et</strong> pour notre collaboration, nos discussions, en lui<br />

souhaitant un prompt r<strong>et</strong>our au Parqu<strong>et</strong> de Bordeaux.<br />

A Joël Souché qui a mis <strong>à</strong> ma disposition ses compétences, son enthousiasme,<br />

ses informations <strong>et</strong> son réseau me perm<strong>et</strong>tant de découvrir de l’intérieur <strong>et</strong> de<br />

visu la gestion de l’ordre public tout autant que de « l’ordre en public ».<br />

A Gérard Glaentzlin <strong>et</strong> ses collègues qui se reconnaîtront <strong>et</strong> savent pourquoi je<br />

ne dis rien <strong>et</strong> ne peux rien dire de l’aide pourtant si importante <strong>et</strong> si précieuse<br />

qu’ils m’ont apportée.<br />

A Laurent, Rachid, Camille, Lionel <strong>et</strong> Michel, pour ne citer que les premiers <strong>à</strong><br />

m’avoir fait confiance, <strong>à</strong> m’avoir ouvert leur cœur, tout autant que leur local,<br />

pour les bons moments <strong>et</strong> les foutus quarts d’heures passés ensembles au<br />

local, au stade, en déplacement, pour leur passion débordante <strong>et</strong> pour leur<br />

enthousiasme, en leur souhaitant de continuer <strong>à</strong> vivre longtemps <strong>et</strong> pleinement<br />

c<strong>et</strong>te passion avec le moins de violence possible.<br />

A tous les autres avec qui j’ai passé <strong>des</strong> moments si intenses.<br />

A mes étudiants de 3 me cycle qui me remercient souvent pour ma disponibilité<br />

afin qu’ils sachent tout d’abord que je tente de les aider, tout simplement,<br />

autant que je l’ai été mais pour qu’ils soient conscients également qu’ils<br />

apportent par leurs questions <strong>et</strong> leur entrain beaucoup au chercheur en<br />

construction que je suis.<br />

Aux étudiants qui ont travaillé, ou travaillent, sur le hooliganisme ou la prison,<br />

pour leur aide, leur collaboration, nos fous rires <strong>et</strong> nos angoisses aussi parfois,<br />

pour le plaisir partagé. Je ne peux pas tous vous citer, au risque d’en oublier<br />

malencontreusement certains. Une pensée toute particulière va cependant <strong>à</strong><br />

Michel Mély. Les affres <strong>et</strong> les circonstances de la vie obligent certains <strong>à</strong> ne pas<br />

aller au bout de leurs envies, je le regr<strong>et</strong>te très sincèrement pour toi <strong>et</strong> te<br />

renouvelle ma profonde estime, toute mon amitié ainsi que mon admiration.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 4


Sommaire<br />

Introduction<br />

Sommaire<br />

Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

Chapitre 2. Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong> : contribution <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong> de recherche <strong>à</strong><br />

partir de la question du hooliganisme.<br />

Chapitre 3. Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées.<br />

Chapitre 4. Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts<br />

personnels : <strong>des</strong> <strong>violences</strong> observables aux aspects éducatifs<br />

En guise de conclusion : Être ou devenir chercheur ?<br />

Table <strong>des</strong> tableaux <strong>et</strong> figures<br />

Bibliographie<br />

Table <strong>des</strong> matières<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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7<br />

12<br />

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184<br />

185<br />

199


Introduction<br />

Introduction<br />

L’écriture <strong>et</strong> la présentation d’une habilitation <strong>à</strong> diriger <strong>des</strong> recherches donne <strong>à</strong> celui qui s’y<br />

adonne une triple opportunité. La première est intrinsèque, c’est d’abord l’occasion<br />

d’effectuer un r<strong>et</strong>our sur soi <strong>et</strong> de tenter ainsi de reconstruire a posteriori les questionnements,<br />

cheminements, rencontres, choix théoriques <strong>et</strong> méthodologiques, errements, échecs, c’est<br />

important de le souligner, qui ont conduit c<strong>et</strong>te réflexion <strong>et</strong> ce travail. Car bien au-del<strong>à</strong> de<br />

l’impression de linéarité de notre parcours que pourrait donner c<strong>et</strong> écrit, c’est bien comme le<br />

pense Bachelard (1977) en terme d’obstacles qu’il faut penser la construction d’une recherche<br />

qui s’élabore bien souvent dans un mouvement essentiellement polémique. La seconde<br />

découle bien évidemment de la première c’est de rendre intelligible aux autres l’avancée <strong>et</strong> la<br />

transformation d’une réflexion en construction, la manière dont s’est modifié <strong>et</strong> renouvelé un<br />

questionnement originel, somme toute simple <strong>et</strong> naïf, en une démarche de recherche<br />

débarrassée, du moins pouvons nous l’espérer, au mieux, de ses prénotions, représentations<br />

sociales, préjugés <strong>et</strong> autres jugements de valeurs, afin de tenter de rendre compte au mieux de<br />

la réalité <strong>et</strong> de la complexité de notre obj<strong>et</strong> de recherche. Intelligibilité que ne perm<strong>et</strong> pas<br />

toujours les articles écrits dans <strong>des</strong> revues scientifiques qui, au nom d’une pagination de plus<br />

en plus contrôlée, obligent aujourd’hui a toujours plus de concision <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’observation<br />

parcellaire ou unifactoriel de phénomènes sociaux dont l’analyse ne peut pourtant se réduire<br />

de manière similaire aux observations « cliniques » <strong>des</strong> laboratoires <strong>des</strong> sciences dites<br />

« dures ». La troisième est de rendre compte de la manière dont se modifient <strong>et</strong> se déplacent<br />

<strong>des</strong> c<strong>entre</strong>s d’intérêts tout en gardant une unité réflexive mais en bénéficiant aussi, <strong>et</strong> ainsi,<br />

<strong>des</strong> acquis <strong>et</strong> <strong>des</strong> expériences antérieures. Car si notre travail se regroupe sous l’intitulé<br />

générique Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>, il recouvre l’analyse <strong>des</strong> <strong>relations</strong> étroites, subtiles <strong>et</strong><br />

complexes qu’<strong>entre</strong>tiennent, « <strong>sports</strong> » <strong>et</strong> « <strong>violences</strong> » <strong>à</strong> travers le prisme de deux séries de<br />

travaux qui pour être successifs, n’en sont pas moins complémentaires, complétifs <strong>et</strong> parfois<br />

interpénétrés :<br />

- les « <strong>sports</strong> » comme lieu de production ou de manifestation de <strong>violences</strong> <strong>à</strong> travers<br />

une entrée principale de recherche : le hooliganisme,<br />

- <strong>et</strong> les « <strong>sports</strong> » comme moyen d’éducation <strong>et</strong>/ou de prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>à</strong><br />

l’école, dans les cités ou en prison.<br />

Ce qui relie les deux réflexions est bien évidemment la question <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, que nous<br />

écrivons sciemment, nous y reviendrons ultérieurement, de manière plurielle. Mais c’est aussi<br />

une volonté de compréhension <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, dans un but éducatif <strong>et</strong> préventif. En<br />

introduction de notre thèse nous évoquions ainsi la question naïve qui fut <strong>à</strong> l’origine de ce<br />

travail : « Quelles sont les origines de la violence <strong>des</strong> supporters <strong>et</strong> peut-on la prévenir ? »<br />

Ce questionnement de départ <strong>et</strong> l’obj<strong>et</strong> de notre recherche ne sont très certainement pas<br />

étrangers <strong>à</strong> notre vécu professionnel antérieur : celui d’éducateur sportif en club ou <strong>à</strong> haut<br />

niveau. La confrontation aux multiples formes de <strong>violences</strong>, qui peuvent prendre corps <strong>et</strong> sens<br />

dans le champ sportif, était alors notre lot quotidien. Ce n’est pourtant pas notre praxis que<br />

nous avons cherché <strong>à</strong> interroger, mais vraisemblablement l’écart <strong>entre</strong> les aspects laudatifs, si<br />

souvent mis en avant pour parler du « sport », <strong>et</strong> qui avaient motivé notre engagement dans<br />

celui-ci, <strong>et</strong> la réalité sociale d’un phénomène qui s’avère plus complexe que ne le laissent<br />

supposer les croyances collectives.<br />

Notre propos visera donc tout d’abord <strong>à</strong> présenter ce parcours professionnel fait<br />

d’étonnements, de confrontations aux multiples formes de <strong>violences</strong> mais aussi de rencontres,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 4


Introduction<br />

qui ont orienté le choix de notre suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> la construction de c<strong>et</strong>te recherche, <strong>et</strong> sans lesquels les<br />

options théoriques <strong>et</strong> méthodologiques auraient très certainement été différentes (chapitre 1).<br />

En choisissant le hooliganisme comme prime entrée dans les <strong>relations</strong> qu’<strong>entre</strong>tiennent Sports<br />

<strong>et</strong> Violences, l’analyse de la construction sociale <strong>et</strong> scientifique de notre obj<strong>et</strong> de recherche<br />

(chapitre 2) nous a confronté <strong>à</strong> trois problèmes essentiels. Le premier est celui de la<br />

méthodologie employée par les sociologues anglo-saxons pour rendre compte <strong>des</strong> actes<br />

hooligans. En lieu <strong>et</strong> place d’enquêtes de terrains l’utilisation <strong>des</strong> statistiques officielles a<br />

largement contribué <strong>à</strong> une vision surdéterminée de c<strong>et</strong>te question. Le second est celui de la<br />

définition trop restrictive du hooliganisme, limitée aux seules <strong>violences</strong> physiques <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong>tructions de biens <strong>et</strong> matériels. Les travaux d’Elias n’échappent pas <strong>à</strong> la règle. Le troisième<br />

est l’absence de comparaison. Celle-ci est bien évidemment conditionnée par les problèmes<br />

précédents. Si les chercheurs ont essayé d’identifier les hooligans en tentant de répondre <strong>à</strong> la<br />

question « qui comm<strong>et</strong> les actes hooligans <strong>et</strong> pourquoi ? », peu ont essayé de répondre <strong>à</strong> la<br />

question de savoir « comment <strong>des</strong> individus, parfois ordinaires <strong>et</strong> insérés socialement, en<br />

arrivent <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre pareils méfaits alors que d’autres n’y participent pas ? » <strong>et</strong> surtout<br />

« pourquoi le hooliganisme concerne essentiellement le football ? ». Cherchant <strong>à</strong> dépasser<br />

c<strong>et</strong>te approche causale-probabiliste, nous avons, en optant pour une définition plus large de la<br />

violence, plurivoque, non restreinte <strong>à</strong> la seule violence physique <strong>et</strong> surtout socialement<br />

construite, été amené <strong>à</strong> nous interroger sur le sens <strong>et</strong> les finalités du hooliganisme en opérant<br />

un triple choix : de comparaison <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de supportérisme dans <strong>des</strong> <strong>sports</strong> distincts,<br />

d’utilisation d’enquêtes de terrains en recourant <strong>à</strong> <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> variées (questionnaires,<br />

observations, observations participantes, <strong>entre</strong>tiens, recueil de données diverses, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> en<br />

adoptant, principalement, mais pas seulement, les modèles (inter)actionnistes pour rendre<br />

compte de ces <strong>violences</strong>. La raison en est simple : choisir d’aborder un phénomène sous un<br />

angle plutôt qu’un autre c’est inévitablement s’en voiler <strong>et</strong> se priver d’un autre éclairage,<br />

faisant nôtres les propos de Touraine (1986, 139) pour qui « aucune réalité sociale concrète ne<br />

correspond jamais entièrement <strong>à</strong> un type sociologique », invitant les chercheurs <strong>à</strong> construire<br />

leur obj<strong>et</strong> de multiples manières pour bénéficier d’éclairages complémentaires. Malgré la<br />

multiplication <strong>des</strong> enquêtes <strong>et</strong> une augmentation très importante du nombre de personnes<br />

questionnées ou interviewées un résultat reste cependant troublant : celui de la permanence de<br />

la construction typologique <strong>des</strong> supporters mise en évidence dès 1998 dans notre thèse.<br />

Les données quantitatives fournies dans le chapitre suivant (chapitre 3) font par contre<br />

apparaître, parfois, d’importantes différences que ce soit en terme de résultats ou<br />

d’interprétation, par rapport aux analyses fournies dans notre thèse. Mais comment pourrait-il<br />

en être autrement ? L’affinement <strong>des</strong> analyses ne résulte pas seulement du recul pris ou <strong>des</strong><br />

connaissances supplémentaires accumulées durant les 6 dernières années. La multiplication<br />

<strong>des</strong> terrains ainsi que le nombre de questionnaires recueillis (passant de 2 402 <strong>à</strong> 14 867)<br />

entraînent obligatoirement, <strong>et</strong> heureusement, <strong>des</strong> remises en cause. Sans rem<strong>et</strong>tre en question<br />

le poids <strong>des</strong> conditions socio-économiques dans l’apparition du hooliganisme, ces choix<br />

théoriques <strong>et</strong> méthodologiques nous ont permis, durant ces dernières années, d’affiner, ou de<br />

faire émerger, d’autres aspects comme la précellence de l’âge, les aspects culturels, les<br />

logiques d’acteurs, les carrières déviantes, la place <strong>des</strong> femmes dans les <strong>violences</strong>,<br />

l’importance <strong>des</strong> idéologies politiques, rôles <strong>des</strong> dirigeants sportifs, <strong>et</strong>c., qui rendent compte,<br />

de manière plus dynamique <strong>et</strong> plus complexe, de l’apparition <strong>des</strong> actes hooligans.<br />

Ces premiers résultats nous ont finalement, <strong>et</strong> tout simplement, confronté <strong>à</strong> la réalité du métier<br />

de chercheur dans sa relation aux « politiques », <strong>à</strong> tous les sens du terme, en nous amenant <strong>à</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 5


Introduction<br />

nous demander « <strong>à</strong> quoi sert la recherche ? » « de l’utilité ou non de la recherche ? » face aux<br />

intérêts tantôt convergents <strong>et</strong> tantôt divergents auxquels nous avons été confrontés.<br />

C<strong>et</strong>te phase de remise en question fut finalement faste car elle nous a permis tout <strong>à</strong> la fois<br />

d’étendre nos travaux en Europe (Conseil de l’Europe, Espagne), d’établir <strong>des</strong> collaborations<br />

(Russie, Italie), d’investir de nouvelles formes de <strong>violences</strong> dans le sport (le dopage,<br />

l’homophobie) avant d’ouvrir un nouvel obj<strong>et</strong> de recherche : le sport comme moyen de<br />

prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> (le « sport » comme moyen de d’insertion <strong>et</strong> de socialisation pour les<br />

jeunes <strong>des</strong> cités ; le sport « instrumentalisé » pour s’insérer <strong>et</strong> s’intégrer ; les <strong>relations</strong><br />

complexes, étroites, mais également ambiguës qu’<strong>entre</strong>tient la discipline EPS <strong>et</strong> les <strong>violences</strong><br />

au point d’en faire, peut-être une discipline « <strong>à</strong> part » ; la pratique <strong>des</strong> APS en milieu<br />

carcéral). C<strong>et</strong>te diversification <strong>des</strong> recherches, nécessitée en partie par le temps, m<strong>et</strong> aussi, <strong>et</strong><br />

surtout, en évidence une autre fac<strong>et</strong>te du métier de chercheur, celui de la constitution d’un<br />

réseau relationnel autour d’un savoir qui se construit, se cumule <strong>et</strong> se transforme (chapitre 4).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 6


Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

Un parcours sous influences ?<br />

Sans nous appesantir trop longuement sur notre parcours personnel <strong>et</strong> professionnel antérieur<br />

il nous a semblé nécessaire de montrer la manière dont notre « histoire de vie » avait<br />

indubitablement influencé le choix <strong>et</strong> la construction de notre obj<strong>et</strong> de recherche. Quelques<br />

dangers gu<strong>et</strong>tent cependant c<strong>et</strong>te r<strong>et</strong>ranscription. Celui tout d’abord de « l’inclination <strong>à</strong> se<br />

faire l’idéologue de sa propre vie sélectionnant en fonction d’une intention globale certains<br />

événements significatifs <strong>et</strong> en établissant <strong>entre</strong> eux <strong>des</strong> connexions propres <strong>à</strong> leur donner<br />

cohérence » (Bourdieu, 1986, 69). Celui aussi de la tentation hagiographique. Mais force est<br />

de constater, détournant ainsi ces critiques potentielles, que notre recherche est probablement<br />

tout <strong>à</strong> la fois le fruit d’interrogations naïves, de praenotiones vulgares (Durkheim, 1895) dont<br />

il faudra progressivement se débarrasser, de rencontres qui ont influencé nos choix, mais aussi<br />

<strong>et</strong> surtout s’inscrit dans un proj<strong>et</strong> qui articule passé, présent <strong>et</strong> avenir reprenant en cela la<br />

méthode progressive-régressive proposée par Sartre (1960) pour rendre compte de la praxis<br />

humaine.<br />

Expériences <strong>et</strong> observations inaugurales<br />

Notre première confrontation <strong>à</strong> la violence 1 se fit en 1979, lorsque <strong>à</strong> l’issue d’une rencontre<br />

par équipes de Nationale 2 condamnant nos adversaires <strong>à</strong> la <strong>des</strong>cente en division inférieure,<br />

une échauffourée éclata <strong>entre</strong> les quelques spectateurs présents, ainsi qu’avec certains joueurs.<br />

Empoignade rapidement circonscrite mais qui d’un coup bousculait les idées préconçues qui<br />

avaient prévalu <strong>à</strong> notre adhésion sportive. La surprise était d’autant plus grande que ce sport,<br />

le tennis de table, n’est pas le théâtre habituel de ce type de comportement. Faisant nôtres les<br />

propos de Bourdieu (1982) on peut légitimement affirmer que la composition sociale de ses<br />

pratiquants <strong>et</strong> spectateurs, la forme convenue <strong>et</strong> consensuelle qui entoure généralement sa<br />

pratique <strong>et</strong> la mise <strong>à</strong> distance <strong>des</strong> adversaires génèrent <strong>des</strong> rencontres habituellement<br />

empreintes de r<strong>et</strong>enue <strong>et</strong> de convivialité. Nous ne m<strong>et</strong>tions alors ni mot, ni sens, pour<br />

qualifier c<strong>et</strong>te violence que nous envisagions sous l’unique angle d’une déception non<br />

contenue. Il n’était nullement question de précellence d’une catégorie d’âge plutôt qu’une<br />

autre, de déterminisme social, de « frustration relative » ou de bien d’autres facteurs<br />

explicatifs.<br />

La seconde confrontation est plus édulcorée. Après <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> universitaires en gestion <strong>et</strong> en<br />

droit qui devaient logiquement nous conduire <strong>à</strong> devenir expert-comptable, nous rompons avec<br />

les aspirations <strong>et</strong> traditions familiales pour nous investir totalement, <strong>à</strong> partir de 1980, de<br />

manière successive, ou conjointe parfois, en tant qu’éducateur sportif, Conseiller Technique<br />

Régional, Capitaine d’équipes de France jeunes <strong>et</strong> Responsable fédéral de la formation <strong>des</strong><br />

cadres dans le champ du tennis de table. Ce choix était passionnel. Il correspondait <strong>à</strong> la<br />

poursuite de notre carrière d’athlète sous une autre forme : la transmission <strong>des</strong> savoirs <strong>et</strong><br />

l’éducation (sportive) de jeunes. En 1984, une joueuse, qui s’entraînait sous notre direction<br />

hors structure fédérale, au Club Athlétique Municipal de la ville de Bordeaux réalisait une<br />

saison exceptionnelle. Elle se classait régulièrement <strong>entre</strong> la première <strong>et</strong> la troisième place <strong>des</strong><br />

différentes compétitions individuelles. Alors que ses performances, au vu <strong>des</strong> critères définis<br />

<strong>et</strong> énoncés par la fédération auraient dû logiquement l’amener <strong>à</strong> être qualifiée dans nombre de<br />

1 Au sens générique du terme pour préserver l’esprit naïf <strong>et</strong> la surprise qui ont prévalu <strong>à</strong> c<strong>et</strong> événement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 7


Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

sorties internationales, régulièrement, sous les prétextes les plus fallacieux 2 , elle était écartée<br />

<strong>des</strong> sélections <strong>à</strong> venir. L<strong>à</strong> encore, loin d’interpréter conceptuellement c<strong>et</strong>te exclusion comme<br />

une forme de violence <strong>et</strong>/ou de disqualification sociale (Paugam, 1991 ; 1996) avec toute la<br />

complexité <strong>et</strong> les enjeux, économiques, politiques <strong>et</strong> sportifs, liés au sport de haut niveau,<br />

l’analyse se limitait <strong>à</strong> une simple <strong>et</strong> inexplicable injustice.<br />

Il serait possible de continuer ainsi une longue litanie <strong>des</strong> différentes formes de <strong>violences</strong>,<br />

auxquelles c<strong>et</strong> investissement professionnel <strong>à</strong> <strong>des</strong> niveaux très différents (local, régional,<br />

national <strong>et</strong> international) nous a progressivement confrontés : injustices, exclusion, dopage,<br />

malversation de dirigeants, <strong>violences</strong> physiques, morales, symboliques, <strong>et</strong> bien d’autres<br />

encore, ébranlant progressivement les certitu<strong>des</strong> de notre rapport originel au sport : comme<br />

lieu privilégié de convivialité <strong>et</strong> laboratoire de sociabilité (Jeu, 1987).<br />

Le drame du Heysel 3 va renforcer ce sentiment d’un sport porteur, d’autres valeurs, moins<br />

laudatives, plus « négatives » ou, tout au moins, de certains dysfonctionnements. En<br />

préambule de la finale de coupe d’Europe <strong>des</strong> clubs champions qui oppose Liverpool (déj<strong>à</strong><br />

vainqueur de l’édition 1984) <strong>à</strong> la Juventus de Turin (qui remportera ce match) 31 personnes<br />

trouvent la mort. C<strong>et</strong>te tragédie est r<strong>et</strong>ransmise en direct <strong>à</strong> la télévision. Les commentaires <strong>des</strong><br />

journalistes insistent sur la monstruosité <strong>des</strong> hooligans anglais <strong>à</strong> l’origine, selon eux, <strong>des</strong><br />

événements. Le Heysel n’est pourtant pas l’archétype, mais nous ne le saurons que beaucoup<br />

plus tard en nous intéressant <strong>à</strong> la construction sociale de c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> de recherche, <strong>des</strong> actes de<br />

hooliganisme mais, bien davantage, un défaut de la sécurité passive du stade. C<strong>et</strong> événement<br />

interpelle l’éducateur au plus profond de ses convictions. Est-ce cela le sport ? Est-ce le sport<br />

qui génère autant de violence ? C<strong>et</strong>te violence est-elle le fait de sportifs ? « Mes » jeunes<br />

auraient-ils pu participer <strong>à</strong> pareils actes ? Et bien d’autres questions encore.<br />

Rencontres, hasards <strong>et</strong> opportunités<br />

A c<strong>et</strong>te époque un dirigeant atypique marque le tennis de table français : Bernard Jeu. Il<br />

deviendra ultérieurement, <strong>entre</strong> autres responsabilités universitaires <strong>et</strong> sportives, président de<br />

la fédération. C’est dans les déplacements internationaux, auxquels il participe, que nous est<br />

donnée pour la première fois l’occasion d’un « philosophé » de l’obj<strong>et</strong> en discutant avec lui,<br />

<strong>des</strong> exactions <strong>et</strong> dérives qui marquent l’univers sportif, mais aussi, d’aborder, grâce <strong>à</strong> ses<br />

réponses <strong>et</strong> <strong>à</strong> ses conseils en matière de lecture, de manière moins naïve, l’analyse du sport.<br />

Commence alors un long vagabondage intellectuel <strong>à</strong> travers une lecture nomade de différents<br />

écrits relatifs aux <strong>violences</strong> exercées dans, par <strong>et</strong> <strong>à</strong> travers le sport. La finalité n’est pas la<br />

recherche. Nous n’y songeons même pas. Il s’agit tout simplement d’une soif d’apprendre <strong>et</strong><br />

de comprendre une réalité sociale, la sphère sportive, qui s’avérait plus complexe que nous<br />

pouvions l’imaginer en tant que pratiquant ou éducateur <strong>et</strong> ce, <strong>à</strong> quelque niveau que ce soit.<br />

Ce vagabondage intellectuel nous entraîne, <strong>entre</strong> autres, <strong>des</strong> écrits philosophiques (Jeu, 1975,<br />

1977, 1992 ; Vigarello, 1985), historiques (Thomas, 1991 ; Vigarello, 1988) <strong>à</strong> la sociologie,<br />

dont nous ne savons pas encore qu’elle peut-être « culturaliste », « déterministe » ou<br />

« critique » (Pociello, 1981 ; Bourdieu, 1984 ; Brohm, 1992, 1993).<br />

2 On peut citer comme exemple, un courrier reçu de l’entraîneur national <strong>des</strong> féminines de l’époque, lui<br />

annonçant sa non sélection pour un stage en Chine sous le prétexte que compte tenu de ses problèmes de santé<br />

antérieurs, « elle ne supporterait pas la cuisine chinoise <strong>et</strong> le décalage horaire ».<br />

3 A Bruxelles dénommé aujourd’hui stade Baudouin, effaçant ainsi la mémoire collective les dernières traces de<br />

ce drame.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 8


Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

A la même époque, investi passionnellement dans le tennis de table, grisé par les résultats<br />

nationaux <strong>et</strong> internationaux, acquis par les joueurs dont nous avions la charge, nous en avions<br />

oublié l’essentiel peut-être : l’acquisition d’un statut. Quatorze années étaient passées en tant<br />

qu’entraîneur professionnel contractuel de clubs, de régions ou de la fédération. La<br />

législation, relative au recrutement par le Ministère de la Jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> Sports, avait changé<br />

en 1981. Nous étions atteint par la limite d’âge du concours de « professeur de sport ».<br />

L’évolution de notre carrière <strong>et</strong> l’opportunité d’envisager d’autres postes semblaient<br />

compromises. A l’utopie méritocratique, le travail <strong>et</strong> les résultats acquis seront récompensés,<br />

dans lequel nous évoluions, se substituait la nécessité de faire autre chose : dans ou en dehors<br />

du sport. Si l’expérience acquise, dans le management humain ou la gestion sportive, <strong>et</strong> les<br />

diplômes universitaires antérieurs 4 pouvaient éventuellement perm<strong>et</strong>tre une reconversion nos<br />

diplômes dataient quelque peu pour briguer un poste de directeur <strong>des</strong> <strong>sports</strong> d’une collectivité<br />

locale ou territoriale, voire de directeur du personnel d’une <strong>entre</strong>prise. Le r<strong>et</strong>our <strong>à</strong> l’université<br />

s’imposait pour actualiser tout <strong>à</strong> la fois connaissances <strong>et</strong> diplômes. Il n’existait pas alors de<br />

passerelles <strong>entre</strong> ces derniers <strong>et</strong> d’autres filières. L’UFR Staps de Bordeaux 2 nous proposait<br />

de reprendre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> en licence alors que nous souhaitions intégrer la maîtrise<br />

« management ». Il fallait <strong>à</strong> 35 ans accepter de courir, sauter, nager… C’est sur les Sciences<br />

de l’Éducation de Bordeaux 2, qui offrait la même opportunité, que se porta notre choix. Ce<br />

fut pour nous une chance incroyable d’intégrer ce département. Il proposait une diversité<br />

d’enseignements dans <strong>des</strong> domaines excessivement variés qui abordaient les questions<br />

éducatives <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> approches philosophiques, sociologiques <strong>et</strong> politiques. Certains<br />

enseignements étaient entièrement conçus sur <strong>des</strong> recherches en-cours. Ce fut aussi la<br />

rencontre d’enseignants qui ont, sans le savoir <strong>et</strong> sans le chercher, induits, progressivement<br />

nos choix en matière d’obj<strong>et</strong> de recherche mais aussi théoriques <strong>et</strong> méthodologiques : le Pr.<br />

Debarbieux <strong>et</strong> l’analyse <strong>des</strong> phénomènes d’exclusion <strong>et</strong> de violence <strong>à</strong> l’école ; le Pr. Clanché<br />

<strong>et</strong> les cours sur l’interactionnisme symbolique mais également son rapport passionnel au<br />

football qui nous a fait découvrir les travaux de Bromberger ; le Pr. Jeannel <strong>et</strong> les cours sur les<br />

politiques locales. Enfin, la participation dans le cadre de nos « travaux » de maîtrise, <strong>à</strong> la<br />

thèse de Loub<strong>et</strong> sur la « Promotion sociale <strong>à</strong> travers les nouvelles formations d’ingénieur » fut<br />

une formidable opportunité puisque, outre l’encadrement dont nous avons bénéficié, ce fut<br />

l’occasion de participer, <strong>à</strong> la construction d’un obj<strong>et</strong> de recherche <strong>et</strong> <strong>à</strong> sa mise en place sur le<br />

terrain.<br />

Si nous épousons l’idée de Bachelard selon laquelle « l’esprit scientifique doit se former<br />

contre la nature, contre ce qui est en nous <strong>et</strong> hors du nous […] » (1938, 27) obligeant le<br />

chercheur, ou l’apprenti chercheur <strong>à</strong> faire abstraction de ses sensations immédiates <strong>et</strong> de ses<br />

convictions profon<strong>des</strong>, force est de constater que c’est dans ce cadre, <strong>à</strong> travers maintes<br />

expériences <strong>et</strong> rencontres, que s’est développé c<strong>et</strong> intérêt particulier pour la recherche. Même<br />

si nous avons conscience, aujourd’hui, en reconstruisant ce parcours a posteriori, qu’il nous a<br />

fallu peut-être davantage encore que d’autres, lutter pour détruire les « obstacles<br />

épistémologiques » qui dérivaient d’une conception naïve <strong>et</strong> magique du monde (sportif) dont<br />

nous n’avions absolument pas conscience. En eff<strong>et</strong> le lien est évident. Il est tout autant<br />

existentiel qu’anthropologique en ce sens que nous cherchons <strong>à</strong> interroger les comportements<br />

<strong>des</strong> individus, les croyances <strong>et</strong> les institutions d’une société (sportive) dans laquelle nous<br />

étions, nous-mêmes immergé <strong>et</strong> impliqué donc porteur d’idées, préconçues peut-être, de<br />

préjugés <strong>et</strong> de jugements de valeurs dont il faudra se débarrasser pour objectiver la recherche.<br />

4 DUT de finances-comptabilité, licence en droit, licence en psychologie.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 9


Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

Nous étions alors partagé <strong>entre</strong> deux suj<strong>et</strong>s : les politiques sportives en France durant la guerre<br />

froide <strong>et</strong> le hooliganisme sans avoir conscience que le fondement commun était déj<strong>à</strong> les<br />

<strong>relations</strong> qu’<strong>entre</strong>tiennent <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> même si les niveaux d’analyses ne sont pas<br />

comparables. Certains aspects pourtant les rapprochent. L’expression <strong>des</strong> nationalismes<br />

constitue <strong>à</strong> c<strong>et</strong> égard une grille de lecture de première importance. Car, en raison de la forte<br />

charge symbolique <strong>et</strong> identitaire véhiculée par le sport, <strong>et</strong> pas seulement par le football,<br />

l’espace sportif peut devenir rapidement le lieu d’affrontements violents, comme le montrent<br />

les bagarres qui, lors de la finale du championnat d’Europe de water-polo le 15 juin 2003, ont<br />

opposé les supporters croates <strong>à</strong> ceux de la Serbie-Monténégro. Ils sont un exemple du<br />

mélange complexe <strong>entre</strong> politique <strong>et</strong> sport. Lors de c<strong>et</strong>te finale, les supporters croates ont<br />

lancé <strong>des</strong> insultes anti-serbes qui ont entraîné <strong>des</strong> <strong>violences</strong> que rarement <strong>des</strong> <strong>sports</strong> autres que<br />

le football avaient connues : j<strong>et</strong>s de bouteilles, affrontements avec <strong>des</strong> barres de fer, attaques<br />

<strong>des</strong> supporters adverses avec <strong>des</strong> fusées de détresse, <strong>et</strong>c. Les conflits <strong>et</strong>hniques peuvent ainsi<br />

perdurer <strong>et</strong> prolonger la guerre dans le sport qui devient un terrain idéal pour la construction<br />

ou le renforcement <strong>des</strong> identités nationales (Grubisa, 2003). Le sport est aussi le refl<strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

tensions politiques existantes qui trouvent corps, sens <strong>et</strong> expression <strong>à</strong> travers un supportérisme<br />

exacerbé <strong>et</strong> chauvin conduisant au nationalisme ou l’accompagnant . « Ce cas montre bien de<br />

quelle manière ce n’est plus seulement la violence politique qui investit le sport, mais<br />

également la violence sportive, qui contamine le champ politique au fur <strong>et</strong> <strong>à</strong> mesure que les<br />

acteurs donnent au sport une importance accrue <strong>et</strong> que l’enjeu de la victoire se pare d’une<br />

charge symbolique surdéterminée que les contentieux ancrés dans le passé conflictuel<br />

contaminent sévèrement » (Bodin, <strong>et</strong> al., 2004, 62).<br />

Deux faits vont influencer définitivement la genèse de c<strong>et</strong>te recherche par l’entrée principale<br />

du hooliganisme. Le premier sera médiatique de nouveau. Le 28 août 1993, la télévision<br />

r<strong>et</strong>ransm<strong>et</strong> en direct les violents affrontements <strong>entre</strong> policiers <strong>et</strong> supporters dans la tribune<br />

« Boulogne 5 » lors du match opposant le Paris Saint Germain (PSG) <strong>à</strong> Caen. Plusieurs<br />

policiers se font lyncher par la foule. Ces nouvelles exactions changent la donne, <strong>et</strong><br />

interpellent, car le hooliganisme n’est plus un obj<strong>et</strong> spatialement <strong>et</strong> culturellement éloigné. Il<br />

n’est plus le fait <strong>des</strong> seuls anglo-saxons. Il peut nous toucher directement. Le second<br />

concernera un ami. Le 11 juin 1995, lors d’une mo<strong>des</strong>te finale de division d’honneur de<br />

rugby, opposant Castelnau-Magnoac <strong>à</strong> Nissan, M. L., arbitre de la rencontre, est agressé avec<br />

une rare violence par les joueurs, les dirigeants <strong>et</strong> quelques spectateurs au point de se voir<br />

octroyer 80 % d’incapacité permanente.<br />

Mais ce sont aussi les aspects humaniste <strong>et</strong> éducatif qui ont prévalu au choix du second suj<strong>et</strong><br />

abordé pour la première fois <strong>à</strong> l’occasion d’une « p<strong>et</strong>ite note de recherche de maîtrise » puis,<br />

en DEA <strong>à</strong> travers « l’analyse <strong>des</strong> représentations sociales en matière de hooliganisme » que<br />

pouvaient avoir <strong>des</strong> individus agrégés en groupes homogènes (policiers, journalistes, délégués<br />

<strong>à</strong> la sécurité de clubs de football de première division, joueurs, supporters, arbitres, dirigeants<br />

de clubs). La poursuite de ce travail en thèse se fit en Staps avec le Pr. Menaut. On ne peut<br />

que louer l’honnêt<strong>et</strong>é <strong>et</strong> la clairvoyance <strong>des</strong> enseignants précités qui m’ont incité <strong>à</strong> poursuivre<br />

c<strong>et</strong>te recherche, avec leur aide, en étant toujours un chercheur associé au Larsef, mais dans<br />

une autre UFR dont le sport était l’obj<strong>et</strong> d’étude central.<br />

C<strong>et</strong>te recherche sur <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>, en débutant par un suj<strong>et</strong> particulier, le hooliganisme,<br />

s’inscrit dans la durée. Si elle a démarré très tôt, en maîtrise, elle perdure depuis maintenant<br />

10 ans. Cependant plus intéressant est de constater que le travail, fourni initialement, s’avéra<br />

5 Le virage sud du parc <strong>des</strong> princes <strong>à</strong> Paris.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 10


Chapitre 1. Un parcours sous influences ?<br />

fondamental dans le développement ultérieur de c<strong>et</strong>te recherche : en servant tout d’abord de<br />

pré-enquête au travail de thèse, en perm<strong>et</strong>tant ensuite l’élaboration <strong>des</strong> outils<br />

d’investigations utilisés ultérieurement (questionnaires, grilles d’<strong>entre</strong>tiens, grilles<br />

d’observation), en aidant également <strong>à</strong> construire très tôt un réseau relationnel très important<br />

(chercheurs, responsables sportifs, joueurs, policiers, élus fédéraux, <strong>et</strong> bien d’autres), en<br />

facilitant enfin une revue de questions pour le développement actuel de nos recherches<br />

concernant la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> par le sport. Il fut aussi initiatique de bien <strong>des</strong><br />

manières : effort de rationalité <strong>et</strong> de construction <strong>à</strong> fournir, animation d’une équipe de<br />

recherche composée conjointement d’étudiants <strong>des</strong> Sciences de l’Éducation <strong>et</strong> <strong>des</strong> Staps,<br />

immersion dans <strong>des</strong> groupes déviants, confrontation/collaboration aux tenants du pouvoir<br />

politique sportif, confrontation/collaboration également aux autres chercheurs. Nous ne<br />

développerons pas ici ces points particuliers. Le premier sera finalement la trame continue <strong>des</strong><br />

chapitres suivants. Les autres seront abordés respectivement dans les chapitres consacrés aux<br />

choix méthodologiques induits par l’analyse de la construction sociale de notre obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> dans<br />

celui consacré <strong>à</strong> la réorientation de notre obj<strong>et</strong> de recherche, en tentant de monter comment un<br />

obj<strong>et</strong>, au-del<strong>à</strong> <strong>des</strong> exigences de rationalité <strong>et</strong> d’objectivité nécessaire <strong>à</strong> toute démarche <strong>et</strong><br />

méthode scientifique, peut se construire également en interaction <strong>et</strong> dialectique avec d’autres<br />

acteurs.<br />

Reconstruire <strong>et</strong> recontextualiser un parcours de recherche, son cheminement, ses errements,<br />

c’est aussi, bien au-del<strong>à</strong> de « l’inclination [possible] <strong>à</strong> se faire l’idéologue de sa propre vie »<br />

reconnaître la d<strong>et</strong>te ineffaçable que l’on a. C’est également lever une première utopie : celle<br />

d’un chercheur <strong>et</strong> d’une recherche construits solitairement. Quel plaisir en eff<strong>et</strong>, d’évoquer les<br />

étapes marquantes, quelques obstacles parmi d’autres <strong>et</strong> se remémorer ceux qui ont jalonné ce<br />

parcours <strong>et</strong> orienté c<strong>et</strong>te recherche sans lesquels son développement n’aurait pas été identique.<br />

S’il fallait <strong>à</strong> ce stade r<strong>et</strong>irer deux enseignements essentiels de la genèse de c<strong>et</strong>te recherche<br />

c’est tout d’abord qu’<strong>à</strong> l’illusion d’un chercheur élaborant seul une recherche se substitue une<br />

réalité plus complexe qui m<strong>et</strong> en évidence un processus social fait d’influences, de<br />

collaboration, de dialectique <strong>et</strong> parfois d’opposition. C’est également la découverte,<br />

probablement comme tout chercheur débutant, qu’une recherche ne fait que suivre <strong>et</strong><br />

compléter <strong>des</strong> voies ouvertes <strong>et</strong> tracées par d’autres.<br />

Il nous semble néanmoins que nos travaux ont contribué <strong>à</strong> comprendre ces phénomènes de<br />

<strong>violences</strong> en analysant <strong>et</strong> critiquant la construction sociale de l’obj<strong>et</strong> reposant tout <strong>à</strong> la fois sur<br />

un paradigme dominant <strong>et</strong> sur <strong>des</strong> données officielles, en montrant pourquoi le football était<br />

davantage concerné que les autres <strong>sports</strong>, <strong>et</strong> en analysant surtout le hooliganisme dans la<br />

complexité sociale <strong>des</strong> interactions, <strong>à</strong> partir d’une définition large de la violence, <strong>des</strong><br />

différents participants au spectacle sportif <strong>et</strong> enfin, <strong>à</strong> travers l’exemple situé du hooliganisme<br />

que le sport, au sens générique du terme, n’était pas éducatif, socialisant, intégrant ou insérant<br />

en lui-même, il dépend <strong>des</strong> valeurs, <strong>des</strong> modalités <strong>et</strong> du contexte mis en œuvre. Autant de<br />

points que nous allons aborder maintenant.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 11


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong> : contribution <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong> de recherche <strong>à</strong><br />

partir de la question du hooliganisme.<br />

L’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> existantes <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> n’est pas un obj<strong>et</strong> nouveau en soi <strong>et</strong><br />

ce quel que soit le champ disciplinaire utilisé pour en rendre compte ou l’angle<br />

d’attaque choisi : le sport comme lieu de production de <strong>violences</strong> ou moyen de contrôle <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong>. Vigarello rappelle d’ailleurs « qu’une violence diffuse ou directement tangible<br />

traverse en permanence l’univers sportif ne fait aucun doute » (2001, 7). Il s’agit même<br />

probablement d’une entrée privilégiée pour comprendre les enjeux qui traversent la sphère<br />

sportive au point de se poser parfois la question de savoir si le sport n’est que <strong>violences</strong> ou s’il<br />

est autre chose que <strong>violences</strong> ? (Bodin, 2001a, 201). La violence semble accompagner de<br />

manière continue les jeux antiques, les pratiques corporelles <strong>à</strong> différentes époques ou les<br />

<strong>sports</strong> modernes offrant une sorte d’arrête dorsale privilégiée <strong>à</strong> leurs analyses <strong>et</strong><br />

comparaisons.<br />

Au-del<strong>à</strong> <strong>des</strong> aspects historiques sur la genèse <strong>et</strong> le fonctionnement du sport moderne, notre<br />

recherche s’est heurtée <strong>à</strong> un double problème définitionnel <strong>à</strong> articuler logiquement. De quel<br />

sport parlerons-nous ? Mais aussi de quelles <strong>violences</strong> ? La question du sport était somme<br />

toute relativement aisée <strong>à</strong> dépasser, comparativement <strong>à</strong> celle de la violence, dès lors<br />

qu’inscrivant ce travail dans la contemporanéité, c’est <strong>à</strong> sa fonction, usuellement attribuée <strong>et</strong><br />

reconnue de participer <strong>à</strong> l’euphémisation de la violence, qu’il faudrait s’intéresser en premier<br />

lieu. Qui plus est la majorité <strong>des</strong> chercheurs, aujourd’hui, s’accorde <strong>à</strong> séparer n<strong>et</strong>tement jeux<br />

anciens <strong>et</strong> <strong>sports</strong> modernes, ces derniers n’étant pas le continuum <strong>des</strong> premiers malgré<br />

l’impression de similitu<strong>des</strong> qu’ils offrent parfois. La question de la violence s’avère en fait<br />

infiniment plus complexe. La tentation aurait pu être grande de définir a priori le<br />

hooliganisme <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> quelques définitions implicites, ou explicites, qui entourent c<strong>et</strong>te<br />

notion. Les imperfections sont cependant telles, qu’il eût été dangereux d’en choisir une,<br />

plutôt qu’une autre, sans observer <strong>à</strong> l’image <strong>des</strong> travaux de Chamboredon (1971) sur la<br />

délinquance juvénile, la manière dont se construisent les faits sociaux que sont le<br />

hooliganisme <strong>et</strong> les hooligans car, « nous ne savons pas a priori quelles idées sont <strong>à</strong> l’origine<br />

<strong>des</strong> divers courants <strong>entre</strong> lesquels se partage la vie sociale […] (Durkheim, op. cit. 28). Il nous<br />

a donc fallu en tout premier lieu, en ce qui concerne c<strong>et</strong>te forme particulière de violence<br />

qu’est le hooliganisme, examiner le contexte culturel, économique, politique <strong>et</strong> social dans<br />

lequel ces analyses s’inscrivent tout autant que les catégorisations énoncées <strong>et</strong> avancées.<br />

Où il est question de sport<br />

« Sport » est employé ici au sens générique du terme. En donner une définition s’avère, de<br />

prime abord, d’autant plus difficile qu’il est complexe <strong>et</strong> plurivoque par nature. Il est tout<br />

d’abord le refl<strong>et</strong> du fonctionnement social <strong>et</strong> culturel <strong>des</strong> sociétés dans lesquels il s’inscrit 11 .<br />

Elias considérait ainsi que « la connaissance du sport était la clef de la connaissance de la<br />

société » (1986, 25). De nombreux auteurs évoquent ainsi la « difficile définition du sport »<br />

(Brohm, 1976, Thomas, 1991) d’autant que cela « semble relever d’un pari intenable, tant les<br />

pratiques sont bigarrées <strong>et</strong> les frontières incertaines » (Bromberger, 1995, 9). La difficulté est<br />

également étymologique. Au sens originel <strong>et</strong> latin du terme : definire, définir, c’est déterminer<br />

11 La lente <strong>et</strong> laborieuse féminisation <strong>des</strong> pratiques sportives en est un exemple. Louveau (1986) Arnaud, Terr<strong>et</strong><br />

(1996) montrent qu’elle accompagne la transformation de la société, la libération de la femme <strong>et</strong> la décrispation<br />

du rapport au corps.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 12


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

le finis, en fixer la fin, les limites (temporelles, structurelles <strong>et</strong> pratiques) mais aussi les buts<br />

ou les fonctions (sanitaires, éducatives, politiques…). Le sport est-il c<strong>et</strong> ensemble de pratiques<br />

physiques <strong>et</strong> corporelles, codifiées, réglementées, organisées par les fédérations nationales <strong>et</strong><br />

internationales ? Se limite-t-il <strong>à</strong> la compétition ou peut-on inclure dans sa définition les<br />

pratiques privées liées dans nos sociétés contemporaines au culte du corps ? A quel moment le<br />

sport est-il devenu « sport » ? Les activités sportives s’inscrivent-elles dans le continuum <strong>des</strong><br />

jeux <strong>et</strong> <strong>des</strong> pratiques corporelles en vigueur depuis l’époque antique jusqu’<strong>à</strong> nos jours,<br />

incluant ainsi les divers jeux de la Grèce antique mais également la soule, les tournois <strong>et</strong> les<br />

joutes du Moyen Age ? Ou bien existe-t-il une rupture temporelle qui marque l’avènement du<br />

sport moderne ? La gymnastique pratiquée en France <strong>à</strong> la fin du XIX e est-elle un sport ou une<br />

simple préparation du corps <strong>et</strong> <strong>des</strong> âmes <strong>à</strong> la guerre <strong>et</strong> <strong>à</strong> la revanche sur la Prusse ? Les jeux <strong>et</strong><br />

les activités que les jeunes <strong>des</strong> banlieues pratiquent au cœur <strong>des</strong> cités <strong>et</strong> au pied <strong>des</strong><br />

immeubles sont-ils <strong>des</strong> <strong>sports</strong> ou de simples activités physiques ou ludiques ? Le terme de<br />

sport comprend ainsi <strong>des</strong> praxis sportives qui peuvent cependant être différenciées en fonction<br />

<strong>des</strong> modalités, <strong>des</strong> valeurs recherchées <strong>et</strong> objectivées, du temps consacré <strong>à</strong> la pratique <strong>et</strong> de<br />

bien d’autres critères encore. On parlera alors de sport de haut niveau, de sport de<br />

compétition, d’activités physiques, sportives <strong>et</strong> artistiques [APSA], d’Éducation Physique <strong>et</strong><br />

Sportive [EPS], de sport « loisir », terme trop souvent galvaudé, comme si les<br />

« compétiteurs » ne recherchaient pas un loisir dans la pratique sportive ou inversement, de<br />

sport de rue, <strong>et</strong>c. Quelques définitions, comme celle de Coubertin, ont pourtant traversé le<br />

temps. Toutes insistent, <strong>et</strong> se conc<strong>entre</strong>nt, sur la notion d’effort. Pour Coubertin, le sport était<br />

« le culte volontaire <strong>et</strong> habituel de l’exercice musculaire intensif incité par le désir du progrès<br />

<strong>et</strong> ne craignant pas d’aller jusqu’au risque » (1972, 7). C<strong>et</strong>te définition, pour intéressante<br />

qu’elle soit, car elle inclut c<strong>et</strong>te notion fondamentale de risque (Le Br<strong>et</strong>on, 1991), au cœur du<br />

développement de certaines pratiques <strong>et</strong> comportements modernes qui bouleversent, <strong>entre</strong><br />

autres, la question de la « violence maîtrisée », insiste sur l’effort physique <strong>et</strong> psychologique<br />

sans le replacer dans les enjeux économiques, politiques <strong>et</strong> sociaux. Peut-on d’ailleurs r<strong>et</strong>enir<br />

c<strong>et</strong>te définition lorsque son auteur, en dehors de son apport capital dans l’organisation <strong>des</strong><br />

<strong>sports</strong> modernes <strong>et</strong> la réorganisation <strong>des</strong> jeux olympiques, était aussi celui qui cautionnait une<br />

violence morale, symbolique <strong>et</strong> de domination, en réservant les jeux aux seuls mâles de race<br />

blanche ? Certes, ce discours était celui d’une époque <strong>et</strong> d’un contexte culturel, scientifique <strong>et</strong><br />

social ou les femmes n’avaient pas encore, réellement, amorcé leur lente <strong>et</strong> difficile libération.<br />

C<strong>et</strong>te définition exclue également les aspects institutionnels du sport, porteurs de valeurs<br />

politiques, économiques, qui pour positives qu’elles soient, dans l’organisation du système<br />

sportif français <strong>et</strong>/ou international, sont aussi témoins de dérives nationalistes, populistes <strong>et</strong><br />

xénophobes quand le « sport » n’est pas instrumentalisé en appareil d’état, durant la guerre<br />

froide, ou de domination économique.<br />

Au-del<strong>à</strong> <strong>des</strong> aspects sémantiques que recouvre le terme de « sport » notre but est double :<br />

d’une part tenter de saisir ce qui est de longue durée dans c<strong>et</strong>te union – ou c<strong>et</strong>te désunion – du<br />

sport <strong>et</strong> de la violence <strong>et</strong>, d’autre part, observer <strong>et</strong> analyser les connexions étroites <strong>et</strong><br />

complexes qui unissent, dans les <strong>sports</strong> modernes, <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>.<br />

Il ne s’agit pas cependant de faire une histoire du sport <strong>et</strong> de la violence, même si nous avons<br />

eu l’occasion de discuter <strong>à</strong> c<strong>et</strong> égard l’usage abusif que certains hommes politiques font du<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 13


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

sport pour justifier leurs politiques sportives « d’insertion 12 » dans les cités (Bodin,<br />

Debarbieux, 2001). D’autres l’ont fait depuis fort longtemps, mieux que nous ne saurions<br />

probablement le faire nous-mêmes. C<strong>et</strong>te <strong>entre</strong>prise, démesurée <strong>et</strong> vaine, serait de surcroît<br />

méthodologiquement douteuse, supposant une linéarité <strong>des</strong> faits que la plupart <strong>des</strong> historiens<br />

réfutent depuis fort longtemps. Contentons-nous d’observer que dès l’antiquité le rapport <strong>à</strong> la<br />

violence est omniprésent dans ce qui n’est pas encore « le » sport mais seulement <strong>des</strong><br />

pratiques corporelles. Pour certains auteurs, le sport est éternel. Ses formes modernes, <strong>et</strong> a<br />

fortiori ses dérives, ne seraient que l’aboutissement d’un long processus lié aux<br />

transformations culturelles <strong>et</strong> sociales. Dans c<strong>et</strong>te approche <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> tendent <strong>à</strong> se<br />

confondre complètement. Quelques repères suffisent <strong>à</strong> nous le montrer.<br />

Le sport né, dans la Grèce antique, de la violence, <strong>des</strong> rites archaïques <strong>et</strong> de la guerre, servait<br />

d’abord <strong>à</strong> marquer <strong>et</strong> rythmer les rites de passage <strong>et</strong> les moments importants de la vie sociale.<br />

Cérémonies païennes <strong>et</strong> joutes sportives se confondaient alors pour mieux honorer <strong>et</strong><br />

conforter la puissance de la cité, de ses héros ou de ses alliés (Jeu, 1975). Les jeux antiques<br />

(corinthiens, isthmiques, néméens <strong>et</strong> olympiques), organisés régulièrement, offraient quant <strong>à</strong><br />

eux, au moins partiellement, un répit dans les conflits (Young, 2004). Ils représentaient un<br />

réel substitut <strong>à</strong> la guerre, une manière de la faire autrement, d’affirmer la suprématie culturelle<br />

<strong>et</strong> politique de la cité sur les autres. Mais s’il est parfois un substitut <strong>à</strong> la guerre le sport grec<br />

est aussi une pratique de distinction <strong>et</strong> d’exclusion réservée aux meilleurs « ariston » <strong>et</strong> aux<br />

bien-nés « eleutherion » (Bodin, Debarbieux, op. cit.). Sur le plan praxéologique certaines<br />

pratiques corporelles comme le pancrace (lutte ancienne) étaient d’une extrême violence,<br />

pouvant aller jusqu’<strong>à</strong> la mutilation, voire la mort <strong>des</strong> protagonistes qui étaient alors sacralisés<br />

(Jeu, 1987). « Sport », sportifs, guerriers, <strong>violences</strong> ne font <strong>et</strong> ne sont qu’un.<br />

Distinguer les <strong>sports</strong> modernes <strong>des</strong> jeux anciens<br />

Quatre facteurs essentiels perm<strong>et</strong>tent effectivement de distinguer les <strong>sports</strong> modernes <strong>des</strong> jeux<br />

anciens malgré quelques similitu<strong>des</strong> (compétition, fair-play, <strong>et</strong>c.) : leur diffusion, leur<br />

organisation, la diminution de la violence physique dans la pratique <strong>et</strong> leur fonction sociale<br />

(Defrance, 1995 ; Bodin, Robène, Héas, 2004).<br />

La diffusion dans la société, <strong>et</strong> <strong>à</strong> travers le monde, est la distinction la plus évidente. Alors<br />

que quelques-uns seulement pouvaient s’adonner aux pratiques corporelles dans les jeux<br />

anciens, les <strong>sports</strong> modernes sont potentiellement accessibles aujourd’hui au plus grand<br />

nombre. Les inégalités existent toujours, les habitants <strong>des</strong> pays les moins avancés n’ont ni la<br />

même propension ni la même possibilité de pratiquer. L’offre sportive reflète le niveau<br />

culturel, économique <strong>et</strong> social d’un pays. Cependant la diffusion <strong>des</strong> <strong>sports</strong> modernes est<br />

aujourd’hui largement planétaire. Peu de personnes peuvent échapper <strong>à</strong> la pratique <strong>et</strong> au<br />

spectacle sportif. Malgré <strong>des</strong> inégalités flagrantes <strong>entre</strong> pays développés ou en voie de<br />

développement, <strong>entre</strong> les habitants <strong>des</strong> grands pays industriels en matière de revenus <strong>et</strong> de<br />

temps libre, les infrastructures se multiplient <strong>et</strong> les télévisions r<strong>et</strong>ransm<strong>et</strong>tent un nombre si<br />

important de compétitions que l’on en arrive parfois <strong>à</strong> se demander s’il est possible<br />

d’échapper au fait sportif. Le sport est devenu un phénomène <strong>à</strong> prétention universelle.<br />

12 Insertion <strong>entre</strong> guillem<strong>et</strong>s renvoyant <strong>à</strong> la prudence nécessaire <strong>à</strong> l’utilisation de c<strong>et</strong>te notion <strong>à</strong> travers les<br />

politiques nationales, locales <strong>et</strong>/ou territoriales qui conçoivent, faute de prospective <strong>et</strong> d’évaluation, « le sport<br />

comme un contre-feu immédiat <strong>à</strong> la violence <strong>des</strong> cités » (Dur<strong>et</strong>, 2001, 107).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 14


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

La deuxième distinction est l’organisation. A contrario <strong>des</strong> jeux anciens, comme la soule, les<br />

<strong>sports</strong> modernes n’ont pas expressément de fonction rituelle ou de finalité festive. Ils se<br />

distinguent du calendrier religieux (Bourdieu, 1978 ; Chartier <strong>et</strong> Vigarello, 1982 ; Elias <strong>et</strong><br />

Dunning, 1986). Le sport se fonde en instaurant une chronologie différente de la vie sociale<br />

ordinaire, remplaçant progressivement les usages locaux par <strong>des</strong> règles uniformes (nombre de<br />

participants, règlements, délimitation précise <strong>des</strong> terrains) <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tant une plus grande<br />

hétérogénéité sociale <strong>des</strong> pratiquants 13 .<br />

Le troisième facteur est l’évidente diminution de la violence physique <strong>entre</strong> compétiteurs. Le<br />

sport dans sa forme moderne semble « aseptisé ». La violence qui s’y joue ainsi que la<br />

« mort » annoncée de l’un <strong>des</strong> protagonistes sont symboliques (Jeu, 1975, 1987) même si<br />

parfois, <strong>à</strong> l’image <strong>des</strong> athlètes de l’ex RDA, de certains cyclistes ou autres, elles peuvent être<br />

différées par les blessures ou maladies induites. La finalité n’est tout simplement plus la<br />

même. Alors que les jeux anciens étaient essentiellement une préparation <strong>à</strong> la guerre ou un<br />

substitut <strong>à</strong> celle-ci, le sport au XX ème siècle a progressivement assimilé d’autres finalités <strong>et</strong><br />

valeurs : éducation, hédonisme, santé, culte du corps, compétition, spectacle, insertion sociale<br />

ou professionnelle, intégration, cohésion sociale, <strong>et</strong>c. Ce n’est certes pas la seule raison. La<br />

société en se pacifiant a abaissé chez les individus le seuil de tolérance <strong>à</strong> la violence. Les<br />

activités sportives ont suivi le même cheminement au point que les plus violentes d’<strong>entre</strong><br />

elles, la boxe par exemple, ont vu leurs effectifs fondre en l’espace d’un siècle, au profit<br />

d’activités physiques émergentes qui privilégient l’esthétisme ou la nature (gymnastique<br />

rythmique <strong>et</strong> sportive, escalade, surf). Le sport est ainsi un puissant révélateur de nos sociétés<br />

<strong>et</strong> de leurs transformations, de nos cultures <strong>et</strong> de la manière dont elles gèrent <strong>et</strong> conçoivent le<br />

débridement <strong>des</strong> émotions <strong>des</strong> individus qui les composent.<br />

Mais ce qui distingue le plus n<strong>et</strong>tement les <strong>sports</strong> modernes <strong>des</strong> jeux anciens est leur fonction,<br />

au sens défini par Durkheim 14 , au sein de la société : ils participent, ou participeraient, nous<br />

critiquerons c<strong>et</strong> aspect, au contrôle de la violence même si ce n’était probablement pas leur<br />

finalité première.<br />

Les <strong>sports</strong> modernes participent au contrôle de la violence ?<br />

Elias, autour de la théorie centrale du « procès de civilisation » (1969a/b) s’est essentiellement<br />

attaché <strong>à</strong> décrire, en établissant un équilibre <strong>entre</strong> l’idéographique <strong>et</strong> le nomothétique,<br />

l’élaboration, l’apprentissage <strong>et</strong> l’affinement <strong>des</strong> conduites <strong>et</strong> <strong>des</strong> normes comportementales <strong>et</strong><br />

socialement acceptables qui ont conduit <strong>à</strong> la formation <strong>des</strong> sociétés occidentales <strong>entre</strong> le<br />

Moyen age <strong>et</strong> le XX ème siècle. Il montre ainsi que les sociétés modernes se sont structurées <strong>à</strong><br />

travers la censure de l’agressivité <strong>et</strong> le monopole étatique de la violence, la curialisation <strong>des</strong><br />

13 Qu’il faudrait cependant discuter en matière de droits <strong>et</strong> de modalités d’inscriptions dans certains clubs<br />

sportifs, de l’implantation géographique <strong>des</strong> installations sportives, de l’implantation privilégiée de certains<br />

<strong>sports</strong>, <strong>des</strong> politiques sportives <strong>des</strong> collectivités locales <strong>et</strong> territoriales en matière de « <strong>sports</strong> civils » <strong>et</strong> « <strong>sports</strong><br />

de rue », <strong>et</strong>c.<br />

14 « Quand on <strong>entre</strong>prend d’expliquer un phénomène social, il faut rechercher séparément la cause efficiente qui<br />

le produit <strong>et</strong> la fonction qu’il remplit. Nous nous servons du mot de fonction de préférence <strong>à</strong> celui de fin ou de<br />

but […]. Ce qu’il faut déterminer c’est s’il y a correspondance <strong>entre</strong> le fait considéré <strong>et</strong> les besoins généraux de<br />

l’organisme social <strong>et</strong> en quoi consiste c<strong>et</strong>te correspondance, sans se préoccuper de savoir si elle a été<br />

intentionnelle ou non. » (Durkheim, op. cit. 95).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

guerriers 15 , l’introduction de normes de civilités, de propr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> de respect, ainsi que<br />

l’euphémisation 16 de la violence <strong>et</strong> l’apprentissage de l’autocontrôle individuel <strong>des</strong> pulsions.<br />

Inventé en premier lieu pour parfaire l’éducation <strong>des</strong> jeunes gens appartenant <strong>à</strong> la « haute<br />

société anglaise, l’aristocratie terrienne <strong>et</strong> la gentry » le sport, en raison de l’émergence <strong>des</strong><br />

temps libres, s’étend progressivement au reste de la société en offrant, tout <strong>à</strong> la fois, un moyen<br />

« d’apprentissage du contrôle <strong>et</strong> de l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions » (respect <strong>des</strong> règles, de<br />

l’adversaire, de l’arbitre, apprentissage technique, coopération <strong>entre</strong> les pratiquants <strong>des</strong> <strong>sports</strong><br />

collectifs, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> un « espace toléré de débridement <strong>des</strong> émotions » (pratique physique<br />

servant d’exutoire, présence de spectateurs qui encouragent <strong>et</strong> vocifèrent). Les titres <strong>et</strong> soustitres<br />

du livre d’Elias <strong>et</strong> Dunning, Sport <strong>et</strong> civilisation. La violence maîtrisée, montrent bien la<br />

place qu’ils attribuent au sport. Comme le soulignent Burguière <strong>et</strong> al. (1995) <strong>et</strong> Wieviorka<br />

(2000) l’intérêt <strong>et</strong> la force du travail d’Elias résident dans sa capacité <strong>à</strong> articuler politique <strong>et</strong><br />

culturel en même temps que collectif <strong>et</strong> individuel. Ainsi, pour Elias, la diminution de la<br />

violence dans la société est due <strong>à</strong> l’« interdépendance étroite <strong>entre</strong> structures sociales <strong>et</strong><br />

structures émotionnelles. […] Quand, dans telle ou telle région, le pouvoir central s’affermit,<br />

quand il oblige les hommes sur un territoire plus ou moins étendu de vivre en paix, on assiste<br />

<strong>à</strong> un changement progressif de l’affectivité <strong>et</strong> <strong>des</strong> normes de l’économie pulsionnelle »<br />

(1969a, 292-293). Le sport offre un espace particulier, car il <strong>entre</strong> non pas dans le cadre <strong>des</strong><br />

activités routinières, <strong>et</strong> privilégié, en tant que pratique ou spectacle librement choisi en dehors<br />

<strong>des</strong> contraintes sociales habituelles. Le sport est instrumentalisé en devenant un « espace<br />

toléré de débridement <strong>des</strong> émotions », un moyen de « contrôler - décontrôler » les émotions :<br />

« la plupart <strong>des</strong> sociétés humaines proposent <strong>des</strong> mesures pour se protéger contre ces tensions<br />

qu’elles créent elles-mêmes. Dans les sociétés ayant atteints un niveau relativement avancé de<br />

civilisation […] il existe une grande variété d’activités de loisir, dont le sport, qui ont<br />

précisément c<strong>et</strong>te fonction » (1986, 53).<br />

Toute l’ambiguïté du sport moderne se trouve pourtant l<strong>à</strong>. Pour Elias il s’agit d’un exemple<br />

« particulièrement frappant de l’un <strong>des</strong> problèmes essentiels concernant le sport, <strong>à</strong> savoir<br />

comment réconcilier deux fonctions contradictoires : d’une part, le relâchement agréable du<br />

contrôle exercé sur les sentiments humains, la manifestation d’une excitation agréable, <strong>et</strong>,<br />

d’autre part, le maintien d’un ensemble de codifications pour garder la maîtrise <strong>des</strong> émotions<br />

agréablement dé-contrôlées » (op. cit. 64). Le sport est en eff<strong>et</strong> un espace social codifié, réglé<br />

<strong>et</strong> euphémisé, qui suscite émotion <strong>et</strong> passion, dans lequel la violence est a contrario de celle<br />

observée dans les jeux anciens plus symbolique que réelle. Cependant, il est également un lieu<br />

sans égal dans nos sociétés contemporaines, où chacun peut se rendre pour exprimer sa<br />

passion, son désespoir, sa ferveur <strong>et</strong>/ou son mécontentement, sa violence, s’en libérer <strong>et</strong> ce, en<br />

toute impunité ? Dans quel autre espace social est-il en eff<strong>et</strong> toléré de vociférer, injurier <strong>et</strong>/ou<br />

menacer un représentant de « l’ordre », fût-il seulement un arbitre, ou de provoquer <strong>et</strong><br />

menacer un concurrent ? Certainement pas en ville où ce type de comportements mènerait<br />

leurs auteurs directement au commissariat le plus proche. C<strong>et</strong>te ambiguïté est d’autant plus<br />

grande que le sport tend <strong>à</strong> échapper aux règles <strong>et</strong> aux législations ordinaires en appliquant aux<br />

exactions de toutes natures <strong>des</strong> règlements plus édulcorés que dans la vie civile. Il est ainsi<br />

plus permissif : on y « lave son linge sale en famille ». Comme nous le suggérions en<br />

conclusion du « sport en questions » on peut légitimement « s’interroger sur l’extrême<br />

tolérance dont semblent jouir le sport <strong>et</strong> les sportifs au regard <strong>des</strong> nombreuses contraintes<br />

15 Par curialisation, Elias (1985) entend la transformation progressive de la noblesse guerrière féodale du Moyen<br />

Age en une noblesse de cour <strong>à</strong> l’image de celle, qui un peu partout en Europe, s’est regroupée en un même lieu<br />

autour de son suzerain.<br />

16 La diminution <strong>et</strong> l’adoucissement <strong>des</strong> <strong>violences</strong> perpétrées.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 16


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

imposées par la société aux individus « ordinaires ». Alors même qu’aujourd’hui celui qui<br />

conduit en état d’ébriété peut se r<strong>et</strong>rouver emprisonné au même titre que les criminels les plus<br />

pervers, le sportif dopé « <strong>à</strong> l’insu de son plein gré » risque tout au plus, s’il est reconnu<br />

coupable quelques mois de suspension avant de revenir aux yeux de tous le héros qu’il était<br />

auparavant. La « justice » est <strong>à</strong> ce point différentielle qu’elle réintègre plus facilement les<br />

sportifs que les voleurs […] » (Dur<strong>et</strong>, Bodin, 2003, 178). Le sport jouit ainsi d’une sorte<br />

d’extraterritorialité juridique dans lequel prennent parfois corps <strong>et</strong> sens nombre d’exactions ou<br />

de comportements déviants (Bodin, 1999b ; Bodin, Trouilh<strong>et</strong>, 2001). A ce stade, sans pour<br />

autant partager la position hypercritique de son auteur, la définition du sport qui nous semble<br />

la plus appropriée est celle de Brohm pour qui « Le sport est un système institutionnalisé de<br />

pratiques compétitives <strong>à</strong> dominante physique, délimitées, codifiées, réglées<br />

conventionnellement dont l’objectif avoué est, sur la base d’une comparaison de<br />

performances, d’exploits, de démonstrations, de prestations physiques, de désigner le meilleur<br />

concurrent (le champion) ou d’enregistrer la meilleure performance (le record) » (Brohm,<br />

1992, p. 89). Il est ainsi devenu un « fait social total » <strong>et</strong>, <strong>à</strong> ce titre, m<strong>et</strong> « en branle dans<br />

certains cas la totalité de la société <strong>et</strong> de ses institutions […] » (Mauss, 1923, p. 274).<br />

Mais si on accepte l’idée, du moins pour le moment, que ce système complexe puisse avoir<br />

pour fonction de participer au contrôle de la violence au sein de la société <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’apprentissage<br />

de l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions individuelles comment interpréter qu’il puisse être le théâtre du<br />

hooliganisme ?<br />

Le hooliganisme : une violence propre aux sociétés<br />

contemporaines ?<br />

Nous avons eu maintes fois l’occasion d’affirmer que dans l’imaginaire collectif le hooligan<br />

est un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire, imbibé<br />

d’alcool, qui prend prétexte du match de football pour venir comm<strong>et</strong>tre ses méfaits dans le<br />

stade. Les événements montrent que la réalité sociale du phénomène est beaucoup plus<br />

complexe que c<strong>et</strong>te équation simpliste le laissait supposer. En témoignent les événements<br />

survenus au Parc <strong>des</strong> Princes le 28 août 1993 lors du match Paris Saint-Germain (PSG) -Caen<br />

au cours duquel plusieurs policiers se sont fait lyncher dans la tribune Boulogne ; le gendarme<br />

Nivel agressé le 21 juin 1998 aux abords du stade Bollaert de Lens par quatre hooligans<br />

durant la coupe du monde : les manifestations racistes <strong>et</strong> xénophobes qui fleurissent un peu<br />

partout depuis quelques années dans les sta<strong>des</strong> de football européens, comme <strong>à</strong> Rome <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

Parme en Italie, <strong>à</strong> l’Atl<strong>et</strong>ico <strong>et</strong> au Real de Madrid en Espagne, au Paris Saint-Germain en<br />

France, <strong>à</strong> l’Étoile rouge de Belgrade dans l’ex-Yougoslavie, ou encore les affrontements dans<br />

les tribunes lors du match PSG-Galatasaray en Coupe d’Europe <strong>des</strong> clubs champions le 14<br />

mars 2001 qui firent 56 blessés. Le hooliganisme est multiforme <strong>et</strong> concerne l’Europe entière.<br />

Pour comprendre le hooliganisme il ne faut pas simplement constater <strong>des</strong> faits qui sont parfois<br />

d’une extrême violence physique, mais chercher <strong>à</strong> les resituer dans une dynamique historique<br />

<strong>et</strong> sociale pour tenter de les interpréter. Très souvent, pour ne pas dire trop souvent, le<br />

hooliganisme est en eff<strong>et</strong> caractérisé par son expression finale : la violence physique ou la<br />

dégradation de biens <strong>et</strong> matériels. C<strong>et</strong>te violence peut être exercée <strong>entre</strong> groupes de supporters<br />

dans le stade ou de manière relativement éloignée de celui-ci, compte tenu du contrôle social<br />

mis en œuvre aujourd’hui (périmètre de sécurité, présence de stewards 17 dans les sta<strong>des</strong>,<br />

17 Appelés stadiers en France.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

forces de l’ordre, vidéosurveillance, procédures de comparution immédiate), <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong><br />

forces de l’ordre, contre <strong>des</strong> passants sans relation directe avec le football, ou encore dans le<br />

but de détruire <strong>des</strong> voitures, <strong>des</strong> vitrines, de « caillasser » les bus <strong>des</strong> supporters adverses, <strong>et</strong>c.<br />

C<strong>et</strong>te anthologie <strong>des</strong> actes hooligans montre bien la diversité <strong>des</strong> <strong>violences</strong> observables, mais<br />

ne renseigne d’aucune manière sur la façon dont <strong>des</strong> individus, parfois ordinaires, en arrivent<br />

<strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre pareils méfaits. Ce n’est qu’un constat amenant <strong>à</strong> considérer les <strong>violences</strong> sous le<br />

seul angle du passage <strong>à</strong> l’acte ou de la transgression réprimée de normes établies, limitant<br />

ainsi son acception <strong>à</strong> la définition sociologique du crime (Durkheim, op. cit.). C’est en eff<strong>et</strong><br />

dans l’enchaînement successif de faits plus ou moins dérisoires (vols d’insignes ou<br />

d’emblèmes, insultes <strong>et</strong> provocations) qu’il faut aller chercher la genèse d’événements<br />

beaucoup plus dramatiques <strong>et</strong> inquiétants. Les <strong>violences</strong> décrites précédemment ne sont en<br />

fait qu’un « accomplissement pratique » (Garfinkel, 1967), aboutissement d’un long processus<br />

d’interactions sociales subtiles <strong>et</strong> complexes <strong>entre</strong> les différents acteurs du spectacle sportif<br />

(supporters, dirigeants, policiers, journalistes), de rivalités sportives, provocations, vend<strong>et</strong>tas,<br />

elles-mêmes refl<strong>et</strong>s de constructions identitaires <strong>et</strong> culturelles qui s’inscrivent dans la<br />

« p<strong>et</strong>ite » <strong>et</strong> la « grande » histoire du football <strong>et</strong> de ses clubs. Il n’est en eff<strong>et</strong> pas possible de<br />

considérer la violence <strong>des</strong> supporters sous la version la plus abrupte, celle d’un supporter<br />

anglo-saxon poignardé au début de l’année 1998 dans une ruelle.<br />

Trop souvent également sont amalgamés <strong>des</strong> faits qui n’ont rien <strong>à</strong> voir avec le hooliganisme :<br />

le drame du Heysel était-il du hooliganisme ou n’était-il pas, en partie du moins, un défaut<br />

dans la sécurité passive (procédures d’accueil, de surveillance, d’évacuation, de ségrégation<br />

<strong>des</strong> publics) du stade qui conduira <strong>à</strong> la mise en place d’une convention européenne en la<br />

matière ? Ainsi, les médias pour répondre <strong>à</strong> l’urgence, faire du sensationnel <strong>et</strong> garantir une<br />

couverture événementielle qui assure de l’audience, associent parfois au hooliganisme <strong>des</strong><br />

événements comme ceux de Sheffield en 1989 où 95 personnes trouvèrent la mort dans une<br />

gigantesque bousculade en voulant <strong>entre</strong>r sans bill<strong>et</strong> dans le stade de Hillsborough<br />

(Angl<strong>et</strong>erre) lors de la demi-finale de la Cup opposant Liverpool <strong>à</strong> Nottingham Forest. Ces<br />

incidents relèvent pourtant davantage de l’incompétence <strong>des</strong> services d’ordre ou du<br />

mercantilisme de certains dirigeants qui n’hésitent pas <strong>à</strong> vendre plus de places que n’en<br />

contiennent réellement les sta<strong>des</strong> comme ce fut le cas <strong>à</strong> Furiani (Bastia) le 5 mai 1992 .<br />

Les jeux anciens <strong>et</strong> le hooliganisme<br />

Si le hooliganisme concerne essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, le football<br />

moderne, <strong>des</strong> affrontements existaient dans les pratiques corporelles anciennes comme il en<br />

existe également, aujourd’hui dans d’autres <strong>sports</strong>.<br />

Les comportements violents <strong>des</strong> foules sportives ne sont en eff<strong>et</strong> guère nouveaux. Il ne s’agit<br />

pas bien entendu, comme nous l’avons signalé en introduction, d’inscrire le sport moderne<br />

dans le continuum <strong>des</strong> jeux anciens, mais tout simplement d’observer qu’<strong>à</strong> d’autres époques,<br />

en d’autres lieux <strong>et</strong> pour d’autres épreuves, certains comportements collectifs présentaient un<br />

grand nombre de similitu<strong>des</strong> avec le hooliganisme contemporain. Ces manifestations<br />

nécessitaient même parfois la mise en place de mesures sociales particulières, d’une<br />

troublante modernité : maintien de l’ordre, interdiction de stade, surveillance <strong>des</strong> accessoires<br />

autorisés dans les tribunes. Sans recourir <strong>à</strong> une historiographie complète en la matière<br />

quelques exemples pris <strong>à</strong> différentes époques perm<strong>et</strong>tent de proposer une lecture privilégiant<br />

a priori les récurrences qui semblent structurer le rapport <strong>des</strong> foules au spectacle de la<br />

compétition <strong>et</strong> aux <strong>violences</strong> dont il est le creus<strong>et</strong>.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Ainsi, une <strong>des</strong> premières traces d’affrontements <strong>entre</strong> supporters se trouve dans les écrits de<br />

Tacite (Annales, 14.17) relatant la rixe de Pompéi en 59 après Jésus-Christ. Lors d’un<br />

spectacle de gladiateurs organisé par Livenius Regulus <strong>à</strong> Pompéi, les spectateurs <strong>des</strong> colonies<br />

de Nucérie <strong>et</strong> Pompéi en vinrent aux insultes, <strong>à</strong> <strong>des</strong> j<strong>et</strong>s de pierres <strong>et</strong> finirent par s’affronter les<br />

armes <strong>à</strong> la main. Ce combat fit de nombreux morts <strong>et</strong> blessés au point que les Pompéiens<br />

furent interdits de manifestations sportives durant dix ans <strong>et</strong> les associations de « supporters »<br />

dissoutes. Le parallèle avec le hooliganisme anglo-saxon <strong>des</strong> années 1980 <strong>et</strong> les clubs interdits<br />

de coupe d’Europe est saisissant. Thuillier (1996), étudiant Le sport dans la Rome antique,<br />

décrit la mise en spectacle d’un univers sportif original : <strong>à</strong> la fois préparation militaire, c’est<br />

aussi un spectacle ludique offert au peuple par <strong>des</strong> édiles qui se ruinent pour l’occasion. Si les<br />

activités, qui se déroulent dans les cirques <strong>et</strong> les amphithéâtres, ont probablement c<strong>et</strong>te<br />

fonction d’« opium du peuple » si souvent dépeinte <strong>et</strong> décriée, il n’en reste pas moins vrai,<br />

qu’elles furent le théâtre de nombreux incidents. Ainsi, en plusieurs occasions, <strong>à</strong> l’instar <strong>des</strong><br />

événements du Heysel, un grand nombre de personnes meurent écrasées par la foule dans le<br />

grand cirque de Rome qui pouvait accueillir jusqu’<strong>à</strong> 150 000 spectateurs. A la même époque,<br />

l’amphithéâtre de Fidènes, <strong>à</strong> quelques kilomètres de Rome, construit <strong>à</strong> la hâte pour recevoir<br />

les spectateurs en grand nombre, s’effondre provoquant plusieurs centaines de morts <strong>et</strong> de<br />

blessés.<br />

Plus près de nous, au Moyen Age, la soule, jeu pratiqué dans les campagnes françaises<br />

opposant deux équipes devant ramener dans leur village une vessie de porc au clocher de<br />

l’église est le théâtre de passions <strong>et</strong> de rixes parmi les spectateurs qui en profitent parfois pour<br />

régler <strong>des</strong> conflits individuels, au point que l’Église en arrive <strong>à</strong> édicter <strong>des</strong> interdits sur ces<br />

jeux qui, selon elle, introduisent le désordre social (Mendiague, 1993). Le football anglais de<br />

la même période, sans autre homologie que celle du nom avec le sport moderne, connut les<br />

mêmes avatars <strong>et</strong> fut en maintes occasions interdit également. A la même époque, les tournois<br />

de chevalerie donnent une image singulièrement moderne <strong>des</strong> <strong>violences</strong> attachées <strong>à</strong> leurs<br />

pratiques <strong>et</strong> <strong>à</strong> leurs spectacles : les j<strong>et</strong>s d’obj<strong>et</strong>s les plus divers en direction <strong>des</strong> concurrents en<br />

lice ne sont pas rares <strong>et</strong> la loi n’aura de cesse d’interdire aux spectateurs munis de leurs armes<br />

d’assister aux affrontements courtois, de peur de voir les partisans <strong>des</strong> combattants prendre<br />

fait <strong>et</strong> cause pour leurs champions en <strong>des</strong>cendant <strong>à</strong> leur tour sur l’aire <strong>des</strong> combats pour en<br />

découdre. (Jusserand, 1901). Bredekamp (1998) décrit, pour sa part, les mesures nécessaires<br />

au maintien de l’ordre parmi le public (séparations <strong>des</strong> spectateurs, interdiction<br />

d’envahissement du terrain, mesures de répressions, présence policière). S’il n’était question<br />

du Calcio fiorentino, sorte de football qui se jouait <strong>à</strong> Florence <strong>entre</strong> le XVI e <strong>et</strong> le XVIII e<br />

siècle, il serait possible d’attribuer ces mesures <strong>à</strong> l’encadrement <strong>des</strong> supporters du football<br />

européen <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> années 1970-1980 !<br />

A la fin du XVIII e siècle, lors <strong>des</strong> premières ascensions en ballon, les soulèvements<br />

populaires, quasi systématiques, donnent lieu <strong>à</strong> de furieux embrasements, <strong>à</strong> <strong>des</strong> manifestations<br />

d’une extrême violence, ainsi qu’<strong>à</strong> <strong>des</strong> dégradations, au point qu’<strong>à</strong> Bordeaux , deux<br />

spectateurs <strong>à</strong> l’origine de ces désordres seront condamnés <strong>et</strong> pendus (Robène, 2001).<br />

Enfin, <strong>à</strong> la fin du XIX e siècle néanmoins, Tranter (1995) relate l’émeute de Cappielow qui se<br />

déroula le 8 avril 1899 lors de la demi-finale de coupe <strong>entre</strong> Greenock Morton <strong>et</strong> Port<br />

Glasgow Athl<strong>et</strong>ic Club, opposant 200 spectateurs. Il décrit non seulement la répression<br />

policière, mais aussi l’évolution quantitative <strong>des</strong> <strong>violences</strong> dans le football anglo-saxon en<br />

c<strong>et</strong>te fin de siècle. Tous ces faits sont d’une redoutable modernité <strong>et</strong> correspondent trait pour<br />

trait aux comportements hooligans modernes, ainsi qu’au contrôle social mis en œuvre pour<br />

prévenir ces incidents ou rétablir l’ordre public.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 19


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Ce bref survol chronologique montre combien la violence liée aux grands rassemblements<br />

collectifs dans lesquels <strong>entre</strong>nt en jeu la dimension compétitive <strong>et</strong> le spectacle semble être une<br />

donnée récurrente, quelles que soient ses formes : chahut, incivilités, <strong>violences</strong> symboliques,<br />

verbales, envahissements de terrains, rixes, émeutes, homici<strong>des</strong>. Elle n’est donc pas<br />

exclusivement inhérente au sport <strong>et</strong> aux sociétés contemporaines. Ces exemples montrent<br />

aussi <strong>et</strong> surtout que les <strong>violences</strong> liées aux spectacles de la compétition physique ne sont ni<br />

inédites, ni strictement réductibles <strong>à</strong> un phénomène actuel de société, fut-il celui du problème<br />

préoccupant de la désorganisation sociale <strong>des</strong> banlieues <strong>et</strong> <strong>des</strong> cités sensibles, voire de la<br />

paupérisation d’une partie de la population.<br />

Trois facteurs distinguent, semble t-il, le hooliganisme <strong>des</strong> formes de <strong>violences</strong> <strong>des</strong> foules<br />

sportives observables depuis l’Antiquité : la fréquence d’apparition <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, leur<br />

inscription dans un sport précis – le football – <strong>et</strong> le fait que celles-ci soient circonscrites<br />

initialement dans un pays en particulier, la Grande-Br<strong>et</strong>agne. Cela amène inéluctablement <strong>à</strong> se<br />

poser la question de savoir comment <strong>et</strong> pourquoi ce sport <strong>et</strong> ce pays ont été prioritairement <strong>et</strong><br />

davantage concernés ?<br />

Hooliganisme <strong>et</strong> football contemporain<br />

La principale raison est structurelle. En inventant le sport moderne <strong>et</strong> en développant ses<br />

formes collectives <strong>à</strong> partir du milieu du XIX e siècle (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit.), l’Angl<strong>et</strong>erre<br />

inscrit au cœur de la ville un espace normatif de la pratique physique, réglé, standardisé,<br />

creus<strong>et</strong> du spectacle <strong>et</strong> de l’affrontement réglé <strong>et</strong> s’oppose ainsi <strong>à</strong> la mouvance <strong>et</strong> <strong>à</strong> la labilité<br />

<strong>des</strong> aires de la compétition physique qui ont pu caractériser les époques précédentes : le stade.<br />

Parallèlement <strong>à</strong> la sportivisation, la « stadification », c’est-<strong>à</strong>-dire « l’obligation de pratiquer un<br />

exercice physique compétitif dans un espace localisé, réglé, mesuré <strong>à</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> » (Beaulieu <strong>et</strong><br />

Perelman, 1977) va conduire un nombre toujours plus grand de spectateurs <strong>à</strong> se confronter <strong>et</strong><br />

<strong>à</strong> s’opposer <strong>à</strong> ses semblables <strong>à</strong> travers un objectif commun, la passion d’un sport, <strong>et</strong> une<br />

finalité distincte, le soutien toujours plus inconditionnel <strong>à</strong> une équipe. En 1930, Duhamel<br />

évoque déj<strong>à</strong> outre-Atlantique ce « stade que la foule occupe comme une forteresse conquise »<br />

<strong>et</strong> observe que le spectacle sportif loin de se limiter <strong>à</strong> ce qui se joue sur la pelouse se situe<br />

aussi <strong>et</strong> surtout « sur les gradins, avec la foule » (Duhamel, 1930).<br />

Le stade, mais également ses abords immédiats <strong>et</strong> sa périphérie, deviennent alors<br />

concurremment au spectacle sportif lui-même, <strong>des</strong> espaces de concurrence en termes de<br />

visibilité culturelle <strong>et</strong> sociale, donc d’affrontements symboliques <strong>et</strong> matériels, renforçant<br />

l’essence même du sport car nous devons nous souvenir, parlant <strong>des</strong> <strong>relations</strong> ambiguës<br />

qu’<strong>entre</strong>tiennent <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> que « le principe qui rassemble les individus dans le sport,<br />

c’est la volonté de s’opposer » (Jeu, 1972, 156). Si l’opposition est sportive en premier lieu,<br />

comment penser que les différences culturelles <strong>et</strong> identitaires ne peuvent y trouver de points<br />

d’ancrage favorables <strong>et</strong> supplémentaires <strong>à</strong> <strong>des</strong> conflits plus violents. Ce serait nier que le sport<br />

fait partie de la société, ou tout au moins, cela laisserait supposer que tout un chacun pénétrant<br />

dans l’enceinte sportive laisserait <strong>à</strong> l’extérieur, <strong>et</strong> durant le temps de la rencontre, ses<br />

angoisses <strong>et</strong> ses problèmes quotidiens en termes de sociabilité par exemple.<br />

Rien ne nous indique cependant pourquoi ces <strong>violences</strong> ne semblent pas s’être diffusées en<br />

Europe <strong>et</strong> au-del<strong>à</strong> <strong>à</strong> la même vitesse que le jeu lui-même. Sans doute l’Angl<strong>et</strong>erre présentait-telle<br />

un certain nombre de caractéristiques qui pouvait favoriser l’ancrage d’une forme<br />

particulièrement stable <strong>et</strong> virulente du hooliganisme. Mais la précocité <strong>et</strong> l’intensité de ce<br />

phénomène dans sa version britannique participent probablement <strong>à</strong> masquer partiellement sa<br />

diffusion hors du Royaume-Uni, contribuant <strong>à</strong> nier d’autres formes de hooliganisme naissant<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 20


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

en Europe dans le football ou dans d’autres <strong>sports</strong>, allant même jusqu’<strong>à</strong> toucher parfois le<br />

sport amateur. C’est le cas <strong>des</strong> matchs de bask<strong>et</strong>-ball en Grèce ou en Turquie, <strong>des</strong> rencontres<br />

de crick<strong>et</strong> en Inde, du championnat d’Europe de water-polo lors duquel les supporters croates<br />

<strong>et</strong> serbo-monténégrins se sont opposés lors de la finale <strong>entre</strong> leurs deux pays, <strong>des</strong> incidents qui<br />

émaillent les rencontres de rugby en France dans les plus basses divisions, ou encore <strong>des</strong><br />

affrontements qui ont eu lieu <strong>entre</strong> étudiants français lors <strong>des</strong> rencontres inter-gran<strong>des</strong> écoles<br />

en 1997 <strong>et</strong> 1999. Ces manifestations de <strong>violences</strong> restent cependant sporadiques. Le football<br />

est le seul sport <strong>à</strong> être concerné par les actes hooligans dans l’Europe <strong>et</strong> le monde entier, <strong>et</strong> ce,<br />

quel que soit le niveau de compétition. Les actes de violence ne se limitent pas en eff<strong>et</strong> au seul<br />

football professionnel médiatisé <strong>et</strong> spectacularisé.<br />

Ce constat est intéressant car il nous a amène <strong>à</strong> nous demander pourquoi le football semble<br />

non seulement représenter davantage que les autres <strong>sports</strong> témoin, mais aussi être vecteur de<br />

ces <strong>violences</strong> ?<br />

Un jeu de mots<br />

Dans les années 60, la Grande-Br<strong>et</strong>agne voit émerger de nouvelles formes de <strong>violences</strong><br />

concomitantes aux matches de football. Si <strong>des</strong> bagarres <strong>et</strong> <strong>des</strong> affrontements accompagnaient<br />

pourtant les matches depuis la fin du XIX e siècle, les <strong>violences</strong> qui se donnent <strong>à</strong> voir dans ou<br />

aux abords immédiats <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> semblent moins spontanées. Elles ne trouvent pas<br />

nécessairement leur origine dans le jeu, le résultat du match, les incidents émanant du terrain<br />

(arbitrage, fautes, comportement du banc de touche ou <strong>des</strong> joueurs), ni même dans la rivalité<br />

sportive induite par la compétition elle-même. Elles sont également parfois d’une rare<br />

violence <strong>et</strong> opposent un grand nombre d’individus. La violence n’est plus occasionnelle ou<br />

spontanée, en relation avec <strong>des</strong> résultats ou <strong>des</strong> événements selon le schéma frustrationagression,<br />

mais organisée, préméditée <strong>et</strong> très souvent groupale. L’apparition de la notion de<br />

hooliganisme m<strong>et</strong> en exergue tout <strong>à</strong> la fois un changement de comportement <strong>et</strong> de paradigme<br />

(Bodin, 1999a). Pour rendre compte de ces évènements <strong>et</strong> voulant réaliser un bon mot un<br />

journaliste dénomme les spectateurs violents hoolihan, du nom d’une famille irlandaise<br />

décapitée sous le règne de la reine Victoria pour ses comportements antisociaux d’une<br />

extrême violence lors d’émeutes. Mais nul ne sait <strong>à</strong> quel moment, ni même pourquoi on passe<br />

de hoolihan <strong>à</strong> hooligan. Il s’agit probablement d’une coquille d’imprimerie, le « g » <strong>et</strong> le<br />

« h » se côtoyant sur les claviers anglophones comme sur les claviers Azerty francophones.<br />

Le terme était né, marquant l’émergence de comportements différents, <strong>et</strong> sera employé dans<br />

l’Europe entière. Il faut cependant remarquer que les Anglo-Saxons ne l’utilisent pas <strong>et</strong> lui<br />

préfèrent le terme thugs qui signifie voyous, mais qui est également le nom d’une secte<br />

hindouiste sanguinaire, adoratrice de Kali. Le choix de ce terme n’est donc pas anodin en soi,<br />

ni même dénué de sens puisqu’il comporte une connotation péjorative. Par le choix même de<br />

ce qualificatif, les hooligans sont stigmatisés <strong>et</strong> déj<strong>à</strong> considérés comme <strong>des</strong> individus<br />

anormaux, en marge de la société, <strong>et</strong> assimilés par avance aux délinquants ordinaires, <strong>et</strong> ce,<br />

quelle que soit l’origine de leur violence ou de leur présence sur les fichiers hooligans.<br />

La Grande-Br<strong>et</strong>agne témoin <strong>et</strong> théâtre de la genèse du hooliganisme<br />

Six étapes essentielles vont marquer l’émergence du hooliganisme en Europe.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 21


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les <strong>violences</strong> changent de nature<br />

La première période se situe <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années 50 <strong>et</strong> au début <strong>des</strong> années 60. Journalistes <strong>et</strong><br />

chercheurs, sociologues pour la plupart, constatent l’augmentation de <strong>violences</strong> organisées,<br />

non seulement en dehors du stade, mais également <strong>à</strong> l’intérieur de celui-ci. Ces <strong>violences</strong> se<br />

distinguent a priori clairement de ce que l’on connaissait auparavant <strong>et</strong> marquent « le passage<br />

d’une violence ritualisée <strong>et</strong> dionysiaque, relative <strong>à</strong> la logique du jeu <strong>et</strong> aux antagonismes qu’il<br />

suscite, <strong>à</strong> une violence préméditée » (Bodin, op. cit., 19). On était jusqu’alors habitué <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> plus ou moins sporadiques qui trouvaient sens <strong>et</strong> origine dans l’ambiguïté de<br />

l’essence même du sport. N’est-il pas en eff<strong>et</strong>, comme évoqué précédemment, ce qui<br />

rassemble les hommes pour mieux les opposer (Jeu, 1987) ? Du début du XX e siècle aux<br />

années 60, les incidents trouvaient effectivement leur origine non seulement dans la<br />

perception plus ou moins partiale de l’arbitrage, du jeu, mais aussi dans la rivalité sportive. Il<br />

s’agissait davantage de chauvinisme, de dépit ou de chahut dionysiaque propre <strong>à</strong> la culture <strong>des</strong><br />

spectateurs habituels du football, issus pour la plupart <strong>des</strong> classes populaires. Ces formes de<br />

<strong>violences</strong> subsistent d’ailleurs parfois dans d’autres <strong>sports</strong>, comme le rugby. Cependant, les<br />

conflits qui se distinguent font apparaître en plus <strong>des</strong> oppositions sociales <strong>et</strong> culturelles. Le<br />

hooliganisme est <strong>à</strong> partir de c<strong>et</strong>te époque défini comme étant une violence exercée<br />

délibérément, d’une manière organisée, structurée <strong>et</strong> préméditée, se rapprochant ainsi de la<br />

définition du « crime organisé » (Dufour-Gompers, 1992, 94). C<strong>et</strong>te appréhension de la<br />

question du hooliganisme externalise les causes potentielles <strong>et</strong> pose d’emblée un certain<br />

nombre de problèmes. Tout d’abord, en distinguant la violence spontanée de la violence<br />

préméditée, les chercheurs ont éliminé de leurs analyses les facteurs liés au jeu, aux résultats,<br />

ou encore <strong>à</strong> la consommation excessive d’alcool. Les hooligans arrêtés ne sont effectivement<br />

pas tous en état d’ébriété. Les comportements violents <strong>des</strong> spectateurs ne succèdent pas non<br />

plus nécessairement aux erreurs d’arbitrage, aux actions de jeu litigieuses ou même aux<br />

défaites. Les incidents ne sont donc pas réductibles <strong>à</strong> ceux d’une foule alcoolique, fanatisée <strong>et</strong><br />

sans conscience dépeinte par Brohm (1993), qui serait asservie <strong>à</strong> un sport dont la finalité <strong>et</strong> la<br />

fonction politique interne <strong>à</strong> la société serait d’être un « opium du peuple » servant <strong>à</strong> masquer<br />

les problèmes <strong>et</strong> conflits sociaux. Mais en se privant de l’analyse <strong>des</strong> enjeux sportifs, <strong>des</strong><br />

incertitu<strong>des</strong> liées aux résultats, <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> relatives aux sentiments de frustration individuels <strong>et</strong><br />

collectifs <strong>et</strong> <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s qui pourraient en résulter sur <strong>des</strong> supporters passionnément partisans, le<br />

hooliganisme est restreint <strong>à</strong> <strong>des</strong> facteurs socioéconomiques. Thom, en vertu du « principe de<br />

la contagiosité <strong>des</strong> catastrophes », explique pourtant que « le paradigme de toute situation<br />

indéterminée est le conflit » (1980, 308). La tendance <strong>des</strong> individus regardant un conflit, fut-il<br />

ritualisé sous forme de rencontre sportive, est l’identification <strong>à</strong> l’un <strong>des</strong> protagonistes. Tous<br />

s’identifient cependant préférentiellement au gagnant. En faisant un parallèle avec le théâtre,<br />

Thom précise que « tant qu’il y a dans l’intrigue une situation réversible, on est dans le<br />

domaine du comique. [...] Par contre, dès qu’apparaissent les issues irréversibles, le comique<br />

vire au tragique [...] » (op. cit., 310). Le passage du réversible <strong>à</strong> l’irréversible, du comique au<br />

tragique pourrait cependant expliquer en partie le recours <strong>à</strong> la violence <strong>des</strong> supporters. Le<br />

choix de c<strong>et</strong>te définition induit donc totalement les analyses successives. En restreignant<br />

l’observation <strong>à</strong> la violence physique, les analystes excluent de fait d’autres facteurs explicatifs<br />

qui sont aujourd’hui mis en exergue dans le domaine de la délinquance juvénile : la<br />

« tchatche », les joutes oratoires, la provocation, l’historicité <strong>des</strong> antagonismes, l’écart <strong>entre</strong><br />

attente <strong>et</strong> situation réelle, qui précèdent pourtant bien souvent rixes, bagarres ou émeutes<br />

(Lepoutre, 1997 ; Dur<strong>et</strong>, 1996, 1999 ; Wieviorka, 1999 ; Roché, 2001).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 22


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Marsh (1978) critiquera c<strong>et</strong>te conception du hooliganisme qu’il considère comme trop<br />

réductrice. Il n’est pas possible, pour lui, de se cantonner <strong>à</strong> la violence physique <strong>et</strong> d’éliminer<br />

les <strong>violences</strong> morales <strong>et</strong> symboliques, ce qui reviendrait <strong>à</strong> nier l’aggro, mise en scène<br />

ritualisée de la violence <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> impressionner l’adversaire. Paraître fort <strong>et</strong> dangereux,<br />

chercher <strong>à</strong> faire peur aux autres supplantent ainsi bien souvent le passage <strong>à</strong> l’acte qui ne se<br />

produit que lors de la transgression <strong>des</strong> règles tacites de l’aggro (attaquer une fille par<br />

exemple 18 ), ou <strong>à</strong> la suite de l’intervention <strong>des</strong> forces de l’ordre. Chez les hooligans, être<br />

capable de faire peur aux adversaires au point qu’ils s’enfuient sans même chercher<br />

l’affrontement est considéré comme un must en matière de fighting spirit. Mais la frontière<br />

<strong>entre</strong> <strong>violences</strong> physiques, symboliques ou morales est parfois infime. Les <strong>violences</strong> ne<br />

représentent qu’un moment ou une étape dans les processus sociaux <strong>et</strong> « alimenteront,<br />

exacerberont ou renouvelleront en spirale d’autres expressions de violence » (Wieviorka, op.<br />

cit., 17). La violence morale ou symbolique, l’aggro, sont ainsi bien souvent les prémisses ou<br />

bien les soubassements d’affrontements très violents ou d’antagonismes <strong>entre</strong> groupes de<br />

supporters qui perdurent durant de nombreuses années.<br />

Le public du stade se modifie<br />

Si l’on adm<strong>et</strong> néanmoins que la violence <strong>des</strong> foules sportives a changé de nature cela<br />

n’explique pas pour autant pourquoi elle semble avoir touché préférentiellement le football<br />

aux autres <strong>sports</strong>. C’est la modification de la composition <strong>des</strong> publics qui constitue la<br />

deuxième période de construction du hooliganisme <strong>et</strong> nous perm<strong>et</strong> de répondre <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te<br />

question. A partir <strong>des</strong> années 50, le football anglo-saxon connaît un certain nombre de<br />

transformations. La première moitié du XX e siècle a vu l’Angl<strong>et</strong>erre dominer les autres pays<br />

d’Europe. Ayant inventé ce sport, sa structuration, sa démocratisation <strong>et</strong> sa propagation y ont<br />

été plus rapi<strong>des</strong>. Wahl (1990) note que l’école a joué un grand rôle dans sa diffusion au sein<br />

de toutes les couches de la population : 8 000 d’<strong>entre</strong> elles étaient inscrites au sein de<br />

l’English School F-B Association en 1948. Cependant, dans les années 50, les clubs<br />

connaissent une baisse de fréquentation. La société anglo-saxonne se transforme. Avec la<br />

modernité, les individus s’affranchissent progressivement <strong>des</strong> carcans sociaux, c<strong>et</strong><br />

affranchissement ayant été amorcé avec la déchristianisation de la société <strong>à</strong> partir <strong>des</strong><br />

années 30. L’immédiat après-guerre, période de reconstruction, est témoin d’une grande<br />

richesse économique. Les temps libres augmentent. Les individus tendent <strong>à</strong> profiter de c<strong>et</strong>te<br />

insouciance r<strong>et</strong>rouvée <strong>et</strong> ont soif de loisirs différents, nouveaux <strong>et</strong> multiples. C’est l’amorce<br />

de la société de consommation plus individualiste <strong>et</strong> plus individualisée. Le sport est réduit <strong>à</strong><br />

un plaisir parmi d’autres : sorties, cinémas, vacances. Il n’est plus le seul, ou le principal<br />

loisir, <strong>des</strong> classes populaires. Un certain nombre de pratiques sportives plus individuelles<br />

apparaissent, comme le judo ; d’autres se démocratisent, ne serait-ce qu’en raison du coût plus<br />

abordable de la pratique, rendant accessible <strong>à</strong> un plus grand nombre d’individus la pratique<br />

sportive <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tant aussi <strong>à</strong> d’autres de passer <strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong> différents plus ludiques,<br />

émergents, ou tout simplement dans l’air du temps. Le football n’est plus le seul spectacle<br />

abordable <strong>à</strong> tous <strong>et</strong> par tous. Les sta<strong>des</strong> connaissent alors une baisse de fréquentation. Il n’est<br />

pas encore question <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te époque de droits de r<strong>et</strong>ransmission ou de sponsors tels qu’on les<br />

connaît aujourd’hui. Si les joueurs sont en partie professionnels ou restent parfois encore <strong>des</strong><br />

« amateurs marrons », leur financement est assuré essentiellement par les rec<strong>et</strong>tes au guich<strong>et</strong>,<br />

<strong>à</strong> moins qu’ils ne soient <strong>des</strong> employés de certaines industries. Pour résoudre ce problème de<br />

18 C<strong>et</strong> exemple étant, <strong>à</strong> lui, seul révélateur d’un autre aspect : le rapport « genré » <strong>à</strong> l’activité physique <strong>et</strong><br />

sportive.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 23


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

désaffection, les Britanniques choisissent de spectaculariser le jeu en professionnalisant les<br />

joueurs, en améliorant le confort <strong>des</strong> tribunes, <strong>et</strong> en transformant les sta<strong>des</strong> pour accueillir un<br />

public plus nombreux. Ainsi, ils construisent de nouvelles tribunes, les ends, équivalents <strong>des</strong><br />

virages (curves) <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> ovoï<strong>des</strong>, situés <strong>à</strong> l’extrémité <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> anglo-saxons qui sont pour<br />

la plupart de forme rectangulaire. La démocratisation du football, sa diffusion <strong>à</strong> toutes les<br />

couches de la population <strong>et</strong> ces nouveaux emplacements entraînent l’apparition de publics<br />

distincts, socialement plus hétérogènes, voire peut-être moins connaisseurs. Ces<br />

transformations bousculent l’espace social du stade, ainsi que l’atmosphère festive <strong>et</strong><br />

conviviale qui y était auparavant de mise. Le développement du football <strong>et</strong> sa mise en<br />

spectacle transforment les valeurs d’une activité qui jusqu’alors était considérée comme un<br />

sport de classe, pratiqué mais aussi regardé essentiellement par les classes populaires 19 . Ce<br />

n’est cependant pas la seule transformation. Certains auteurs comme Bromberger (op. cit.),<br />

observent <strong>à</strong> la même époque, <strong>à</strong> partir de documents photographiques, une « juvénilisation du<br />

public » 20 . Les raisons en sont multiples. Sportives tout d’abord, car en favorisant la pratique<br />

du football <strong>à</strong> l’école, il semble normal que, <strong>à</strong> terme, ces jeunes pratiquants deviennent<br />

d’ardents amateurs ou <strong>des</strong> spectateurs passionnés de football. Sociales ensuite, car <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te<br />

époque correspond une profonde mutation de la société, <strong>à</strong> travers notamment<br />

l’autonomisation de la jeunesse qui va s’octroyer progressivement <strong>des</strong> loisirs distincts <strong>des</strong><br />

adultes. Économiques encore, car en offrant <strong>des</strong> places bon marché dans les ends, les clubs<br />

favorisent le regroupement <strong>des</strong> jeunes dans ce que l’on appelait jusqu’alors les (places)<br />

« populaires », en raison de leur prix <strong>et</strong> par voie de conséquence <strong>des</strong> catégories sociales qui<br />

fréquentaient ces emplacements. Culturelles enfin, car la Grande-Br<strong>et</strong>agne <strong>des</strong> années 60 <strong>et</strong><br />

suivantes va voir l’émergence de cultures ou de sous-cultures adolescentes : rough, teddy<br />

boys, skinheads, punks. Le football n’est dès lors plus une « consommation familiale »,<br />

empreinte de r<strong>et</strong>enue <strong>et</strong> sous contrôle parental. On ne se rend plus au stade comme au<br />

spectacle en famille y partager une passion commune <strong>et</strong> intergénérationnelle. Les ends<br />

deviennent le territoire de jeunes qui progressivement se regroupent en fonction du club qu’ils<br />

soutiennent, mais aussi <strong>et</strong> surtout en raison de leur quartier d’origine <strong>et</strong> de leurs sous-cultures<br />

d’appartenance. Ils vont ainsi en se regroupant former <strong>des</strong> communautés distinctes avec leur<br />

identité, leurs rites, emblèmes, symboles, solidarités, signes de reconnaissances <strong>et</strong> co<strong>des</strong><br />

vestimentaires qui serviront de fondement <strong>à</strong> la construction <strong>des</strong> groupes de supporters. Il ne<br />

leur manque plus en eff<strong>et</strong> pour être les groupes que nous connaissons aujourd’hui qu’<strong>à</strong> choisir<br />

<strong>des</strong> noms <strong>et</strong> <strong>à</strong> les associer au club qu’ils soutiennent. Ils vont également importer dans le stade<br />

<strong>des</strong> idéologies politiques <strong>et</strong> xénophobes (teddy-boys, skinheads) <strong>et</strong> les gangs de combat<br />

(skinheads, rough). L’esprit festif qui accompagnait jusqu’alors les rencontres sportives va<br />

ainsi laisser place <strong>à</strong> <strong>des</strong> rivalités sportives doublées d’antagonismes identitaires, culturels <strong>et</strong><br />

sociaux. La création de c<strong>et</strong>te nouvelle forme de soutien <strong>à</strong> l’équipe plus active, plus engagée <strong>et</strong><br />

plus inconditionnelle va favoriser, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> sous-cultures distinctes, l’émergence du<br />

hooliganisme en créant une culture oppositive qui ne sera plus seulement sportive. Les<br />

envahissements de terrain <strong>et</strong> bagarres <strong>entre</strong> supporters se multiplient. Le hooliganisme conçu<br />

comme la dérive <strong>des</strong> sous-cultures adolescentes importées dans les sta<strong>des</strong> est commun aux<br />

nombreuses recherches <strong>et</strong> analyses qui se succéderont (Elias <strong>et</strong> Dunning, 1986 ; Taylor 1971,<br />

1973, 1982 pour les pays anglo-saxons ; Zimmerman, 1987 pour l’Allemagne ; Ehrenberg,<br />

1991 pour les pays anglo-saxons ; Mignon, 1993, 1995 <strong>à</strong> travers une comparaison Grande-<br />

19 Lire <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> notamment les travaux de Bourdieu (1979, 1984) <strong>et</strong> de Pociello (1981, 1995).<br />

20 Il faut néanmoins se défier de l’illusion iconographique d’une totale juvénilisation qui, pour incontestable<br />

qu’elle soit, doit néanmoins être nuancée par le fait que les progrès en matière de soins, d’alimentation,<br />

d’habillement, <strong>et</strong>c. donnent parfois l’impression que les générations précédentes étaient « plus vieilles » que<br />

celles observées. Leur apparence le laisse souvent supposer sans pour autant que la réalité soit tangible.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 24


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Br<strong>et</strong>agne - France). Dès 1968 Lord Harrington m<strong>et</strong> en évidence dans son rapport que les<br />

hooligans arrêtés sont d’authentiques supporters, érudits <strong>et</strong> jeunes : âgés de moins de 21 ans,<br />

ils possèdent une profonde connaissance du football, de leur club, <strong>des</strong> joueurs, de la<br />

technique, <strong>et</strong> arborent fréquemment les insignes distinctifs de leurs groupes respectifs. C<strong>et</strong>te<br />

étude aurait dû alors trancher un débat qui perdure toujours aujourd’hui, aussi bien en Grande-<br />

Br<strong>et</strong>agne qu’en France : le hooliganisme est bien le fait d’authentiques supporters <strong>et</strong> non<br />

d’éléments extérieurs au football qui viendraient comm<strong>et</strong>tre leurs méfaits dans le stade. Les<br />

raisons de c<strong>et</strong>te persistance dans l’origine <strong>des</strong> hooligans sont multiples <strong>et</strong> simples. Il s’agit<br />

non seulement pour le football de garder une image de sport propre (Ehrenberg, op. cit.), mais<br />

également de s’affranchir de toute responsabilité morale en ce qui concerne le fait d’avoir<br />

suscité la venue d’un nouveau public <strong>et</strong> de l’avoir laissé sciemment ou non comm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong><br />

délits, <strong>et</strong> enfin de se dégager de toute responsabilité financière pour les infractions commises.<br />

La politique de séparation <strong>des</strong> supporters par l’installation de grillages dans les sta<strong>des</strong> aura,<br />

contrairement <strong>à</strong> son objectif de prévention, un eff<strong>et</strong> de levier sur les <strong>violences</strong>. Le<br />

morcellement <strong>des</strong> ends, la ségrégation <strong>des</strong> différents groupes va favoriser la territorialisation<br />

<strong>des</strong> tribunes, leur mise en spectacle <strong>et</strong> la concurrence intergroupes. Chaque groupe, dans un<br />

désir <strong>et</strong> une volonté de se distinguer, de s’opposer, d’afficher sa supériorité, d’être vu <strong>et</strong><br />

reconnu, pour venger la défaite ou prolonger la victoire, va chercher <strong>à</strong> conquérir les ends<br />

adverses. Des processus « d’acculturation antagoniste » s’amorcent ainsi progressivement,<br />

dans lesquels la violence est un moyen parmi d’autres de construction identitaire. Si la mise<br />

en place d’un périmètre de sécurité autour <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>, associé <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te politique<br />

d’engrillagement réduira les <strong>violences</strong> <strong>à</strong> l’intérieur <strong>des</strong> enceintes sportives, elle ne réussira par<br />

pour autant <strong>à</strong> les faire disparaître : « la conséquence de la politique officielle qui consiste <strong>à</strong><br />

séparer les supporters rivaux - politique qui fut introduite dans les années 60 afin d’empêcher<br />

le hooliganisme, mais qui semble avoir plutôt encouragé la solidarité <strong>des</strong> « camps » <strong>et</strong><br />

repoussé le phénomène en dehors du terrain de jeu -, les pugilats généralisés sur les gradins<br />

devinrent relativement rares dans les années 70 <strong>et</strong> au début <strong>des</strong> années 80 » (Elias <strong>et</strong> Dunning,<br />

op. cit., 338).<br />

Le supportérisme actif <strong>et</strong> structuré qui émerge dans le football anglo-saxon dans les années<br />

1960 (Broussard, 1990) se distingue cependant n<strong>et</strong>tement du supportérisme ultra qui compose<br />

les virages italiens ou français. Alors que les ultras m<strong>et</strong>tent en place <strong>des</strong> tifos (spectacles <strong>et</strong><br />

chorégraphies bigarrées <strong>et</strong> colorées) <strong>à</strong> l’aide de bâches, papiers multicolores formant l’effigie<br />

du club ou rappelant celui de leur communauté d’appartenance, les supporters anglais<br />

n’arborent bien souvent que <strong>des</strong> écharpes ou <strong>des</strong> insignes, mais apportent un soutien<br />

permanent durant le match <strong>à</strong> l’aide de chants incessants <strong>et</strong> de slogans provocateurs.<br />

Les problèmes sociaux au fondement de l’aggravation <strong>des</strong> actes hooligans<br />

La troisième période dans l’évolution du hooliganisme correspond pour un grand nombre de<br />

chercheurs (Taylor, op. cit. ; Clarcke, 1978 ; Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit.) <strong>à</strong> l’effondrement<br />

socio-économique de la Grande Br<strong>et</strong>agne dans les années 1970 <strong>à</strong> 1980. Les gouvernements<br />

travaillistes successifs (H. Wilson, de 1964 <strong>à</strong> 1970, puis de 1974 <strong>à</strong> 1976, <strong>et</strong> J. Callaghan, de<br />

1976 <strong>à</strong> 1980) n’arrivent pas <strong>à</strong> juguler l’inflation <strong>et</strong> le chômage. La Grande-Br<strong>et</strong>agne est au<br />

bord de la banqueroute. Au début <strong>des</strong> années 1970, 14 % de la population vit au-<strong>des</strong>sous du<br />

seuil de pauvr<strong>et</strong>é, chiffre jamais atteint par la France qui a vu son taux de pauvr<strong>et</strong>é se<br />

stabiliser aux alentours de 10 % dans les années 1990. L’inflation atteindra 25 % au milieu<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 25


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

<strong>des</strong> années 1970 <strong>et</strong> le taux de chômage passera de 3,8 % en 1972 <strong>à</strong> 11,5 % en 1983. Le secteur<br />

industriel perdra <strong>à</strong> lui seul 3 millions d’emplois <strong>entre</strong> 1966 <strong>et</strong> 1986 dans les pays anglosaxons,<br />

alors que ce chiffre ne sera atteint en France, sur la totalité <strong>des</strong> secteurs économiques,<br />

qu’en 1993. C<strong>et</strong> effondrement économique va provoquer l’arrivée de M me Thatcher au<br />

pouvoir <strong>et</strong> l’instauration d’une politique dite de « rigueur <strong>et</strong> d’austérité », les<br />

dénationalisations <strong>et</strong> le développement d’un libéralisme économique strict. Les choix<br />

politiques de l’époque sont clairs : il s’agit de redresser l’économie, fût-ce au détriment <strong>des</strong><br />

classes populaires <strong>et</strong> <strong>des</strong> catégories sociales défavorisées. Une image simple peut résumer les<br />

conditions de vie de la classe ouvrière anglo-saxonne de l’époque : la grève <strong>des</strong> mineurs<br />

durera un an avant d’être dispersée <strong>et</strong> réprimée violemment par le gouvernement<br />

conservateur. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la déstructuration économique de ce<br />

pays <strong>et</strong> de la fracture sociale qui s’y installe. Les mesures économiques <strong>et</strong> sociales prises <strong>à</strong><br />

l’encontre de la clase ouvrière ont catalysé le développement du hooliganisme : « la brutalité<br />

du proj<strong>et</strong> thatchérien de l’effacer culturellement, <strong>et</strong> politiquement, sont <strong>des</strong> facteurs puissants<br />

qui perm<strong>et</strong>tent de rendre compte de l’autonomisation du fait supporter <strong>et</strong> <strong>des</strong> stratégies de<br />

visibilité sociale adoptées par les hooligans » (Mignon, op. cit., 22).<br />

Le hooliganisme participe cependant moins de la lutte <strong>des</strong> classes que d’un mécanisme de<br />

survie <strong>et</strong> de reconnaissance sociale. Les <strong>violences</strong> coexistent, mais ne sont pas concomitantes<br />

aux émeutes urbaines. Les hooligans ne revendiquent pas ouvertement leur appartenance<br />

sociale ou la défense de la classe populaire. Cependant, le hooliganisme est, <strong>à</strong> l’instar <strong>des</strong><br />

travaux de Coser (1956), un signal de danger adressé <strong>à</strong> la communauté <strong>et</strong> une mise en<br />

évidence du dysfonctionnement social profond de la société anglo-saxonne. Ce type de<br />

violence, tout comme les émeutes urbaines, « témoigne d’abord de l’épuisement <strong>des</strong><br />

modalités de traitement politique <strong>et</strong> institutionnel <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> sociales » (Wieviorka, op.<br />

cit., 30). Le football est instrumentalisé <strong>et</strong> devient l’expressivité de l’errance socioéconomique<br />

<strong>des</strong> jeunes exclus de la société. A partir d’étu<strong>des</strong> socio-anthropologiques, Taylor<br />

(1973) <strong>et</strong> Clarcke (1973) décrivent la constitution <strong>des</strong> groupes de supporters, monde complexe<br />

où se fabrique du lien social. Alors que la société anglo-saxonne de l’époque semble en<br />

déliquescence, les groupes de supporters apportent réconfort, soutien <strong>et</strong> solidarité <strong>à</strong> ses<br />

membres. Les groupes se cristallisent non seulement <strong>à</strong> travers l’exclusion, mais aussi contre<br />

l’autre, l’« étranger », celui qui prend le travail <strong>des</strong> nationaux. Certains groupes (<strong>à</strong> dominante<br />

skinhead ou d’extrême droite) n’hésitent plus <strong>à</strong> afficher leur idéologie <strong>et</strong> <strong>des</strong> slogans racistes.<br />

Ils attirent dans leur rang de plus en plus de jeunes en révolte, sans repères <strong>et</strong> sans avenir,<br />

n’espérant plus obtenir ou r<strong>et</strong>rouver une quelconque position sociale. Le racisme dont ces<br />

supporters font preuve n’est pas un refus de la modernité, mais une peur d’en être exclus,<br />

d’être exclus également du progrès social <strong>et</strong> de ne plus trouver place <strong>et</strong> rang dans la société<br />

(Wieviorka, 1998, 1992). Le racisme n’est pas une sorte « d’état de nature ». Il est ici une<br />

réaction <strong>à</strong> l’exclusion. C’est la situation sociale <strong>et</strong> la proximité socio-économique avec les<br />

populations immigrées qui « oblige » les supporters <strong>à</strong> trouver « une victime émissaire »<br />

(Girard, 1972, 2004).Le hooliganisme est pour eux une « manière d’être <strong>et</strong> de paraître, de<br />

sortir de la masse, de cultiver leur différence » (Broussard, op. cit. 308). Le supportérisme <strong>et</strong><br />

la violence leur perm<strong>et</strong>tent de sortir d’un quotidien misérable <strong>et</strong> sordide. Ils représentent une<br />

échappatoire au quotidien le plus fade <strong>et</strong> donnent socle <strong>et</strong> sens <strong>à</strong> un avenir sans issue ou du<br />

moins perçu comme tel. L’extrême violence de ces groupes leur octroie une reconnaissance<br />

sociale <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong>, comme le suggère Van Limbergen <strong>et</strong> al. (1992), de construire une<br />

identité, certes monstrueuse mais préférable pour eux au mépris <strong>et</strong> <strong>à</strong> la dénégation sociale.<br />

Certains groupes se structurent en équipes de combat (fighting crews) : l’ICF (Inter City Firm<br />

de West Ham), le Main Firm de Cambridge, le Service Crew de Leeds, les Headhunters<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

(chasseurs de tête) de Chelsea, <strong>et</strong>c. La compétition sportive se double d’une compétition <strong>entre</strong><br />

groupes : il faut paraître pour exister. La violence est médiatisée <strong>et</strong> exacerbe la reconnaissance<br />

sociale. Crânes rasés, doc martens, tatouages, bombers <strong>et</strong> parfois insignes ou symboles néonazis,<br />

l’image du supporter fanatique <strong>et</strong> désœuvré, affichant une idéologie d’extrême droite,<br />

prend forme. L’ICF sera l’un <strong>des</strong> groupes les plus représentatifs <strong>et</strong> les plus violents, allant<br />

jusqu’<strong>à</strong> poignarder en 1982 un supporter d’Arsenal <strong>à</strong> la sortie d’un métro en laissant sur lui<br />

une carte où était inscrit : « Félicitations, vous venez de rencontrer l’ICF ». Mais il n’est pas<br />

anormal de trouver parmi les clubs de supporters, <strong>et</strong> par voie de conséquence parmi les<br />

hooligans, <strong>des</strong> ouvriers <strong>et</strong> de jeunes exclus. Le football appartient <strong>et</strong> est assimilé <strong>à</strong> la culture<br />

populaire <strong>et</strong> ouvrière dont il exalte les valeurs : efforts, engagement physique, solidarité,<br />

virilité, organisation, soumission <strong>à</strong> la discipline collective <strong>et</strong> esprit de corps. Il fait partie de<br />

ces passions ordinaires ouvertes <strong>à</strong> tous <strong>et</strong> dans lesquelles beaucoup se reconnaissent,car le<br />

football <strong>et</strong> ses joueurs incarnent l’idéal démocratique selon lequel « n’importe qui peut<br />

devenir quelqu’un » (Ehrenberg, op. cit.). Mais dans l’Angl<strong>et</strong>erre thatchérienne, le fossé se<br />

creuse chaque jour davantage <strong>entre</strong> les joueurs, de plus en plus riches <strong>et</strong> inabordables <strong>et</strong> les<br />

supporters, souvent exclus <strong>et</strong> sans devenir. Taylor <strong>et</strong> plus tard Clarcke verront ainsi dans<br />

« l’embourgeoisement du football » <strong>et</strong> dans la distanciation <strong>des</strong> <strong>relations</strong> public-joueurs de<br />

c<strong>et</strong>te époque <strong>des</strong> raisons supplémentaires du passage <strong>à</strong> la violence. Certains parleront de<br />

combat de préservation. Pour Wahl c<strong>et</strong>te évolution était perceptible depuis quelques temps<br />

déj<strong>à</strong> : « <strong>des</strong> signes annonciateurs de régression apparaissent en Europe. La chaleur qui<br />

entourait la pratique originelle a disparu. La proximité <strong>des</strong> joueurs <strong>et</strong> <strong>des</strong> supporters relève<br />

maintenant du souvenir ; ces derniers ne reconnaissent plus le joueur comme l’un <strong>des</strong> leurs<br />

qui a réussi » (op. cit., 109).<br />

Pour certains supporters, le hooliganisme est alors un moyen, abominable <strong>et</strong> effrayant peutêtre,<br />

mais un moyen parmi d’autres <strong>et</strong> comme un autre, de donner un sens <strong>à</strong> leur existence,<br />

d’obtenir une visibilité sociale <strong>et</strong> de transformer ainsi l’exclusion en reconnaissance <strong>et</strong> l’échec<br />

en réussite : « Ils représentent le refus de l’embourgeoisement de la classe ouvrière, la défense<br />

<strong>des</strong> principes rough [...] Par leur style (les skinheads), ils revendiquent une masculinité<br />

violente, l’esprit de loyauté [...], ils sont racistes [...], ils vont donner le style <strong>des</strong> ends car leur<br />

dur<strong>et</strong>é systématique est un idéal partagé par beaucoup » (Mignon, op. cit., 24).<br />

Par la violence ils acquièrent un statut qui se substitue <strong>à</strong> leur statut réel, leur octroyant une<br />

identité valorisée <strong>et</strong> valorisante qui leur fait défaut ou qui leur est déniée dans la vie<br />

quotidienne.<br />

Le hooliganisme : violence « ordinaire » pour les jeunes exclus de la classe ouvrière<br />

La quatrième période va être marquée par les travaux d’Elias <strong>et</strong> Dunning (op. cit.) qui<br />

viennent prolonger dans le champ sportif l’œuvre principale d’Elias (1969, 1985) sur le<br />

processus de civilisation <strong>des</strong> sociétés occidentales. Pour Elias, les sociétés se sont construites<br />

autour, d’une part, de l’établissement de normes de civilités (politesse, courtoisie, règlement<br />

<strong>des</strong> différents par la parole) <strong>et</strong>, d’autre part, autour de la question du contrôle de la violence<br />

par l’État (curialisation 21 <strong>des</strong> guerriers, monopolisation de la violence). Elles sont construites<br />

21 Transformation de la noblesse « guerrière » disposant de vassaux, d’une armée <strong>et</strong> levant <strong>des</strong> impôts pour son<br />

propre compte en une noblesse de cour rassemblée en un seul <strong>et</strong> même lieu sous la « protection d’un<br />

monarque », perdant ainsi progressivement tout intérêt de s’opposer les uns aux autres par les armes.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

également par les individus eux-mêmes qui intègrent progressivement <strong>des</strong> processus<br />

d’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions. Le sport est un moyen parmi d’autres de contrôler la violence<br />

dans ou par la société, car il offre un « espace toléré de débridement <strong>des</strong> émotions » où<br />

joueurs <strong>et</strong> spectateurs (au sens générique du terme) peuvent laisser libre cours <strong>à</strong> leurs<br />

émotions mais il est aussi un espace normatif de sociabilité favorisant l’apprentissage <strong>des</strong><br />

règles <strong>et</strong> le contrôle de ses émotions. Elias <strong>et</strong> Dunning investissent donc l’obj<strong>et</strong> hooliganisme<br />

<strong>à</strong> travers une question simple : comment le sport moderne créé, <strong>entre</strong> autres pour favoriser le<br />

contrôle de la violence, peut-il générer dans le football c<strong>et</strong>te violence ?<br />

A la suite <strong>des</strong> travaux précédents, Elias <strong>et</strong> Dunning observent que la plupart <strong>des</strong> hooligans<br />

sont bien membres de la rough working class, la classe ouvrière la plus basse <strong>et</strong> plus<br />

précisément <strong>des</strong> milieux les plus défavorisés de ce groupe social : « Au bas de l’échelle<br />

sociale [...], le fossé s’élargissait <strong>entre</strong> elles <strong>et</strong> les couches ouvrières inférieures de plus en<br />

plus appauvries [...]. Or, ce sont ces groupes de la classe ouvrière dure – <strong>et</strong> leur nombre<br />

semble avoir augmenté avec la crise actuelle – qui tendent le plus <strong>à</strong> se comporter selon les<br />

modèles formés par ce que Suttles appelle la segmentation ordonnée 22 . Ces adolescents <strong>et</strong> ces<br />

jeunes adultes [...] constituent un noyau majoritaire parmi les groupes qui s’engagent dans les<br />

formes les plus sérieuses du hooliganisme (op. cit., 360-361).<br />

Il n’est cependant pas possible pour eux de généraliser <strong>et</strong> d’assimiler le hooliganisme <strong>à</strong> une<br />

classe sociale comme un allant de soi. Afin de comprendre pourquoi ce lien existe, il faut<br />

passer du statut <strong>à</strong> l’expérience. Tout d’abord, si la majeure partie <strong>des</strong> hooligans semble bien<br />

issue <strong>des</strong> classes sociales défavorisées, <strong>à</strong> l’inverse toutes les personnes en situation de<br />

précarité sociale, assistant <strong>à</strong> <strong>des</strong> matches de football, ne deviennent pas obligatoirement<br />

hooligans ou délinquants. Ensuite, même s’ils ne s’intéressent pas réellement <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te question<br />

précise – nous y reviendrons ultérieurement – tous les hooligans arrêtés ne sont pas membres<br />

de la rough working class 23 . Enfin, pour Elias <strong>et</strong> Dunning, ce n’est pas l’appartenance <strong>à</strong> la<br />

classe ouvrière qui est en cause, mais le fonctionnement social de celle-ci, ses formes de<br />

socialisations <strong>et</strong> de sociabilité. Si la violence est le fait de la rough working class, c’est que<br />

ses membres seraient moins avancés dans le processus de civilisation.<br />

Dans les travaux d’Elias un aspect essentiel du procès de civilisation repose sur un<br />

changement du schéma du lien social comparable <strong>à</strong> ce que Durkheim (1893) décrit comme le<br />

passage d’une solidarité mécanique <strong>à</strong> une solidarité organique. Pour décrire c<strong>et</strong> aspect du<br />

processus, Elias emploie les termes de lien segmentaire <strong>et</strong> de lien fonctionnel. La rough<br />

working class se caractériserait par un fonctionnement social sous la forme du lien<br />

segmentaire. La violence y est un mode traditionnel de résolution <strong>des</strong> conflits. Elle est donc<br />

pour Elias <strong>et</strong> Dunning un aspect prégnant <strong>et</strong> une partie irréductible du fonctionnement social<br />

de ces groupes. En se comportant de manière violente lors <strong>des</strong> rencontres de football, les<br />

hooligans ne font que reproduire <strong>des</strong> comportements normaux <strong>et</strong> auxquels ils sont habitués :<br />

« Chez ces groupes caractérisés par <strong>des</strong> liens segmentaires, les normes de l’affrontement sont<br />

analogues aux systèmes de vend<strong>et</strong>ta que l’on observe encore dans maints pays méditerranéens<br />

[...] » (op. cit., 324).<br />

Pour Elias <strong>et</strong> Dunning quatre observations confirment ce fonctionnement social :<br />

22 Fonctionnement de ban<strong>des</strong> observées <strong>à</strong> Chicago où la ségrégation était forte, les normes de masculinité<br />

importantes, avec un système d’alliance élaboré.<br />

23 Classe ouvrière « dure » : par extension le plus bas échelon de la classe ouvrière, celle qui a conservé un<br />

fonctionnement social où la violence est prégnante.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

• « 1. le fait que les groupes concernés semblent aimer autant - sinon plus -<br />

s’affronter les uns aux autres que regarder le match..<br />

• 2. le fait que tous les membres <strong>des</strong> groupes rivaux ou presque semblent venir<br />

d’une même couche sociale, c’est <strong>à</strong> dire <strong>des</strong> fractions dites dures de la classe<br />

ouvrière. Il faut donc voir dans leurs affrontements <strong>des</strong> conflits intra-classes <strong>et</strong><br />

non inter-classes.<br />

• 3. le fait que les affrontements de ces groupes prennent la forme d’une<br />

vend<strong>et</strong>ta... Les individus <strong>et</strong> les groupes sont agressés simplement parce qu’ils<br />

arborent l’insigne d’appartenance <strong>à</strong> un groupe rival. De même, les dissensions de<br />

longue date <strong>entre</strong> les groupes rivaux de supporters hooligans, qui persistent<br />

malgré le renouvellement de leurs membres, indiquent la très forte identification<br />

<strong>des</strong> hooligans avec les groupes auxquels ils appartiennent.<br />

• 4. la remarquable conformité <strong>et</strong> uniformité dans l’action qui se manifeste <strong>à</strong><br />

travers les chansons <strong>et</strong> les slogans <strong>des</strong> hooligans, dont un thème récurrent<br />

consiste <strong>à</strong> exalter l’image masculine du groupe - dans le groupe -, tout en<br />

dénigrant <strong>et</strong> émasculant le groupe ″hors du groupe″ » (op. cit., 331-332).<br />

La composition sexuée <strong>des</strong> groupes, les normes de masculinité agressive communément<br />

admises, la domination sexuelle, le fonctionnement sous forme de ban<strong>des</strong> intégré depuis la<br />

plus jeune enfance, les systèmes complexes d’alliances, qualifiés par Elias <strong>et</strong> Dunning de<br />

« syndrome bédouin » 24 , la consommation d’alcool facilitent le recours <strong>à</strong> la violence : « Dans<br />

ces groupes segmentaires, les sentiments intenses d’affection au sein du groupe ″dans legroupe″<br />

<strong>et</strong> d’hostilité envers les groupes ″hors-du-groupe″ sont tels que la rivalité est<br />

virtuellement inévitable lorsque leurs membres se rencontrent. A cause de leurs normes de<br />

masculinité agressive <strong>et</strong> parce qu’ils sont relativement incapables de s’autocontrôler, le conflit<br />

qui les oppose débouche facilement sur l’affrontement » (op. cit., 334).<br />

Les médias catalysent les <strong>violences</strong> hooligans<br />

Si les étu<strong>des</strong> anglo-saxonnes ont apporté un certain nombre d’interprétations tantôt<br />

divergentes, tantôt concordantes, en fonction du choix <strong>des</strong> terrains <strong>et</strong> <strong>des</strong> approches<br />

scientifiques, le drame du Heysel va pour sa part favoriser l’extension du phénomène <strong>à</strong><br />

l’Europe entière <strong>et</strong> construire largement les représentations collectives en matière de<br />

hooliganisme.<br />

En mai 1985, Liverpool (déj<strong>à</strong> vainqueur de l’édition 1984) <strong>et</strong> la Juventus de Turin (qui<br />

remportera ce match) jouent la finale de la Coupe d’Europe <strong>des</strong> clubs champions au stade du<br />

Heysel <strong>à</strong> Bruxelles. Si les supporters de Liverpool ne font pas partie <strong>des</strong> plus dangereux<br />

d’Angl<strong>et</strong>erre, ils sont néanmoins précédés d’une réputation sulfureuse, ainsi pour ne prendre<br />

que quelques exemples parmi de nombreux autres incidents : en mars de la même année, de<br />

violentes bagarres les avaient opposés aux supporters de l’Austria de Vienne. En juin 1984,<br />

lors du match AS Roma-Liverpool, les affrontements avec les ultras italiens avaient fait une<br />

quarantaine de blessés <strong>et</strong> conduit <strong>à</strong> l’arrestation d’une cinquantaine de supporters.<br />

24 L’ami d’un ami est un ami, l’ennemi d’un ennemi est un ami, l’ami d’un ennemi est ennemi.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Tout ceci vient s’ajouter aux diverses exactions commises dans les mois <strong>et</strong> les années<br />

précédentes par les supporters <strong>des</strong> autres clubs anglo-saxons <strong>et</strong> ceux de l’équipe d’Angl<strong>et</strong>erre.<br />

Le service d’ordre était nombreux <strong>et</strong> avait reçu <strong>des</strong> consignes de ferm<strong>et</strong>é. Les supporters <strong>des</strong><br />

deux équipes ont été introduits très tôt dans le stade, séparés seulement d’un grillage. Attente,<br />

provocations, insultes, tentatives d’intimidation, alcool, j<strong>et</strong>s de can<strong>et</strong>tes, panique morale,<br />

quelques supporters anglais réussissent <strong>à</strong> s’introduire dans le bloc Z réservé <strong>à</strong> la Juve, <strong>et</strong><br />

chargent. Les policiers débordés laissent passer. Les supporters italiens <strong>des</strong> derniers rangs,<br />

affolés, se m<strong>et</strong>tent <strong>à</strong> <strong>des</strong>cendre leurs gradins, écrasant contre le grillage inférieur leurs<br />

congénères qui ne savaient pas ce qui se passait au-<strong>des</strong>sus d’eux. La sécurité du stade a<br />

attendu durant de longues minutes l’ordre de déverrouiller les grillages en bas de la tribune.<br />

Cela aurait pourtant permis aux supporters d’échapper <strong>à</strong> l’écrasement. Il n’y a pas eu<br />

affrontement dur direct, mais un défaut dans la sécurité passive du stade malgré la présence de<br />

2 290 policiers ! Défaut qui sera réparé le 19 août 1985 par la mise en place d’une Convention<br />

européenne « sur la violence <strong>et</strong> les débordements <strong>des</strong> spectateurs lors de manifestations<br />

sportives <strong>et</strong> notamment de matches de football ». Il s’agit bien d’un effort rétroactif de<br />

prévention d’un phénomène pourtant prévisible, d’une campagne périodique (Becker, op. cit.)<br />

visant <strong>à</strong> instaurer <strong>des</strong> normes <strong>et</strong> un contrôle social afin de rassurer la population. La<br />

commission d’enquête montrera également que <strong>des</strong> bill<strong>et</strong>s ont été vendus « <strong>à</strong> n’importe qui »,<br />

au mépris total <strong>des</strong> règles élémentaires de sécurité. Quoi qu’il en soit dans l’urgence<br />

médiatique <strong>des</strong> événements qui se sont joués au Heysel, les journalistes, en répétant en boucle<br />

les interprétations sur le hooliganisme anglo-saxon, ont contribué très largement <strong>à</strong> la<br />

fabrication <strong>des</strong> représentations collectives en la matière : le hooligan est devenu<br />

définitivement un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire <strong>et</strong><br />

imbibé d’alcool. A aucun moment quelqu’un ne s’est interrogé sur l’origine <strong>des</strong> antagonismes<br />

<strong>entre</strong> ces deux groupes, ni même de savoir si les supporters de Liverpool étaient bien <strong>à</strong><br />

l’origine de l’animosité <strong>et</strong> de c<strong>et</strong> événement tragique. A l’instar de Kapuscinski (2002), on<br />

peut effectivement se demander si les médias reflètent bien la réalité ou si devenue une<br />

marchandise, l’information se soucie vraiment de la vérité : l’essentiel est peut être tout<br />

simplement de vendre. Le hooliganisme vient de perdre définitivement son insularité, car en<br />

commentant, en reformulant, en repassant incessamment les mêmes images dans la plus pure<br />

tradition journalistique du « poids <strong>des</strong> mots <strong>et</strong> du choc <strong>des</strong> photos », les médias ont donné une<br />

visibilité sans précédent aux supporters <strong>et</strong> hooligans. Auparavant, ils soutenaient leur équipe,<br />

le hooliganisme étant la forme ultime, dérive extrême du supportérisme jusqu’au-boutiste ;<br />

dorénavant, ils seront en plus connus <strong>et</strong> reconnus, leurs actes seront authentifiés. La<br />

médiatisation du Heysel va donc accélérer l’extension du phénomène au niveau européen.<br />

Accélérer seulement, car le hooliganisme existait dans le reste de l’Europe bien avant. Le<br />

passage <strong>des</strong> supporters anglais dans les autres pays avait déj<strong>à</strong> servi, par mimétisme, de<br />

détonateur aux exactions dans les années 1975 <strong>à</strong> 1980. On peut s’étonner d’ailleurs du silence<br />

<strong>des</strong> journalistes <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong>, tout comme de celui <strong>des</strong> instances nationales ou internationales du<br />

football. En ce qui concerne la France, <strong>des</strong> évènements hooligans émaillaient déj<strong>à</strong> les<br />

rencontres du Paris Saint-Germain depuis 1979 (Rouibi, 1989), ainsi que celles de Marseille,<br />

Strasbourg, Nantes depuis 1980. Le football belge rencontrait également les mêmes<br />

problèmes depuis les années 1980 (Dupuis, 1993a/b). La République fédérale allemande<br />

(RFA), l’Italie <strong>et</strong> la Yougoslavie voyaient les matchs perturbés depuis le début <strong>des</strong> années<br />

1980 par de nombreux affrontements <strong>entre</strong> fans. Broussard (op. cit.), dans sa<br />

minutieuse enquête sur les ultras du football européens relève <strong>des</strong> affrontements dans la quasi<br />

totalité <strong>des</strong> pays de l’Europe <strong>à</strong> partir de c<strong>et</strong>te même période. Le hooliganisme, a contrario <strong>des</strong><br />

représentations collectives, n’était donc pas seulement anglo-saxon.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 30


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Mais en dehors <strong>des</strong> difficultés socio-économiques plus précoces en Grande-Br<strong>et</strong>agne que dans<br />

les autres nations européennes, on peut se demander pourquoi ce pays a été davantage touché<br />

ou concerné par c<strong>et</strong>te forme de violence ?<br />

Un certain nombre de raisons simples perm<strong>et</strong> de l’expliquer. La première est commune<br />

d’ailleurs au hooliganisme très violent qui sévit en Belgique ou aux Pays-Bas : la proximité<br />

spatiale <strong>des</strong> clubs. En 1996, pas moins de 11 clubs évoluaient en première ou deuxième<br />

division du football anglais sur la seule agglomération londonienne (ville <strong>et</strong> banlieues de<br />

Londres confondues). La superficie de l’Angl<strong>et</strong>erre, pays anglo-saxon le plus touché par le<br />

hooliganisme, ne représente que le quart de celle de la France ou de l’Espagne, la moitié de<br />

l’Italie, ou deux fois <strong>et</strong> demi moins que l’Allemagne, pour ne prendre comme exemple que<br />

quelques pays très concernés par le football professionnel. La Belgique <strong>et</strong> les Pays-Bas sont<br />

deux pays plus p<strong>et</strong>its que la seule région Aquitaine en France. Les déplacements sont donc<br />

aisés <strong>et</strong> peu onéreux. Les supporters se déplacent ainsi facilement, fréquemment <strong>et</strong> en grand<br />

nombre <strong>à</strong> chacune <strong>des</strong> rencontres. Ainsi, si les comportements agonistiques, au sens<br />

éthologique du terme, s’inscrivent bien souvent dans <strong>des</strong> rivalités sportives, la proximité<br />

spatiale <strong>des</strong> clubs se conjugue <strong>et</strong> cristallise les antagonismes locaux <strong>et</strong> territoriaux, qui<br />

s’ancrent « dans <strong>des</strong> histoires singulières de villes, de pays, de classes <strong>et</strong> de crises »<br />

(Bromberger, op. cit., 242).<br />

La deuxième raison tient aux médias. Le rôle <strong>des</strong> médias dans l’extension du hooliganisme ne<br />

s’arrête pas <strong>à</strong> l’hyper-médiatisation du Heysel. Pour combattre le hooliganisme, les<br />

journalistes anglo-saxons vont créer la thugs league (ligue <strong>des</strong> voyous). L’objectif était<br />

honorable en soi. Il s’agissait de combattre les groupes hooligans en les stigmatisant <strong>et</strong> en les<br />

offrant <strong>à</strong> la vindicte <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’opprobre populaire. Mais ce classement va être récupéré <strong>et</strong> utilisé<br />

par ces jeunes supporters en quête de visibilité sociale. Être premier de la thugs league va<br />

devenir progressivement l’objectif prioritaire de chacun <strong>des</strong> groupes. Il s’agit bien d’un eff<strong>et</strong><br />

pervers, au sens où l’entend Boudon (1977), qui va <strong>entre</strong>tenir <strong>et</strong> catalyser la concurrence <strong>et</strong> les<br />

<strong>violences</strong> intergroupes. Il en sera d’ailleurs de même en France avec la création de Sup’Mag<br />

(Supporter Magazine), magazine créé <strong>à</strong> l’origine pour parler <strong>des</strong> supporters, faire connaître <strong>et</strong><br />

valoriser leurs tifos <strong>et</strong> qui instaura progressivement une animosité <strong>et</strong> une concurrence <strong>à</strong> travers<br />

un classement officiel <strong>des</strong> meilleurs supporters. C<strong>et</strong>te revue extrêmisera peu <strong>à</strong> peu son<br />

contenu vers un supportérisme plus dur <strong>et</strong> un grand nombre d’articles consacrés aux<br />

hooligans.<br />

A travers l’action <strong>et</strong> l’influence <strong>des</strong> médias « les terrains de football furent de plus en plus<br />

« vendus » comme <strong>des</strong> lieux où l’on assistait régulièrement non seulement <strong>à</strong> <strong>des</strong> matchs de<br />

football, mais, aussi <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements ou aggro. C<strong>et</strong>te image attira les jeunes mâles <strong>des</strong><br />

fractions « dures » de la classe ouvrière [...] » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit., 363).<br />

Si les médias ne sont pas la cause du hooliganisme, ils en sont néanmoins un élément<br />

amplificateur, multiplicateur <strong>et</strong> catalyseur. Ils ont amplement contribué <strong>à</strong> sa diffusion, sa<br />

promotion <strong>et</strong> sa valorisation, du moins auprès de ceux qui y trouvèrent par la suite une<br />

possibilité d’existence <strong>et</strong> reconnaissance sociale.<br />

Extension du hooliganisme <strong>à</strong> l’Europe entière<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 31


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

La visibilité sociale offerte aux jeunes hooligans va favoriser non seulement le phénomène de<br />

<strong>violences</strong> accompagnant les rencontres de football, mais elle va aussi favoriser l’extension<br />

européenne du problème par mimétisme <strong>et</strong> concurrence. Par mimétisme, pour faire comme les<br />

Anglo-Saxons, pour être reconnus de la même manière en tant que supporters passionnés <strong>et</strong><br />

jusqu’au-boutistes, capables de défendre leur équipe, leur club ou leur image de supporters,<br />

par la violence s’il le faut. Par concurrence, car le classement officieux <strong>des</strong> supporters oblige<br />

chacun <strong>à</strong> se surpasser : être plus nombreux <strong>à</strong> se déplacer, <strong>à</strong> être fidèlement présents pour les<br />

matches <strong>à</strong> domicile, <strong>et</strong> ce quels que soient les résultats de l’équipe ou le niveau auquel elle<br />

évolue, <strong>à</strong> organiser <strong>des</strong> tifos ou un soutien mieux coordonné, <strong>à</strong> perturber celui <strong>des</strong> supporters<br />

adverses, <strong>à</strong> les provoquer. C<strong>et</strong>te « contagiosité » du développement <strong>des</strong> groupes de supporters<br />

qui se jaugent <strong>et</strong> se comparent en raison de la territorialisation <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> fait que la violence<br />

devient partout en Europe un élément culturel <strong>et</strong> une partie intégrale <strong>et</strong> intégrante <strong>des</strong><br />

différents groupes. Elle participe même <strong>à</strong> la construction identitaire <strong>des</strong> groupes par l’histoire<br />

<strong>des</strong> affrontements <strong>et</strong> <strong>des</strong> antagonismes. Ainsi, la narration de la violence, même si elle est<br />

totalement subjective <strong>et</strong> souvent déformée, perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> chacun <strong>des</strong> membres de trouver une<br />

valorisation personnelle dans l’appartenance au groupe. Mais la violence est également un<br />

élément constitutif du groupe, car elle pose <strong>à</strong> celui-ci un problème majeur : s’unir <strong>et</strong> faire<br />

face, ou reculer de manière individuelle <strong>et</strong> disparaître en tant que groupe.<br />

Avec l’extension du hooliganisme <strong>à</strong> l’Europe entière, on assiste <strong>à</strong> une diversification <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> au niveau européen, bien qu’un certain nombre de chercheurs abordant ces questions<br />

enseignent dans les universités anglo-saxonnes. Deux approches très distinctes vont se m<strong>et</strong>tre<br />

progressivement en place : d’une part, <strong>des</strong> travaux, essentiellement français, qui ne<br />

s’intéresseront qu’au fait supporter, considérant dès lors le hooliganisme comme un<br />

phénomène marginal (Charroin, 1994 ; Bromberger, 1995, 1998a ; Roumestan, 1998 ;<br />

Nuytens, 2000) <strong>et</strong>, d’autre part, <strong>des</strong> approches plus ciblées visant <strong>à</strong> comprendre <strong>et</strong> <strong>à</strong> interpréter<br />

les hooliganismes nationaux ou locaux <strong>à</strong> travers le fonctionnement interne de certains groupes<br />

de supporters considérant, pour leur part, le hooliganisme comme une partie intégrale de<br />

l’activité de supporter <strong>et</strong> le stade ultime du supportérisme (Giulianotti, 1995, pour l’Ecosse ;<br />

Zani <strong>et</strong> Kirchler, 1991, pour les hooligans de Naples <strong>et</strong> Bologne ; Zimmerman, op. cit. en<br />

Allemagne ; Van Limbergen <strong>et</strong> al. 1992, 1989 ; Dupuis, op. cit. en Belgique, Bodin, 1998,<br />

1999c, 1999a pour la France). Trois auteurs seront en marge de ces approches : Mignon, qui<br />

effectue une approche comparative du hooliganisme en Grande-Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong> en France (1993,<br />

1995), Tsoukala (1996, 1993) observant l’évolution <strong>des</strong> politiques criminelles en matière de<br />

hooliganisme <strong>et</strong> Comeron (2002, 1993, 1992), qui dès 1992 s’appliquera <strong>à</strong> instaurer le fancoaching<br />

(encadrement <strong>des</strong> supporters), <strong>à</strong> partir de l’expérience sur le Standard de Liège, en<br />

Belgique. Ces divers travaux interrogent les processus d’apprentissage de la violence par<br />

mimétisme, conformité aux normes <strong>des</strong> groupes, recherche d’un statut au sein du groupe,<br />

concurrence <strong>entre</strong> groupes, faisant du hooliganisme une sous-culture du supportérisme.<br />

L’après Heysel se caractérise également par une évolution structurelle du hooliganisme. Le<br />

contrôle social mis en place (conventions européennes, lois <strong>et</strong> décr<strong>et</strong>s nationaux, périmètre de<br />

sécurité autour <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>, mesures de palpation, vidéosurveillance) a provoqué l’émergence<br />

d’une nouvelle forme de hooligans : les casuals (Redhead, 1987) 25 , supporters violents ne<br />

portant plus aucun signe distinctif de leur groupe d’appartenance. Leur tenue vestimentaire<br />

inspire confiance, favorise l’anonymat. Le filtrage <strong>à</strong> l’entrée du périmètre de sécurité <strong>et</strong> du<br />

stade par les forces de l’ordre ou les stadiers ressemble au travail <strong>des</strong> physionomistes <strong>des</strong><br />

boîtes de nuit : il relève plus généralement du phénomène de discrimination <strong>à</strong> partir de<br />

25 Casual vient de casual clothing : habits « normaux ». Le port d’habits « normaux » fournit une certaine<br />

invisibilité aux supporters les plus extrêmes.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 32


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

caractéristiques visibles <strong>et</strong>/ou morphologiques (délit de « sale gueule »). Les jeunes supporters<br />

affublés <strong>des</strong> insignes de leur groupe ou de leur club font plus souvent que les autres l’obj<strong>et</strong> de<br />

palpation. En portant une tenue vestimentaire neutre ou correcte, les casuals inspirent<br />

confiance <strong>et</strong> <strong>entre</strong>nt sans difficulté dans le stade. Les hooligans deviennent invisibles ou peu<br />

reconnaissables.<br />

Van Limbergen <strong>et</strong> al. continueront cependant <strong>à</strong> travailler sur la question de l’exclusion sociale<br />

<strong>des</strong> hooligans belges <strong>et</strong> introduiront la notion de vulnérabilité sociétale. Les dossiers<br />

judiciaires <strong>des</strong> membres <strong>des</strong> noyaux durs <strong>des</strong> si<strong>des</strong> belges (équivalent <strong>des</strong> virages <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

curves), font apparaître <strong>des</strong> problèmes dans la structure familiale <strong>et</strong> sociale : 40 % d’<strong>entre</strong> eux,<br />

ont connu une scolarité courte ; 16 % seulement de ceux en âge scolaire se rendaient<br />

régulièrement en cours ; très souvent en situation sociale <strong>et</strong> matérielle précaire, ils sont<br />

opposés aux valeurs bourgeoises traditionnelles (politesse, discipline, respect <strong>des</strong> lois) ; enfin,<br />

75 % d’<strong>entre</strong> eux sont répertoriés depuis leur plus jeune âge par les services de police pour<br />

<strong>des</strong> affaires de délinquance.<br />

Quelles que soient les approches r<strong>et</strong>enues, les différents auteurs m<strong>et</strong>tent en évidence deux<br />

points communs. Tout d’abord, le hooliganisme est bien le fait de supporters <strong>et</strong> non<br />

d’individus extérieurs au football. Les hooligans appartiennent tous <strong>à</strong> <strong>des</strong> groupes structurés.<br />

En reprenant la métaphore relative <strong>à</strong> la consommation de drogue, on peut ainsi affirmer que si<br />

100 % <strong>des</strong> supporters ne deviendront pas hooligans, 100 % <strong>des</strong> hooligans sont bien, quant <strong>à</strong><br />

eux, d’authentiques supporters. Le hooliganisme est effectivement, comme le suggère<br />

Ehrenberg, la dérive extrême du supportérisme. « Plus précisément, ce qui distingue<br />

l’hooliganisme par rapport <strong>à</strong> la tradition du soutien, c’est le déplacement vers les gradins :<br />

tandis qu’un match se déroule sur le terrain, deux équipes de supporters <strong>entre</strong>nt dans une<br />

compétition physique parallèle [...] Le comportement <strong>des</strong> hooligans s’appuie donc sur <strong>des</strong><br />

traditions culturelles <strong>et</strong> sportives qu’ils dépassent en les transformant. Leurs <strong>violences</strong><br />

cherchent <strong>à</strong> déplacer les pôles de la visibilité du terrain vers les gradins » (Ehrenberg, op. cit.,<br />

58).<br />

Le hooliganisme est ensuite, <strong>et</strong> par voie de conséquence, le fait d’un nombre limité de<br />

supporters : le noyau dur du groupe, composé essentiellement <strong>des</strong> leaders <strong>et</strong> <strong>des</strong> individus<br />

présents <strong>à</strong> tous les matches de championnat, que ce soit <strong>à</strong> domicile ou en déplacement. Leur<br />

nombre varie de une dizaine <strong>à</strong> 200 <strong>à</strong> 300 membres. Si le terme de noyau dur n’est pas<br />

comparable dans sa définition <strong>à</strong> celui utilisé dans les étu<strong>des</strong> sur la délinquance juvénile, le<br />

résultat est identique. A l’image <strong>des</strong> travaux de Roché (2001) <strong>et</strong> Debarbieux (2002), on peut<br />

effectivement constater que 50 % du hooliganisme est le fait d’un « noyau suractif » de 5 %<br />

d’individus 26 .<br />

Il est, en fait, très difficile de dissocier le hooliganisme <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> concernant la violence<br />

urbaine, la délinquance <strong>des</strong> mineurs, ou encore la violence <strong>à</strong> l’école, car les publics concernés<br />

sont, en majorité du moins, les mêmes. Ils ont souvent un profil socio-démographique<br />

commun.<br />

Construire son obj<strong>et</strong> par del<strong>à</strong> les critiques formulables<br />

26 Lire <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> les limites <strong>à</strong> apporter <strong>à</strong> l’utilisation de c<strong>et</strong>te notion dans Debarbieux, E. (2002), p. 105-112.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 33


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Si l’observation de la construction sociale de notre obj<strong>et</strong>, nous permit tout <strong>à</strong> la fois de<br />

commencer <strong>à</strong> nous débarrasser de nos prénotions naïves en entrant de plein pied dans la<br />

recherche, l’écriture de c<strong>et</strong>te analyse critique fut beaucoup plus difficile. C’est une étape<br />

délicate où doit se faire l’apprentissage d’une lecture distanciée <strong>et</strong> débarrassée du respect <strong>et</strong> de<br />

la déférence, non convenus, que tout jeune chercheur a devant ses prédécesseurs renommés.<br />

Ce n’est somme toute que l’activité scientifique normale <strong>et</strong> le cheminement habituel de tout<br />

chercheur : être capable tout <strong>à</strong> la fois de présenter ses travaux <strong>à</strong> la critique <strong>des</strong> autres <strong>et</strong> de<br />

critiquer les leurs. Lecture critique qui oblige également <strong>à</strong> rassembler, <strong>et</strong> organiser,<br />

logiquement <strong>des</strong> connaissances souvent éparses. C’est également accepter l’idée que la<br />

déconstruction d’un savoir n’est pas un jugement de valeur en soi, mais bel <strong>et</strong> bien, la<br />

délimitation précise d’un travail en fonction d’un contexte, dépassant les querelles de<br />

métho<strong>des</strong> ou de chapelles qui peuvent exister. Debarbieux avait bien remarqué nos hésitations<br />

<strong>à</strong> formuler l’intégralité de notre analyse, notant dans son rapport de thèse : « Bien sûr, il faut <strong>à</strong><br />

Bodin, une certaine audace pour rem<strong>et</strong>tre en question une grande partie <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> antérieures.<br />

L’exposition <strong>des</strong> différentes thèses dans les premiers chapitres est trop révérencieuse, […] il<br />

faut attendre la page 58 pour qu’il « tue le père », pas totalement cependant : il lui reste<br />

difficile de rem<strong>et</strong>tre en question Elias <strong>et</strong> Dunning ». Fort d’un p<strong>et</strong>it peu plus d’expérience,<br />

d’audace très certainement, respectant également la logique interne de l’activité scientifique<br />

liée <strong>à</strong> la lutte permanente contre les images trompeuses <strong>et</strong> les erreurs, ce sont les fondements<br />

de c<strong>et</strong>te analyse, qui existait pourtant alors, telle quelle, bien que présentée plus<br />

sommairement 27 , que nous livrons maintenant, considérant que le progrès scientifique est<br />

cumulatif, œuvre d’une quantité de personnes qui critiquent, ajoutent <strong>et</strong> élaguent (Maspéro,<br />

1983), dans un « scepticisme organisé » respectant le « principe d’universalisme » (Merton,<br />

1942). Construire un obj<strong>et</strong> de recherche, c’est donc <strong>entre</strong>r dans le débat, contester <strong>et</strong> discuter,<br />

au sens dialectique du terme, les analyses précédentes pour tenter, autant que faire se peut<br />

d’apporter sa pierre <strong>à</strong> l’édifice global. Bachelard affirmait ainsi que « l’esprit scientifique se<br />

constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées », erreurs qui peuvent être personnelles, celles<br />

du chercheur en posture de recherche, ou le fait <strong>des</strong> autres que l’on observe <strong>et</strong> relève <strong>à</strong> la lueur<br />

d’investigations nouvelles ou d’analyses facilitées car distanciées. Nous avons eu maintes fois<br />

depuis l’occasion de rem<strong>et</strong>tre en cause certaines composantes de ces analyses (Bodin, 1999a,<br />

2003a ; Bodin, Héas, 2002 ; Bodin, Robène, Héas, 2004a). La critique est évidente <strong>et</strong> facile :<br />

l’analyse du hooliganisme repose a priori, comme le suggère Kuhn (1962) sur un paradigme<br />

dominant <strong>et</strong> une vision hyper déterministe du phénomène. C<strong>et</strong>te remarque liminaire ne rem<strong>et</strong><br />

pas en question la qualité, ni même la véracité, de ces travaux. Ce n’est pas non plus<br />

dévaloriser les théories <strong>et</strong> les modèles conceptuels utilisés, que d’en observer les limites, mais<br />

simplement de constater, comme le suggérait Bourdieu (1979), que les productions<br />

intellectuelles ne sont que l’émanation <strong>et</strong> le refl<strong>et</strong> <strong>des</strong> structures sociales d’une époque.<br />

Une définition restrictive de la violence hooligan qui ne rend pas compte <strong>des</strong><br />

dynamiques sociales<br />

La première objection que l’on puisse formuler est la définition extrêmement restrictive<br />

utilisée par l’ensemble <strong>des</strong> chercheurs pour rendre compte du hooliganisme. Hormis Marsh,<br />

qui nous l’avons vu s’insurge contre ce fait, <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’inverse d’autres obj<strong>et</strong>s de recherche, comme<br />

la violence <strong>à</strong> l’école, ou plus généralement la violence juvénile, la définition du hooliganisme<br />

ne fait l’obj<strong>et</strong> d’aucun débat. Le hooliganisme est en eff<strong>et</strong> caractérisé par son expression<br />

finale : la violence physique ou la dégradation de biens <strong>et</strong> matériels. Violence qui peut être<br />

exercée <strong>entre</strong> groupes de supporters dans le stade ou de manière relativement éloignée de<br />

27 In Bodin (1998).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 34


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

celui-ci, compte tenu du contrôle social mis en œuvre aujourd’hui (périmètre de sécurité,<br />

présence de stewards dans les sta<strong>des</strong>, forces de l’ordre, vidéosurveillance, procédures de<br />

comparution immédiate), <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong> forces de l’ordre, contre <strong>des</strong> passants sans relation<br />

directe avec le football, ou encore dans le but de détruire <strong>des</strong> voitures, <strong>des</strong> vitrines, de<br />

« caillasser » les bus <strong>des</strong> supporters adverses, <strong>et</strong>c. Ce n’est en fait qu’un constat amenant <strong>à</strong><br />

considérer les <strong>violences</strong> sous le seul angle du passage <strong>à</strong> l’acte ou de la transgression réprimée<br />

de normes établies, limitant ainsi son acception <strong>à</strong> la définition sociologique du crime<br />

(Durkheim, 1895).<br />

L’utilisation d’une définition aussi restrictive pose de nombreux problèmes. Le plus évident,<br />

comme le suggérait Marsh, est qu’elle ne perm<strong>et</strong> pas de rendre compte de la dynamique<br />

d’apparition masquant de fait les processus d’émergence <strong>des</strong> <strong>violences</strong> tout en altérant<br />

l’interprétation de celles-ci. Comme l’ont montré, <strong>entre</strong> autres, Skogan (1990), Roché (1996,<br />

2001), Debarbieux (1996, 2002), dans d’autres domaines <strong>des</strong> conduites agonistiques, il n’est<br />

pas possible de considérer la violence uniquement dans sa version la plus abrupte, celle <strong>des</strong><br />

coups <strong>et</strong> blessures, volontaires ou involontaires, a fortiori sur le modèle du crime prémédité<br />

ou non. Car, le moindre p<strong>et</strong>it fait ou les incivilités ont <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s de spirale sur la violence.<br />

Rapporté au hooliganisme c’est en eff<strong>et</strong> dans l’enchaînement successif de faits plus ou moins<br />

dérisoires (vols d’insignes ou d’emblèmes, insultes <strong>et</strong> provocations) qu’il faut, peut-être, aller<br />

chercher la genèse d’événements beaucoup plus dramatiques <strong>et</strong> inquiétants. Les <strong>violences</strong><br />

décrites précédemment ne sont en fait qu’un « accomplissement pratique » (Garfinkel, 1967),<br />

aboutissement d’un long processus d’interactions sociales subtiles <strong>et</strong> complexes <strong>entre</strong> les<br />

différents acteurs du spectacle sportif (supporters, dirigeants, policiers, journalistes), de<br />

rivalités sportives, provocations, vend<strong>et</strong>tas, elles-mêmes refl<strong>et</strong>s de constructions identitaires <strong>et</strong><br />

culturelles qui s’inscrivent dans la « p<strong>et</strong>ite » <strong>et</strong> la « grande » histoire du football <strong>et</strong> de ses<br />

clubs. C<strong>et</strong>te logomachie de la violence est importante car déterminante. Rapporté au seul<br />

hooliganisme que faire de la violence verbale si l’on ne r<strong>et</strong>ient qu’une définition aussi<br />

restreinte ? Que faire également <strong>des</strong> démonstrations racistes <strong>et</strong> xénophobes lorsqu’elles ne<br />

vont pas jusqu’<strong>à</strong> la ratonnade ? Comment discuter de la place <strong>des</strong> femmes, victimes de<br />

<strong>violences</strong>, mais parfois instigatrices de celles-ci également sans pour autant y participer<br />

physiquement ? Comment discuter de la collusion <strong>entre</strong> dirigeants <strong>et</strong> supporters ? Finalement<br />

comment interpréter le hooliganisme sans chercher <strong>à</strong> faire émerger les processus complexes <strong>et</strong><br />

subtils qui l’ont engendré ?<br />

Le second problème découle du premier : l’uniformisation de la violence perçue. Pourtant,<br />

selon que l’on se place du point de vue de l’agresseur ou de la victime, du fort ou du faible,<br />

que l’on habite en Europe occidentale ou dans un pays en guerre, dans une cité sensible ou<br />

dans un quartier chic, que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, que l’on en ait déj<strong>à</strong> fait<br />

l’expérience ou non, la violence diffère pour chacun au point de pouvoir dire qu’elle peut être<br />

objective ou subjective (Wieviorka, 1999). « Ce que nous qualifions de violence, ou tout au<br />

moins ce qui est ressenti comme telle, dans nos sociétés occidentales modernes n’a<br />

certainement pas la même signification en d’autres lieux <strong>et</strong> en d’autres temps » (Bodin,<br />

2001a, 11). A ce titre, la violence ne peut être considérée comme un thème unitaire.<br />

Le troisième problème posé par une vision aussi restrictive est le rej<strong>et</strong> <strong>des</strong> facteurs<br />

concomitants <strong>à</strong> l’apparition <strong>des</strong> <strong>violences</strong> : consommation excessive d’alcool, particularismes<br />

géographiques liés <strong>à</strong> l’implantation <strong>des</strong> clubs, influence du spectacle sportif, influences <strong>des</strong><br />

cultures groupales, historicité <strong>des</strong> antagonismes <strong>et</strong> bien d’autres.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 35


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Prenons un exemple concr<strong>et</strong> : celui <strong>des</strong> particularismes géographiques. Que dire si on analyse<br />

le hooliganisme anglo-saxon, <strong>à</strong> son origine, belge ou hollandais, aujourd’hui, comme les lieux<br />

de violence les plus graves en Europe, en faisant abstraction du fait qu’en 1998 pas moins de<br />

11 clubs évoluaient en première ou deuxième division du football anglais sur la seule<br />

agglomération londonienne (ville <strong>et</strong> banlieues de Londres confondues) ? La superficie de<br />

l’Angl<strong>et</strong>erre, pays anglo-saxon le plus touché par le hooliganisme, ne représente que le quart<br />

de celle de la France ou de l’Espagne, la moitié de l’Italie, ou deux fois <strong>et</strong> demi moins que<br />

l’Allemagne, pour ne prendre comme exemple que quelques pays très concernés par le<br />

football professionnel. La Belgique <strong>et</strong> les Pays-Bas sont deux pays plus p<strong>et</strong>its que la seule<br />

région Aquitaine en France 28 . Les déplacements sont donc aisés <strong>et</strong> peu onéreux. Les<br />

supporters se déplacent ainsi facilement, fréquemment <strong>et</strong> en grand nombre <strong>à</strong> chacune <strong>des</strong><br />

rencontres. Ainsi, si les comportements agonistiques, au sens éthologique du terme,<br />

s’inscrivent bien souvent dans <strong>des</strong> rivalités sportives, la proximité spatiale <strong>des</strong> clubs conjugue<br />

<strong>et</strong> cristallise les antagonismes locaux <strong>et</strong> territoriaux, qui s’ancrent « dans <strong>des</strong> histoires<br />

singulières de villes, de pays, de classes <strong>et</strong> de crises » (Bromberger, 1995, 242). Ne pas<br />

l’envisager n’est-ce pas se priver de facteurs supplémentaires venant contribuer ou renforcer<br />

la logique oppositive <strong>des</strong> supporters les plus violents ?<br />

C<strong>et</strong>te vision restrictive de la violence renvoie, <strong>à</strong> un quatrième problème : celui de la difficulté<br />

<strong>à</strong> définir ce qu’est une norme <strong>et</strong> donc, par voie de conséquence, un comportement déviant. Le<br />

déviant est-il celui qui contourne les normes établies par une partie de la population pour<br />

assurer l’harmonie dans les <strong>relations</strong> au sein d’une communauté <strong>et</strong> la cohésion sociale ? Ou<br />

bien est-ce un jugement qui est rendu par certains sur <strong>des</strong> comportements considérés comme<br />

anormaux <strong>et</strong> inquiétants car minoritaires ou marginaux (Becker, 1963 ; Goffman, 1963) ? Les<br />

sociétés modernes tendent <strong>à</strong> devenir pour Elias <strong>des</strong> « espaces sociaux pacifiés ». En étant de<br />

moins en moins confronté <strong>à</strong> la violence, chacun en a de plus en plus peur. Alors que les<br />

conflits se règlent aujourd’hui essentiellement d’une manière consensuelle, notre seuil de<br />

tolérance <strong>à</strong> la violence a considérablement diminué. Toute idée de violence semble<br />

insoutenable. Les bagarres de supporters inquiètent, car elles ne sont plus en c<strong>et</strong>te fin de XX e<br />

siècle ou au début du XXI e siècle considérées comme « normales ». Elles sont perçues comme<br />

un danger par la population qui voit dans ces comportements une montée de l’insécurité.<br />

Les travaux d’Elias n’échappent pas <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te critique (Wieviorka, 2000 ; Lagrange, 2002). Ils<br />

pèchent même par l’absence de définition ou l’emploi conjoint, ou successif, <strong>des</strong> termes<br />

d’agressivité, pulsions, violence <strong>et</strong> ce, sans distinction réelle. Pour lui l’agressivité appartient<br />

« aux structures de l’homme [qui] forment un tout » (1939, 279), l’intégrant aux « pulsions de<br />

mort » (op. cit. 279). Sa « définition » est ici très proche de celle que donne Freud (1923) de<br />

l’agressivité humaine. L’utilisation qu’en fait Elias dans ses divers ouvrages n’est cependant<br />

pas celle communément admise en psychologie ou en psychologie sociale, c’est <strong>à</strong> dire une<br />

attitude d’hostilité <strong>à</strong> l’égard d’autrui sans passage <strong>à</strong> l’acte. Pour lui agressivité <strong>et</strong> violence sont<br />

en fait <strong>des</strong> notions très proches. Alors qu’il utilise de nombreux critères pour définir la<br />

« civilité » (<strong>à</strong> travers les manières de manger, de se moucher, de cracher, <strong>et</strong>c.), il ne r<strong>et</strong>ient en<br />

fait qu’une définition restreinte de la violence : la violence physique. Pour Burguière <strong>et</strong> al., il<br />

ne faut cependant pas opposer « les pulsions comme étant de l’ordre de la nature <strong>et</strong> la plus ou<br />

moins grande maîtrise sur elles, qui serait de l’ordre de la culture » (op. cit., 230). Affirmant<br />

cela, apparaît la seconde critique opposable <strong>à</strong> Elias : celle d’une théorie teintée d’un<br />

évolutionnisme latent sur lequel nous reviendrons précisément pour critiquer son<br />

interprétation du hooliganisme. C<strong>et</strong>te « théorie pulsionnelle de la violence », pour reprendre<br />

28 Respectivement 30 500, 34 000 <strong>et</strong> 41 300 km2 (surfaces arrondies <strong>à</strong> la centaine la plus proche).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 36


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

les mots de Wieviorka (2004, 198) limite la violence <strong>à</strong> un comportement émotionnel <strong>et</strong><br />

réactionnel propre <strong>à</strong> <strong>des</strong> individus moins avancés dans le processus de civilisation. C<strong>et</strong>te<br />

appréhension nie de fait l’inscription sociale, politique <strong>et</strong> la place du suj<strong>et</strong>, en tant qu’acteur<br />

de sa vie <strong>et</strong> de son <strong>des</strong>tin, dans la construction de la violence, qui n’est plus que le fait <strong>des</strong><br />

« outsiders » (Elias, Scotson, 1965, Elias, Dunning, 1986) moins évolués dans le « procès de<br />

civilisation », ou le signe d’une « décivilisation », c’est <strong>à</strong> dire un affaiblissement de<br />

l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions.<br />

Des analyses « sur-déterminées »<br />

Les travaux relatifs <strong>à</strong> l’émergence du hooliganisme dans les pays anglo-saxons <strong>et</strong> en Europe<br />

font apparaître une vision hyper déterministe du phénomène. Mais peut-on raisonnablement<br />

s’en contenter ? Est-ce la seule manière d’aborder la violence <strong>des</strong> foules sportives ? C<strong>et</strong>te<br />

violence est-elle si unitaire qu’elle paraît ?<br />

Si l’on se réfère aux propositions de Wieviorka (1999) trois mo<strong>des</strong> principaux d’approche<br />

sont possibles dès lors que l’on veut s’intéresser <strong>à</strong> la question de la violence physique. Soit on<br />

prend en compte les dysfonctionnements sociaux <strong>et</strong> institutionnels qui peuvent conduire<br />

certains individus, ou certains groupes, <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> <strong>violences</strong> ou <strong>des</strong> dégradations. Soit<br />

encore, la violence est considérée comme instrumentale. Elle est alors un moyen d’atteindre<br />

d’autres buts. Soit enfin, on se place du côté de l’acteur, individuel ou collectif, de celui qui<br />

violente, acceptant alors que la violence ait un sens <strong>et</strong> que l’action cache <strong>des</strong> attentes, <strong>des</strong><br />

désirs <strong>et</strong> <strong>des</strong> enjeux. Bien qu’<strong>à</strong> partir du début <strong>des</strong> années 1980 les travaux se soient davantage<br />

orientés, sous l’impulsion d’Elias, vers une interprétation culturaliste <strong>des</strong> faits, il semble<br />

évident néanmoins <strong>à</strong> la lecture de ce qui précède que les analyses n’ont porté essentiellement<br />

que sur les deux premiers points.<br />

Les travaux ont tenté de répondre <strong>à</strong> la question : qui sont les hooligans <strong>et</strong> pourquoi ? Les<br />

réponses <strong>et</strong> les analyses qui en découlent se trouvent enfermées dans une perspective<br />

criminologique <strong>et</strong> une analyse causale qui naturalisent <strong>et</strong> sociologisent la violence <strong>des</strong><br />

supporters : ils sont jeunes, pauvres <strong>et</strong> par voie de conséquence délinquants <strong>et</strong> violents (Bodin,<br />

1999). La violence est tout <strong>à</strong> la fois considérée comme un tropisme <strong>et</strong> résultant de facteurs<br />

bien connus depuis le milieu du 19 ème siècle : elle est essentiellement, masculine, juvénile,<br />

urbaine <strong>et</strong> exercée par les plus démunis. C<strong>et</strong>te approche factorielle est classique en<br />

criminologie 29 , mais pour intéressante qu’elle soit, ne nous renseigne en aucune manière sur<br />

les raisons <strong>et</strong> mobiles qui poussent ces individus (jeunes, exclus <strong>et</strong>c.) mais également <strong>des</strong><br />

individus ordinaires <strong>et</strong> parfaitement insérés socialement <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre pareils méfaits. D’autant<br />

que depuis de nombreuses années la précellence <strong>des</strong> facteurs âge <strong>et</strong> sexe n’est plus remise en<br />

cause par les sociologues qui travaillent sur la délinquance ou la violence. La courbe <strong>des</strong> âges<br />

atteint un pic aux alentours de 20 ans. Gottfredson <strong>et</strong> Hirschi (1990) évoquent la « thèse de<br />

l’invariance » m<strong>et</strong>tant en évidence que les eff<strong>et</strong>s de l’âge <strong>et</strong> du sexe restent invariants dans le<br />

temps <strong>et</strong> l’espace. En se limitant aux causes les chercheurs négligent les processus sociaux,<br />

les mobiles <strong>des</strong> individus, les origines <strong>et</strong> formes différentes que peut prendre le hooliganisme<br />

abandonnant d’emblée l’idée que celui-ci puisse être un acte réfléchi <strong>et</strong> un construit social<br />

trouvant <strong>des</strong> logiques différentes <strong>et</strong> différenciées dans le cadre d’actions <strong>et</strong> d’interactions<br />

complexes. Qui plus est la mise en évidence de facteurs ne traduit pas nécessairement <strong>des</strong><br />

<strong>relations</strong> de causalité car il faut <strong>à</strong> ce niveau distinguer facteur (qui concourt <strong>à</strong>) <strong>et</strong> corrélation<br />

(qui sont fonction l’un de l’autre). Si la sociologie de la violence est souvent une sociologie de<br />

l’exclusion, les facteurs <strong>à</strong> risques, exclusion sociale, profil sociodémographique, antécédents,<br />

29 Voir <strong>entre</strong> autres : Braithwaite, J. (1979) ; Farrington, D. (1997).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 37


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

ne sont cependant pas isolément <strong>des</strong> causes. Seule la combinaison de divers facteurs <strong>à</strong> risques<br />

peut éventuellement devenir une cause, ou tout au moins une présomption, qu’il reste<br />

cependant <strong>à</strong> interpréter, <strong>et</strong> <strong>à</strong> resituer, dans une dynamique historique <strong>et</strong> sociale.<br />

L’interprétation éliassienne du hooliganisme : d’un fonctionnalisme défaillant (en<br />

matière de sport) <strong>à</strong> un évolutionnisme latent.<br />

Nous avons vu précédemment que le sport possédait une fonction pour Elias : d’apprentissage<br />

de l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions en offrant en même temps un espace toléré de débridement <strong>des</strong><br />

émotions. Ce faisant il participerait donc au procès de civilisation <strong>et</strong> au contrôle de la violence<br />

dans la société.<br />

C<strong>et</strong>te analyse, pour séduisante qu’elle soit, se trouve prise en défaut par la question du<br />

hooliganisme. Elias y apporte une double réponse : on assisterait d’une part <strong>à</strong> une phase de<br />

« décivilisation », sortes d’allers-r<strong>et</strong>ours ou de manque de stabilité dans l’autocontrôle <strong>des</strong><br />

pulsions de certaines catégories sociales <strong>et</strong>, d’autre part, la violence pourrait être le fait de<br />

personnes « moins civilisées » ou moins avancées dans le processus de civilisation.<br />

Discutons d’abord du premier point : l’aspect fonctionnaliste du sport. Alors que sur <strong>des</strong><br />

critères objectifs, l’abaissement de la violence <strong>et</strong> <strong>des</strong> crimes, Elias décrit <strong>et</strong> analyse le procès<br />

de civilisation au sein <strong>des</strong> sociétés européennes modernes, la fonction attribuée au sport reste<br />

une construction totalement a priori. Le mot a priori est important car ce qui distingue,<br />

normalement <strong>et</strong> principalement, la sociologie de la philosophie est bien la nécessité <strong>et</strong> la<br />

logique de la preuve. A aucun moment, il n’apporte la preuve de ses dires. Menell (2003) note<br />

<strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> que le problème de l’unité de mesure constitue une question centrale pour le procès<br />

de civilisation <strong>et</strong> les phénomènes de décivilisation. En disant cela nous ne voulons pas<br />

enfermer, la sociologie dans un positivisme exacerbé dans lequel seule la preuve par les<br />

chiffres pourrait avoir valeur de vérité. Il s’agirait d’une erreur que de penser cela, partageant<br />

avec Dur<strong>et</strong> (1999, 6) que « s’en rem<strong>et</strong>tre aux chiffres ou du moins se réclamer d’eux, tient<br />

plus de la nécessité de lutter contre les accusations de charlatanisme que d’un véritable choix<br />

épistémologique ». Reprenant la classification d’Habermas (1968a), on ne peut en eff<strong>et</strong><br />

réduire la sociologie aux seules sciences « empirico-analytiques », comme l’aurait voulu<br />

Durkheim, ou « praxéologiques », elle participe en fait de ces deux types idéaux mais aussi<br />

<strong>des</strong> « sciences historico-herméneutiques », le recours <strong>à</strong> « divers schèmes d’intelligibilité »<br />

(Berthelot, 1990) ne pouvant que perm<strong>et</strong>tre d’approcher au mieux une vérité souvent difficile<br />

<strong>à</strong> cerner. L’interprétation d’Elias reste intuitive <strong>et</strong>, pour inscrite qu’elle soit dans une<br />

démarche purement compréhensive, elle aurait demandé, comme le suggérait Weber (1951,<br />

303) : « <strong>à</strong> être contrôlée, autant que possible, par les autres métho<strong>des</strong> ordinaires de<br />

l’imputation causale avant qu’une interprétation, si évidente soit-elle, ne devienne une<br />

« explication compréhensive » valable ».<br />

Qui plus est, lorsque Elias attribue c<strong>et</strong>te fonction au sport, il le fait <strong>à</strong> partir, nous l’avons vu,<br />

d’une vision restreinte de la violence. En ne définissant pas c<strong>et</strong>te dernière, il se dispense en<br />

fait de discuter de l’émergence, ou de la récurrence, d’autres possibles, tout autant que de<br />

l’impossibilité, ou du moins l’échec, du sport en matière de prévention. Elias n’est pas le seul<br />

<strong>à</strong> utiliser une définition aussi restrictive qui justifie un abaissement <strong>des</strong> <strong>violences</strong> dans les<br />

sociétés modernes. Le modèle de Chesnais répond de la même logique en affirmant que seules<br />

les <strong>violences</strong> du premier cercle (<strong>violences</strong> physiques qui peuvent donner lieu <strong>à</strong> mort<br />

d’hommes) sont <strong>à</strong> r<strong>et</strong>enir ; les autres formes, les <strong>violences</strong> morales, symboliques, verbales,<br />

économiques, n’étant qu’un « abus de langage propre <strong>à</strong> certains intellectuels occidentaux, trop<br />

confortablement installés dans la vie pour connaître le monde obscur de la misère <strong>et</strong> du<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

crime » (1981, 13). L’auteur de ce remarquable travail empirique se perd dans les<br />

conjonctures d’une allégation qui ségrégue les formes de <strong>violences</strong> plutôt que de tenter de les<br />

articuler logiquement <strong>entre</strong> elles pour examiner comment certaines formes de <strong>violences</strong> plus<br />

feutrées peuvent, parfois, précéder ou engendrer <strong>des</strong> <strong>violences</strong> physiques d’une rare ampleur.<br />

La fonctionnalité qu’il avance est donc généralisante. Le sport peut-il concourir <strong>à</strong> prévenir <strong>et</strong><br />

encadrer TOUTES les formes de <strong>violences</strong> observables en son sein ? C’est une question qu’en<br />

fait il n’aborde jamais. Il semble, ou feint, d’ignorer que le sport, n’est pas seulement une<br />

question de trajectoires individuelles ou de logique « oppositive », progressivement intégrées<br />

dans un système institutionnalisé, réglé <strong>et</strong> structuré. Les incivilités 30 y sont<br />

nombreuses (contestation de l’arbitre, provocation <strong>des</strong> joueurs adverses), les <strong>violences</strong><br />

verbales <strong>et</strong> symboliques habituelles (insultes <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong> joueurs, <strong>des</strong> arbitres,<br />

provocation <strong>des</strong> supporters adverses). Le harcèlement moral <strong>et</strong>/ou sexuel <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong><br />

athlètes féminins est fréquent, même si les affaires sont souvent tues ou étouffées 31 . De<br />

nombreux sportifs sont victimes d’exclusion : les femmes en tant que pratiquantes (horaires<br />

moins favorables, encadrement moins compétent) mais aussi en tant que dirigeantes 32 , les<br />

handicapés, les moins bons ou ceux qui, bien qu’athlètes de haut niveau, ne sont pas dans le<br />

giron ou la ligne fédérale. On peut alors parler <strong>à</strong> ce niveau de violence institutionnelle. Les<br />

<strong>violences</strong> les plus connues sont bien évidemment les <strong>violences</strong> physiques : blessures <strong>des</strong><br />

athlètes dues aux coups reçus ou au surentraînement, blessures irrémédiables − <strong>et</strong> qui<br />

entraînent l’arrêt de la carrière lorsque comme dans le cas d’Élodie Lussac, l’athlète est obligé<br />

de participer <strong>à</strong> <strong>des</strong> compétitions alors qu’il est blessé −, dopage, morts d’athlètes,<br />

affrontements <strong>entre</strong> supporters, écroulement de tribunes qui entraînent de nombreux morts <strong>et</strong><br />

blessés, jusqu’<strong>à</strong> la répression parfois sanglante de ces affrontements qui, comme <strong>à</strong> Moscou en<br />

1984, fit 340 morts. Le sport m<strong>et</strong> en scène <strong>et</strong> réactive également les antagonismes locaux,<br />

nationaux <strong>et</strong> internationaux. Dans tous les pays la province s’oppose <strong>à</strong> la capitale. Les<br />

rencontres France-Allemagne sont fortement dénuées de neutralité <strong>et</strong> la rencontre USA-Iran<br />

lors de la Coupe du monde de football 1998 a fait l’obj<strong>et</strong> d’une demande de places <strong>et</strong> de<br />

temps de r<strong>et</strong>ransmission sans aucun lien direct avec les qualités de ces deux nations dans ce<br />

sport. Comment dès lors dénier au sport le fait qu’il possède <strong>des</strong> « fonctions politiques<br />

internes <strong>et</strong> externes » sous-jacentes <strong>à</strong> l’activité elle-même (Brohm, 1992) ? Les exemples sont<br />

nombreux. Les mouvements extrémistes n’hésitent pas <strong>à</strong> afficher leurs idéologies dans les<br />

sta<strong>des</strong> qui deviennent parfois le théâtre de manifestations racistes <strong>et</strong> xénophobes. Les lieux où<br />

s’exercent un sport sont aussi <strong>des</strong> endroits où se poursuivent parfois les conflits <strong>et</strong>hniques,<br />

culturels <strong>et</strong> religieux. Les affrontements <strong>entre</strong> supporters croates <strong>et</strong> serbes aux championnats<br />

d’Europe de water-polo 2003, « évoqués précédemment, en sont un exemple. A l’échelon <strong>des</strong><br />

états, la rivalité sportive Est-Ouest durant la guerre froide n’était-elle pas un autre moyen de<br />

faire la guerre, ou tout au moins, d’assurer la promotion <strong>et</strong> la suprématie d’un système<br />

politique <strong>et</strong> économique ? Les nombreux boycotts dont furent témoins les jeux Olympiques<br />

sont également le théâtre de ces tensions politiques <strong>et</strong> de l’utilisation qui fut faite du sport.<br />

Comment comprendre autrement la réaction du Général de Gaulle, affirmant au lendemain de<br />

la déroute <strong>des</strong> jeux Olympiques de Rome : « Plus jamais ça ! » ? Ou encore la déclaration de<br />

Honecker, ancien chancelier de la République démocratique allemande (RDA) qui déclarait<br />

30<br />

P<strong>et</strong>its faits non pénalisables <strong>et</strong> non répréhensibles mais qui finissent par détériorer les <strong>relations</strong> sociales <strong>et</strong><br />

« pourrir » la vie de ceux qui y sont confrontés .<br />

31<br />

Il faut aussi beaucoup de courage <strong>et</strong> de patience aux athlètes féminins pour faire valoir le préjudice physique <strong>et</strong><br />

moral subi. Il en fut ainsi de c<strong>et</strong>te affaire jugée en 1993 dans laquelle comparurent quatre athlètes de la<br />

Fédération française d’athlétisme, accusés du viol de leur collègue féminine.<br />

32<br />

Il suffit de regarder dans chacun <strong>des</strong> pays d’Europe le nombre de femmes présidentes de fédérations nationales<br />

ou directrices techniques nationales par exemple.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

en 1984 lors d’une conférence introductive aux jeux Olympiques : « Le sport n’est pas une fin<br />

en soi, mais un moyen pour atteindre d’autres buts ».<br />

Sur ces critères le sport ne peut pas avoir pour fonction le contrôle de la violence. Le sport est<br />

violence sur soi, envers soi, contre les autres. En prenant deux critères que nous nommerons<br />

« stabilité » (définie comme la capacité pour le sport <strong>à</strong> conserver c<strong>et</strong>te fonction de contrôle<br />

quels que soient l’époque <strong>et</strong> le lieu) <strong>et</strong> « homogénéité » (de la garder quels que soient les<br />

espaces <strong>et</strong> les modalités de pratique, l’origine sociale <strong>et</strong> les buts <strong>et</strong> finalités poursuivies), c<strong>et</strong>te<br />

fonction s’avère <strong>à</strong> travers le seul exemple français illusoire. Le sport n’offrira aucun critère de<br />

stabilité dans l’espace <strong>et</strong> le temps. Il oscillera <strong>entre</strong> une conception revancharde contre<br />

l’Allemagne, <strong>des</strong> perspectives sanitaires <strong>et</strong> hygiénistes, la promotion d’un système politique<br />

indépendant pour être parfois utilisé dans les banlieues comme moyen de prévention <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong>. Il n’offre pas non plus d’homogénéité. Selon les lieux de pratiques (clubs, séance<br />

d’EPS, sport dans la cité, <strong>et</strong>c.) selon les modalités (spectacle, compétition, <strong>entre</strong>tien du corps)<br />

<strong>et</strong> selon l’origine sociale comme l’ont montré <strong>entre</strong> autres Bourdieu (1978) <strong>et</strong> Pociello (1983,<br />

1995) sa fonction variera. Il n’est donc pas possible d’affirmer comme Elias que le sport, au<br />

sens générique du terme, participe du contrôle de la violence <strong>à</strong> moins de définir très<br />

précisément les lieux (la séance d’EPS par exemple) <strong>et</strong> les modalités de pratique qui<br />

favorisent c<strong>et</strong>te fonction.<br />

Lorsqu’il s’intéresse aux manifestations hooligans il en vient finalement <strong>à</strong> poser la question<br />

du sport spectacle ou du sport mis en spectacle. La réponse apportée : « décivilisation » d’une<br />

partie <strong>des</strong> « outsiders » ignore en fait la question de l’influence du spectacle sportif sur les<br />

comportements violents <strong>des</strong> spectateurs. On sait pourtant depuis longtemps que les eff<strong>et</strong>s<br />

cathartiques du spectacle sportif sont illusoires (Bromberger, 1998a/b) 33 . Le sport est différent<br />

du théâtre grec. La tragédie qui se joue n’est pas connue <strong>des</strong> spectateurs. L’issue est<br />

incertaine. Les arbitrages émis sont suj<strong>et</strong>s au doute <strong>et</strong> <strong>à</strong> caution : on juge au football de<br />

l’intentionnalité de la faute <strong>et</strong> non de la faute elle-même. Le tacle a-t-il été effectué par<br />

derrière ? La main était-elle volontaire ? En distinguant la violence spontanée de la violence<br />

préméditée, <strong>et</strong> en associant c<strong>et</strong>te dernière <strong>à</strong> la définition couramment utilisée pour caractériser<br />

le hooliganisme les facteurs liés au jeu <strong>et</strong> aux résultats, ont été éliminés. Deux étu<strong>des</strong><br />

seulement (Dunand, 1987 ; Leyens <strong>et</strong> Rimé, 1988) se sont intéressés, dans le cas très précis du<br />

hooliganisme, <strong>à</strong> l’eff<strong>et</strong> instigateur provoqué par la vision de spectacles violents. Les résultats<br />

font apparaître pourtant une forte augmentation de l’agressivité <strong>des</strong> spectateurs assistant <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

rencontres violentes ou mal gérées. Un certain nombre de facteurs pourraient néanmoins être<br />

pris en compte (l’importance du match, les enjeux, la qualité de l’arbitrage, la manière dont<br />

les supporters se sentent « volés par l’arbitre » <strong>et</strong>c.) tout autant que les incertitu<strong>des</strong> liées au<br />

résultat. En étudiant l’évolution du score dans les rencontres de football dans cinq pays<br />

européens (Allemagne, Angl<strong>et</strong>erre, Espagne, France <strong>et</strong> Italie) Clanché (1998) a ainsi montré<br />

que ce sport possédait <strong>des</strong> propriétés particulières « d’instabilité » (le résultat y est davantage<br />

que dans les autres <strong>sports</strong> imprévisible) <strong>et</strong> « d’intranquillité », terme emprunté <strong>à</strong> Pessoa (le<br />

match est incertain tant qu’un écart de but suffisant ne sépare pas les équipes) qui influent sur<br />

la passion <strong>des</strong> publics. De la passion <strong>à</strong> la déraison il n’y a peut être qu’un pas <strong>à</strong> franchir.<br />

D’autant que ce sport possède d’incontestables qualités scéniques <strong>et</strong> dramaturgiques<br />

(Bromberger, 1995) mises en évidence lors de la dernière finale du championnat d’Europe <strong>des</strong><br />

nations opposant la France <strong>à</strong> l’Italie, mais aussi une complexité, qui le rend attrayant <strong>et</strong><br />

discutable. En raison du mélange <strong>des</strong> joueurs sur le terrain le football est peut-être un jeu plus<br />

33 Pour compléter ces propos, il faut noter les étu<strong>des</strong> sur l’influence <strong>des</strong> médias sur les comportements violents<br />

sont très nombreuses comme le montrent le dossier : (1995). Médias <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. Les cahiers de la sécurité<br />

intérieure, n°20.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

incertain que d’autres, qui renforce c<strong>et</strong>te idée oppositionnelle liée au « jeu de la horde <strong>et</strong> du<br />

territoire » (Jeu, 1977).<br />

Mais c<strong>et</strong>te interprétation du hooliganisme est prise <strong>à</strong> nouveau en défaut lorsque Elias <strong>et</strong><br />

Dunning, énoncent, c’est un exemple parmi d’autres, que :<br />

« parce qu’il leur est difficile de trouver un sens, un statut <strong>et</strong> une gratification <strong>et</strong> de<br />

se constituer <strong>des</strong> identités satisfaisantes dans les domaines de l’école <strong>et</strong> du travail,<br />

les mâles <strong>des</strong> fractions « dures » de la classe ouvrière adoptent <strong>des</strong> formes de<br />

comportement particulières : intimidation physique, échanges de coups,<br />

consommation excessive d’alcool, <strong>relations</strong> sexuelles fondées sur l’exploitation de<br />

l’autre » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit., 355).<br />

Il semble en eff<strong>et</strong> légitime de s’interroger sur une assertion qui, si elle ne dénote pas un<br />

profond mépris pour la classe ouvrière, généralise cependant de manière exagérée le<br />

fonctionnement social <strong>et</strong> affectif de celle-ci. A moins que cela ne m<strong>et</strong>te en évidence, bien que<br />

Dunning (1996) s’en défende, dans le domaine précisé, voire limité, du hooliganisme, une<br />

théorie qu’un certain nombre d’auteurs, comme Heargraves (1992), Horne <strong>et</strong> Jary (1987),<br />

Williams (op. cit.) ou (Taylor (op. cit.), <strong>entre</strong> autres 34 , n’ont pas hésité <strong>à</strong> dénoncer <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

critiquer comme entachée d’un évolutionnisme latent. Se comporte t’on en eff<strong>et</strong> de manière<br />

nécessairement plus violente que l’on soit ouvrier ou lorsque l’on appartient <strong>à</strong><br />

l’intelligentsia ? Les travaux relatifs aux <strong>violences</strong> conjugales (Jaspard <strong>et</strong> al., 2003), aux<br />

<strong>violences</strong> faites aux femmes en général (Dauphin <strong>et</strong> Farge, 1997, Marinova, 2002) ou <strong>à</strong><br />

l’éducation <strong>des</strong> enfants (Ariès, 1973) sont l<strong>à</strong> pour infirmer c<strong>et</strong>te théorie 35 . Certes, il s’agit de<br />

<strong>violences</strong> « plus feutrées » qui appartiennent au registre de l’intime, moins visibles<br />

socialement <strong>et</strong>, qui surtout ne viennent pas troubler « l’ordre en public » (Roché, 1996) mais,<br />

qui sont cependant exercées par <strong>des</strong> individus qui ne sont pas tous <strong>des</strong> exclus sociaux ou<br />

moins avancés dans le procès de civilisation.<br />

Une violence résultant du fonctionnement culturel « normal » <strong>des</strong> membres de la rough<br />

working class, moins avancés dans le procès de civilisation, pose le problème d’une<br />

civilisation qui serait réservée aux nantis. Certes, Elias énonce dans sa théorie que tous les<br />

membres d’une société ne se civilisent pas en même temps, renforçant ainsi la perspective<br />

évolutionniste. C<strong>et</strong>te approche reste empreinte, malgré une interprétation plus culturaliste <strong>des</strong><br />

faits, d’une vision déterministe dans laquelle la culture ne serait que le bras armé de la nature,<br />

la prolongeant <strong>et</strong> produisant d’une manière quasi instinctive <strong>des</strong> comportements violents qui<br />

échappent largement au contrôle individuel (Boudon <strong>et</strong> Bourricaud, 1990).<br />

Des données idéologisées<br />

Le savoir construit ici devient un construit idéologisé dès lors qu’une lecture pointue <strong>des</strong><br />

données utilisées dans le cadre <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> anglo-saxonnes montre qu’elles sont par bien <strong>des</strong><br />

points suj<strong>et</strong>tes <strong>à</strong> caution comme nous avons déj<strong>à</strong> eu l’occasion de le discuter (Bodin, 1998,<br />

1999a, 2001b, 2003).<br />

34<br />

Pour une classification de ces critiques lire également : Bonny, De Queiroz, Neveu (2003) ; Tabboni, (2000) ;<br />

Dunning (1996).<br />

35<br />

Parmi les nombreux travaux, <strong>et</strong> pour n’en citer que quelques-uns.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les chiffres du hooliganisme<br />

En premier lieu, la quasi-totalité <strong>des</strong> recherches anglo-saxonnes, que nous avons étudiées,<br />

reposent sur l’utilisation <strong>des</strong> fichiers du NCIS (National Criminal Intelligence Service,<br />

équivalent <strong>des</strong> Renseignements Généraux français) <strong>à</strong> commencer par celles d’Elias <strong>et</strong><br />

Dunning. Ce ne sont donc pas <strong>des</strong> enquêtes de terrain. Certains chercheurs n’ont<br />

probablement jamais vu de prêt ou de loin un hooligan ce qui ne les a pas empêchés de<br />

philosopher sur l’obj<strong>et</strong>. Quoiqu’il en soit, les critiques <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong> données officielles<br />

sont connues 36 . Afin de les discuter, nous prendrons <strong>des</strong> exemples français, plus parlants,<br />

Chalumeau <strong>et</strong> Porcher (1991, 146) ayant montré que l’élaboration <strong>des</strong> statistiques criminelles<br />

en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en France était semblable, présentant une « unité de compte de même nature<br />

<strong>et</strong> <strong>des</strong> procédures de traitement similaires ».<br />

Des faits sans rapport direct avec le hooliganisme y sont répertoriés. Ainsi, les supporters en<br />

état d’ivresse ou porteurs d’engins pyrotechniques sont fichés comme hooligans. C’est la<br />

même chose en Angl<strong>et</strong>erre pour les détenteurs de « joints » <strong>à</strong> proximité se rendant au stade.<br />

Elles sont incomplètes, les chiffres ne représentent en fait que les hooligans arrêtés mais estce<br />

les plus actifs ? Ce sont peut-être tout simplement les plus bêtes, ceux qui ne se sont pas<br />

sauvés avant que les policiers n’interviennent, ou ceux qui courent le moins vite.<br />

D’autres faits sont enregistrés ailleurs (par la SNCF en France pour la dégradation <strong>des</strong> trains<br />

ou assimilés <strong>à</strong> la délinquance urbaine dès lors que les <strong>violences</strong> commises par les supporters<br />

ont lieu en dehors du périmètre de sécurité). L’évacuation du Parc <strong>des</strong> princes les soirs de<br />

match en est un exemple flagrant. Pour ne pas qu’ils comm<strong>et</strong>tent <strong>des</strong> dégradations ou <strong>des</strong><br />

exactions <strong>à</strong> proximité du stade, l’un <strong>des</strong> lieux ou le m2 est le plus cher de Paris, la tribune<br />

Boulogne est « vidée » par les CRS qui poussent matraques en main <strong>et</strong> boucliers en avant, les<br />

supporters de la tribune Boulogne vers la bouche de métro la plus proche, Porte de St Cloud.<br />

Les supporters sont alors « enfournés » dans <strong>des</strong> vieux métros en bois qui a pour unique<br />

<strong>des</strong>tination <strong>et</strong> seul arrêt le Trocadéro. Les exactions qu’ils comm<strong>et</strong>tront après seront la plupart<br />

du temps assimilées <strong>à</strong> <strong>des</strong> actes de délinquance ordinaire <strong>et</strong> comptabilisée comme tels.<br />

Il existe également un traitement inégalitaire <strong>des</strong> contrevenants en fonction de leur origine<br />

sociale, « les lois s’appliquent tendanciellement plus <strong>à</strong> certaines personnes qu’<strong>à</strong> d’autres,<br />

comme le montrent clairement les étu<strong>des</strong> sur la délinquance juvénile, quand les garçons <strong>des</strong><br />

classes moyennes sont appréhendés, ils ne vont pas aussi loin dans le processus judiciaire que<br />

les garçons <strong>des</strong> quartiers misérables » (Becker, op.cit. 36). L’exemple le plus concr<strong>et</strong> est la<br />

suite donnée <strong>à</strong> une bagarre <strong>entre</strong> deux individus dans les tribunes du Stade Jacques Chaban<br />

Delmas <strong>à</strong> Bordeaux. Les deux hommes sont arrêtés. Il s’avère que l’un d’<strong>entre</strong> eux est le fils<br />

d’un ancien ministre 37 . Lorsque l’officier interpellateur, témoin <strong>des</strong> faits, s’aperçoit de cela, il<br />

convient avec le représentant du procureur de la République de ne pas appliquer la procédure<br />

de comparution immédiate. Les faits ne seront jamais comptabilisés. Ces données ne sont<br />

donc pas fiables ! Elles ne reflètent en aucun cas la réalité du hooliganisme.<br />

Le traitement statistique <strong>des</strong> données<br />

Ces mêmes recherches posent par ailleurs <strong>des</strong> problèmes évidents de traitement <strong>et</strong> de validité<br />

statistiques. Ainsi, si l’on observe les étu<strong>des</strong> d’Harrington (1968), Trivizas (1980), Elias <strong>et</strong><br />

Dunning (1986), Walgrave <strong>et</strong> Van Limbergen (1988), Dunning <strong>et</strong> al. (1989) aucune ne fait<br />

36 Becker, H. S. (op. cit.) ; Robert, Aubusson de Cavarlay, Potier, Tournier (1994) ; Roché (2003).<br />

37 Que nous ne nommerons pas. Tout simplement peut-on dire qu’il a été récemment impliqué dans une affaire<br />

pétrolière.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 42


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

référence <strong>à</strong> la population mère, que ce soit celle du stade dans son entier, <strong>des</strong> supporters, de la<br />

ville ou de la région. Il s’agit d’un vice de forme évident dans une approche factorielle visant<br />

<strong>à</strong> démontrer la précellence de l’appartenance sociale dans la participation aux actes hooligans.<br />

Pour que celle-ci soit effective, il faut en eff<strong>et</strong> qu’il y ait sur-représentation <strong>des</strong> classes<br />

défavorisées, chez les hooligans, par rapport <strong>à</strong> la quotité attendue en fonction de la population<br />

mère. Ces mêmes étu<strong>des</strong> ne commentent d’ailleurs que les populations proportionnellement<br />

les plus importantes parmi les hooligans arrêtés délaissant les catégories « moins<br />

représentées » (étudiants, cadres supérieurs, femmes, <strong>et</strong>c.) mais qui ne sont pas pour autant<br />

moins représentatives du fait hooligan. Car ce qui est commun <strong>à</strong> ces catégories n’est pas<br />

l’appartenance sociale mais bien la violence. Il y a donc absence totale de traitement <strong>et</strong> de<br />

discussion de la singularité alors que l’enquête de Trivizas fait apparaître que sur 520<br />

supporters condamnés pour hooliganisme, 68,1 % étaient <strong>des</strong> ouvriers, 12 % <strong>des</strong> chômeurs,<br />

10 % <strong>des</strong> élèves <strong>et</strong> <strong>des</strong> étudiants <strong>et</strong> 6,1 % <strong>des</strong> « cols blancs ». Ces catégories ne sont peut-être<br />

tout simplement que le refl<strong>et</strong> social d’un sport ancré, davantage encore que dans d’autres<br />

pays, dans une « tradition ouvriériste » (Holt, 1994 ; Lindner, Breuer, 1994).<br />

Des catégorisations <strong>à</strong> nuancer<br />

Les catégorisations sociales mises en évidence sont-elles seulement valables ? Elles auraient<br />

demandé <strong>à</strong> être nuancées compte tenu du contexte social <strong>et</strong> économique <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>. Dans une<br />

société économiquement en crise la sériation de certains profils demande quelques<br />

précautions :<br />

- les plus jeunes sont parmi les plus touchés par les crises économiques. Ils ne trouvent pas<br />

de travail faute d’expérience. Ceci est vrai depuis les années 1970 en Grande-Br<strong>et</strong>agne<br />

comme en France 38 . Est-il alors anormal de trouver un nombre important de jeunes sans<br />

emploi dans une société en perdition ? Est-il anormal d’en trouver dans le stade puisque le<br />

public est composé majoritairement de jeunes ?<br />

- les chômeurs ne représentent pas une catégorie sociale homogène. On peut être chômeur<br />

après avoir été ouvrier ou membre <strong>des</strong> cadres <strong>et</strong> professions intellectuelles supérieures<br />

pour reprendre la terminologie française. On peut être au chômage depuis peu ou très<br />

longtemps. Dans les deux cas, le statut de l’individu, ses revenus, l’image qu’il a de lui<br />

diffèrent. De plus, pour juger de l’exclusion ou de la précarité sociale <strong>des</strong> publics jeunes,<br />

il est nécessaire de s’intéresser <strong>à</strong> la profession <strong>des</strong> parents.<br />

- la catégorie élèves-étudiants présente la même hétérogénéité en terme de niveau d’étu<strong>des</strong><br />

<strong>et</strong> d’origine sociale.<br />

Seule catégorie <strong>à</strong> avoir été discutée : celle <strong>des</strong> classes supérieures, Dunning <strong>et</strong> al. (op. cit.)<br />

ayant émis l’hypothèse que les cadres supérieurs recourant au hooliganisme seraient ceux qui<br />

ont connu une mobilité sociale intergénérationnelle ascendante importante. Ils auraient donc<br />

acquis un statut professionnel distinct de celui de leurs parents mais gardé les habitus de leur<br />

classe sociale d’origine en matière de <strong>violences</strong>. C<strong>et</strong>te problématique restée sans réponse est<br />

intéressante. Mais conforte l’idée de classes sociales défavorisées <strong>et</strong> nécessairement violentes.<br />

A l’inverse pourquoi ne pas se demander <strong>et</strong> comment juger ceux qui ont connu une contre<br />

mobilité sociale intergénérationnelle ou une contre mobilité sociale, phénomènes qui ne sont<br />

pas rares en temps de crise ?<br />

38 Voir <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> les données économiques <strong>et</strong> sociales publiées chaque année par l’INSEE.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les hooligans : une catégorie non homogène<br />

Il en va de même pour la catégorisation <strong>des</strong> individus, voire <strong>des</strong> groupes, comme<br />

« hooligans ». Doit-on la limiter <strong>à</strong> ceux qui pratiquent la violence régulièrement ? Et comment<br />

le savoir en dehors de la réalisation d’enquêtes de « <strong>violences</strong> auto-révélées » ? Il existe bien<br />

plusieurs types de hooligans : <strong>des</strong> hooligans « occasionnels », recourant parfois <strong>à</strong> la violence,<br />

jusqu’aux hooligans « chroniques », rassemblant <strong>des</strong> individus qui prennent plaisir au<br />

hooliganisme <strong>et</strong> l’instituent en mode de vie. Mais le hooliganisme occasionnel est-il dénué de<br />

plaisir, constitue-t-il un accident, une réaction <strong>à</strong> une provocation ou un danger, s’inscrit-il<br />

dans un mécanisme de défense, ou bien est-il le prélude <strong>à</strong> une « carrière déviante <strong>à</strong> long<br />

terme » (Becker, op. cit.) ? Le hooligan « chronique » est-il un délinquant « chronique » dans<br />

sa vie habituelle ? La réponse <strong>à</strong> ces diverses questions perm<strong>et</strong>trait de réfuter, de confirmer ou<br />

de moduler, par exemple, l’affirmation selon laquelle les hooligans sont <strong>des</strong> délinquants<br />

ordinaires. Elle perm<strong>et</strong>trait aussi de commencer <strong>à</strong> distinguer diverses formes de hooliganisme.<br />

Un exemple concr<strong>et</strong>, que nous reprendrons dans une autre perspective un peu plus loin, suffit<br />

<strong>à</strong> apporter quelques nuances. En 1998, nous effectuons un déplacement <strong>à</strong> Lyon avec les South<br />

Winners (groupe de supporters marseillais connus pour leur violence <strong>et</strong> qui ont la réputation<br />

d’être invaincus en France). A l’arrivée les services de police ne sont pas l<strong>à</strong>, comme c’est le<br />

cas habituellement, pour nous accueillir. Les bus sont attaqués par les supporters lyonnais.<br />

J<strong>et</strong>s de pierres, projectiles divers, bris de vitres, ce déplacement dégénère vite en affrontement<br />

violent. L’espace de quelques secon<strong>des</strong>, j’ai le choix <strong>entre</strong> « participer » <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te bagarre ou<br />

non, me défendre ou non. La question est vite résolue. A l’instar <strong>des</strong> supporters, je déboucle<br />

ma ceinture <strong>et</strong> <strong>entre</strong> dans la bagarre. Selon la terminologie de Becker, c’est l’occasion d’une<br />

première expérience, dans laquelle j’y trouve également, un certain plaisir, que je ne<br />

chercherai cependant pas <strong>à</strong> renouveler. Si j’avais été arrêté ce jour l<strong>à</strong> j’aurais été fiché <strong>et</strong><br />

condamné pour hooliganisme. Étais-je pour autant un hooligan chronique ? Un délinquant<br />

dans la vie ordinaire ?<br />

Ce questionnement induit une autre question : les hooligans fichés sont-ils réellement <strong>des</strong><br />

hooligans ? Les remarques précédentes font apparaître <strong>des</strong> amalgames en la matière. Mais<br />

c<strong>et</strong>te approche particulière du hooliganisme ne prend pas en compte, non plus, le fait que « les<br />

groupes sociaux créent la déviance en instituant <strong>des</strong> normes dont la transgression constitue la<br />

déviance » (Becker, op. cit. 32). L’utilisation <strong>des</strong> fumigènes <strong>et</strong> <strong>des</strong> feux de Bengale par les<br />

supporters pour animer, « enflammer », décorer les tribunes est un exemple. L’embrasement<br />

<strong>des</strong> tribunes participe de l’esprit festif <strong>et</strong> exalte le soutien <strong>à</strong> l’équipe. Mais la loi « Alliot-<br />

Marie » 39 en« interdisant l’introduction de tout engin pyrotechnique dans le stade » assimile<br />

les supporters aux hooligans les plus violents. L’interdiction de stade du leader <strong>des</strong><br />

« Yankees » marseillais en 2000 en est un exemple. Certes c<strong>et</strong>te interdiction est<br />

compréhensible en soi, certains « stylos fusées » ou fumigènes ayant servi de projectiles sur<br />

les tribunes adverses. Il n’en reste pas moins vrai que la majorité <strong>des</strong> « supporters normaux »<br />

deviennent déviants par le seul fait de c<strong>et</strong> article de loi alors qu’ils n’ont jamais cherché autre<br />

chose que soutenir leur équipe.<br />

Premiers choix<br />

39 Loi n° 93-1283 du 6 décembre 1993 « relative <strong>à</strong> la sécurité <strong>des</strong> manifestations sportives, a donné un cadre<br />

juridique <strong>et</strong> répressif aux infractions commises <strong>à</strong> l’intérieur d’un stade. Cadre juridique que nous avons par deux<br />

fois analysé <strong>et</strong> critiqué : Bodin, D. (1999b) <strong>et</strong> Bodin, D., Trouilh<strong>et</strong>, D. (2001).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Il est évident que les chiffres avancés ne répondent que très « partiellement » <strong>à</strong> la question de<br />

savoir qui est violent <strong>et</strong> pourquoi ? L’utilisation de ces statistiques vient en fait renforcer une<br />

lecture <strong>et</strong> une analyse idéologisée 40 du problème hooligan. La détermination sociale mise en<br />

évidence, <strong>à</strong> notre sens « surdéterminée » naturalise <strong>et</strong> sociologise la violence <strong>des</strong> supporters<br />

considérée comme un état de nature, partie intégrante de « l’homme animal », « homo homini<br />

lupus est ». Ils s’inscrivent en fait dans un paradigme dominant <strong>et</strong> dans le courant de pensée<br />

traditionnel de la sociologie anglo-saxonne du début <strong>des</strong> années 60 au milieu <strong>des</strong> années 80.<br />

Sociologie qualifiée alors de « sociologie du soupçon » qui traduit avant tout les<br />

comportements violents d’une partie de la population face <strong>à</strong> l’épuisement de l’élan moderniste<br />

d’après-guerre.<br />

En prenant ce point de vue les chercheurs se sont intéressés <strong>à</strong> la stigmatisation, <strong>à</strong> la<br />

reconnaissance de l’acte comme étant criminel <strong>et</strong> non <strong>à</strong> la criminogénèse, c’est <strong>à</strong> dire aux<br />

interactions <strong>et</strong> aux processus qui ont conduit au passage <strong>à</strong> l’acte, pas plus qu’ils ne<br />

s’interrogent sur le jugement de déviance rendu. C<strong>et</strong>te approche ne fournit aucune précision<br />

sur les conditions <strong>et</strong> les processus grâce auxquels se réalisent <strong>et</strong> se conçoivent ces actes. En ne<br />

r<strong>et</strong>enant que la définition criminologique <strong>et</strong> juridique de la déviance le champ d’étude <strong>et</strong><br />

d’observation se limite obligatoirement <strong>à</strong> une démarche causale consistant <strong>à</strong> trouver la<br />

réponse <strong>à</strong> la question de savoir « qui comm<strong>et</strong> quel type d’infraction <strong>et</strong> pourquoi ? » (Ogien,<br />

1995, 28). Les réponses en sont convenues <strong>et</strong> courantes : influence du milieu <strong>et</strong> déterminisme<br />

social, inégalité socio-économique <strong>et</strong> défaut d’intégration sociale... autant de thèmes<br />

récurrents dans les étu<strong>des</strong> sociologiques <strong>et</strong> criminologiques anglo-saxonnes examinées<br />

auparavant. C<strong>et</strong>te approche pose cependant un problème simple : celui de la négation de toute<br />

logique <strong>des</strong> acteurs en présence. Le supporter semble ne pas être maître de ses actes, mais, bel<br />

<strong>et</strong> bien prisonnier de ses rôles <strong>et</strong> de son habitus, lui déniant ainsi toute autonomie d’action <strong>et</strong><br />

de rationalité. 41 Le hooliganisme est considéré comme un tropisme alors que « la violence<br />

n’est pas innée chez l’homme, malgré la réalité <strong>des</strong> décharges d’adrénaline qui induisent<br />

certes une agressivité mais qui peut être maîtrisée. Elle est toujours construite, en fonction de<br />

besoins, désirs, passions <strong>et</strong> aussi rêves <strong>et</strong> folies meurtrières de gouvernants. Elle s’acquiert par<br />

l’éducation » (Héritier, 1996, 31-32). Comme le montre fort bien le film I.D. 42 n’importe qui<br />

peut, éventuellement, devenir hooligan.<br />

Ces analyses ont orienté nos premiers choix théoriques <strong>et</strong> méthodologiques. Il nous a donc<br />

semblé nécessaire, en premier lieu d’opter, pour une définition large de la violence, incluant<br />

non seulement l’acte final, l’affrontement, mais aussi les incivilités, les <strong>violences</strong> morales <strong>et</strong><br />

symboliques. C’est <strong>à</strong> travers le prisme de la définition d’Héritier, plus appropriée, nous<br />

semble t-il, pour décrire <strong>et</strong> comprendre ce qui se joue au sein de la sphère sportive, que les<br />

<strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> seront observées : « Le mot est appliqué <strong>à</strong> <strong>des</strong> situations<br />

contextuelles extrêmement variables, mais toutes marquées par la violence, les <strong>violences</strong>, la<br />

40 Nous utilisons la définition donnée par Boudon au concept d’idéologie <strong>à</strong> savoir une « doctrine reposant sur<br />

une argumentation scientifique <strong>et</strong> dotée d’une crédibilité excessive ou non fondée » (1986, 52), <strong>et</strong> tentons de<br />

m<strong>et</strong>tre ainsi en exergue que certains travaux reposent parfois davantage sur <strong>des</strong> « jugements de valeurs » (op.<br />

cit., 47-49) <strong>et</strong> une « idéologie » plutôt que sur <strong>des</strong> faits réels.<br />

41 Dans le sens défini par Simon <strong>et</strong> utilisé par Crozier <strong>et</strong> Friedberg (1977) : l’acteur possède une rationalité qui<br />

est cependant limitée, située <strong>et</strong> contextualisée. « L’homme n’est pas un animal qui cherche l’optimisation mais,<br />

la satisfaction » (Crozier <strong>et</strong> Friedberg, op. cit., 321), il effectue donc un raisonnement stratégique qui vise <strong>à</strong> la<br />

réalisation optimale de ses désirs pour un coût d’opportunité moindre.<br />

42 I.D. Identity Document. Film qui r<strong>et</strong>race l’infiltration d’un groupe de hooligans par un jeune policier qui<br />

deviendra p<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it lui-même hooligan. Le réalisateur dit de ce film : « Ce n’est pas tellement le hooliganisme<br />

qui m’intéressait [...] mais, <strong>à</strong> la racine de c<strong>et</strong>te histoire, quelque chose dans l’itinéraire psychologique de John me<br />

plaisait : qu’il devienne c<strong>et</strong>te espèce de brute qu’il doit logiquement jouer a être <strong>et</strong> qu’on comprenne que ça<br />

pourrait arriver <strong>à</strong> chacun d’<strong>entre</strong> nous » (Davis, réalisateur, note de production, 1997).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

fureur, la haine, le massacre, la cruauté, les atrocités collectives, mais aussi les <strong>violences</strong> plus<br />

feutrées de la domination économique, du rapport capital/travail, du grand partage Nord-Sud,<br />

sans compter toutes les <strong>violences</strong> « ordinaires » – si l’on peut dire – exercées <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong><br />

faibles : femmes, enfants, exclus du contexte social » (Héritier, op. cit., 13).<br />

Notre deuxième choix fut de nous intéresser au hooliganisme en tant que phénomène <strong>et</strong><br />

processus social, nous proposant de tenter de chercher, <strong>et</strong> saisir, le sens <strong>des</strong> agissements<br />

déviants <strong>et</strong> <strong>des</strong> mobiles qui les guident. Il ne s’agit plus dans ce cas d’une démarche de type<br />

causale mais compréhensive « qui se propose de comprendre par interprétation l’activité<br />

sociale <strong>et</strong> par l<strong>à</strong> d’expliquer causalement son déroulement <strong>et</strong> ses eff<strong>et</strong>s » (Weber, 1956, 28).<br />

Si le hooliganisme se caractérise bien évidemment par <strong>des</strong> actes de vandalisme ou de violence<br />

physique, ce phénomène possède une dynamique sociale <strong>et</strong> temporelle qui, <strong>à</strong> l’instar de la<br />

délinquance, peut conduire les supporters de la réalisation de p<strong>et</strong>its actes futiles, <strong>et</strong><br />

simplement incivils, <strong>à</strong> la réalisation d’actes violents, parfois, prémédités. Il semble donc plus<br />

intéressant de tenter de comprendre par le biais de quels apprentissages <strong>et</strong> de quelles<br />

interactions un individu passe d’un comportement « normal » <strong>à</strong> un comportement déviant ?<br />

Le troisième choix fut celui d’une approche comparative <strong>et</strong> résulte de l’observation qu’<strong>à</strong><br />

aucun moment les chercheurs ne se posent réellement la question de savoir pourquoi le<br />

football semble être le plus concerné par les phénomènes de hooliganisme ? Approche<br />

comparative justifiée très tôt par Durkheim pour qui il n’existait « qu’un moyen de démonter<br />

qu’un phénomène est cause d’un autre, c’est de comparer les cas où ils sont simultanément<br />

présents <strong>et</strong> absents, <strong>et</strong> de rechercher si les variations qu’ils présentent dans ces différentes<br />

combinaisons de circonstances témoignent que l’un dépend de l’autre » (1895, 124).<br />

R<strong>et</strong>our sur la méthode<br />

L’objectif n’est pas ici de reprendre le détail de la construction de la problématique <strong>et</strong> de la<br />

méthodologie mises en oeuvre pour mener <strong>à</strong> bien c<strong>et</strong>te recherche. Celles-ci ont maintes fois<br />

été commentées, détaillées <strong>et</strong> explicitées dans les publications <strong>et</strong> travaux que nous avons<br />

réalisés. Comme le suggère Morin (1984, 215) « nous poserons uniquement les problèmes que<br />

nous avons rencontrés <strong>et</strong> tenté de résoudre », non pas comme un inventaire, ou un catalogue,<br />

mais pour montrer comment la pensée <strong>et</strong> l’action du chercheur se transforme <strong>et</strong> se rationalise,<br />

au contact <strong>et</strong> de l’expérience du terrain<br />

Postulats de départ<br />

L’inscription de c<strong>et</strong>te recherche dans une perspective, essentiellement, (inter)actionniste<br />

n’impliquait pour nous nullement le rej<strong>et</strong> <strong>des</strong> autres paradigmes. A l’instar de Berthelot, nous<br />

estimons que « vouloir l’unification sous un langage ou un style dominant semble relever<br />

d’une utopie dont l’évolution <strong>des</strong> autres disciplines invite <strong>à</strong> penser qu’elle est peut-être ellemême<br />

archaïque » (1996, 210). Pourquoi en fait vouloir se priver d’éclairages différents qui<br />

nous perm<strong>et</strong>traient d’approcher au mieux la réalité sociale d’un phénomène ? Pour forcer le<br />

trait, j’emprunterai quelques lignes, que Dur<strong>et</strong> m’en excuse, <strong>à</strong> l’introduction avortée de notre<br />

dernier ouvrage commun, où nous justifions justement ce choix délibéré de l’ouverture <strong>à</strong> tous,<br />

quels que soient les courants <strong>et</strong> les métho<strong>des</strong>. Nous y affirmions alors qu’un « monde où il n’y<br />

aurait qu’une forme de sociologie, de psychologie ou d’histoire si dominante qu’elle aurait<br />

étouffé toute les autres ne serait guère enviable. La pensée unique a de quoi faire<br />

cauchemarder, rallumer la lumière <strong>et</strong> vérifier pour parvenir <strong>à</strong> s’endormir que la diversité règne<br />

toujours dans nos bibliothèques. La recherche du pluralisme n’équivaut pourtant en rien <strong>à</strong> un<br />

relativisme, mais <strong>à</strong> une érudition nécessaire ne serait-ce que pour choisir un modèle<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 46


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

préférentiel en connaissance de cause ». Nous aurions pu ajouter également : le plus approprié<br />

en fonction du terrain <strong>et</strong> du contexte spatial <strong>et</strong> temporel de l’étude. Car l’objectif est de rendre<br />

compte au mieux du social <strong>et</strong> non, en s’inscrivant délibérément <strong>et</strong> a priori dans un courant, ou<br />

une école, <strong>à</strong> chercher en premier <strong>à</strong> accroître l’influence de ceux-ci (Berthelot, 1998).<br />

Qu’est-ce qui empêche effectivement, <strong>et</strong> logiquement, de penser qu’un individu puisse tout <strong>à</strong><br />

la fois se trouver dans une situation précaire (ou non), être prisonnier de ces habitus de classe<br />

(ou non), recourir <strong>à</strong> la violence (ou non), avoir <strong>des</strong> intentions (ou non), <strong>et</strong> tout cela en fonction<br />

<strong>des</strong> situations auxquelles il est confronté ? Ce point de vue n’est pas nouveau. Un certain<br />

nombre d’auteurs l’ont défendu bien avant nous. Lahire (1998 ; 2004) l’a amplement<br />

développé tout au long de son travail, <strong>et</strong> plus particulièrement dans L’homme pluriel,<br />

résumant en un joli titre, la pluralité de dispositions, de désirs, de manières d’être <strong>et</strong> de se<br />

comporter dont nous sommes chacun porteurs. Nous avons ainsi essayé de montrer, dans un<br />

récent travail intitulé « Les goûts sportifs : <strong>entre</strong> distinction <strong>et</strong> pratique élective raisonnée »<br />

(Bodin, Héas, Robène, 2004), comment l’instrumentalisation de la pratique du golf aux fins<br />

d’intégration sociale par <strong>des</strong> acteurs, initialement exclus de la distribution sociale<br />

traditionnelle de ce type d’activité élective, constitue une forme de revers de la distinction<br />

bourdieusienne tout en traduisant également le degré d’ouverture accru <strong>des</strong> choix <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

trajectoires possibles <strong>des</strong> acteurs au sein du système. Berthelot (1996, 191 <strong>et</strong> passim) montre,<br />

<strong>à</strong> travers la construction de ce qu’il nomme le « schéma actanciel », que la réalité <strong>des</strong><br />

phénomènes sociaux peuvent faire l’obj<strong>et</strong> d’analyses qui, pour différentes, n’en restent pas<br />

moins complémentaires <strong>et</strong>, sont la manifestation d’un même effort de rationalisation <strong>et</strong><br />

d’élucidation du social. C<strong>et</strong>te volonté d’intégrer une pluralité d’approches reste une constante<br />

dans l’intégralité de nos travaux.<br />

Le second postulat est celui d’un hooliganisme issu du supportérisme. Nous considérons en<br />

eff<strong>et</strong>, comme Ehrenberg (op. cit.) que le hooliganisme est la dérive extrême du supportérisme,<br />

un « accomplissement pratique », résultant de constructions identitaires, individuelles ou<br />

collectives, qui cristallisent <strong>et</strong> focalisent leurs (inter)actions en fonction de la manière dont ils<br />

interprètent le monde. A ce titre, leurs actions, <strong>et</strong> interactions, violentes ont un sens <strong>et</strong> une<br />

signification, qu’il faut tenter de r<strong>et</strong>rouver en recueillant, comme le suggèrent Crozier <strong>et</strong><br />

Friedberg (1977, 456 <strong>et</strong> passim), « l’expérience vécue » <strong>des</strong> participants <strong>et</strong> les « stratégies<br />

mises en place » pour arriver <strong>à</strong> leurs fins. Nous avions conscience que c’est, seulement, en<br />

comparant diverses sources <strong>et</strong> en participant <strong>à</strong> leurs activités, qu’il serait possible de<br />

reconstruire « de l’intérieur la logique propre <strong>des</strong> situations telle qu’elle est perçue <strong>et</strong> vécue<br />

par les acteurs ». Ce postulat s’oppose au point de vue <strong>des</strong> responsables sportifs français qui<br />

préfèrent voir dans ces jeunes, pour <strong>des</strong> raisons économiques, d’image de marque <strong>et</strong> de<br />

responsabilité, que nous discuterons ultérieurement, <strong>des</strong> délinquants extérieurs au football, qui<br />

viennent comm<strong>et</strong>tre leurs méfaits dans les sta<strong>des</strong>.<br />

Des postulats aux techniques d’enquêtes : élaboration <strong>des</strong> outils <strong>et</strong> difficultés<br />

Pour répondre <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te volonté d’approcher au mieux la réalité, de ce phénomène social<br />

complexe, le recours <strong>à</strong> <strong>des</strong> techniques d’enquêtes diverses <strong>et</strong> variées (questionnaires,<br />

<strong>entre</strong>tiens, observations participantes, étude de documents divers : fanzines, lois, règlements,<br />

comptes-rendus <strong>des</strong> divers services de police, <strong>et</strong>c.) était indispensable. Outre l’éclairage<br />

distinct qu’elles perm<strong>et</strong>taient ces techniques offraient une complémentarité pour interpréter<br />

les actions <strong>et</strong> les interactions.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Le questionnaire<br />

L’objectif du questionnaire était tout <strong>à</strong> la fois d’identifier les publics, dans leur globalité en<br />

terme de variables socio-démographiques habituelles (âge, sexe, <strong>et</strong>c.), de pouvoir les<br />

ségréguer en fonction de leurs motivations, de leurs habitu<strong>des</strong>, de leur ancienn<strong>et</strong>é, du rôle<br />

qu’ils entendent jouer, mais également de réaliser une enquête de hooliganisme « autorévélée<br />

». Nous n’étions pas le premier <strong>à</strong> réaliser une enquête sur les publics. D’autres<br />

l’avaient fait avant nous en France (Deshaies, 1987 ; Charroin, 1994 ; Bromberger, 1995)<br />

s’intéressant cependant uniquement aux publics, violents ou non, composant les sta<strong>des</strong> de<br />

football. Nous souhaitions pour notre part comprendre pourquoi ces <strong>violences</strong> concernaient<br />

principalement les publics du football en recourant <strong>à</strong> une analyse comparative dans quatre<br />

<strong>sports</strong> collectifs : les trois premiers (football, bask<strong>et</strong>-ball, rugby) étant <strong>des</strong> <strong>sports</strong> aux<br />

« espaces de jeu interpénétrés » (Jeu, 1977) possédant les publics les plus nombreux parmi<br />

tous les <strong>sports</strong> collectifs ; le quatrième, le volley-ball, « jeu alternatif » (Jeu, op. cit.) sans<br />

mélange <strong>des</strong> joueurs. Le choix de ce quatrième sport correspondait <strong>à</strong> la volonté de mesurer<br />

l’influence que pouvait éventuellement avoir le jeu <strong>et</strong> les incertitu<strong>des</strong> sur le comportement <strong>des</strong><br />

publics.<br />

Le questionnaire originel comportait 4 groupes d’indicateurs :<br />

1. Socio-démographiques (4 questions) : sexe, âge, PCS, code postal,<br />

2. Relationnel <strong>et</strong> habitu<strong>des</strong> (14 questions) : fréquentation du stade, appartenance<br />

<strong>à</strong> un club de supporters, place occupée, réseaux d’amitiés <strong>et</strong> d’inimitiés...),<br />

3. Motivationnel (6 questions) : motivations vis <strong>à</strong> vis <strong>des</strong> matches <strong>et</strong> rôle qu’ils<br />

pensent jouer,<br />

4. Violence (2 questions) : participation, <strong>et</strong> raisons invoquées.<br />

L’élaboration du questionnaire a été complexe car nous voulions tout <strong>à</strong> la fois produire <strong>des</strong><br />

résultats intéressants <strong>et</strong> originaux, ce qui <strong>à</strong> première vue est la moindre <strong>des</strong> choses dans une<br />

recherche, mais également pouvoir les comparer aux résultats <strong>des</strong> enquêtes précitées <strong>et</strong> aux<br />

données de l’INSEE concernant la population <strong>des</strong> villes ou <strong>des</strong> agglomérations.<br />

Prenons un exemple de la complexité induite par la volonté de comparer nos résultats : la<br />

question de l’âge. Ce facteur est fondamental dans l’analyse de la violence. En utilisant le<br />

questionnaire de Bromberger, le plus élaboré, celui-ci nous fournit, l’âge en classes 43 , qui<br />

cependant ne correspondent pas aux deux premières « catégories d’âge par unité urbaine »<br />

fournies par l’INSEE 44 . Le recours <strong>à</strong> une question ouverte numérique du type « Quel âge<br />

avez-vous ? » a permis de contourner c<strong>et</strong>te difficulté <strong>et</strong> de pouvoir, en reconstruisant <strong>des</strong><br />

classes a posteriori, <strong>et</strong> <strong>à</strong> volonté, comparer nos résultats aux autres. Chacune <strong>des</strong> variables,<br />

potentiellement comparable, a fait ainsi l’obj<strong>et</strong> d’une attention toute particulière.<br />

Le second problème est la production de résultats « originaux ou, intéressants ». La question<br />

du hooliganisme auto-révélée a fait l’obj<strong>et</strong> de deux modifications du questionnaire. La<br />

première version prévoyait, outre les interrogations relatives <strong>à</strong> l’identification (appartenance <strong>à</strong><br />

un groupe de supporters, fréquence de venue au stade, <strong>et</strong>c.), deux questions : 23. Avez-vous<br />

déj<strong>à</strong> participé <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements <strong>entre</strong> supporters ou spectateurs ? (oui-non) <strong>et</strong> la 24. Si oui<br />

quelles en étaient les raisons ? (Réponse <strong>à</strong> la provocation, antécédents, rivalités sportives <strong>entre</strong><br />

clubs, résultat du match, arbitrage) 45 . La simulation d’un premier dépouillement après un test<br />

43<br />

- 17 ans ; 17-24 ; 25-39 ; 40-59 ; 60 <strong>et</strong> +.<br />

44<br />

0-19 ; 20-24.<br />

45<br />

Les modalités étant issues de la pré-enquête réalisée auprès <strong>des</strong> policiers, supporters, journaliste, <strong>et</strong>c. que nous<br />

avons mentionnée dans le chapitre 1.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 48


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

a montré que nous ne pourrions pas distinguer la violence « chronique » de la violence<br />

« occasionnelle ». Il a donc fallu ajouter une question de type échelle : 25. Si vous avez déj<strong>à</strong><br />

participé <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements diriez-vous que c’est : A chaque match ; Très fréquemment<br />

(2/3) ; Fréquemment (1/2) ; Rarement (moins de 1/5) ; Très rarement (1 ou 2 fois seulement).<br />

La seconde modification, arrivée très tardivement, est en fait un complément ajouté après le<br />

travail de recherche réalisé pour la thèse. A vouloir identifier les publics <strong>et</strong> la violence, nous<br />

en avions oublié, l’hypothèse de Dunning concernant la contre-mobilité sociale<br />

intergénérationnelle. C<strong>et</strong>te hypothèse était très difficile <strong>à</strong> vérifier. Il fallait identifier la<br />

profession <strong>des</strong> parents (2 questions supplémentaires) mais aussi pour répondre <strong>à</strong> notre critique<br />

identifier les métiers exercés auparavant par les individus que nous interrogions (1 question de<br />

plus) 46 . Ces trois questions furent ajoutées lors de la seconde modification du questionnaire <strong>et</strong><br />

ne concernent pas les 2 402 premières réponses.<br />

C<strong>et</strong>te enquête par questionnaire 47 a été réalisée sous la forme d’un « échantillonnage par<br />

unités types » (Chauchat, 1985). C<strong>et</strong> échantillon est consciemment biaisé. Nous n’avions ni la<br />

nécessité, ni la possibilité d’un échantillonnage probabiliste par quotas. L’objectif était la<br />

typicalité <strong>des</strong> différentes catégories de publics (selon les <strong>sports</strong> ; spectateurs <strong>et</strong> supporters,<br />

violents ou non, <strong>et</strong>c.). La répartition géographique de l’échantillon est variée (Bordeaux,<br />

Paris, Marseille, Toulouse, Nantes, Lens, …) <strong>et</strong> répond <strong>à</strong> la logique d’investir les clubs<br />

sportifs tout <strong>à</strong> la fois les plus renommés <strong>et</strong> qui possèdent le plus grand nombre de (groupes de)<br />

supporters. Réaliser une enquête par échantillonnage dans un stade ne ressemble <strong>à</strong> aucune<br />

autre enquête. Pour filtrer les entrées il faut rassembler <strong>entre</strong> 12 <strong>et</strong> 20 enquêteurs, selon le<br />

nombre d’accès aux tribunes <strong>des</strong> différents sta<strong>des</strong>. Il est indispensable également d’obtenir<br />

l’accord <strong>des</strong> dirigeants sportifs, mais aussi <strong>des</strong> forces de l’ordre, pour procéder <strong>à</strong> ces enquêtes<br />

afin de ne pas gêner l’accès aux tribunes <strong>et</strong>, ne pas perturber les procédures de filtrages <strong>et</strong> de<br />

contrôles. Il faut encore choisir les matchs. Comme le suggère De Singly (1992, 46) « les<br />

publics sont <strong>des</strong> groupes mobiles aux frontières floues ». Ils fluctuent en eff<strong>et</strong> en fonction du<br />

climat, de l’adversaire mais aussi du classement actuel de l’équipe, autant de paramètres qui<br />

obligent <strong>à</strong> rej<strong>et</strong>er, par exemple, les matches trop importants type Olympique de Marseille-<br />

Paris Saint Germain en Football. Les sta<strong>des</strong> sont enfin répartis aux quatre coins de l’hexagone<br />

cela nécessite de longs <strong>et</strong> fréquents déplacements. Les rencontres se jouent essentiellement sur<br />

les week-ends <strong>et</strong> il n’est généralement pas possible de réaliser deux terrains le même weekend.<br />

Ces difficultés ont cependant été très formatrices. Elles nous ont directement impliqué dans ce<br />

que pouvait être l’organisation d’un programme de recherche, c’est <strong>à</strong> dire, la définition<br />

d’objectifs précis, avec une méthodologie adéquate, mais également la quête <strong>et</strong> la<br />

rationalisation <strong>des</strong> moyens, sans lesquels ce type de recherche n’est pas possible. Elles nous<br />

servent aujourd’hui d’illustration dans les séminaires avec nos étudiants pour les aider <strong>à</strong><br />

concevoir l’organisation <strong>et</strong> la planification de leur travail.<br />

Deux réponses ont été apportées. La première a été la collaboration avec <strong>des</strong> étudiants de<br />

maîtrise en Sciences de l’Éducation <strong>et</strong> en Staps qui ont participé <strong>à</strong> ces investigations. La<br />

seconde a été la quête de moyens, facilitée par notre investissement, réseau <strong>et</strong> connaissances<br />

dans le monde sportif : mois saisonniers de Jeunesse <strong>et</strong> Sports attribués <strong>à</strong> <strong>des</strong> étudiants,<br />

subvention du Conseil Général de Gironde avec pour contrepartie la réalisation d’un rapport,<br />

subvention du Conseil Régional d’Aquitaine, négociations de kilomètres gratuits <strong>à</strong> la SNCF,<br />

<strong>et</strong> bien d’autres encore.<br />

46 Sans pour autant savoir si les parents avaient connu également une mobilité sociale ascendante ou non<br />

47 14 867 personnes ont été interrogées par questionnaire <strong>à</strong> ce jour dans les sta<strong>des</strong> de bask<strong>et</strong>-ball, football, rugby<br />

<strong>et</strong> volley-ball pour un total en première division de 14 clubs de football, 6 en bask<strong>et</strong>-ball, 3 en rugby <strong>et</strong> 3 en<br />

volley-ball.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 49


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les <strong>entre</strong>tiens<br />

Deux sortes d’<strong>entre</strong>tiens semi-directifs ont été utilisés. Le premier concernait les supporters. Il<br />

était de type « histoire de vie » (Pineau <strong>et</strong> Legrand, 1993) <strong>et</strong> répondait <strong>à</strong> un triple objectif :<br />

donner du sens aux actions, <strong>et</strong> aux interactions, violentes ou non, <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> histoires de vie<br />

<strong>des</strong> individus passionnellement engagés dans le supportérisme ; acquérir, comme le suggère<br />

Chauchat (op. cit.) une familiarité de membre <strong>et</strong> le langage habituel de ces groupes ;<br />

confronter sur un même suj<strong>et</strong> (ex : un affrontement précis) les points de vue d’acteurs<br />

appartenant <strong>à</strong> <strong>des</strong> groupes différents.<br />

L’intérêt de l’<strong>entre</strong>tien, comme de l’observation participante que nous examinerons un peu<br />

plus loin, ne s’arrête cependant pas aux les objectifs habituels de ce type de technique. Il s’est<br />

avéré, a posteriori, beaucoup plus aisé de faire parler les supporters sur leur vie que de leur<br />

demander de répondre aux questionnaires. Chauchat suggère ainsi que parfois « l’<strong>entre</strong>tien<br />

semble mieux adapté que le questionnaire par exemple. Plusieurs facteurs peuvent intervenir,<br />

notamment la difficulté ou le refus de répondre <strong>à</strong> une série de questions définies <strong>à</strong> l’avance,<br />

ou le besoin d’établir un contact personnel pour répondre... Cela peut être le cas de<br />

populations marginales... » (op. cit., p. 153). Dépassant l’aspect péjoratif de ces propos, qui<br />

s’avère cependant réel dans un certain nombre de cas, il est vrai que les supporters préfèrent<br />

parler <strong>à</strong> un interlocuteur, connu, identifié <strong>et</strong> qu’ils ont accepté, plutôt que de répondre<br />

anonymement <strong>à</strong> un questionnaire dont ils craignent l’utilisation ultérieure. C’est aussi <strong>et</strong><br />

surtout <strong>entre</strong>r dans la sphère de l’intime. La passation du questionnaire se fait <strong>à</strong> l’entrée <strong>des</strong><br />

tribunes <strong>et</strong> <strong>des</strong> virages. Les individus arrivent en groupes plus ou moins importants. Certains<br />

ne veulent pas répondre, d’autres le font mais sous les railleries <strong>et</strong> les provocations de leurs<br />

congénères. Un certain nombre de questionnaires ont été écartés pour ces raisons. Le contexte<br />

de l’<strong>entre</strong>tien s’avère différent. En acceptant l’interview, ils en profitent pour s’isoler <strong>et</strong> parler<br />

de ce que leurs amis ne savent pas toujours ou, du moins, pas complètement. Ils ont une<br />

liberté de parole <strong>et</strong> d’opinion.<br />

Huit thèmes principaux constituaient la trame de l’<strong>entre</strong>tien :<br />

1. la genèse de la passion,<br />

2. l’attachement au club, <strong>à</strong> la ville, <strong>à</strong> la région,<br />

3. les <strong>relations</strong> avec les autres supporters,<br />

4. la violence,<br />

5. l’influence <strong>des</strong> médias,<br />

6. les rapports avec la police,<br />

7. les <strong>relations</strong> avec le club,<br />

8. la politique.<br />

C<strong>et</strong>te trame n’était cependant ni fixe, ni ordonnée. Certains thèmes apparaissaient dans<br />

l’<strong>entre</strong>tien sans que l’on ait besoin de les aborder. D’autres, imprévus faisaient jour suscitant<br />

un questionnement complémentaire. Si ce type de recherche pose problème aux supporters,<br />

car le hooliganisme n’est pas la partie dont ils sont le plus fiers, ils acceptent cependant<br />

volontiers d’en parler, loin de nier <strong>et</strong> réfuter les actes de <strong>violences</strong> dont ils font parfois preuve.<br />

Mais ce ne peut en aucun cas être l’obj<strong>et</strong> de la première conversation ou, du moins, <strong>des</strong><br />

premiers instants de la rencontre. Ainsi, avec R, évoqué plus haut, nous avons réalisé un<br />

<strong>entre</strong>tien de près de 4 heures qui a débuté par un monologue interminable, mais très<br />

intéressant <strong>et</strong> très enrichissant, d’environ 1 h 30 sur l’histoire du supportérisme <strong>et</strong> son<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 50


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

organisation. A la fin de ce propos sur le bien fondé <strong>des</strong> groupes Ultras, étonné peut-être, de<br />

notre attention il se livra entièrement aux questions relatives au hooliganisme. La liberté de<br />

parole, laissée <strong>à</strong> l’interviewé, a permis souvent de dépasser le stade de la défiance <strong>et</strong> de<br />

l’inhibition. Ainsi, « c’est la durée <strong>et</strong> non la technique, la sympathie <strong>et</strong> non l’habil<strong>et</strong>é qui ont<br />

été les facteurs déterminants de réussite. C’est au bout d’une heure ou deux que le combat<br />

<strong>entre</strong> inhibition <strong>et</strong> exhibition se dénouait au profit <strong>des</strong> forces extravertrices. L’<strong>entre</strong>tien est<br />

réussi <strong>à</strong> partir du moment où la parole de l’interviewé est libérée <strong>des</strong> inhibitions <strong>et</strong> devient une<br />

communication » (Morin, op. cit., 219-220). De la théorie <strong>à</strong> la pratique il y a néanmoins un<br />

pas de géant. Sur les 131 <strong>entre</strong>tiens réalisés lors de la série d’enquête 1996-1998, seuls une<br />

soixantaine ont répondu complètement <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te attente.<br />

Le deuxième type d’<strong>entre</strong>tiens concernait les personnes en charge de la sécurité <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> :<br />

policiers <strong>et</strong> gendarmes, délégués <strong>à</strong> la sécurité <strong>des</strong> clubs, substituts ou procureurs de la<br />

république. Il s’agissait d’un récit de pratiques <strong>des</strong>tiné <strong>à</strong> recueillir « un tronçon du vécu d’un<br />

certain nombre de personnes correspondant <strong>à</strong> une pratique sociale » (Pineau <strong>et</strong> Legrand, op.<br />

cit., p. 112). Quatre thèmes principaux étaient abordés :<br />

1. leurs <strong>relations</strong> avec les supporters,<br />

2. l’encadrement <strong>des</strong> supporters,<br />

3. la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong>,<br />

4. leurs représentations <strong>des</strong> supporters <strong>et</strong> <strong>des</strong> hooligans.<br />

L’observation participante<br />

La troisième technique, l’observation participante, s’est avérée très intéressante car, en dehors<br />

de l’éclairage différent, <strong>et</strong> complémentaire, qu’elle apporte <strong>à</strong> l’enquête par questionnaire <strong>et</strong><br />

aux <strong>entre</strong>tiens, elle a permis de rendre compte <strong>des</strong> pratiques, au sens anthropologique, <strong>et</strong> de<br />

vérifier si les individus interrogés « faisaient ce qu’ils nous disaient <strong>et</strong>/ou nous disaient ce<br />

qu’ils faisaient ». Comme pour l’<strong>entre</strong>tien, il y a un moment difficilement palpable où<br />

l’enquêteur fait partie du groupe, ou nous ne sommes plus considérés comme un élément<br />

extérieur <strong>et</strong> invité, devant lequel il faut parfois se r<strong>et</strong>enir. C<strong>et</strong> oubli fait émerger <strong>des</strong> mots, <strong>des</strong><br />

gestes, <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong>, <strong>des</strong> comportements que l’on voulait nous cacher. C’est dans la relation<br />

humaine qui s’établit, effaçant p<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it les clivages « enquêteur-enquêté », qu’émerge en<br />

fait tout l’intérêt du recours <strong>à</strong> l’<strong>entre</strong>tien <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’observation participante. Le savoir est<br />

cumulatif. Les choses apprises, entendues, vues ou constatées avec l’un ou l’autre <strong>des</strong> moyens<br />

d’investigation perm<strong>et</strong>tent de comprendre <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong>, <strong>des</strong> propos ou <strong>des</strong> actions qui seraient<br />

restées obscures autrement.<br />

Si, par exemple, R. <strong>à</strong> Bordeaux ne nous avait pas longuement expliqué le supportérisme, le<br />

langage utilisé, si nous ne nous étions pas fondu dans le groupe au point de faire oublier notre<br />

présence <strong>et</strong> notre statut, ne serait-ce que l’espace d’un moment, l’appel de R. au mégaphone<br />

dans le virage sud de Bordeaux serait passé inaperçu : « je vous rappelle qu’<strong>à</strong> la fin du match<br />

on se r<strong>et</strong>rouve pour faire la course ». Phrase anecdotique dont la traduction signifie qu’<strong>à</strong> la fin<br />

du match les Ultramarines 48 doivent se regrouper pour attaquer <strong>et</strong> poursuivre les supporters<br />

adverses.<br />

48 Un <strong>des</strong> groupes de supporters <strong>des</strong> Girondins de Bordeaux.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Confiance, congruence 49 <strong>et</strong> sympathie : trois états essentiels dans la recherche avec<br />

les supporters.<br />

C<strong>et</strong>te expérience est l’apprentissage qu’en fait les recherches en sciences sociales ne sont pas<br />

<strong>des</strong> recherches de « suj<strong>et</strong> <strong>à</strong> obj<strong>et</strong> », ce qui les distingue n<strong>et</strong>tement <strong>des</strong> « sciences de la<br />

nature », mais, bien <strong>des</strong> recherches de « suj<strong>et</strong> <strong>à</strong> suj<strong>et</strong> » avec les interactions <strong>et</strong><br />

l’intersubjectivité relationnelle que cela implique. Pour Habermas, dans un objectif de<br />

démarche compréhensive, d’interprétation du langage, du contexte <strong>et</strong> <strong>des</strong> actions « la relation<br />

<strong>entre</strong> un suj<strong>et</strong> qui observe <strong>et</strong> un obj<strong>et</strong> est ici remplacée par la relation <strong>entre</strong> un suj<strong>et</strong> qui<br />

participe <strong>et</strong> un partenaire » (1976, 214). La critique peut être simple : le positionnement du<br />

chercheur en tant que « partenaire », c’est <strong>à</strong> dire comme un membre non pas participant au<br />

sens strict du terme, mais comme témoin, accepté <strong>et</strong> privilégié, peut induire <strong>des</strong> distorsions<br />

dans la recherche <strong>et</strong> une perte d’objectivité due au non-maintien de la « distance au rôle »<br />

nécessaire au chercheur. Il faut néanmoins accepter l’idée que « le terrain est humain.<br />

L’enquêté est <strong>à</strong> la fois obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> on ne peut éluder le caractère intersubjectif de tout<br />

rapport d’homme <strong>à</strong> homme. Nous pensons que la relation optimale requiert <strong>à</strong> la fois, d’une<br />

part, détachement <strong>et</strong> objectivation <strong>à</strong> l’égard de l’obj<strong>et</strong> de l’enquête, d’autre part, participation<br />

<strong>et</strong> sympathie <strong>à</strong> l’égard du suj<strong>et</strong> enquêté. Comme le suj<strong>et</strong> enquêté <strong>et</strong> l’obj<strong>et</strong> de l’enquête ne font<br />

qu’un, nous sommes amenés <strong>à</strong> être double » (1984, p. 223). Les écrits théoriques, ou les<br />

compte-rendus de recherche, en la matière sont nombreux <strong>et</strong> souvent captivants. La lecture de<br />

Morin (1967, 1969) ou de Bromberger (1995), <strong>entre</strong> autres, reste un plaisir ineffaçable <strong>et</strong> un<br />

apprentissage théorique incomparable de la manière d’acquérir un savoir sensible. Mais tout<br />

cela ne remplace pas l’expérience acquise lors d’une recherche. Sur le terrain « supporters »,<br />

davantage encore peut être que sur tout autre, la relation humaine, faite de confiance <strong>et</strong> de<br />

sympathie, s’est avérée indispensable au travail de recherche pour faire émerger les<br />

connaissances. Ce ne peut en aucun cas être un calcul, une attitude artificielle ou feinte, que<br />

les supporters, loin d’être <strong>des</strong> « idiots culturels » repèrent très rapidement. Ils font en eff<strong>et</strong><br />

l’obj<strong>et</strong> de multiples deman<strong>des</strong> d’enquêtes <strong>et</strong> d’interviews de la part de journalistes <strong>et</strong> de<br />

chercheurs. Ils subissent de nombreuses critiques, de maints jugements <strong>et</strong> d’innombrables<br />

déformations de leurs propos. Ils sont par expérience, <strong>et</strong> non par nature, défiants <strong>et</strong> méfiants.<br />

Pour mener <strong>à</strong> bien les investigations il s’avère nécessaire d’acquérir leur confiance, synonyme<br />

de collaboration <strong>et</strong> d’aide ainsi que leur assentiment. Ce dernier s’obtient hiérarchiquement, <strong>et</strong><br />

cela d’autant plus que le groupe est fortement organisé, structuré, hiérarchisé, voire déviant.<br />

L’assentiment est donné par le (ou les) leader(s) du groupe. Sans son acquiescement aucun<br />

élément du noyau dur, c’est <strong>à</strong> dire ceux qui ont une grande expérience du supportérisme sous<br />

toutes ses formes, de sa genèse, de sa mise en scène, comme de ses excès, ne répondra aux<br />

questions. La rencontre avec les leaders est fondamentalement déterminante pour la suite de<br />

ce type de recherche. Il y a un moment difficilement explicable, non palpable, une sorte de<br />

rupture, qui s’opère dans la relation de type formelle, qu’est le rendez-vous accordé <strong>à</strong><br />

l’apprenti-chercheur, vers une collaboration qui s’amorce progressivement. Quelques<br />

exemples éclaireront ces propos.<br />

Le premier exemple se situe <strong>à</strong> Bordeaux en 1996, nous demandons <strong>à</strong> R, leader d’un <strong>des</strong><br />

groupes Ultras de le rencontrer, nous discutons par téléphone du travail sur la violence <strong>et</strong> il<br />

nous fixe un rendez-vous auquel il ne viendra pas, trois fois le rendez-vous sera remis. Le<br />

49 Nous r<strong>et</strong>iendrons la définition de la congruence donnée par Rogers, c’est <strong>à</strong> dire le fait d’être authentique <strong>et</strong><br />

réel, en adéquation avec ce que l’on est, ce que l’on pense. Pour lui, « l’adéquation au réel, ou l’authenticité, ou<br />

la congruence - peu importe quel terme vous souhaitez employer - est indispensable <strong>à</strong> une bonne communication,<br />

<strong>à</strong> une bonne relation » (1969, 225).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 52


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

quatrième sera le bon, nous parlons de supportérisme durant quatre heures, sans jamais<br />

aborder la question de la violence, il nous dresse un historique du mouvement Ultra en<br />

France, de son groupe, de la culture de celui-ci, de ses motivations... Quelques temps plus<br />

tard, il nous contacte de nouveau <strong>et</strong> nous propose de venir au stade avec lui, au sein du groupe<br />

pour voir comment se déroule une rencontre. En rejoignant le groupe, nous signons notre<br />

acceptation, il nous présente aux autres membres. Par la suite, nous nous reverrons plusieurs<br />

fois <strong>et</strong> de lui-même il nous parlera de la violence, de son comportement personnel, de sa<br />

condamnation pour faits violents <strong>et</strong> nous introduira auprès <strong>des</strong> membres qui composent le<br />

noyau dur de son groupe.<br />

Deuxième exemple Marseille, 19 janvier 1997, un rendez-vous près du vieux port au bar « Le<br />

Pirheas » avec Z, responsable d’un groupe particulièrement connu pour sa violence. Nous<br />

arrivons <strong>à</strong> trois dans le bar <strong>à</strong> 9 h <strong>et</strong> nous nous présentons au tenancier. « Il n’est pas l<strong>à</strong>, il va<br />

venir ! ». Le téléphone sonne, <strong>et</strong> le responsable de l’établissement répond d’une manière<br />

curieuse : « non, tout va bien pas de problème, c’est bon... ». Il se tourne alors vers nous <strong>et</strong><br />

nous dit : « il arrive ! ». Z <strong>entre</strong>, nous discutons durant plus d’une heure du supportérisme, de<br />

Marseille, <strong>des</strong> groupes marseillais, <strong>et</strong> brusquement, il nous demande si nous sommes<br />

intéressés pour aller au local. La réponse est positive bien sûr. Nous nous y rendons. Le local<br />

se situe dans le quartier du « panier » <strong>et</strong> l<strong>à</strong>, il nous explique qu’il se méfie : les supporters<br />

parisiens ont mis sa tête <strong>à</strong> prix, nous parlons de violence, de sa convocation prochaine au<br />

tribunal... Notre collaboration sera ininterrompue depuis <strong>et</strong> son aide dans c<strong>et</strong>te recherche, tant<br />

au niveau <strong>des</strong> étudiants qui ont collaboré <strong>à</strong> notre travail que de nous-même, sera continue.<br />

Troisième exemple, 29 janvier 1997, une rencontre avec M, responsable d’un autre groupe<br />

marseillais. Un <strong>des</strong> étudiants veut s’y rendre seul, le rendez-vous avait été plusieurs fois<br />

reporté, la rencontre a finalement lieu dans un contexte particulièrement difficile, dans le<br />

stade de Valence, durant un match de coupe, joué sur terrain neutre, l’ambiance est électrique.<br />

M. accueille c<strong>et</strong> étudiant, qui lui présente la recherche sur l’unique thème de la violence. M.<br />

lui répond qu’il n’a rien <strong>à</strong> en dire, que de toutes les façons, il faut qu’il en parle aux autres<br />

membres de son groupe, qu’il faut leur accord... La collaboration ne se fera jamais.<br />

Quatrième exemple, celui que nous avons cité précédemment concernant le déplacement<br />

lyonnais. La question n’est pas seulement de savoir si je suis ou non un hooligan. La question<br />

est celle de l’acceptation du chercheur dans le cadre d’une observation participante. Lorsque<br />

je suis monté dans le bus, j’étais « le chercheur », après l’affrontement, j’étais celui qui avait<br />

réagi « comme il fallait ». J’étais devenu digne de confiance, je n’étais plus l’invité mais celui<br />

qui était comme eux, avec lequel ils rigolaient, qu’ils chahutaient, <strong>et</strong>c. C’est consciemment<br />

que le « je » a ici remplacé le « nous de convenance » voulant montrer, par l<strong>à</strong> même, que<br />

c’était moi en tant que suj<strong>et</strong> qui était avec eux. Après ce voyage, « je » pouvais passer <strong>à</strong><br />

n’importe quel moment au local, même <strong>à</strong> l’improviste.<br />

En janvier 1997, nous avons commencé les enquêtes avec les Yankees marseillais. La<br />

première rencontre avec l’un <strong>des</strong> leaders du groupe de l’époque MT s’est déroulé dans la<br />

maison familiale de Septèmes les Vallons, qui est en même temps le siège du groupe. L’abord<br />

est difficile je suis bordelais, qui plus est, c<strong>et</strong>te année la en l’espace d’un mois <strong>et</strong> demi<br />

bordelais <strong>et</strong> marseillais étaient appelés <strong>à</strong> se rencontrer 3 fois (championnat <strong>et</strong> coupe de ligue).<br />

Il nous reçoit tout en regardant un match de football <strong>à</strong> la télévision, nous buvons, un deux,<br />

beaucoup de pastis <strong>et</strong> après avoir devisé sur le football, <strong>et</strong> avoir obtenu sa confiance, nous<br />

avons fini la soirée par une visite du musée situé dans le sous-sol. C’était une merveilleuse<br />

caverne d’Ali Baba, un gigantesque bric-<strong>à</strong>-brac, dont il extirpa fièrement, en nous racontant<br />

maintes anecdotes <strong>à</strong> chaque fois, <strong>des</strong> caques <strong>et</strong> <strong>des</strong> matraques de CRS, la dernière bâche volée<br />

aux girondins, le tee-shirt aux symboles xénophobes arraché sur un parisien <strong>et</strong> bien d’autres<br />

choses encore.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Ainsi, la première rencontre fut chaque fois déterminante dans ce travail, la congruence dont<br />

nous pouvions faire preuve, ressentie par les supporters, la sympathie qui d’emblée nous liait,<br />

ou non, était le fondement indispensable <strong>à</strong> toute collaboration <strong>et</strong> échanges ultérieurs. Afin de<br />

nous prémunir <strong>des</strong> éventuelles critiques formulées précédemment, nous faisons nôtres les<br />

propos de Morin, <strong>à</strong> savoir que « la dissociation scientifiquement indispensable <strong>entre</strong><br />

observation <strong>et</strong> participation est une dissociation intellectuelle qui n’exclut pas la participation<br />

affective » (op. cit., 223). Souvent dans les colloques, on nous demandait : « <strong>à</strong> titre personnel<br />

que pensez-vous <strong>des</strong> hooligans, ». Question mainte fois entendue <strong>et</strong> doublement surprenante<br />

en soi puisqu’elle induit soit <strong>des</strong> jugements de valeurs soit, <strong>des</strong> réponses de type<br />

psychiatriques ou psychanalytiques ! Nous y répondions cependant en indiquant que nous<br />

avions <strong>des</strong> amis chez les hooligans les plus violents. C<strong>et</strong>te réponse choquait. Peu de gens<br />

peuvent comprendre, sans l’avoir réellement vécu, que l’immersion prolongée dans un groupe<br />

déviant ou violent, entraîne <strong>des</strong> <strong>relations</strong> amicales qui n’empêchent cependant nullement<br />

l’observation ou l’analyse distanciée <strong>et</strong>, encore moins, pour l’homme, le refus, <strong>à</strong> titre<br />

personnel <strong>et</strong> individuel de ce type de comportement. Il y a l<strong>à</strong> une dualité chez le chercheur qui<br />

est probablement très proche, nous nous avançons en affirmant cela, de celle que connaissent<br />

les agents <strong>des</strong> divers services policiers ou de renseignements, le danger en moins. Nous<br />

r<strong>et</strong>rouvons aujourd’hui, les mêmes caractéristiques dans nos recherches consacrées au sport<br />

comme moyen de prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, <strong>et</strong>/ou d’éducation dans les banlieues <strong>et</strong> dans les<br />

prisons. C<strong>et</strong>te amitié n’est d’ailleurs pas inutile dans la recherche. Il arrive que ce soit les<br />

enquêtés eux-mêmes, parce qu’ils vous apprécient <strong>et</strong> qu’ils ont confiance en vous, qui<br />

viennent <strong>et</strong> se confient sur les suj<strong>et</strong>s les plus divers. Mais c<strong>et</strong>te confiance donne, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong><br />

plus encore. Ces premières rencontres sont plus authentiques que les <strong>entre</strong>tiens, les supporters<br />

font preuve de davantage de naturel <strong>et</strong> nous font part, dès lors qu’ils sont en confiance,<br />

d’anecdotes, de ressenti, d’un vécu qui ne transparaissent pas toujours lors <strong>des</strong> interviews <strong>et</strong><br />

qui ne sont finalement que la suite d’un rendez-vous auquel l’interviewé a réfléchi, s’est<br />

préparé, a décidé de parler davantage de ceci ou cela, ou tout simplement ne pense pas <strong>à</strong> nous<br />

le dire car y ayant réfléchi avant, il a souvent l’impression de l’avoir déj<strong>à</strong> dit.<br />

L’étude de divers documents<br />

Nous ne nous attarderons pas sur la dernière technique d’investigation : l’étude de documents<br />

divers. Le dépouillement <strong>et</strong> l’utilisation de ce type de données ont été maintes fois précisées.<br />

Ici encore l’objectif était la pluralité d’éclairage. Mais, alors que les lois <strong>et</strong> les règlements, les<br />

statistiques ou les analyses policières, même celles émanant <strong>des</strong> Renseignements Généraux,<br />

restent relativement aisés <strong>à</strong> se procurer, nous avons dû parfois voler les Fanzines <strong>et</strong> autres<br />

documents, ou matériaux. Il s’agit, notamment dans les groupes les plus violents, d’obj<strong>et</strong>s<br />

cachés, ou du moins réservés aux seuls membres, voire même aux seuls membres réellement<br />

intégrés <strong>et</strong> acceptés (c<strong>et</strong>te distinction est décrite dans le chapitre suivant). Les Fanzines, outre<br />

la culture du groupe, véhiculée <strong>à</strong> travers ses p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong> grande histoire, celle de ses leaders, ses<br />

actions (spectacles, déplacements, <strong>et</strong>c.), sa vie communautaire, relatent les affrontements,<br />

vilipendant les autres supporters, annoncent les déplacements <strong>et</strong> les expéditions punitives.<br />

Leur lecture est indispensable pour comprendre l’historicité <strong>des</strong> antagonismes. D’autres<br />

matériaux, comme les affiches ou les tee-shirts, sont les témoins de <strong>violences</strong> symboliques,<br />

xénophobes <strong>et</strong>/ou racistes, ou l’annonce de <strong>violences</strong> <strong>à</strong> venir (cf. La politique est dans le<br />

stade). Le vol s’est avéré parfois le seul moyen de se les procurer, prenant <strong>à</strong> contre-pied c<strong>et</strong>te<br />

nécessaire relation de confiance, décrite précédemment, mais également les critiques sur la<br />

non-distanciation, potentielle, d’un chercheur impliqué affectivement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

De la méthode <strong>à</strong> la compréhension<br />

Si l’obj<strong>et</strong> de ce chapitre est bien de faire émerger les apports principaux de notre recherche <strong>à</strong><br />

l’obj<strong>et</strong> du débat, il ne sera cependant pas la simple reprise de résultats publiés par ailleurs,<br />

laissant supposer par la linéarité de l’écriture, que c<strong>et</strong>te production fut aisée, sans heurts, ni<br />

disconvenues. Bien au contraire, nous essayerons de montrer, conjointement ou<br />

successivement, au moment opportun, la manière dont elle s’est construite, mais aussi<br />

déconstruite, provoquant de fait l’émergence de problèmes, de questionnements nouveaux ou<br />

exigeant <strong>des</strong> réorientations que nous n’avions pas de prime abord imaginés.<br />

Ce chapitre n’est pas non plus la reprise <strong>des</strong> données recueillies pour notre thèse. Les analyses<br />

<strong>et</strong> les commentaires reposent sur un matériau qui a considérablement grossi tout au long <strong>des</strong> 6<br />

années écoulées passant, par exemple, de 2 402 questionnaires en 1998 <strong>à</strong> 14 867 aujourd’hui.<br />

La trame de ce travail sera constituée <strong>des</strong> réponses <strong>à</strong> trois questions essentielles pour la<br />

compréhension du hooliganisme : Pourquoi le football semble-t-il davantage que les autres<br />

<strong>sports</strong> concernés par les phénomènes hooligans ? Comment le hooliganisme français se<br />

distingue-t-il <strong>des</strong> autres pays d’Europe ? D’où viennent les dérives passionnelles ? La réponse<br />

<strong>à</strong> la première question dresse le cadre distinctif qui perm<strong>et</strong> au football d’être le réceptacle<br />

privilégié du hooliganisme. Les réponses <strong>à</strong> la deuxième question insistent sur les<br />

convergences <strong>et</strong> les divergences avec les étu<strong>des</strong> précédentes, tandis que les réponses fournies<br />

<strong>à</strong> la troisième font émerger le sens que les hooligans donnent <strong>à</strong> leurs actions.<br />

Quelques aspects socio-historiques pour différencier les <strong>sports</strong> <strong>et</strong><br />

comprendre l’attrait du football<br />

L’observation est simple <strong>et</strong> évidente. S’il existe bien quelques manifestations sporadiques de<br />

<strong>violences</strong> <strong>des</strong> foules sportives accompagnant les matches de crick<strong>et</strong> en Inde ou de bask<strong>et</strong>-ball<br />

en Grèce ou en Turquie, le hooliganisme semble néanmoins circonscrit au seul football.<br />

Comment expliquer cela ? En acceptant l’idée que le hooliganisme puisse avoir pour origine,<br />

parmi d’autres, l’immersion de l’homme dans une foule anonyme <strong>et</strong> propice <strong>à</strong> bien exactions<br />

(Le Bon, 1895), comment expliquer que le football puisse attirer <strong>et</strong> intéresser sur l’instant (le<br />

match) <strong>et</strong> sur la durée (depuis sa création) autant d’individus issus, aujourd’hui, de toutes les<br />

couches de la société ? Lorsque Thomas Arnold (directeur du collège de Rugby <strong>entre</strong> 1828 <strong>et</strong><br />

1840) introduit les <strong>sports</strong> athlétiques dans les public schools anglaises, afin de parfaire<br />

l’éducation <strong>et</strong> la formation <strong>des</strong> futures élites anglo-saxonnes, perm<strong>et</strong>tant ainsi l’émergence du<br />

football en réglementant les jeux de balle, nul ne pouvait imaginer alors que c<strong>et</strong>te activité,<br />

dont l’objectif était purement éducatif <strong>à</strong> son origine, deviendrait en moins de deux siècles le<br />

seul sport réellement universel (Wahl, 1989 ; 1990). Sa diffusion est en eff<strong>et</strong> planétaire, son<br />

développement sans précédent. Aucun continent, aucun pays ne méconnaît le football : avec<br />

plus de cent millions de licenciés dans le monde, ses innombrables spectateurs ou supporters<br />

<strong>et</strong> les r<strong>et</strong>ransmissions télévisés dont il bénéficie, le nombre de joueurs professionnels <strong>et</strong> les<br />

salaires qu’il génère, tout en fait le distingue <strong>des</strong> autres <strong>sports</strong>, au point d’être « la bagatelle la<br />

plus sérieuse du monde » (Bromberger, 1998) <strong>et</strong> le sport de référence.<br />

Un grand nombre d’arguments expliquent c<strong>et</strong>te fascination. Il s’agit tout d’abord, d’un jeu,<br />

avant d’être un sport, que chacun a pratiqué au moins une fois dans sa vie : p<strong>et</strong>it ou grand,<br />

riche ou pauvre, blanc ou noir. Il ne demande aucun équipement particulier. Pour s’amuser il<br />

est possible d’y jouer sur n’importe quelle surface avec n’importe quel obj<strong>et</strong> : dans une cour<br />

de recréation ou dans la rue, avec une balle ou une boîte de conserve, « il suffit que l’obj<strong>et</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

choisi consente <strong>à</strong> rouler » (Sansot, 1991, 141), <strong>des</strong> vêtements ou deux pierres remplaçant, s’il<br />

le faut les « cages ». Le football se différencie ainsi profondément <strong>des</strong> autres <strong>sports</strong>. Le<br />

bask<strong>et</strong>-ball demande un terrain favorable aux rebonds <strong>et</strong> <strong>des</strong> paniers. Le tennis un instrument<br />

particulier, une balle parfaite, un fil<strong>et</strong> <strong>et</strong> une surface stable. Le rugby un terrain qui perm<strong>et</strong> les<br />

placages sans blessures. Le volley-ball une surface délimitée <strong>et</strong> équipée d’un fil<strong>et</strong>, <strong>et</strong>c. Les<br />

<strong>sports</strong> pourraient être classés en fonction <strong>des</strong> adaptations matérielles qu’ils nécessitent. Ce<br />

n’est donc pas un hasard d’observer la pratique du football <strong>et</strong> de la course <strong>à</strong> pied dans les<br />

pays, notamment africains, les plus pauvres. Ce sont en eff<strong>et</strong> <strong>des</strong> activités qui, au plan<br />

ludique, ne demandent pas d’infrastructures <strong>et</strong> peu de moyens. C’est aussi un sport simple.<br />

Ses règles sont compréhensibles <strong>et</strong> intelligibles de tous <strong>et</strong> par tous. Elles sont discutables <strong>et</strong><br />

discutées par le plus grand nombre (Bromberger, 1995). Certaines encouragent même la<br />

controverse car elles prêtent <strong>à</strong> interprétation : le tacle est-il réglementaire ou non ? Le joueur<br />

était-il réellement hors jeu ou non ? La faute était-elle intentionnelle ou non ? A t-elle eu lieu<br />

<strong>à</strong> la limite ou dans la surface de réparation ? Les discussions les lendemains de matchs au<br />

travail, ou <strong>entre</strong> amis, le prouvent : chacun a une opinion, discute <strong>et</strong> revit les actions de jeu.<br />

Ainsi en fonction de sa sensibilité personnelle, de son attachement <strong>à</strong> une équipe plutôt qu’<strong>à</strong><br />

une autre, de son « amour » pour un joueur plutôt qu’un autre, l’interprétation du jeu, de<br />

l’arbitrage ou du résultat sera différente. On peut alors aisément imaginer que ces divergences<br />

provoquent la discussion <strong>et</strong>, pourquoi pas, de réelles dissensions pouvant aller, parfois,<br />

jusqu’<strong>à</strong> la violence lorsque certains se sentant injustement, ou perpétuellement, lésés<br />

essaieront, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> comportements agonistiques, de venger l’affront ou de r<strong>et</strong>rouver un<br />

équilibre sportif <strong>et</strong> moral.<br />

Son intérêt tient probablement, de surcroît, dans l’incertitude, évoquée précédemment, qu’il<br />

<strong>entre</strong>tient quant <strong>à</strong> l’issue de la rencontre. Le score évolue plus lentement, <strong>et</strong> difficilement, que<br />

dans les autres <strong>sports</strong> collectifs. A n’importe quel moment également un match peut basculer.<br />

C<strong>et</strong>te incertitude tient le spectateur en haleine. Tout peut arriver. Et, alors que parfois une<br />

équipe domine, c’est l’adversaire qui marque <strong>et</strong> remporte la rencontre. C<strong>et</strong>te incertitude<br />

trouve un exemple concr<strong>et</strong> dans l’incapacité de la Française <strong>des</strong> Jeux <strong>à</strong> développer un « Loto<br />

foot » tant le nombre réduit de gagnants décourage les parieurs potentiels. L’incertitude du<br />

résultat est l’essence même du jeu. C’est peut-être la base de l’intérêt pour ce sport. Ne dit-on<br />

pas lorsqu’une équipe marque un but dès le début de la rencontre, ou mène très rapidement de<br />

deux buts, « ils ont tué le match » signifiant ainsi que la rencontre perd tout son intérêt ?<br />

Le football est aussi, davantage que les autres <strong>sports</strong>, un puissant outil d’intégration sociale.<br />

L’équipe de France en est un exemple flagrant. Il offre aux enfants d’immigrés une place, un<br />

rang <strong>et</strong> <strong>des</strong> revenus sans comparaison possible avec ce qu’ils auraient pu obtenir dans la<br />

société civile. Il est depuis toujours le symbole de l’intégration réussie <strong>des</strong> « étrangers ». Les<br />

équipes ont, de tous temps, comportés <strong>des</strong> étrangers, ou <strong>des</strong> fils d’immigrés, venus travailler,<br />

comme dans le cas <strong>des</strong> Yougoslaves ou <strong>des</strong> Polonais, dans les mines du nord de la France.<br />

L’équipe de France ressemble aujourd’hui encore <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te France bigarrée <strong>et</strong> montre combien<br />

ce sport est intégrateur. Quoi de plus naturel alors qu’il puisse rassembler <strong>des</strong> publics euxmêmes<br />

nombreux <strong>et</strong> bigarrés ? C’est enfin un spectacle abordable financièrement. Il perm<strong>et</strong><br />

de partager, <strong>à</strong> faible coût, un moment de ferveur <strong>et</strong> d’émotion <strong>entre</strong> amis. En France, le prix<br />

d’une place dans les virages n’excède pas 8 euros.<br />

N’est-il pas normal dès lors que le football suscite un enthousiasme, un engouement <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

comportements passionnels d’une telle ampleur ? Il est devenu en peu d’années un spectacle<br />

visible <strong>et</strong> intelligible par tous, occupation <strong>des</strong> temps libres <strong>et</strong> modèle pour les pratiquants de<br />

tous niveaux qui tentent de copier illusoirement, bien souvent, l’aisance <strong>des</strong> experts. Que ce<br />

soit en nombre de pratiquants ou de spectateurs le football dépasse très largement les autres<br />

grands <strong>sports</strong> collectifs :<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Sport (France) Licenciés<br />

(Janvier 2002)<br />

Spectateurs en<br />

moyenne par<br />

journée 50<br />

Bask<strong>et</strong>-ball 437 190 3 200<br />

Football 2 150 442 14 200<br />

Handball 273 793 400<br />

Rugby 264 628 3 100<br />

Répartition <strong>des</strong> licenciés <strong>et</strong> <strong>des</strong> spectateurs en fonction <strong>des</strong> <strong>sports</strong> étudiés.<br />

Au-del<strong>à</strong> de ce contraste, l’implantation <strong>des</strong> clubs de première division distingue également le<br />

football. Les équipes sont implantées sur les gran<strong>des</strong> métropoles. Les autres <strong>sports</strong> sont, quant<br />

<strong>à</strong> eux, implantés sur <strong>des</strong> villes de moyenne importance (Ravenel, 1997, 1998). La raison est<br />

simple : le football s’est diffusé « en fonction de facteurs indépendants de la volonté <strong>des</strong><br />

dirigeants […] Dès la fin <strong>des</strong> années 1920, la géographie recouvre celle du réseau ferré ; une<br />

gare, un terrain de football, telle est alors la règle » Wahl (op. cit., 55). Les gran<strong>des</strong><br />

métropoles, les villes de commerce, ou de transit, ont donc été, de suite, concernées.<br />

L’implantation dans les gran<strong>des</strong> cités n’induit cependant pas forcément l’engouement <strong>des</strong><br />

spectateurs. Bromberger (1995, 1998) remarque qu’en Europe, c’est le propre <strong>des</strong> villes<br />

sinistrées d’accueillir <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> équipes <strong>et</strong> de connaître une ferveur exceptionnelle pour ce<br />

sport. On peut ainsi prendre pour exemple Marseille en France, Liverpool en Angl<strong>et</strong>erre, ou<br />

encore Naples en Italie. Le football sert de métaphore <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> ces villes de r<strong>et</strong>rouver leur<br />

lustre <strong>et</strong> leur éclat d’antan.<br />

Sans relier directement le hooliganisme <strong>à</strong> l’importance quantitative en nombre d’habitants <strong>des</strong><br />

villes sur lesquelles les clubs sont implantés, c<strong>et</strong>te répartition géographique appelle<br />

néanmoins quelques remarques :<br />

- le football est très souvent implanté en zone urbaine, c’est <strong>à</strong> dire sur le terrain de la<br />

plus grande criminalité enregistrée en France.<br />

- le football est également plus représentatif en nombre de licenciés <strong>et</strong> en clubs de haut<br />

niveau que les autres fédérations sur les régions qui sont traditionnellement les plus<br />

touchées par les crimes <strong>et</strong> délits : « Ainsi quatre régions (Île-de-France, Provence-<br />

Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes <strong>et</strong> Nord - Pas-de-Calais) conc<strong>entre</strong>nt <strong>à</strong> elles seules<br />

plus de la moitié (54,72 % précisément) <strong>des</strong> crimes <strong>et</strong> délits constatés en France<br />

métropolitaine » (document Ministère de l’intérieur, 2002, 14).<br />

Il n’est pas question, par l<strong>à</strong> même, d’insinuer que les spectateurs du football sont <strong>des</strong><br />

criminels, ni même, que le football attire plus que les autres <strong>sports</strong> <strong>des</strong> délinquants parmi son<br />

public. Ce sport est tout simplement, davantage que les autres, implanté dans <strong>des</strong> « zones <strong>à</strong><br />

risques ». Ainsi, en comparant l’implantation <strong>des</strong> clubs de première division <strong>des</strong> quatre grands<br />

<strong>sports</strong> collectifs au tableau de la criminalité <strong>et</strong> de la délinquance constatée dans les<br />

circonscriptions de sécurité publique, il est évident que les clubs de Football se situent sur les<br />

villes qui connaissent le plus fort taux de criminalité pour 1 000 habitants. La DCSP<br />

(Direction Centrale de la Sécurité Publique) remarquait ainsi en 1995 « une assimilation de<br />

plus en plus marquée <strong>entre</strong> <strong>violences</strong> sportives <strong>et</strong> <strong>violences</strong> urbaines [...] <strong>violences</strong> marquées<br />

par l’action de ban<strong>des</strong> de délinquants issus de cités sensibles [...] » (note n° 9565/95, 3-4). Le<br />

football conc<strong>entre</strong> ainsi un certain nombre de conditions susceptibles de favoriser l’émergence<br />

de <strong>violences</strong>.<br />

50 Le nombre de spectateurs, fourni par les diverses fédérations, représente le chiffre moyen par match sur la<br />

saison 96/97, seules données comparables disponibles. Ce sont cependant <strong>des</strong> données hétérogènes, qu’il faut<br />

prendre <strong>à</strong> titre indicatif, compte tenu <strong>des</strong> différences d’organisation <strong>des</strong> différents championnats.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Implantation urbaine <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> gestion <strong>des</strong> foules<br />

La gestion <strong>des</strong> foules sportives est complexifiée par l’implantation <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> en milieu urbain<br />

comme c’est le cas dans la plupart <strong>des</strong> pays d’Europe. Les problèmes posés par l’accueil, la<br />

gestion <strong>et</strong> le contrôle <strong>des</strong> foules sportives vont alors de pair avec le nombre de spectateurs.<br />

Même si le public français reste quantitativement très largement en deç<strong>à</strong> de ses homologues<br />

européens, pratiquement deux fois moins nombreux qu’en Espagne, en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en Italie<br />

selon l’UEFA (Union Européenne de Football Association), il n’en est pas moins vrai qu’il<br />

faut, dans les 4 ou 5 plus grands clubs, prendre en compte un flux de personnes, comparable <strong>à</strong><br />

celui de la population d’une ville comme Châtellerault (36 000 habitants), qui accéderait au<br />

stade dans l’heure qui précède la rencontre. Les services d’ordre doivent donc, après avoir<br />

banalisé les lieux, contrôler les déplacements de population tout en laissant les gens se garer,<br />

installer un périmètre de sécurité aux abords <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> tout en perm<strong>et</strong>tant la libre circulation<br />

de la population locale <strong>et</strong> le maintien de l’ordre public. Tout ceci n’est pas sans poser de<br />

nombreux problèmes lorsque par exemple, dans le cas du Parc <strong>des</strong> Princes, implanté dans le<br />

16 ème arrondissement de Paris, la mise en place du périmètre de sécurité oblige <strong>à</strong> condamner<br />

les principales voies d’accès dont l’avenue Mozart : « le problème du périmètre de sécurité<br />

dans ce secteur est très important. Il faut prendre en compte un grand nombre de facteurs : de<br />

voisinage, afin de perturber le moins possible la vie <strong>des</strong> habitants, les commerces pour<br />

prévenir les actes de vandalisme, l’entrée ou la sortie <strong>des</strong> élèves, le libre accès ou la libre<br />

circulation <strong>des</strong> services médicaux d’urgence, les pompiers <strong>et</strong>c. » (Commissaire JPP, 1998).<br />

Comment dès lors concevoir, avec une foule passionnée <strong>et</strong> chauvine, aux comportements<br />

festifs <strong>et</strong> <strong>à</strong> la ferveur exacerbée, composée d’individus solitaires mais également de groupes<br />

propices aux conduites excessives, qu’il ne puisse pas y avoir d’incidents lors d’un match de<br />

football ? Pourquoi voudrait-on également qu’il y ait moins de problèmes de <strong>violences</strong> dans le<br />

stade que dans une ville entière ? Car il y a l<strong>à</strong> un rapport évident au nombre <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’anonymat<br />

procuré par la foule. Même s’il n’est pas possible de partager l’intégralité de la pensée de Le<br />

Bon <strong>et</strong> de ses successeurs – Freud (1921) <strong>et</strong> Moscovici (1981) – notamment sur les questions<br />

de régression de la personnalité consciente au profit de la personnalité inconsciente,<br />

conduisant l’individu en foule <strong>à</strong> régresser de « plusieurs degrés sur l’échelle de la<br />

civilisation » (Le Bon, op. cit. 14), il faut néanmoins reconnaître que l’homme en foule est<br />

parfois capable de comm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> actes qu’il ne saurait réaliser en tant qu’individu<br />

socialement isolé. La foule procure un sentiment de puissance <strong>et</strong> d’invincibilité qui peut<br />

entraîner quelquefois un individu ordinaire <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre, inconsciemment ou par jeu, <strong>des</strong> faits<br />

qu’il condamnerait en temps normal.<br />

Se contenter de c<strong>et</strong>te explication limiterait cependant le hooliganisme <strong>à</strong> la déraison <strong>et</strong> <strong>à</strong> la<br />

perte de sens faisant de l’homme en foule un barbare atteint de démesure, son humanité<br />

cédant le pas <strong>à</strong> son animalité. Si certains comportements peuvent effectivement trouver leur<br />

ancrage dans la foule, comme la contagion <strong>des</strong> opinions ou <strong>des</strong> émotions <strong>et</strong> expliquer<br />

partiellement les actes violents, c<strong>et</strong>te incapacité <strong>à</strong> raisonner limiterait <strong>à</strong> étudier une violence<br />

qui serait soit spontanée, résultat d’une frustration, soit dirigée <strong>et</strong> orchestrée par <strong>des</strong> meneurs<br />

que la foule suivrait servilement. Il y a l<strong>à</strong> disjonction car les publics violents sont tout <strong>à</strong> fait<br />

conscients de leurs actes ; sans préméditation ni organisation, il ne serait d’ailleurs pas<br />

possible de parler de hooliganisme. Comme dans toutes manifestations, il y a très<br />

certainement <strong>des</strong> acteurs conscients <strong>et</strong> d’autres qui suivent inconsciemment le reste de la<br />

troupe ou qui n’ont tout simplement pas (par appartenance au groupe) ou plus (parce qu’ils<br />

doivent se défendre) le choix de faire autrement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Le problème de la gestion <strong>des</strong> spectateurs ne s’arrête cependant pas aux seuls risques liés aux<br />

comportements <strong>des</strong> foules. L’analyse du contrôle social mis en place, ainsi que notre<br />

implication dans l’observatoire de la violence 51 , nous ont amené <strong>à</strong> décrire les difficultés liées<br />

<strong>à</strong> une stricte application <strong>des</strong> lois <strong>et</strong> règlements en vigueur (Bodin, 2001b) ainsi que l’influence<br />

que pouvait avoir la non-application, partielle ou totale, <strong>des</strong> normes comme vecteur de la<br />

violence (Bodin, 1999b). Plutôt que de reprendre la fastidieuse <strong>des</strong>cription de l’émergence <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> modifications du contrôle social <strong>des</strong> foules sportives, nous insisterons sur deux points<br />

particuliers : d’une part, les problèmes liés <strong>à</strong> l’application de la loi Alliot-Marie 52 <strong>et</strong> d’autre<br />

part, sur le contexte anomique provoqué par c<strong>et</strong>te inapplication.<br />

La « non-application » de c<strong>et</strong>te loi par les parqu<strong>et</strong>s, ou les différences d’application de l’une <strong>à</strong><br />

l’autre <strong>des</strong> juridictions, est une évidence. Pour une même faute, les sanctions sont très souvent<br />

différentes. L’application <strong>des</strong> normes dépend très souvent de « campagnes périodiques »<br />

(Becker, op. cit.) liées <strong>à</strong> un contexte particulier ou provoquées par <strong>des</strong> événements qui, rendus<br />

publics, ne peuvent plus être négligés, sous peine de renforcer le climat d’insécurité, de rendre<br />

inopérant les mesures en cours, ou plus simplement de faire perdre toute crédibilité aux<br />

politiques de contrôle social, voire, aux hommes politiques eux-mêmes. La promulgation de la<br />

loi Alliot-Marie suit c<strong>et</strong>te logique d’urgence. Il a fallu en eff<strong>et</strong> attendre 1993, pour que c<strong>et</strong>te<br />

loi, réclamée pourtant depuis fort longtemps par les différents acteurs de la sphère sportive,<br />

soit adoptée <strong>et</strong> promulguée. Si celle-ci était en préparation depuis quelques temps déj<strong>à</strong>, les<br />

événements du 28 août 1993 au Parc <strong>des</strong> Princes durant la rencontre opposant le PSG <strong>à</strong> Caen<br />

(cités précédemment), ont fortement accéléré le processus <strong>et</strong> mis en évidence la nécessité<br />

d’encadrer au plus vite ce type de comportement.<br />

Le second problème est lié <strong>à</strong> l’application géographique d’une loi qui ne s’impose que dans le<br />

cas <strong>des</strong> manifestations sportives. Comment délimiter l’espace d’une manifestation ? Jusqu’au<br />

25 février 1998 la délimitation de compétence, selon la loi, comprenait l’enceinte sportive <strong>et</strong><br />

les parties neutralisées aux abords par les forces de l’ordre. Tout acte répréhensible commis<br />

dans c<strong>et</strong>te zone était soumis <strong>à</strong> la loi Alliot-Marie. Tout acte commis en dehors, le fut-il par un<br />

groupe de supporters identifié <strong>et</strong> reconnu, était assuj<strong>et</strong>ti au nouveau code pénal. Il s’agit l<strong>à</strong><br />

d’un élément très important <strong>à</strong> prendre en considération puisque la loi Alliot-Marie 53 prévoyant<br />

<strong>des</strong> peines plus sévères que le code pénal pour les mêmes délits, c<strong>et</strong>te délimitation territoriale<br />

a provoqué un déplacement de la violence du stade <strong>à</strong> la voie publique, mais également<br />

l’apparition <strong>des</strong> « casuals 54 ». Loin de prévenir les <strong>violences</strong> la loi a, en fait, engendré une<br />

modification <strong>des</strong> comportements violents <strong>et</strong> déviants 55 .<br />

51 Observatoire bipartite, commun au Ministère de l’Intérieur <strong>et</strong> au Ministère de la jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong>,<br />

concevant <strong>et</strong> planifiant la gestion <strong>des</strong> publics lors de la Coupe du monde 1998 en France.<br />

52 Loi n° 93-1282 du 6 décembre 1993 « relative <strong>à</strong> la sécurité <strong>des</strong> manifestations sportives », dite loi « Alliot-<br />

Marie », du nom du ministre de la Jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> Sports, a donné un cadre juridique <strong>et</strong> répressif face aux<br />

infractions commises <strong>à</strong> l’intérieur d’un stade lors d’une manifestation sportive. Elle prévoit également<br />

l’interdiction <strong>à</strong> toute personne en état d’ivresse de pénétrer dans une enceinte sportive, ainsi que d’y faire<br />

pénétrer tout arme « par nature » ou « par <strong>des</strong>tination » ou tout élément pyrotechnique.<br />

53 A titre d’exemple les peines maximales prévues pour <strong>des</strong> dégradations légères commises sur la voie publique<br />

sont passibles selon l’art. 322-1 du nouveau code pénal de 25 000 F d’amen<strong>des</strong>, <strong>et</strong> de 100 000 F d’amen<strong>des</strong> <strong>et</strong> 3<br />

ans d’emprisonnement dans le cadre de la loi Alliot-Marie.<br />

54 Vient de « Casual clothing » (habit de classe) ; par extension les casuals sont <strong>des</strong> hooligans qui bien habillés,<br />

passent plus facilement inaperçus <strong>et</strong> font l’obj<strong>et</strong> de moins de fouilles ou de contrôles.<br />

55 Problème partiellement réglé par l’adoption par le parlement de la loi du 25/2/98, qui étend la compétence <strong>et</strong> la<br />

portée territoriale de la loi Alliot-Marie aux infractions commises <strong>à</strong> l’extérieur de l’enceinte sportive dès lors que<br />

celles-ci sont en relation directes avec l’épreuve ou le fait de supporters.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 59


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Un contexte anomique<br />

Une application au mieux de l’intérêt général<br />

De surcroît, si, a priori, les éléments perturbateurs <strong>et</strong>, potentiellement, dangereux sont souvent<br />

connus, fichés... ils sont cependant rarement interpellés. Ils peuvent ne pas être pris en<br />

flagrant délit. « Les lois s’appliquent tendanciellement plus <strong>à</strong> certaines personnes qu’<strong>à</strong><br />

d’autres » (Becker, op. cit., 36). Le dispositif policier assure, en fait, très souvent, une gestion<br />

au mieux de l’intérêt général, <strong>entre</strong> l’application stricte de la loi Alliot-Marie <strong>et</strong> les<br />

complications apportées par l’implantation urbaine <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>. Il est évident qu’il convient<br />

d’assurer au mieux <strong>des</strong> logiques qui ne sont pas complémentaires. Les riverains <strong>des</strong> sta<strong>des</strong><br />

subissent de nombreuses contraintes <strong>et</strong> nuisances, liés aux problèmes de circulation <strong>et</strong><br />

d’évacuation. Le maintien de l’ordre <strong>et</strong> la sécurité en c<strong>entre</strong> ville doivent en eff<strong>et</strong> tenir compte<br />

d’un certain nombre d’impératifs autres que ceux propres <strong>à</strong> la manifestation sportive : sécurité<br />

dans les rues, sécurité <strong>et</strong> protection <strong>des</strong> bâtiments publics, sécurité <strong>des</strong> riverains. Il y a donc<br />

bien souvent un choix délibéré de « gestion au mieux de l’intérêt général », d’accueillir plutôt<br />

que de repousser <strong>des</strong> contrevenants, de les accueillir tout en les surveillant, mais, de les<br />

accueillir plutôt que d’appliquer strictement la loi sous peine de voir les incidents se dérouler<br />

ailleurs. Qui plus est toute personne interpellée doit être accompagnée du fonctionnaire<br />

interpellateur témoin <strong>des</strong> faits reprochés, ce qui implique l<strong>à</strong> encore un choix <strong>et</strong> une stratégie<br />

en matière d’intervention afin de gérer au mieux les problèmes liés au contrôle <strong>des</strong> foules <strong>et</strong><br />

au dédoublement fonctionnel de la police - police administrative <strong>et</strong> police judiciaire - en<br />

« conséquence de quoi la cohésion <strong>et</strong> la capacité opérationnelle <strong>des</strong> unités de maintien de<br />

l’ordre seraient rapidement annihilées par de trop nombreuses mises <strong>à</strong> disposition » (Rouibi,<br />

1989, 13). La volonté policière de « gérer au mieux » les problèmes <strong>et</strong> les incidents les<br />

conduit <strong>à</strong> occulter certains faits répréhensibles au titre de la loi Alliot-Marie :<br />

« Si quelqu’un arrive en état d’ébriété, il ne doit pas r<strong>entre</strong>r dans un stade, s’il<br />

arrive avec une arme ou un coup de poing américain, l’arme doit être confisquée<br />

<strong>et</strong> il r<strong>entre</strong> aussi dans le cadre de la loi Alliot-Marie où toute personne pénétrant<br />

dans une enceinte sportive en étant armée de ceci ou de cela est passive de tant <strong>et</strong><br />

de tant, d’une amende... 9 fois sur 10, dans tous les sta<strong>des</strong> en France, tu as une<br />

arme, on la confisque <strong>et</strong> vas-y tu peux r<strong>entre</strong>r quand même [...] » (Délégué <strong>à</strong> la<br />

sécurité d’un club de première division).<br />

« La loi prévoit que toute tentative de faire pénétrer dans une enceinte sportive,<br />

<strong>des</strong> articles pyrotechniques doit être réprimée, doit être sanctionnée. Il doit y avoir<br />

une attitude procédurière. Chaque fois qu’ils interpellent quelqu’un qui a un<br />

machin, ils sont tout décontenancés, ils ne savent pas quoi en faire. Ils ne veulent<br />

surtout pas entamer une action procédurière pour un gars qui essaie de passer avec<br />

un feu de bengale. Résultat, la loi est bafouée tous les jours, on a encore<br />

récemment trouvé sur un gars un couteau <strong>à</strong> cran d’arrêt comme ça. Le mec il va<br />

dans un stade avec un cran d’arrêt, moi <strong>à</strong> priori, je le m<strong>et</strong>trais pendant quelques<br />

heures <strong>à</strong> macérer, au moins quelques heures... Non, non ! Alors, pourquoi ?<br />

« Nous ne sommes pas assez nombreux, cela va faire beaucoup de travail, parce<br />

qu’il va falloir taper <strong>à</strong> la machine, parce que de toute manière le juge après [...] tu<br />

as une fusée qui part dans le virage sud ou ailleurs, le virage sud parce que c’est le<br />

plus fréquent, t’as une fusée qui part, j’appelle le patron <strong>des</strong> flics quel qu’il soit je<br />

lui dis : « vous voyez je suis témoin c’est le blond avec le tee-shirt rouge qui l’a<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 60


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

lancé l<strong>à</strong>-bas, je suis témoin c’est lui ». « Bernard, arrête, arrête pour une fumigène,<br />

on va <strong>des</strong>cendre l<strong>à</strong> dedans, on va alpaguer le mec <strong>et</strong> les mecs ils vont prendre fait<br />

<strong>et</strong> cause pour lui, on va créer un trouble pendant le match qui va dégénérer en<br />

bagarre plus ou moins larvée cela dépendra combien ils sont <strong>et</strong> quelle dur<strong>et</strong>é pour<br />

une fumigène ! Calme toi Bernard <strong>et</strong> laisse ton fumigène ! ». » (Délégué <strong>à</strong> la<br />

sécurité d’un club de première division).<br />

La loi est ainsi souvent inappliquée de façon <strong>à</strong> encadrer au mieux les foules sportives en<br />

fonction d’un effectif policier non extensible <strong>à</strong> l’infini 56 . « ceux qui font respecter la loi <strong>et</strong> la<br />

morale, transigent souvent, laissant certains actes passer inaperçus <strong>et</strong> rester impunis, parce que<br />

cela donnerait trop de mal <strong>à</strong> poursuivre l’affaire, parce qu’ils disposent de ressources limitées<br />

<strong>et</strong> ne peuvent poursuivre tout le monde [...] » (Becker, op. cit., 208).<br />

C<strong>et</strong>te inapplication correspond également <strong>à</strong> la logique festive d’une rencontre sportive en<br />

posant la question de l’équilibre <strong>entre</strong> le préventif, le répressif <strong>et</strong>, le mot est peut-être fort<br />

mais, le jouissif, ou tout au moins le plaisir, lié au débridement passionnel <strong>des</strong> émotions. A<br />

l’impossibilité de tout laisser faire succède la question inverse : tout doit-il être contrôlé <strong>et</strong><br />

interdit ? Trop de contraintes ne provoque-t-il pas le plaisir ou la volonté de s’y opposer ou de<br />

les contourner ? Punir trop sévèrement peut en eff<strong>et</strong> provoquer <strong>des</strong> sentiments d’opposition <strong>et</strong><br />

« le début d’une chaîne sans fin : transgression/punition/agression » (Debarbieux, 1992, 23)<br />

bien que de nombreux travaux ait montré que « la menace de la répression suffit <strong>à</strong> éviter bien<br />

<strong>des</strong> crimes <strong>et</strong> <strong>des</strong> délits » (Boudon, 1991, 8).<br />

C’est en ces termes que nous avons introduit les débats lors de la conférence du Conseil de<br />

l’Europe, préparant la lutte contre le hooliganisme, en juin 2003 <strong>à</strong> Lisbonne : « Esprit festif <strong>et</strong><br />

contrôle social : objectifs antinomiques ou enjeux <strong>des</strong> championnats d’Europe 2004 ? »<br />

(Bodin, 2004).<br />

De la collusion<br />

C<strong>et</strong>te inapplication est renforcée également par les dirigeants sportifs qui interviennent,<br />

parfois, pour « arranger » <strong>des</strong> incidents ou qui ferment les yeux sur certains agissements.<br />

Prenons deux exemples. Le premier est celui d’un responsable de la sécurité d’un club de 1°<br />

division venu demander au commissaire <strong>et</strong> au procureur, chargés du Stade Chaban-Delmas <strong>à</strong><br />

Bordeaux d’abandonner les poursuites contre deux supporters arrêtés pour violence dans les<br />

tribunes : « préférant régler l’affaire en interne » selon les propres mots de ce délégué. Il<br />

s’agit l<strong>à</strong>, comme le suggère Ehrenberg (op. cit.) de préserver l’image d’un sport « propre » vis<br />

<strong>à</strong> vis <strong>des</strong> médias, <strong>des</strong> sponsors, <strong>des</strong> collectivités, tout autant que d’<strong>entre</strong>tenir les bonnes<br />

<strong>relations</strong> <strong>entre</strong> clubs <strong>et</strong> clubs de supporters <strong>et</strong> d’éviter les critiques. Le second exemple est ce<br />

leader d’un groupe de supporters arrêté dans le stade vélodrome de Marseille <strong>à</strong> quelques<br />

heures du coup d’envoi, au volant d’une p<strong>et</strong>ite fourgonn<strong>et</strong>te, remplie de fumigènes pourtant<br />

interdits par la loi. Peut-on croire qu’il soit entré dans le stade sans la bienveillante attention<br />

<strong>des</strong> dirigeants ? Certainement pas. « Les normes sont transgressées impunément parce que<br />

deux groupes [...] trouvent leur avantage mutuel <strong>à</strong> fermer les yeux sur ces transgressions »<br />

(Becker, op. cit., 150).<br />

Dans ce contexte la « non-application » de la loi pose de réels problèmes dans la propagation<br />

de la violence. Elle m<strong>et</strong> tout d’abord en péril toute politique de prévention puisque les peines<br />

56 Rappelons qu’un match dit « <strong>à</strong> risques », comme Paris Saint Germain contre Olympique de Marseille,<br />

mobilise <strong>entre</strong> 1 500 <strong>et</strong> 2 500 policiers <strong>et</strong> gendarmes, le procureur de la république ou son représentant, <strong>des</strong><br />

membres <strong>des</strong> Renseignements Généraux infiltrés dans les tribunes <strong>et</strong> virages, <strong>et</strong>c.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 61


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

légales ne peuvent plus servir de gar<strong>des</strong>-fous. Plus philosophiquement, si rien n’est réprimé, il<br />

n’y a donc pas d’interdit, tout est donc possible. La direction centrale de la sécurité publique<br />

reconnaît d’ailleurs : « que ce phénomène pourra être contenu <strong>à</strong> la condition nécessaire que<br />

chaque partenaire prenne ses responsabilités... Les magistrats qui doivent appliquer les textes<br />

sur les manifestations sportives de façon rigoureuse <strong>et</strong> dissuasive en n’hésitant pas <strong>à</strong><br />

prononcer <strong>des</strong> peines d’emprisonnement... » (DCSP, 1995, 6).<br />

La non-application de la loi participe ensuite <strong>à</strong> <strong>entre</strong>tenir la violence en offrant la possibilité<br />

de pouvoir enfreindre les règles sans être punis. Ce n’est pas la cause unique du<br />

développement <strong>des</strong> exactions commises par les supporters, elle en est tout un plus un facteur<br />

parmi d’autres. La déviance, au sens restreint, comme transgression <strong>des</strong> normes, est bien un<br />

construit social qui s’apprend dans le cadre d’interactions <strong>et</strong> d’expériences. C’est dans la<br />

répétitivité de ces p<strong>et</strong>ites infractions <strong>et</strong> dans la participation <strong>à</strong> <strong>des</strong> actions délinquantes que<br />

l’on peut, éventuellement, donner la possibilité <strong>à</strong> certains supporters de devenir <strong>des</strong> « déviants<br />

<strong>à</strong> long terme » qui trouvant « la violence agréable » vont multiplier les exactions.<br />

« lorsque la loi a été publiée, le calme est revenu dans les tribunes <strong>et</strong> aux abords<br />

du stade mais, lorsqu’ils ont vu p<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it que rien n’avait changé, qu’ils<br />

pouvaient faire comme avant <strong>et</strong> qu’elle n’était pas appliquée alors, l<strong>à</strong> ils ont remis<br />

cela de plus belle » (Délégué <strong>à</strong> la sécurité d’un club de première division).<br />

Les aspects collusoires ne s’arrêtent cependant pas l<strong>à</strong>. Que dire en eff<strong>et</strong> <strong>des</strong> clubs sportifs qui<br />

financent les spectacles, les locaux, les matériels <strong>et</strong> les déplacements <strong>des</strong> groupes de<br />

supporters les plus violents. Les exemples ne manquent pas : les Boulogne Boys (groupe de<br />

supporters du PSG) ou les South winners (groupe marseillais) ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une attention<br />

particulièrement généreuse de la part de leurs dirigeants. Cela pourrait constituer la base<br />

d’une normalisation <strong>des</strong> rapports par l’établissement de liens contractuels propices <strong>à</strong><br />

l’encadrement <strong>et</strong> <strong>à</strong> la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong>. En fait il n’en est rien. La finalité de c<strong>et</strong>te aide<br />

consiste pour les dirigeants, comme le suggère un délégué <strong>à</strong> la sécurité, uniquement « <strong>à</strong> se<br />

protéger <strong>des</strong> lazzis <strong>et</strong> <strong>des</strong> quolib<strong>et</strong>s ou <strong>des</strong> fron<strong>des</strong> qui peuvent survenir dans les tribunes » <strong>et</strong><br />

nuire <strong>à</strong> l’image du président. Les exemples ne manquent pas. Ils prennent la forme d’un<br />

« Afflelou démission » scandé, chanté <strong>et</strong> écrit dans le stade de Bordeaux, de grèves du<br />

supportérisme ou du « caillassage » <strong>des</strong> voitures de joueurs <strong>à</strong> Marseille dans les années<br />

1998/1999, pour ne prendre que les exemples les plus connus. La politique consiste donc bien<br />

souvent a fermer les yeux pour que ces manifestations bruyantes, voire violentes, nuisant <strong>à</strong><br />

l’image du club ou de ses dirigeants, se passent en-dehors du stade.<br />

C’est ce contexte anomique, ou tout au moins de « désorganisation sociale 57 » (Merton, 1938)<br />

propre au seul football, sur lequel nous reviendrons dans le chapitre consacré aux aspects<br />

politiques, qui sert de ferment aux actes délictueux <strong>et</strong> déviants d’une partie <strong>des</strong> foules<br />

sportives. Certes, les mesures législatives <strong>et</strong> réglementaires observées n’ont d’autres fonctions<br />

que de « surveiller <strong>et</strong> punir » (Foucault, 1971). Il importe moins de prévenir, c’est <strong>à</strong> dire de<br />

prendre en compte, d’interpréter <strong>et</strong> de rendre intelligible les phénomènes de déviance <strong>et</strong> de<br />

57 Le concept d’anomie dont l’ambition était de préciser « la notion vague de dérèglement social » (Boudon,<br />

Bourricaud, op. cit.) est en fait « un nid de concepts » comme le montrent, <strong>entre</strong> autres, les différentes<br />

utilisations qu’en a fait Durkheim (1893, 1897). La notion de « désorganisation sociale » marque chez Merton<br />

considère la rupture définitive de certains individus avec les habitu<strong>des</strong> <strong>et</strong> les règles habituelles de l’échange<br />

social.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 62


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

<strong>violences</strong> <strong>des</strong> supporters pour promouvoir une « prophylaxie », que de réprimer tout « acte<br />

potentiellement criminel ». Sans adhérer au « tout sécuritaire », <strong>et</strong> en étant totalement<br />

conscient que nos propos s’inscrivent dans une perspective utilitariste de la peine dans<br />

laquelle la menace de la répression suffit bien souvent <strong>à</strong> éviter le passage <strong>à</strong> l’acte, il est<br />

indéniable que les manifestations de <strong>violences</strong> doivent être sanctionnées. Bien au-del<strong>à</strong> de ce<br />

principe utilitariste se pose la légitimité d’une loi contournée, parfois, en toute impunité. Le<br />

sport n’est pas le seul lieu de contournement accepté <strong>des</strong> normes. La route <strong>et</strong> les excès de<br />

vitesse ont longtemps fait l’obj<strong>et</strong> d’une « désorganisation sociale ». C’est peut-être également,<br />

comme le suggérait Courtine, lors d’un récent séminaire avec nos étudiants investis dans<br />

l’univers carcéral, « ce qui rend la loi tolérable ». Mais en offrant tout <strong>à</strong> la fois un « espace<br />

normatif […], normalisé […] <strong>et</strong> hors normes […] » (Bodin, 2003b), le sport offre néanmoins<br />

une ambiguïté porteuse de tous les imaginaires <strong>et</strong> tous les possibles dans un univers social si<br />

différencié <strong>des</strong> contraintes imposées par la société civile ordinaire. Ce vide, ce laisser-aller, ce<br />

laisser-faire, c<strong>et</strong>te « complicité » ou c<strong>et</strong>te mansuétude de la part <strong>des</strong> dirigeants n’est pas sans<br />

nous rappeler les propos <strong>et</strong> travaux de Debarbieux (1996) sur la violence en milieu scolaire :<br />

celle-ci trouvant son origine, préférentiellement, dans les collèges <strong>et</strong> lycées où existent un<br />

conflit d’équipe <strong>et</strong> un déficit en matière de proj<strong>et</strong> d’établissement.<br />

Des publics distincts en terme de composition sociale<br />

S’il n’est plus possible aujourd’hui d’affirmer comme Bourdieu que « la plupart <strong>des</strong> <strong>sports</strong><br />

collectifs […] cumulent toutes les raisons de repousser les membres de la classe dominante :<br />

la composition de leur public qui redouble la vulgarité impliquée par leur divulgation... »<br />

(1984, 191), cinq critères essentiels perm<strong>et</strong>tent néanmoins de sérier les spectateurs (au sens<br />

générique du terme) : la composition sociale, l’âge, le sexe, l’existence ou non de groupes de<br />

supporters <strong>et</strong> les <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> ces derniers <strong>et</strong> les dirigeants sportifs.<br />

Axe 1 (72.7%)<br />

Chomeurs<br />

Football<br />

Axe 2 (14.1%)<br />

Commerçant artisan.Chef Entreprise<br />

Prof.Intermédiares<br />

Elève.Etudiant<br />

Ouvriers<br />

Employés<br />

Rugby<br />

R<strong>et</strong>raités<br />

Volley-Ball<br />

Cadre.Prof.Intellectuelle.Sup.<br />

Bask<strong>et</strong>-Ball<br />

Agriculteurs<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 63<br />

Inactifs<br />

A.F.C. Répartition sociale <strong>des</strong> publics de quatre <strong>sports</strong> collectifs.<br />

La dépendance est très significative. Chi2=183.32, ddl=30, 1-p=>99.99 %.<br />

.<br />

Le football attire aujourd’hui un public plus hétérogène qui reflète, parfois, en tous points la<br />

géographie sociale de la ville (Bromberger, 1998). Le match de football n’est plus en France,<br />

du moins depuis quelques années, un spectacle rassemblant uniquement les classes populaires<br />

les moins favorisées. Que ce soit <strong>à</strong> St Etienne (Charroin, op. cit.), Marseille (Bromberger,<br />

1995) ou encore sur l’intégralité de nos terrains (Bodin, 1998), on observe une diversification<br />

du public. Néanmoins, la projection sous forme d’AFC de la répartition sociale <strong>des</strong> publics


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

perm<strong>et</strong> d’observer que si le football touche, aujourd’hui, une population plus hétérogène, il<br />

reste néanmoins, en poids relatif, plus populaire dans sa globalité que les autres grands <strong>sports</strong><br />

collectifs. La classification en gran<strong>des</strong> rubriques ne rend pas assez compte de ces différences.<br />

Prenons un exemple parmi d’autres. Si les commerçants, artisans <strong>et</strong> chefs d’<strong>entre</strong>prises<br />

représentent 12.5 % du public du football <strong>et</strong> 14.8 % du rugby, chiffres a priori relativement<br />

similaires, en éclatant c<strong>et</strong>te rubrique, on observe que 67.3 % de c<strong>et</strong>te catégorie au football ont<br />

moins de 5 salariés, contre 29.8 % au rugby. Il reste donc néanmoins <strong>des</strong> différences avec les<br />

autres <strong>sports</strong> que l’engouement pour le football, durant les dix dernières années, n’a pas<br />

entièrement gommées.<br />

Si le public <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> reflète bien souvent, dans ses gran<strong>des</strong> lignes, la diversité<br />

professionnelle <strong>des</strong> villes <strong>et</strong> <strong>des</strong> régions observées la comparaison de la composition de ces<br />

publics avec celle <strong>des</strong> unités urbaines, fait apparaître <strong>des</strong> différences notoires en matière d’âge<br />

<strong>et</strong> de sexe.<br />

Catégorie d'âge<br />

Sport<br />

Bask<strong>et</strong>-Ball<br />

Football<br />

Rugby<br />

Volley-Ball<br />

TOTAL<br />

- 17 ans 17 - 24<br />

ans<br />

25 - 39<br />

ans<br />

40 - 59<br />

ans<br />

60 ans <strong>et</strong><br />

+<br />

TOTAL<br />

10,1% 23,1% 26,9% 30,0% 9,9% 100%<br />

10,0% 37,2% 28,4% 18,3% 6,1% 100%<br />

8,2% 9,7% 20,9% 40,3% 20,9% 100%<br />

6,4% 22,0% 27,5% 31,2% 12,8% 100%<br />

9,7% 28,8% 27,1% 25,3% 9,2% 100%<br />

Répartition par catégories d’âges <strong>des</strong> publics <strong>des</strong> différents <strong>sports</strong> collectifs étudiés<br />

La dépendance est très significative. Chi2=152.68, ddl=12, 1-p=>99.99 %.<br />

Deux catégories sont sur-représentées : les 17-24 ans au football <strong>et</strong> les plus de 60 ans au<br />

rugby. C<strong>et</strong>te distinction est importante car très souvent on oppose football <strong>et</strong> rugby, en se<br />

demandant, puisque ce sont deux <strong>sports</strong> « masculins », comme nous le verrons ci-après,<br />

pourquoi les spectateurs du rugby, sport considéré comme intrinsèquement violent, s’avèrent<br />

placi<strong>des</strong>. Une première raison tient peut-être <strong>à</strong> l’âge si on se souvient <strong>des</strong> données générales<br />

mises en évidence par les criminologues : la délinquance <strong>et</strong> la violence sont essentiellement<br />

juvéniles. Ces données ne sont que <strong>des</strong> moyennes. L’écart est encore plus grand si on<br />

distingue au football le public <strong>des</strong> tribunes de celui <strong>des</strong> virages, lieux où se regroupent les plus<br />

fervents : 61.2 % <strong>des</strong> publics situés dans les virages ont moins de 24 ans. La seconde raison<br />

est la plus ou moins grande féminisation <strong>des</strong> publics. 87.4 % du public du football est de sexe<br />

masculin, contre seulement 64.6 % au bask<strong>et</strong>-ball, <strong>et</strong> 62.4 % au volley-ball. Seul le rugby<br />

offre un profil similaire avec 84.7 % d’hommes.<br />

S’il n’est pas possible <strong>à</strong> ce stade d’établir une correspondance <strong>entre</strong> composition sociale <strong>des</strong><br />

publics <strong>et</strong> recours au hooliganisme, ce qui constituerait un raccourci sans fondement, on peut<br />

néanmoins observer que le football, en tant que théâtre privilégié de <strong>violences</strong>, se distingue<br />

n<strong>et</strong>tement <strong>des</strong> autres <strong>sports</strong> sur les critères PCS, sexe <strong>et</strong> âge.<br />

Spectateurs <strong>et</strong> supporters<br />

A l’unisson qui semble marquer le soutien <strong>à</strong> l’équipe au football, le stade se décompose<br />

pourtant en entités distinctes. La répartition <strong>des</strong> spectateurs n’est pas seulement financière.<br />

Bromberger (op. cit.) affirmait : « au-del<strong>à</strong> du prix <strong>des</strong> places <strong>des</strong> territoires ». La<br />

territorialisation de l’espace s’effectue <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> logiques de visibilité mais également <strong>des</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 64


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

distinctions d’âge, de culture, de passion <strong>et</strong>c. Aux tribunes sages <strong>et</strong> respectueuses du jeu <strong>et</strong> de<br />

l’arbitre, aux loges ou s’affichent aujourd’hui <strong>entre</strong>preneurs <strong>et</strong> responsables politiques locaux,<br />

s’oppose le public tumultueux, bruyant <strong>et</strong> chahuteur <strong>des</strong> virages. Se distinguent ainsi, selon la<br />

terminologie consacrée, spectateurs <strong>et</strong> supporters : « ceux qui se voient comme les<br />

authentiques soutiens d’une équipe <strong>et</strong> ceux qui se contentent d’assister passivement <strong>à</strong> un<br />

match » (Mignon, 1993, 73). Une distinction supplémentaire s’impose : si le spectateur peut<br />

prendre plaisir au jeu produit par les deux équipes, encourager <strong>et</strong> applaudir les belles actions,<br />

tout en préférant néanmoins voir son club l’emporter, le supporter s’imagine comme le<br />

soutien d’une équipe exclusive qu’il encourage de manière partisane. Ce soutien partial <strong>et</strong><br />

inconditionnel, ce chauvinisme exacerbé <strong>à</strong> travers vociférations, encouragements <strong>et</strong> chahuts<br />

ne doivent cependant pas être surchargés de sens. C’est sans doute « l’affirmation bruyante<br />

d’une identité mais aussi la condition nécessaire de la plénitude de l’émotion »(Bromberger,<br />

1996, 34). Le supportérisme c’est donc avant toute chose le reniement de toute distance au<br />

rôle (Goffman, 1956) : « assister <strong>à</strong> un match de football n’est généralement pas une<br />

consommation r<strong>et</strong>enue comme au cinéma, ou recueillie, comme au théâtre ou dans une<br />

exposition de peinture, ni une consommation distraite, comme c’est souvent le cas <strong>à</strong> la<br />

télévision, ou une compétition que l’on regarde avec fair-play, comme le tennis ou le golf.<br />

Sans doute peut-on assister <strong>à</strong> un match de foot de ces quatre manières, mais ce n’est pas du<br />

supportérisme. » (Ehrenberg, op. cit., 53). Chez les supporters l’émotion n’est pas intériorisée.<br />

Elle se traduit dans un charivari coloré <strong>et</strong> une euphorie ou un mécontentement bruyamment<br />

voire vulgairement partagés. Dans nos sociétés contemporaines, sécuritaires <strong>et</strong><br />

prophylactiques, le stade est peut-être effectivement le dernier endroit où l’on peut<br />

« s’encanailler », laisser libre cours <strong>à</strong> sa gestuelle <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>des</strong> propos orduriers, crier sa joie de<br />

vivre <strong>et</strong> sa peur d’être ou du lendemain ! Est-il envisageable d’avoir les mêmes<br />

comportements ou les mêmes mots dans la rue, au travail ou dans tout autre lieu ? Certes<br />

non ! Et c’est peut être l<strong>à</strong> tout le problème, toute forme de violence, ou tout au moins d’excès,<br />

nous est semble-t-il devenu impensable.<br />

C<strong>et</strong>te distinction <strong>entre</strong> spectateurs <strong>et</strong> supporters n’est pas seulement un point de vue<br />

comportementaliste distinguant jeunes <strong>et</strong> vieux <strong>à</strong> travers un soutien r<strong>et</strong>enu ou carnavalesque.<br />

C<strong>et</strong>te différence tient également <strong>à</strong> la conception <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’organisation du soutien. Seul le<br />

deuxième point sera développé ici, d’autres auteurs (Bromberger, op. cit. ; Roumestan, 1998,<br />

<strong>entre</strong> autres) ayant amplement décrits l’originalité d’un supportérisme exacerbé <strong>à</strong> travers les<br />

oppositions <strong>et</strong> les passions sportives, locales <strong>et</strong> nationales.<br />

Plus frappant encore est l’existence, ou non, d’un supportérisme structuré en associations de<br />

type loi de 1901. S’il existe quelques associations de fait 58 de supporters au rugby (3), il n’y a<br />

aucune trace d’association officielle, ayant déposée <strong>des</strong> statuts, <strong>entre</strong>tenant <strong>des</strong> rapports<br />

administratifs avec les clubs <strong>et</strong> bénéficiant d’ai<strong>des</strong> diverses de ceux-ci. Au volley-ball non<br />

plus. Les clubs de supporters recensés émanent donc tous du bask<strong>et</strong>-ball <strong>et</strong> du football avec<br />

<strong>des</strong> différences quantitatives considérables en nombre de clubs <strong>et</strong> en nombre d’adhérents.<br />

Ainsi, le bask<strong>et</strong>-ball en pro A <strong>et</strong> en pro B comptait 19 clubs de supporters regroupant<br />

approximativement 1 000 adhérents au total en 2000. Dans le football de première <strong>et</strong> de<br />

seconde division 113 clubs <strong>et</strong> 47 000 adhérents sont aujourd’hui recensés. En terme de<br />

supportérisme organisé ces deux <strong>sports</strong> offrent <strong>des</strong> disparités <strong>et</strong> <strong>des</strong> disproportions<br />

importantes. Hormis le CSP Limoges où cohabitaient deux entités au sein du même club,<br />

chaque association de bask<strong>et</strong>-ball ne possède qu’un groupe de supporters dont la moyenne <strong>des</strong><br />

effectifs avoisine 50 éléments. Le football fait figure de phénomène en affichant jusqu’<strong>à</strong> 14<br />

58 Une association de fait est le regroupement de personnes dont le fonctionnement est identique <strong>à</strong> celui d’une<br />

association de type loi 1901 sans avoir déposé de statuts <strong>à</strong> la préfecture <strong>et</strong> donc par voie de conséquence qui ne<br />

possède pas la personnalité juridique avec les avantages <strong>et</strong> les inconvénients liés <strong>à</strong> celle-ci.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 65


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

associations au sein d’un même club - le PSG - <strong>et</strong> regroupant <strong>à</strong> l’Olympique de Marseille 27<br />

000 adhérents en 2002/2003. En première division seuls 4 clubs possèdent une association<br />

unique de supporters : Auxerre, Bastia, Guingamp <strong>et</strong> Monaco.<br />

C<strong>et</strong>te distinction tient <strong>à</strong> l’âge. La médiatisation du football, l’identification aux héros sportifs,<br />

les valeurs méritocratiques véhiculées par c<strong>et</strong>te activité, le métissage culturel <strong>et</strong> racial <strong>des</strong><br />

équipes, véritable archétype de l’intégration sociale, ou plus simplement la pratique sportive<br />

(le football est la première fédération olympique en nombre de licenciés) peuvent expliquer<br />

l’attrait <strong>des</strong> jeunes pour ce sport. Être supporter semble correspondre <strong>à</strong> une période précise de<br />

la vie : celle de la post-adolescence <strong>et</strong> du passage <strong>à</strong> la vie d’adulte, période de<br />

l’autonomisation <strong>des</strong> individus <strong>et</strong> de construction <strong>des</strong> identités sociales. Ils viennent au stade<br />

<strong>entre</strong> amis, ou <strong>entre</strong> pairs, en dehors du contrôle <strong>et</strong> <strong>des</strong> contraintes parentales pour marquer<br />

leur entrée dans la vie sociale. Très souvent c<strong>et</strong>te passion est héritée du père. Celui-ci les a<br />

inscrits très jeunes dans une école de football avant de les emmener au stade pour parfaire leur<br />

passion <strong>et</strong> partager un moment <strong>entre</strong> « hommes ». A l’adolescence les plus passionnés se<br />

séparent de leur père pour vivre une passion différente : plus fusionnelle avec <strong>des</strong> camara<strong>des</strong>.<br />

C’est aussi une étape dans la vie. GR, <strong>des</strong> Ultras Bordelais en parle très bien : « au début je<br />

venais avec mon père au match <strong>et</strong> puis je voyais le virage, c’était que <strong>des</strong> jeunes, c’était la<br />

fête, ils chantaient, ils chahutaient, ils étaient ensembles, alors dès que j’ai pu j’y suis allé<br />

avec <strong>des</strong> copains, on était <strong>entre</strong> nous, sans parents, c’était formidable ». C<strong>et</strong>te étape est<br />

transitoire comme une sorte de résurgence <strong>des</strong> rites de passage, <strong>entre</strong> le monde <strong>des</strong><br />

adolescents <strong>et</strong> celui <strong>des</strong> adultes, amoindris par la modernité dans nos sociétés occidentales.<br />

Est-il surprenant que les supporters soient composés majoritairement <strong>des</strong> jeunes ? Si l’âge est<br />

prépondérant dans le comportement passionnel, la « jeunesse » est également le temps où<br />

l’individu connaît le moins de contraintes familiales <strong>et</strong> sociales. C’est celui <strong>des</strong> loisirs <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

copains. Les supporters ne sont pas, comme l’image populaire les montre, <strong>des</strong> jeunes gens en<br />

mal d’être <strong>et</strong> de devenir. Ils viennent tout simplement dans le stade comme d’autres font du<br />

sport : pour le plaisir. Comme l’ont montré Bromberger (1998), Defrance (1995) ou Dur<strong>et</strong><br />

(1999), le football est une période privilégiée dans la socialisation <strong>des</strong> jeunes <strong>et</strong> dans la<br />

construction <strong>des</strong> identités masculines. Il est en eff<strong>et</strong> un domaine encore fortement sexué. La<br />

part <strong>des</strong> femmes en pourcentage dans les licences en 2000 (mise <strong>à</strong> jour du Ministère de la<br />

jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> Sports de janvier 2002) ne représente que 1,9 % <strong>des</strong> 2 150 442 licenciés. Elles<br />

sont cependant plus nombreuses dans les sta<strong>des</strong> : 12.6 % <strong>des</strong> supporters <strong>et</strong> 11.2 % <strong>des</strong><br />

spectateurs. Néanmoins, contrairement <strong>à</strong> ce que pourrait laisser penser la récente enquête<br />

réalisée par la SOFRES (19 & 20 février 2002), si les femmes se sont passionnées pour un<br />

événement ponctuel, la coupe du Monde 1998, leur intérêt pour le football ne se manifeste<br />

pas, comme les hommes, pour les matches réguliers du championnat par équipes.<br />

Une remarque s’impose cependant. Que ce soit en Angl<strong>et</strong>erre, en France ou ailleurs, les<br />

responsables <strong>des</strong> diverses fédérations nationales tentent de féminiser ce public. Toutes<br />

encouragent la venue <strong>des</strong> femmes pour faire du match de football une consommation<br />

familiale. La féminisation ne renouerait pas seulement « avec les origines plus bourgeoises du<br />

sport spectacle » (Bromberger, 1995, 218), il s’agit d’une politique délibérée <strong>et</strong> non dénuée<br />

d’arrière-pensées. Les publics davantage féminisés sont souvent moins violents. Les hommes<br />

se comportent mieux, faisant preuve de davantage de r<strong>et</strong>enue, en présence de leurs épouses ou<br />

compagnes.<br />

Si supporter une équipe n’induit pas nécessairement l’inscription dans un groupe de<br />

supporters, bon nombre de jeunes franchissent le pas. Contrairement <strong>à</strong> ce qu’affirme Mignon<br />

(1993, 1995), le supportérisme, dans le football, n’apparaît pas d’abord en Grande-Br<strong>et</strong>agne<br />

avant de se répandre dans l’Europe entière <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> années 1970-1980. Les premières<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

traces d’un supportérisme actif <strong>et</strong> structuré s’observent, en France, dès la fin <strong>des</strong> années 1920.<br />

Mais ce supportérisme se différencie profondément <strong>des</strong> diverses formes que l’on connaît<br />

aujourd’hui. Il s’agissait davantage d’un prétexte aux rencontres amicales <strong>à</strong> travers une<br />

passion commune, le football, que du supportérisme qui se regroupe dans les virages. Certains<br />

groupes néanmoins semblent avoir gardé c<strong>et</strong> esprit traditionnel : le CCS (club central <strong>des</strong><br />

supporters) de Marseille <strong>et</strong> les Viol<strong>et</strong>s toulousains. Mais ils se distinguent n<strong>et</strong>tement <strong>des</strong> autres<br />

par l’âge de leurs membres : 78 % ont plus de 25 ans <strong>et</strong> 48 % ont plus de quarante ans (Bodin,<br />

1998). Ces supporters ressemblent beaucoup, dans leurs origines sociales, leurs âges, leurs<br />

motivations <strong>et</strong> leurs comportements <strong>à</strong> ceux du bask<strong>et</strong>-ball. Il s’agit l<strong>à</strong> vraisemblablement d’un<br />

modèle particulier de supportérisme qui vise <strong>à</strong> l’établissement de <strong>relations</strong> amicales <strong>et</strong> <strong>à</strong> la<br />

convivialité <strong>à</strong> travers une ferveur partagée.<br />

Deux formes de supportérisme cohabitent dans les tribunes de football françaises : « le<br />

modèle anglais <strong>et</strong> le modèle italien » (Ultra) (Broussard, op. cit.). Le premier est caractérisé<br />

par <strong>des</strong> supporters qui revêtent les insignes de leur club <strong>et</strong> poussent leur équipe en criant, en<br />

chantant <strong>et</strong> en entonnant le chant emblématique du club. Le second plus organisé <strong>et</strong> structuré<br />

se traduit par la théâtralisation <strong>et</strong> la mise en spectacle <strong>des</strong> tribunes <strong>à</strong> travers l’organisation de<br />

tifos : spectacles hauts en couleurs <strong>à</strong> l’aide de gran<strong>des</strong> bâches (maillot du club par exemple),<br />

de banderoles, de feuilles de papiers qui reproduisent les insignes ou les emblèmes du club, du<br />

groupe ou de la ville. Les chants accompagnent également ce type de soutien. Avec les tifos<br />

les jeunes supporters authentifient leur présence en rendant leur action visible mais également<br />

identifiable. En gardant c<strong>et</strong>te distinction, seul le modèle « ultra » existe au bask<strong>et</strong>-ball.<br />

Si le modèle anglais s’observe dans quelques clubs : essentiellement <strong>à</strong> Paris, Lyon, Caen <strong>et</strong><br />

Lille, le modèle Ultra est pour sa part le plus fréquent en France. Il s’est structuré au début<br />

<strong>des</strong> années 1980 par mimétisme <strong>à</strong> la venue <strong>des</strong> supporters italiens lors de rencontres de coupe<br />

d’Europe. Leur date de création figure souvent dans le nom dont les groupes s’affublent<br />

comme pour authentifier leur ancienn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> leur primauté en ce domaine : CU 84 (Commando<br />

Ultra de Marseille créé en 1984) UB 85 (Ultras Bordeaux, créé en 1985) <strong>et</strong>c. Le plus souvent<br />

les noms ne sont rien d’autres que <strong>des</strong> substantifs empruntés aux héros de fanzines <strong>et</strong> autres<br />

mangas, métaphores <strong>des</strong>tinées <strong>à</strong> intimider <strong>et</strong> apeurer, ou tout au moins, <strong>à</strong> se démarquer <strong>des</strong><br />

autres groupes. L’apparition <strong>des</strong> ultras entraîne deux modifications majeures dans les sta<strong>des</strong>.<br />

Tout d’abord, il marque le passage d’un supportérisme aux couleurs du club, dans lequel les<br />

individus se reconnaissaient en tant que soutien de celui-ci, <strong>à</strong> un supportérisme, identifié par<br />

un nom distinct de celui du club, quelquefois associé <strong>à</strong> ce dernier, avec ses couleurs<br />

spécifiques, sa hiérarchie propre, son organisation, <strong>et</strong> sa visibilité exacerbée dépeinte par<br />

Bromberger. Si autrefois <strong>des</strong> supporters soutenaient, encourageaient de la voix leur équipe<br />

d’une manière passionnée, ce soutien était anonyme ou tout au moins ne revendiquait que<br />

l’appartenance au club de football. Ensuite, en passant au modèle « ultra » ce soutien s’est<br />

accentué par une mise en scène qui authentifie les acteurs. Ce ne sont plus les supporters de…<br />

mais, les Ultramarines bordelais, les Indians toulousains où les Yankees marseillais... qui<br />

haranguent l’équipe. Émerge ainsi une double appartenance sportive <strong>et</strong> sociale qui est en<br />

même temps affirmation <strong>et</strong> construction identitaire<br />

Vociférations, encouragements, chants, spectacles, insultes, chauvinisme <strong>et</strong> chahuts sont le lot<br />

<strong>et</strong> le comportement ordinaire, visibles <strong>et</strong> prévisibles lors d’un match de football. Mais ces<br />

débordements verbaux <strong>et</strong> gestuels sont peut être tout simplement nécessaires <strong>à</strong> la passion : « la<br />

partisanerie est sans doute l’affirmation bruyante d’une identité mais aussi la condition<br />

nécessaire de la plénitude de l’émotion » (Bromberger, 1996, 38).<br />

Le football possède <strong>des</strong> propriétés scéniques qui font travailler l’imaginaire, « jeu de la horde<br />

<strong>et</strong> du territoire » (Jeu, 1977, 239) ; il est avant toute chose la réactualisation du combat pour la<br />

vie <strong>et</strong> la défense du territoire <strong>des</strong> sociétés ancestrales. Le jeu ressemble <strong>à</strong> la vie ordinaire <strong>et</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

demande du talent, de la réussite, du mérite mais également un peu de friponnerie<br />

(Bromberger, 1995). Le match m<strong>et</strong> en scène la réussite ou la mort d’une équipe, d’un club,<br />

d’un public, d’une ville <strong>et</strong> d’une région. Il est effectivement l’affirmation d’une identité<br />

régionale, locale. Les supporters du sud de la France soulignent leur appartenance <strong>à</strong> la culture<br />

occitane, tout comme ils arborent dans leurs locaux <strong>des</strong> photographies de la ville, du club, du<br />

stade <strong>et</strong> <strong>des</strong> joueurs. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le propre <strong>des</strong> Marseillais même si les<br />

images du vieux port s’affichent sur les murs du local <strong>des</strong> Winners ou <strong>des</strong> Yankees 59 . Chaque<br />

club de supporters revendique ainsi une appartenance sociale <strong>et</strong> une identité culturelle<br />

différenciée <strong>des</strong> autres. La passion ne prend pas racine n’importe où. En prenant deux critères<br />

simples (le nombre moyen de spectateurs par journée <strong>et</strong> le nombre de supporters inscrits dans<br />

les différents groupes) pour mesurer la passion <strong>des</strong> publics, le résultat est flagrant. Passion <strong>et</strong><br />

épopée sportive se conjuguent. La passion prend effectivement racine l<strong>à</strong> où le club a su porter<br />

haut les valeurs locales. La passion reste intacte même lorsque le club connaît une faiblesse de<br />

résultats. L’AS St Etienne est <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> exemplaire. Ce n’est certes pas la seule raison car<br />

c’est aussi le propre <strong>des</strong> villes sinistrées de reporter sur le football une telle ferveur, de se<br />

« venger » de sa disqualification sociale. Bromberger (1995) parle ainsi de « la revanche du<br />

sud » pour expliciter les antagonismes <strong>entre</strong> Naples <strong>et</strong> Turin, comme de l’opposition <strong>entre</strong><br />

Marseille, ville économiquement tombée en désuétude en l’espace d’un siècle, <strong>et</strong> Paris, la<br />

capitale oppressante. Lens <strong>et</strong> son public en est un autre, alors que le club est enclavé dans une<br />

région longtemps marquée par l’abandon industriel, la ferm<strong>et</strong>ure <strong>des</strong> mines <strong>et</strong> le chômage, le<br />

public continue de suivre fidèlement <strong>et</strong> solidairement ces « hérauts » du nord qui leur<br />

apportent un exutoire mais également une compensation sociale <strong>à</strong> la déliquescence sociétale.<br />

Le football fait rêver les publics. La réussite du club <strong>et</strong> de l’équipe devient par identification<br />

la réussite d’une région, d’une ville <strong>et</strong> de chacun <strong>des</strong> individus.<br />

A l’exubérance <strong>et</strong> au désordre observable dans les virages se substitue une réalité toute autre.<br />

Les groupes de supporters sont de réelles communautés (Tonnies, 1887), où se fabrique du<br />

lien social. L’envie de partager <strong>des</strong> goûts <strong>et</strong> <strong>des</strong> émotions, le plaisir de r<strong>et</strong>rouver <strong>des</strong> amis sont<br />

très souvent <strong>à</strong> l’origine de l’inscription dans ces groupes formels, ou informels. Il s’agit<br />

également d’un lieu <strong>et</strong> d’un moment porteur de rencontres <strong>et</strong> d’amitiés nouvelles. En ce sens<br />

le supportérisme, dans une perspective postmoderne, est créateur de lien social <strong>et</strong> répond <strong>à</strong> un<br />

besoin face <strong>à</strong> la déstructuration de la société. C’est le « temps <strong>des</strong> tribus » avec toutes les<br />

précautions d’usage nécessitées par l’emploi de ce terme (Bromberger, 1998) où les liens<br />

communautaires tendent <strong>à</strong> remplacer progressivement les liens contractuels. Les jeunes s’y<br />

socialisent, en partie du moins, y nouent <strong>des</strong> affinités, y acquièrent une culture, <strong>des</strong> normes <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> coutumes. Le club de supporters est souvent assimilé <strong>à</strong> une « famille ». Ces communautés<br />

sont néanmoins fortement hiérarchisées <strong>et</strong> organisées. Les supporters possèdent <strong>des</strong> statuts <strong>et</strong><br />

y remplissent <strong>des</strong> rôles (Linton, 1936). Certains sont communs <strong>à</strong> n’importe quelle<br />

association (président, trésorier, responsables du matériel), d’autres spécifiques aux Ultras.<br />

Quelques-uns sont pacifiques <strong>et</strong> relatifs au soutien ou au spectacle (responsable <strong>des</strong> chants, du<br />

traçage <strong>des</strong> tifos, le mégaphone qui dirige le groupe, le « clown » chargé de divertir <strong>et</strong> de<br />

provoquer les autres supporters, du fanzine) d’autres sous-jacents aux comportements violents<br />

(« aggro leader » chargé de provoquer les autres mais aussi de diriger les affrontements<br />

directs, ceux qui filment les affrontements).<br />

Les diverses étu<strong>des</strong> relatant la composition <strong>des</strong> groupes font apparaître une unité de<br />

structuration quels que soient l’époque <strong>et</strong> le lieu. Dupuis distingue ainsi trois entités : « les<br />

meneurs leur nombre varie <strong>entre</strong> cinq <strong>et</strong> dix personnes », ce sont les responsables, les leaders<br />

59 Les South Winners <strong>et</strong> la North Army Yankee sont deux groupes de supporters Marseillais, les premiers<br />

installés dans le virage sud du stade vélodrome <strong>et</strong> les seconds dans le virage nord.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

du groupe, souvent fondateurs de celui-ci, « le noyau dur. Il peut compter de dix <strong>à</strong> deux cents<br />

membres [...] Ils sont présents <strong>à</strong> presque chaque match <strong>à</strong> domicile <strong>et</strong> effectuent au minimum<br />

tous les déplacements <strong>à</strong> hauts risques. Agressifs en paroles <strong>et</strong> en actes, ils sont souvent<br />

responsables <strong>des</strong> incidents » <strong>et</strong> enfin, la masse du groupe <strong>des</strong> supporters, « les stagiaires aussi<br />

appelés « satellites », « suiveurs » ou « figurants » [...] La masse <strong>des</strong> stagiaires est beaucoup<br />

plus différenciée que le noyau dur. On y trouve aussi bien <strong>des</strong> adolescents de treize ou<br />

quatorze ans qui veulent jouer au casseur que <strong>des</strong> quadragénaires en mal de sensations fortes »<br />

(op. cit., 135-137). Les membres du noyau dur <strong>des</strong> clubs de supporters sont effectivement<br />

ceux qui ont une expérience du supportérisme inscrite dans le temps. Ils sont les plus assidus<br />

<strong>et</strong> les plus expérimentés <strong>et</strong> sont généralement présents <strong>à</strong> tous les matches que ce soit <strong>à</strong><br />

domicile ou en déplacement. C<strong>et</strong>te structuration est conforme <strong>à</strong> celle que nous avons observée<br />

en France. Les suiveurs participent aux actions du groupe sans être très assidus. Ils s’affilient<br />

très souvent <strong>à</strong> un groupe pour <strong>des</strong> raisons d’amitié <strong>et</strong> d’ambiance. La conséquence logique de<br />

la structuration <strong>des</strong> groupes, de la volonté de paraître de leurs membres, de la théâtralisation<br />

<strong>des</strong> tribunes est la nécessité de posséder un territoire dans le stade. Celui-ci n’est pas<br />

seulement un lieu d’exhibition il est aussi affirmation de sa force <strong>et</strong> de son nombre, de sa<br />

capacité <strong>à</strong> organiser <strong>des</strong> spectacles de meilleure qualité que les autres. En bref, il renforce la<br />

reconnaissance sociale <strong>et</strong> participe <strong>à</strong> la construction identitaire de chacun <strong>des</strong> groupes.<br />

La construction typologique <strong>des</strong> groupes<br />

Ces analyses <strong>et</strong> ces observations ne sont cependant pas originales en soi, d’autres chercheurs<br />

ayant, avant nous, montré les fondements <strong>et</strong> les mécanismes de ce supportérisme passionnel.<br />

L’analyse <strong>des</strong> discours 60 <strong>des</strong> supporters, ou de ceux qui se considèrent comme tels, nous a par<br />

contre permis de construire une typologie originale, de ces publics passionnés (AFC<br />

suivante), qui m<strong>et</strong> en évidence les profon<strong>des</strong> distinctions <strong>entre</strong> les publics <strong>des</strong> différents<br />

<strong>sports</strong>, <strong>à</strong> travers, comme le proposait Crozier <strong>et</strong> Friedberg (op. cit.) leurs activités, telles qu’ils<br />

les conçoivent, leurs <strong>relations</strong>, les uns avec les autres, l’évaluation de leurs activités <strong>et</strong> leurs<br />

possibilités d’action.<br />

C<strong>et</strong>te construction typologique élaborée en 1998, n’a connu, malgré la multiplication <strong>des</strong> sites<br />

investis, pratiquement aucune modification majeure, contrairement <strong>à</strong> ce que nous imaginions<br />

alors, compte tenu du faible nombre de sites investis <strong>à</strong> l’origine (4 au football, 2 au bask<strong>et</strong>ball,<br />

1 au rugby <strong>et</strong> 1 au volley-ball) <strong>et</strong> qui nous faisait dire, <strong>à</strong> juste titre, que notre travail<br />

« n’était pas généralisable, qu’il était un instantané ». C<strong>et</strong>te stabilité <strong>des</strong> discours sur la genèse<br />

<strong>et</strong> le vécu <strong>des</strong> passions sportives est tout <strong>à</strong> la fois intéressante <strong>et</strong> surprenante car elle m<strong>et</strong> en<br />

évidence <strong>des</strong> permanences dont l’analyse montre la façon dont <strong>des</strong> individus distincts, aux<br />

orientations <strong>et</strong> aux motivations personnelles divergentes, peuvent s’intégrer <strong>à</strong> une organisation<br />

collective. Comme le suggéraient Crozier <strong>et</strong> Friedberg (op. cit., 20) : « ni les objectifs, ni les<br />

motivations <strong>des</strong> acteurs ne sont en cause. […] Ils sont les prisonniers <strong>des</strong> moyens qu’ils ont<br />

utilisés pour régler leur coopération <strong>et</strong> qui circonscrivent jusqu’<strong>à</strong> leurs capacités de se définir<br />

de nouvelles finalités ».<br />

60 L’analyse a été réalisée <strong>à</strong> l’aide du logiciel Sphinx . L’unité pratique <strong>et</strong> opérationnelle r<strong>et</strong>enue est le thème<br />

défini par « classification analogique <strong>et</strong> progressive <strong>des</strong> éléments » (Bardin, 1977, 152-153) avec comme règle<br />

d’énumération la présence ou l’absence <strong>des</strong> thèmes en fonction de leur fréquence d’apparition.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 69


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

« Jeunes »<br />

Groupe= social°<br />

Modèle passionnel<br />

Axe 3 (12.2%)<br />

Gagner<br />

Conso familiale<br />

Beau jeu<br />

Pas organisé<br />

Identification <strong>à</strong> l'équipe Gagner<br />

Jsa<br />

Modèle famille<br />

Groupe Indépendance<br />

<strong>et</strong> spectacle<br />

Winners Solidarité UltrasB Forte rel° avec club<br />

G=famille, maison Modèle <strong>et</strong> envie Amis Cabbg Contacts joueurs<br />

Indians Devils Suscité par famille<br />

Etre l<strong>à</strong> tout le temps Yankees Granata Viol<strong>et</strong>s Spectateurs=pratiquant<br />

« Vieux »<br />

Amour ville Fanatic Dodgers UltrasM<br />

Passion club Encourager/animer<br />

Spectacle<br />

Passion Suscité par le père UltrasO Exutoire Passion sport<br />

Visibilité Club=ville/région Ambiance/fête Convivialité<br />

Spectacle<br />

Axe 1 (26.5%)<br />

Passion équipe YellowB Gagner avec éthique Modèle<br />

Style de vie FanC<br />

Plaisir<br />

Identification aux joueurs Peones<br />

Technico-<br />

Evasion<br />

Parler avec supp. adverses convivial<br />

Convivialité avec adversaires<br />

Convivialité<br />

Hasard<br />

Modèle convivial<br />

AFC thèmes passion par appartenance groupale réalisée <strong>à</strong> partir <strong>des</strong> <strong>entre</strong>tiens<br />

C<strong>et</strong>te analyse ayant été maintes fois développées (Bodin, 1998, 1999 ; Bodin, Héas, 2002)<br />

nous n’en reprendrons que les aspects les plus explicites perm<strong>et</strong>tant de ségréguer les<br />

supporters avant de discuter de c<strong>et</strong>te permanence <strong>des</strong> discours.<br />

Aux aspects communément partagés par les différentes formes de supportérisme inscrits au<br />

c<strong>entre</strong> du graphique (passion pour leur sport, volonté d’encourager <strong>et</strong> d’animer, venue pour<br />

l’ambiance <strong>et</strong> faire la fête), les formes de supportérismes se distinguaient <strong>et</strong> se distinguent<br />

clairement : l’axe vertical séparant <strong>et</strong> opposant les supporters du football de ceux <strong>des</strong> autres<br />

<strong>sports</strong> mais également « jeunes » <strong>et</strong> « vieux ». La volonté de voir son équipe gagner distingue<br />

également les supporters du football, <strong>des</strong> autres qui, pour leur part, prônent le beau jeu, le fait<br />

de gagner avec éthique, la convivialité, le spectacle. Le football est un moyen de construction<br />

<strong>des</strong> identités individuelles <strong>et</strong> collectives pour les jeunes supporters qui viennent au stade<br />

ensembles supporter l’équipe dans <strong>des</strong> lieux <strong>et</strong> <strong>des</strong> espaces de sociabilité distincts <strong>des</strong> adultes.<br />

Il est également le lieu privilégié de construction <strong>des</strong> identités masculines. L’indépendance<br />

revendiquée par les jeunes supporters n’est rien d’autre que le refl<strong>et</strong> de la construction <strong>des</strong><br />

identités. La période d’inscription dans le supportérisme ultra correspond <strong>à</strong> ce moment<br />

particulier de la vie ou au sortir de l’adolescence, les choix marquent une rupture avec la<br />

famille <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent de se construire progressivement une identité en tant qu’adulte.<br />

Supporter une grande équipe de football participe de c<strong>et</strong>te construction <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> de<br />

s’octroyer une identité positive, valorisante <strong>et</strong> valorisée, identité qu’il faut comprendre dans la<br />

dualité même de sa définition : c’est-<strong>à</strong>-dire une identité construite pour soi <strong>et</strong> pour autrui<br />

(Dubar, 1991). Les passions au football sont exacerbées. S’y conjuguent tout <strong>à</strong> la fois une<br />

passion pour le sport, la ville, le club, l’équipe visibles dans l’utilisation <strong>des</strong> emblèmes <strong>et</strong><br />

insignes de la cité fièrement arborés sur les bâches, les drapeaux <strong>et</strong> les emblèmes <strong>des</strong><br />

supporters. Le passage du spectacle sportif consommé avec son père au supportérisme, du<br />

supportérisme au supportérisme ultra correspond <strong>à</strong> une volonté d’autonomisation, d’évasion,<br />

d’encourager, d’animer de ces jeunes qui trouvent dans ces groupements une « famille », <strong>des</strong><br />

amis, une indépendance vis-<strong>à</strong>-vis <strong>des</strong> parents dans une ambiance festive <strong>et</strong> conviviale <strong>entre</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 70


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

pairs. Le football <strong>et</strong> le supportérisme sont <strong>des</strong> « espaces d’identification » (Dubar, op. cit.) <strong>et</strong><br />

l’identité qui s’y construit est un « espace temps générationnel », elle n’est pas transmise mais<br />

modifiée <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ravaillée en permanence au contact <strong>des</strong> autres. C’est dans ce contexte qu’il faut<br />

comprendre en partie du moins les rivalités violentes qui opposent parfois les jeunes<br />

supporters. Faure <strong>et</strong> Suaud suggèrent que les supporters <strong>entre</strong>tiennent <strong>des</strong> <strong>relations</strong><br />

passionnelles avec le club qu’ils soutiennent. Le club est « souvent assimilé <strong>à</strong> une maîtresse »<br />

(1994, 4). Relations passionnelles qui conduisent parfois au « crime passionnel » lorsque<br />

l’amour exacerbé pour une ville, un club, une équipe en arrive <strong>à</strong> la violence. Les jeunes<br />

supporters y consacrent tout leur temps, leur énergie <strong>et</strong> même leur argent. Il s’agit d’une<br />

passion débordante <strong>et</strong> dévorante qui empiète bien souvent sur leur cursus scolaire ou leur<br />

insertion professionnelle. Mais l’interprétation <strong>et</strong> la distinction sont difficiles. On ne sait pas<br />

trop si ces jeunes consacrent trop de temps <strong>à</strong> leurs groupes au point de délaisser l’école ou le<br />

travail ou si, en situation d’échec scolaire ou d’exclusion sociale, ils surinvestissent dans le<br />

supportérisme. Celui-ci serait alors un moyen « de reconnaissance sociale » dans lequel<br />

s’exprimerait peut être « une rage de paraître » (Ehrenberg, op. cit.). Être Ultra c’est vivre une<br />

passion débordante, un style de vie <strong>et</strong> la marque de l’appartenance <strong>à</strong> une communauté<br />

spécifiée. Autre caractéristique très importante de ce modèle : l’absence totale de convivialité<br />

envers les adversaires. Il n’est effectivement pas question de les recevoir pas plus qu’il n’est<br />

envisagé de discuter avec eux que ce soit avant, pendant ou après le match. Certes, les<br />

services de sécurité séparent <strong>et</strong> isolent, mais s’ils séparent <strong>et</strong> isolent c’est qu’il était<br />

auparavant question de tout autre chose que d’un philosophé sur l’obj<strong>et</strong> sport comme peuvent<br />

le faire les supporters du bask<strong>et</strong>-ball, du rugby ou du volley-ball. Aux commentaires<br />

pragmatiques, stratégiques de ces derniers répond un affrontement en bonne <strong>et</strong> due forme, une<br />

sorte de guérilla urbaine <strong>entre</strong> supporters adverses qui se rencontrent en ville. Ces faits <strong>et</strong> ces<br />

propos ne sont pas sans nous rappeler avec insistance ceux de Weil (1996) pour qui deux<br />

possibilités s’offrent aux hommes : le dialogue <strong>et</strong> la violence, le dialogue n’étant autre chose<br />

que la négation de la violence. Mais, n’est ce pas une nécessité vitale aux <strong>relations</strong> inter <strong>et</strong><br />

intragroupes ? La proximité identitaire de ces différentes communautés développe un désir <strong>et</strong><br />

une nécessité de s’opposer <strong>et</strong> de se distinguer : l’identité de chaque groupe se construisant <strong>et</strong><br />

se renforçant dans c<strong>et</strong>te opposition <strong>et</strong> par l’identité négative proj<strong>et</strong>ée sur l’autre. « Ainsi très<br />

souvent l’identité « se pose en s’opposant ». La violence accompagne dans certains cas<br />

l’affirmation identitaire : ban<strong>des</strong> de banlieues, groupes de supporters sportifs, communautés<br />

<strong>et</strong>hniques. » (Lipiansky, 1995, 21). Comme l’a montré Bromberger, le football sert de<br />

métaphore <strong>et</strong> de théâtralisation <strong>des</strong> appartenances sociales, la construction <strong>des</strong> groupes se<br />

faisant alors par « acculturation antagoniste (Devereux, 1972).<br />

Ce modèle de supportérisme est passionnel au sens phénoménologique du terme, par<br />

l’excitation mimétique due au spectacle sportif, par l’appartenance <strong>à</strong> une foule, où l’on peut<br />

donner libre cours <strong>à</strong> ses émotions. Le supportérisme est une forme d’évasion <strong>et</strong> d’exutoire aux<br />

tensions sociales. Mais, il est passionnel également au sens du crime passionnel tel que le<br />

définit Dufour-Gompers (op. cit., 96) « quand la passion [amoureuse] est présente avec ses<br />

ingrédients de trahison, jalousie, aveu, abandon, colère, réactions disproportionnées <strong>et</strong><br />

incontrôlées, passage <strong>à</strong> l’acte impulsif [...] », lorsque les clubs de supporters par l’usage de<br />

conduites agonistiques 61 , se concurrencent, s’opposent, recherchent l’hégémonie territoriale<br />

dans les tribunes... <strong>et</strong> quelquefois s’affrontent.<br />

Des permanences qui questionnent.<br />

61 Au sens éthologique du terme.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 71


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

C<strong>et</strong>te permanence <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te stabilité <strong>des</strong> discours dans le temps, malgré <strong>des</strong> recherches qui<br />

s’étendent sur 6 années, mais aussi dans l’espace, par la multiplication <strong>des</strong> interviews sur <strong>des</strong><br />

sites plus nombreux <strong>et</strong> géographiquement distincts nous ont interpellé, pour ne pas dire<br />

dérangé. Comment en eff<strong>et</strong> l’expliquer ?<br />

En multipliant les investigations nous pensions effectivement faire évoluer c<strong>et</strong>te typologie,<br />

voir se rapprocher certains <strong>sports</strong>, se niveler les distinctions <strong>entre</strong> le football <strong>et</strong> les autres<br />

<strong>sports</strong>, <strong>et</strong> bien d’autres choses encore. Il n’en est rien ou alors avec <strong>des</strong> nuances si bénignes<br />

que l’on peut les considérer comme dérisoires. A l’utopie d’avoir trouver « LA » vérité force<br />

nous était de nous interroger sur la construction de ces résultats.<br />

Notre première démarche fut de reprendre un <strong>à</strong> un tous les nouveaux <strong>entre</strong>tiens réalisés pour<br />

vérifier, si dans la démarche « semi-directive », nous n’avions pas induit par nos questions<br />

initiales <strong>et</strong> surtout nos relances, les réponses que nous espérions <strong>et</strong> que nous attendions. C<strong>et</strong>te<br />

lecture fut négative.<br />

La deuxième démarche a été de faire analyser les interviews par les étudiants qui travaillaient<br />

avec nous afin d’observer <strong>des</strong> différences éventuelles dans le dépouillement qui seraient dues<br />

<strong>à</strong> nouveau au chercheur induisant c<strong>et</strong>te fois-ci non pas les réponses mais les analyses. L<strong>à</strong><br />

encore <strong>à</strong> quelques détails près la réponse fut négative.<br />

Nous sommes obligé d’adm<strong>et</strong>tre que ce résultat nous a, <strong>et</strong> nous dérange toujours car, nous ne<br />

pouvons l’analyser que sous trois angles différents : technique tout d’abord, de l’illusion<br />

« quantitative » ensuite, culturelle enfin.<br />

Technique car c’est la grille initiale de dépouillement qui peut être en cause. La thématisation<br />

<strong>et</strong> le regroupement <strong>des</strong> items en thèmes, trop englobant, ou <strong>à</strong> l’inverse excluant, ont peut-être<br />

induit c<strong>et</strong>te stabilité. C’est <strong>à</strong> ce niveau tout <strong>à</strong> la fois une interrogation <strong>et</strong> si tel est le cas une<br />

déception face <strong>à</strong> une construction typologique que nous avions patiemment mise au point <strong>et</strong><br />

analysée. Nous n’avons pas de réponse <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong>.<br />

La deuxième est l’illusion « quantitative ». Bien qu’utilisant souvent <strong>des</strong> données relativement<br />

importantes en nombre nous ne pensons pas être obligatoirement un « quantitatif » forcené.<br />

Nos multiples enquêtes concernant le hooliganisme, <strong>à</strong> travers les carrières déviantes par<br />

exemple, mais aussi en ce qui concerne le dopage, l’homosexualité ou d’autres suj<strong>et</strong>s,<br />

montrent, si besoin était, que nos investigations ne reposent pas seulement sur l’étude de<br />

grands groupes, mais interrogent également les histoires de vie singulières de suj<strong>et</strong>s qui<br />

s’inscrivent dans un parcours social particulier. Mais nous avions, dans c<strong>et</strong>te démarche peutêtre<br />

négligé, ou oublié, l’hypothèse « ergodique » développée par Devereux (op. cit.). Le<br />

résultat pouvant tout aussi bien être fourni par un individu interrogé, <strong>et</strong> bien choisi, que par 10<br />

ou 100.<br />

La troisième est culturelle. Cela tient peut-être tout simplement, ou également, <strong>à</strong> <strong>des</strong> cultures<br />

de groupes qui, pour être <strong>des</strong> constructions souvent antagonistes, n’en sont pas moins <strong>des</strong><br />

constructions mimétiques qui s’ancrent <strong>et</strong> prennent sens dans un construit culturel qui, nous<br />

l’avons maintes fois montré, est fait de grands récits, d’histoires, de valeurs, <strong>et</strong>c. contés <strong>et</strong><br />

inculqués aux néophytes 62 au point d’en devenir, peut-être, un fondement culturel <strong>et</strong><br />

identitaire constant.<br />

Nous devons adm<strong>et</strong>tre que nous n’avons <strong>à</strong> ce jour aucune certitude face <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te permanence.<br />

Le supportérisme <strong>entre</strong> « officialisation » <strong>et</strong> ignorance : contractualisation <strong>et</strong> anomie.<br />

62 Voir <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> dans le chapitre 3 le paragraphe intitulé « de la rationnalité de l’acteur <strong>à</strong> l’influence <strong>des</strong><br />

minorités actives ».<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 72


Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

Les clubs de supporters au bask<strong>et</strong>-ball <strong>et</strong> au football se distinguent encore par l’engagement<br />

dans la voie de l’institutionnalisation <strong>et</strong> de l’officialisation. Dans les deux cas existent <strong>des</strong><br />

fédérations de supporters : la FAS 63 <strong>et</strong> l’UNCSB 64 dont l’objectif est de fédérer les différents<br />

groupes en instaurant <strong>des</strong> <strong>relations</strong> amicales <strong>et</strong> en établissant un code de déontologie <strong>des</strong><br />

supporters afin de prévenir les incidents potentiels. Si l’UNCSB regroupe la totalité <strong>des</strong> clubs<br />

de supporters de pro A <strong>et</strong> de pro B en bask<strong>et</strong>-ball <strong>à</strong> une exception près - le Granata Korp de<br />

Limoges -, la FAS n’a réussi <strong>à</strong> fédérer pour sa part que 27 clubs de supporters ce qui prouve<br />

la difficulté <strong>à</strong> rassembler <strong>et</strong> unir les supporters du football. Plusieurs explications potentielles<br />

existent. Tout d’abord, l’âge <strong>des</strong> supporters se conjugue avec une volonté d’autonomie<br />

d’action <strong>et</strong> de décision, au sortir de l’adolescence <strong>et</strong> au moment du passage dans la vie adulte.<br />

La distinction <strong>et</strong> l’opposition <strong>à</strong> la génération précédente, dans les espaces de liberté <strong>et</strong><br />

d’autonomie, dont ils disposent perm<strong>et</strong> aux jeunes de construire <strong>des</strong> identités individuelles <strong>et</strong><br />

collectives (Galland, 1997). « en prenant de l’âge, les jeunes adoptent progressivement les<br />

rôles <strong>et</strong> les statuts adultes » (Galland, 1998, 28).<br />

Comme l’ont montré nos <strong>entre</strong>tiens, c<strong>et</strong> âge influe beaucoup sur le désir d’indépendance de<br />

groupes qui se sont fréquemment constitués en dehors de toute aide <strong>des</strong> clubs de football,<br />

voire parfois, comme <strong>à</strong> Bordeaux, en opposition totale avec les dirigeants sportifs de<br />

l’époque. Par ailleurs, c<strong>et</strong>te volonté d’indépendance est plus forte lorsque les groupes sont<br />

composés d’éléments très jeunes, ou rassemblent <strong>des</strong> personnes issus <strong>des</strong> quartiers défavorisés<br />

<strong>et</strong> de zones sensibles. Cela semble lié <strong>à</strong> une fierté de réussir <strong>et</strong> de faire quelque chose de sa<br />

vie. Ainsi, lors de notre première rencontre <strong>à</strong> Marseille, RZ, un <strong>des</strong> leaders <strong>des</strong> South<br />

Winners, nous a fièrement montré le local fraîchement repeint, les aménagements effectués,<br />

les fauteuils récupérés, le bar construit de leurs mains <strong>et</strong> la décoration constituée de<br />

photographies de Marseille <strong>et</strong> du vieux port, celles <strong>des</strong> équipes <strong>et</strong> <strong>des</strong> joueurs qui ont marqué<br />

le club, les maillots autographiés offerts par les joueurs, <strong>et</strong>c. Mais en nous montrant cela, il<br />

insistait surtout sur le fait que c’était le fruit d’un travail communautaire, en dehors de toute<br />

aide du club 65 . Le résultat <strong>des</strong> efforts fournis par les jeunes membres du groupe issus pour la<br />

plupart <strong>des</strong> quartiers déshérités de Marseille (Quartiers nord <strong>et</strong> Panier), qui se sont relayés,<br />

jours <strong>et</strong> nuits, pour en arriver <strong>à</strong> ce résultat. Pour lui ce travail était aussi une revanche sur la<br />

vie, un moyen d’exister <strong>et</strong> de se reconstruire, pour ceux dont la vie semble promise <strong>à</strong><br />

l’exclusion.Dans ce manque de <strong>relations</strong> contractuelles, l’âge se conjugue également avec<br />

l’insertion sociale. Les <strong>relations</strong> privilégiées <strong>entre</strong> supporters du bask<strong>et</strong>-ball <strong>et</strong> dirigeants<br />

sportifs s’expliquent par l’appartenance <strong>à</strong> <strong>des</strong> catégories sociales proches. Il est aisé au<br />

président <strong>des</strong> Los Peones, club de supporters de Pau-Orthez, cadre supérieur au Midi-<br />

Olympique, de parler d’égal <strong>à</strong> égal avec le président du club. A l’inverse, au football, les<br />

jeunes supporters ne sont pas reconnus comme <strong>des</strong> interlocuteurs valables. Jeunes, non insérés<br />

socialement, issus de catégories sociales plus mo<strong>des</strong>tes, ne possédant pas l’habitus <strong>des</strong><br />

dirigeants, ils sont la plupart du temps ignorés, ou méprisés, <strong>et</strong> finissent par se persuader<br />

qu’ils sont les seuls <strong>à</strong> aimer l’équipe <strong>et</strong> <strong>à</strong> la défendre sans autre finalité que sa réussite. Certes,<br />

ces jeunes ne représentent rien, considérés trop souvent comme <strong>des</strong> délinquants potentiels,<br />

jugés sur leur langage <strong>et</strong> leurs tenues. Dès lors, ne peut-on faire nôtre les propos d’Elias <strong>et</strong><br />

Scotson (1965): « ces jeunes qui, sachant qu’ils indisposaient ceux qui les traitaient en parias,<br />

63 La FAS - Fédération <strong>des</strong> Associations de Supporters - a été créée en 1978 <strong>et</strong> a pour objectif de « d’œuvrer<br />

contre la violence <strong>et</strong> d’organiser la coopération <strong>entre</strong> les vrais supporters » (Lacombe, président de la FAS, in<br />

France Football n° 2603 du 27/2/96, p. 11). Le siège de la FAS se situe <strong>à</strong> la FFF.<br />

64 UNCSB : Union nationale <strong>des</strong> clubs de supporters de Bask<strong>et</strong>-Ball. C<strong>et</strong>te union, créée en 1993 <strong>à</strong> l’initiative <strong>des</strong><br />

clubs de Chol<strong>et</strong> <strong>et</strong> de Pau-Orthez, organise un congrès annuel pour fédérer les clubs de supporters, assurer une<br />

relation <strong>et</strong> a mis en place une charte de « bonne conduite » <strong>des</strong> clubs de supporters qui édicte <strong>des</strong> règles d’accueil<br />

<strong>et</strong> de comportement <strong>des</strong> supporters en Bask<strong>et</strong>.<br />

65 Tapie avait cependant octroyé une subvention aux Winners afin qu’ils puissent acquérir leur local.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 2 : Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong><br />

de recherche <strong>à</strong> partir de la question du hooliganisme<br />

trouvaient l<strong>à</strong> une incitation supplémentaire, peut-être l’incitation majeure <strong>à</strong> mal se conduire ».<br />

Au football, supporters <strong>et</strong> dirigeants, vivent une existence indépendante <strong>à</strong> travers une passion<br />

commune. Deux mon<strong>des</strong> s’affrontent : les possesseurs du pouvoir décisionnel <strong>et</strong> financier,<br />

représentants de l’ordre établi <strong>et</strong> de la classe bourgeoise <strong>et</strong>, ceux qui, souvent issus <strong>des</strong> classes<br />

populaires revendiquent un soutien passionnel en opposition aux logiques mercantiles du<br />

football.<br />

Comme le suggérait Broussard (op. cit.) les clubs possèdent en fait deux présidents : le<br />

détenteur du capital <strong>et</strong> un « un président parallèle ». L’adhésion <strong>à</strong> un organisme formel <strong>et</strong><br />

institutionnel est impossible dans ces conditions car elle exacerbe <strong>des</strong> conflits d’intérêts,<br />

concomitants <strong>à</strong> <strong>des</strong> logiques de recherche d’autonomie <strong>et</strong> de pouvoir. Elle est même ressentie<br />

comme une tentative de phagocytage par les instances footballistiques qui leur ont souvent<br />

opposé un déni d’existence ou tout au moins de reconnaissance. L’absence de <strong>relations</strong> ne fait<br />

que renforcer l’anomie sociale précédemment décrite.<br />

Les caractéristiques distinctives du football, que nous venons d’évoquer, ne sont pas un<br />

simple décorum, <strong>des</strong>tiné <strong>à</strong> emballer ou édulcorer nos propos, il s’agit bien de différences, qui<br />

perm<strong>et</strong>tent en l’état actuel, non pas de comprendre les actes de hooliganisme mais bien<br />

d’observer que le football offre <strong>des</strong> particularismes susceptibles de servir de réceptacle aux<br />

<strong>violences</strong>. Si tout le monde s’accorde <strong>à</strong> dire que le hooliganisme est « la dérive extrême du<br />

supportérisme », il reste cependant, <strong>à</strong> « passer du statut <strong>à</strong> l’expérience » en essayant<br />

d’observer, <strong>à</strong> travers l’exemple français, qui sont les hooligans <strong>et</strong> comment ils en sont arrivés<br />

<strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre ces <strong>violences</strong>. Les analyses proposées dans le chapitre suivant ne sont pas de<br />

simples reprises de nos travaux de thèse mais, au contraire, <strong>des</strong> analyses renouvelées en<br />

fonction <strong>des</strong> données recueillies depuis 1998 <strong>et</strong> complétées par de nouvelles<br />

approches comme la place <strong>des</strong> femmes ou les idéologies politiques, <strong>entre</strong> autres.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Sans être <strong>à</strong> feu <strong>et</strong> <strong>à</strong> sang, le football français connaît néanmoins aujourd’hui <strong>des</strong> incidents <strong>à</strong><br />

chaque rencontre de première division. Si la presse ne s’en fait pas l’écho systématique c’est<br />

tout simplement parce que les évènements se déroulent parfois loin <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>. Selon un<br />

rapport confidentiel <strong>des</strong> Renseignements Généraux en date du 17 décembre 2001, intitulé<br />

« hooliganisme, la violence supportériste » le phénomène tend <strong>à</strong> prendre de l’ampleur. Le<br />

nombre d’incidents <strong>et</strong> de blessés augmente chaque saison. Cependant la violence qui se donne<br />

<strong>à</strong> voir est le plus souvent une mise en scène ritualisée, verbale <strong>et</strong> anomique. Le passage <strong>à</strong><br />

l’acte demeure exceptionnel bien que fréquemment les forces de l’ordre interpellent <strong>des</strong><br />

supporters en possession de battes de base-ball, matraques, câbles électriques <strong>et</strong> autres armes<br />

par nature ou par <strong>des</strong>tination. L’usage <strong>et</strong> la possession d’armes par les jeunes supporters sont<br />

symboliques <strong>à</strong> un double niveau : d’un côté leur détention fascine <strong>et</strong> valorise 121 , même si la<br />

finalité première n’est pas de s’en servir mais de faire peur, de l’autre, elle marque une<br />

évolution vers <strong>des</strong> <strong>violences</strong> potentiellement plus graves ou moins contrôlées.<br />

La structure sociale en défaut ?<br />

De l’âge <strong>des</strong> publics violents <strong>à</strong> la rationalité <strong>des</strong> jeunes supporters<br />

Une remarque formulée par Debarbieux lors de notre soutenance de thèse, a particulièrement<br />

influencé, la suite de nos investigations <strong>et</strong> les analyses concernant les publics violents.. Il avait<br />

suggéré qu’il « serait riche pour la poursuite <strong>des</strong> recherches de traiter comme une « variable<br />

profil », les cas de <strong>violences</strong> perpétrées par <strong>des</strong> PCS défavorisées ou favorisées […] d’étudier<br />

les étu<strong>des</strong> en intra-groupe […] le sens politique ». Remarque pertinente car notre premier<br />

travail s’avérait plus « <strong>des</strong>criptif » qu’analytique nous avons donc cherché, par la suite, <strong>à</strong><br />

analyser plus précisément certains publics violents, comme les femmes, la rationalité de<br />

certains groupes, comme les noyaux durs, ou certaines caractéristiques de la violence, comme<br />

les <strong>violences</strong> politiques, autant d’analyses qui n’existaient pas dans nos premières<br />

investigations ou restaient au stade de simples évocations.<br />

Une simple question de latence psychosociale ?<br />

Pour identifier les hooligans, nous avons eu recours <strong>entre</strong> 1995 <strong>et</strong> 2000 a une enquête de<br />

« hooliganisme auto-révélée » 122 . 70,5 % de ceux qui reconnaissent s’être livrés <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

affrontements sont membres <strong>des</strong> noyaux durs <strong>des</strong> groupes de supporters. Ce taux confirme les<br />

données fournies par le service <strong>des</strong> renseignements généraux (Rouibi, op. cit.) ou le rapport<br />

établi par la Direction <strong>des</strong> Affaires Criminelles <strong>et</strong> <strong>des</strong> Grâces (1998), selon lesquels les<br />

membres <strong>des</strong> noyaux durs sont plus souvent que les autres supporters impliqués dans les<br />

événements hooligans. Il n’est cependant pas possible d’affirmer, ou d’en conclure, que tous<br />

les supporters sont <strong>des</strong> hooligans ou comm<strong>et</strong>tent <strong>des</strong> actes de <strong>violences</strong>, ni même que tous les<br />

« violents ou les déviants » sont <strong>des</strong> supporters, ou encore de réduire le supportérisme aux<br />

seuls faits de <strong>violences</strong> <strong>et</strong> de déviances. Les actes violents <strong>et</strong> déviants constituent simplement<br />

une partie, sans doute minoritaire, mais qui reste néanmoins une composante de leurs<br />

activités.<br />

121 Rejoignant les observations de Lepoutre (1997).<br />

122 Les supporters qui répondaient affirmativement <strong>à</strong> la question « avez-vous déj<strong>à</strong> participé <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements »<br />

étaient invités s’ils le désiraient <strong>à</strong> réaliser un <strong>entre</strong>tien.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 74


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Si les spectateurs ne sont que 29,5 % <strong>des</strong> « violents », ils présentent néanmoins <strong>des</strong><br />

caractéristiques similaires aux supporters. En eff<strong>et</strong>, 95,16 % d’<strong>entre</strong> eux sont <strong>des</strong> hommes,<br />

64,4 % ont moins de 25 ans, la plupart viennent très régulièrement aux matches (76,6 % <strong>à</strong><br />

chaque rencontre) enfin, 79,9 % viennent avec <strong>des</strong> amis <strong>et</strong> s’installent toujours au même<br />

emplacement dans le stade : principalement dans les virages <strong>à</strong> proximité <strong>des</strong> groupes de<br />

supporters. Ces données sont semblables <strong>à</strong> celles <strong>des</strong> membres <strong>des</strong> noyaux durs (91,2 % sont<br />

<strong>des</strong> hommes, 67,6 % ont moins de 25 ans <strong>et</strong> 86,2 % viennent <strong>à</strong> chaque match) <strong>et</strong> conformes<br />

aux facteurs habituellement avancés pour expliciter la délinquance ordinaire en France ou le<br />

hooliganisme anglo-saxon. La violence est juvénile, masculine <strong>et</strong> groupale.<br />

Si plus d’un individu sur deux ayant répondu positivement <strong>à</strong> la question « avez-vous déj<strong>à</strong><br />

participé <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements violents » a moins de 25 ans, comment interpréter ce résultat ? A<br />

l’instar <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> sur la délinquance, ou du taux <strong>des</strong> mises en examen pour crimes <strong>et</strong> délits<br />

publiés chaque année par le ministère de la justice, les jeunes (adolescents <strong>et</strong> jeunes adultes),<br />

sont effectivement sur représentés en matière de hooliganisme. Ne s’agit-il pas tout d’abord<br />

d’une simple tautologie ? Le football est, comme nous l’avons vu précédemment, le sport qui<br />

attire le public le plus grand nombre de jeunes, les jeunes se regroupent pour <strong>des</strong> raisons<br />

d’ambiance <strong>et</strong> d’affinités dans les groupes de supporters, les supporters sont principalement<br />

ceux qui comm<strong>et</strong>tent les actes de hooliganisme, c<strong>et</strong>te forme de violence est plus présente dans<br />

le football que dans les autres <strong>sports</strong>, <strong>et</strong>c. Il ne s’agit en fait rien d’autre que du principe de<br />

« récursion organisationnelle » : le résultat devenant cause première (Morin, 1977)<br />

A l’inverse il existe une dynamique de l’âge. Si les 17-24 ans comm<strong>et</strong>tent 56,8 % <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> <strong>et</strong> les plus de 40 ans 5,7 % seulement, les moins de 17 ans, en s’engageant dans le<br />

supportérisme, vont être confrontés <strong>à</strong> la violence <strong>et</strong>, pour certains du moins, recourir<br />

progressivement <strong>à</strong> <strong>des</strong> conduites agonistiques. Cela s’explique par un désir mimétique, mais<br />

également par la volonté d’être reconnus, acceptés, intégrés par leurs aînés, voire encore pour<br />

défendre les valeurs de leur groupe. Mais les comportements violents de ces jeunes<br />

s’expliquent aussi par leur moindre respect <strong>des</strong> aspects normatifs. Ils sont plus tolérants vis <strong>à</strong><br />

vis de la violence physique, la réprouvant peu, <strong>et</strong> dans tous les cas moins que les adultes, tant<br />

qu’il n’est pas fait utilisation d’armes (Roché, 2001). C<strong>et</strong>te analyse se r<strong>et</strong>rouve dans plusieurs<br />

récits de vie de supporters. Ainsi S. (leader <strong>des</strong> Ultramarines Bordeaux) affirme :<br />

« A 20 ans, j’ai fait <strong>des</strong> trucs incroyables, on a « caillassé » <strong>des</strong> bus de supporters,<br />

on s’est rendu <strong>à</strong> Strasbourg avec <strong>des</strong> battes de base-ball, on a cherché <strong>des</strong><br />

supporters adverses partout en ville… Bon c’est vrai que maintenant avec le recul,<br />

je me dis… mais comment j’ai pu faire tout ça ! J’aurais jamais dû ! Mais bon, on<br />

y croyait, on défendait les valeurs du groupe, tout ça. Avec l’âge tout semble<br />

moins important, <strong>et</strong> puis la plupart de ceux avec qui j’étais sont mariés, installés,<br />

c’est plus la même chose. Plus jeunes, on rigolait, on faisait <strong>des</strong> conneries, c’était<br />

<strong>à</strong> celui qui en ferait le plus… » (interview réalisée en 1997).<br />

Observer que jeunes <strong>et</strong> <strong>violences</strong> tendent <strong>à</strong> se conjuguer ne suffit cependant pas <strong>à</strong> définir « les<br />

jeunes » comme une classe « dangereuse », ce qui reviendrait selon Dub<strong>et</strong> « <strong>à</strong> considérer la<br />

jeunesse comme une classe sociale. [...] La période de latence psycho-sociale de la jeunesse<br />

<strong>des</strong> sociétés modernes est recouverte dans la galère par le zonage social, le chômage, les p<strong>et</strong>its<br />

travaux, la faiblesse <strong>des</strong> attachements, une vie chaotique, <strong>des</strong> opportunités délinquantes [...]<br />

l’acteur <strong>des</strong> classes sociales dangereuses est un garçon de vingt ans, sans qualification ou<br />

ayant décroché, souvent au chômage, souvent immigré <strong>et</strong> vivant dans les gran<strong>des</strong> cités de<br />

banlieue » (1987, 158). La maturité, qui a, en règle générale, pour corollaire une intégration<br />

normative <strong>et</strong> un contrôle de soi plus important, se traduit par une moindre participation aux<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 75


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

affrontements. En intégrant effectivement les statuts, les rôles <strong>et</strong> les normes <strong>des</strong> adultes le<br />

public jeune adopte également une « distance au rôle » en tant que spectateur ou supporter.<br />

Age <strong>et</strong> rationalité de l’acteur<br />

Ces analyses, dont nous nous sommes longtemps contenté, dans un premier temps,<br />

circonscrivent, <strong>et</strong> limitent cependant la violence, <strong>à</strong> la construction d’identités individuelles,<br />

fondues dans une identité collective, dans une période d’incertitude sociétale. La question de<br />

l’âge n’est pas contestable. Les moins de 24 ans sont les plus nombreux <strong>à</strong> se comporter<br />

violemment. Nous avons changé de perspective en nous demandant si la violence a un sens <strong>et</strong><br />

une finalité pour eux ? Si elle leur perm<strong>et</strong> de construire une identité individuelle <strong>et</strong> d’obtenir<br />

rang <strong>et</strong> place dans la société, fut-elle restreinte aux seuls groups de supporters ?<br />

Il est intéressant d’observer que ceux qui reconnaissent avoir participé « souvent » 123 aux<br />

<strong>violences</strong> occupent une place hiérarchiquement plus élevée que les autres au sein du noyau<br />

dur. La structure <strong>des</strong> groupes de supporters semble s’établir ainsi, en partie, sur la violence ou,<br />

tout au moins, sur les bénéfices symboliques qu’elle procure <strong>à</strong> ses auteurs. C<strong>et</strong>te observation<br />

nous renvoie inéluctablement <strong>à</strong> l’une <strong>des</strong> caractéristiques de la déviance pour Becker (op.<br />

cit.) : un ensemble de comportements acquis dans le cadre d’une action collective, de la<br />

participation <strong>à</strong> un groupe déviant, d’interactions <strong>et</strong> d’expériences dans lequel un individu<br />

« normal » va peu <strong>à</strong> peu trouver plaisir, mais également apprendre <strong>à</strong> mener <strong>à</strong> bien <strong>des</strong> activités<br />

déviantes avec le moins d’ennuis possibles. Ainsi, c<strong>et</strong> individu « déviant » est amené <strong>à</strong> tenir<br />

successivement divers rôles <strong>et</strong> positions qui, sur le long terme, peuvent s’apparenter <strong>à</strong> une<br />

carrière. En r<strong>et</strong>enant c<strong>et</strong>te définition de la déviance <strong>et</strong> de la carrière déviante, un second<br />

questionnement s’impose : les leaders <strong>des</strong> groupes de supporters répondent-ils de c<strong>et</strong>te<br />

logique ? Leur inscription dans le supportérisme, leur participation aux diverses activités du<br />

groupe, leur ascension dans la hiérarchie de celui-ci, l’acquisition d’un statut s’apparentent<br />

t’ils <strong>à</strong> une carrière déviante dans laquelle le hooliganisme tiendrait une place de choix ? Ce<br />

questionnement s’inscrit donc dans une définition culturaliste du statut <strong>et</strong> du rôle. Le rôle ne<br />

représentant que l’aspect dynamique du statut, la mise en œuvre <strong>des</strong> droits <strong>et</strong> devoirs qui<br />

constituent le statut (Linton, op. cit.). Ce double questionnement revient <strong>à</strong> se demander qui<br />

sont les leaders Ultras, s’ils ont <strong>des</strong> caractéristiques communes en terme de carrière déviante ?<br />

Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’au désordre, <strong>et</strong> au tumulte, apparent <strong>des</strong> tribunes<br />

répond en fait une organisation très hiérarchisée. Mais en dehors de la structuration<br />

traditionnelle <strong>des</strong> groupes existe en fait une multitude de statuts <strong>et</strong> de rôles. Aux « capos »<br />

italiens se substituent <strong>des</strong> responsabilités propres au soutien festif du matériel, de la bâche,<br />

<strong>des</strong> drapeaux <strong>et</strong> autres étendards, obj<strong>et</strong>s hautement symboliques qui authentifient <strong>et</strong> signent la<br />

présence du groupe dans le stade, sa capacité <strong>à</strong> rassembler, <strong>à</strong> organiser, <strong>à</strong> être tout simplement<br />

l<strong>à</strong>. Le mégaphone qui harangue la foule <strong>et</strong> provoque les chants, les tifos mais aussi les<br />

quolib<strong>et</strong>s <strong>et</strong> autres lazzis. Les responsables <strong>des</strong> tifos <strong>et</strong> de leur mise place par la délimitation<br />

du virage, la disposition de papiers multicolores ou de tout autre obj<strong>et</strong> pouvant servir <strong>à</strong><br />

construire une animation bigarrée, colorée <strong>et</strong> remarquable. Mais il existe également d’autres<br />

rôles moins connus <strong>et</strong> plus obscurs. C’est le cas de « l’aggro leader », parfois dénommé<br />

clown, dont le rôle est d’attiser, provoquer <strong>et</strong> fustiger les supporters adverses. L’objectif est<br />

davantage la provocation que l’affrontement, la dérision de l’autre ou la peur inspirée <strong>à</strong> l’autre<br />

pour le faire fuir, sans qu’il n’y ait de rencontre brutale, lui faisant perdre ainsi toute dignité.<br />

C’est également celui <strong>des</strong> responsables de la « communication » dans certains groupes, en<br />

123 Selon les questions définis dans la méthodologie.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

charge de filmer ou photographier les affrontements. Films qui seront diffusés plus tard dans<br />

le local, pour le plaisir de revivre l’événement, mais aussi pour l’instruction culturelle <strong>et</strong><br />

agonistique <strong>des</strong> plus jeunes. Les photos paraîtront dans les fanzines, ou s’afficheront au mur,<br />

rappelant ainsi la force, la puissance <strong>et</strong> l’invincibilité du groupe. Ce sont aussi les leaders <strong>à</strong><br />

proprement parler du groupe ceux qui lancent les ordres <strong>et</strong> déclenchent l’ensemble <strong>des</strong><br />

actions, qui appellent parfois <strong>à</strong> « la course », c’est <strong>à</strong> dire <strong>à</strong> poursuivre <strong>et</strong> violenter les<br />

supporters adverses.<br />

La première chose observable, est la « distinction » qui authentifie le statut <strong>et</strong> l’appartenance<br />

au noyau dur. Les membres <strong>des</strong> noyaux durs, quel que soit le groupe, portent tous <strong>des</strong> insignes<br />

distincts <strong>des</strong> autres membres. Ce peut être de simples écussons, <strong>des</strong> croix gammées, ou <strong>des</strong><br />

aigles, comme dans certains groupes du Paris Saint Germain, ou encore un bombers 124 , qui se<br />

porte r<strong>et</strong>ourné, doublure orange visible comme dans le cas <strong>des</strong> South Winners marseillais. Ces<br />

insignes distinctifs sont autant de signifiants qui authentifient un rôle <strong>et</strong> un statut particulier au<br />

sein du groupe auprès <strong>des</strong> autres membres, mais également <strong>à</strong> ceux <strong>des</strong> autres groupes de<br />

supporters. Certains supporters associent insignes distinctifs, noyaux durs <strong>et</strong> violence :<br />

« lorsque les membres du noyau dur sont l<strong>à</strong>, ceux qui portent le bombers orange,<br />

ce n’est pas la peine de chercher l’affrontement parce que tu sais eux ce sont les<br />

plus forts, ils sont invaincus, partout même <strong>à</strong> Paris tout le monde en a peur, tu les<br />

reconnais tout de suite <strong>et</strong> vaut mieux les éviter » (Supporter Magic Fans,<br />

stéphanois, 2001).<br />

Fantasme, propos visant <strong>à</strong> discriminer l’autre ou réalité ? Tout est possible dans le<br />

supportérisme où parler de l’autre, sur l’autre, est un jeu qui perm<strong>et</strong> également de se disculper<br />

d’éventuelles accusations tout en construisant <strong>et</strong> renforçant l’identité <strong>et</strong> la culture distinctive<br />

de son groupe.<br />

Deuxième observation, les leaders Ultras. Ce sont tous <strong>des</strong> « leaders charismatiques » (Weber,<br />

1919). Les autres membres parlent d’eux comme ayant fait leurs preuves, comme s’étant<br />

investis <strong>à</strong> fond dans le groupe <strong>et</strong> ayant défendu les valeurs de celui-ci. Comme dans « Le<br />

métier <strong>et</strong> la vocation d’homme politique » les leaders trouvent donc leur légitimité dans <strong>des</strong><br />

qualités reconnues <strong>et</strong> valorisées dans le groupe, <strong>et</strong> par le groupe, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> actes<br />

d’héroïsme pour défendre <strong>et</strong> affirmer également la force <strong>et</strong> la puissance de celui-ci. Il n’est<br />

pas besoin, ni même question, d’élection dans les groupes de supporters qui sont pourtant <strong>des</strong><br />

associations. Les leaders sont donc <strong>des</strong> individus qui ayant fait preuve de leur loyauté, de leur<br />

courage <strong>et</strong> de leur engagement ont été reconnus, nommés, « portés » <strong>à</strong> ce statut par leurs pairs,<br />

désignés par les autres membres qui leur sont entièrement dévoués. Car il est en eff<strong>et</strong> possible<br />

de parler de dévotion <strong>et</strong> d’attitude empreintes de crainte <strong>et</strong> de respect, qui entourent, <strong>et</strong><br />

accompagnent, les leaders. Tout cela est accentué par le respect <strong>des</strong> néophytes vis <strong>à</strong> vis <strong>des</strong><br />

plus anciens. Personne n’ose contester la suprématie <strong>des</strong> leaders, leur discours ou leurs ordres.<br />

La perte du pouvoir ne peut se concevoir que pour un leader qui ne serait plus totémique <strong>et</strong><br />

mènerait le groupe vers une négation <strong>des</strong> valeurs sur lesquelles il s’est construit, ou dans <strong>des</strong><br />

actions qui lui feraient perdre de son prestige. Les exemples ne manquent pas. Les Devils<br />

(Supporters bordelais) évoquent ainsi l’éviction de leur ancien leader :<br />

« il ne pouvait plus être le chef, ce n’était plus possible, ne pas bâcher <strong>à</strong> M<strong>et</strong>z c’était<br />

trop. On allait devenir un groupe de rien qui avait peur de se déplacer, de montrer<br />

qu’il était l<strong>à</strong>. Non c’était pas possible pour être reconnu comme un grand groupe, il<br />

124 Reproduction du blouson d’aviateur.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

faut pas seulement faire <strong>des</strong> tifos, il faut aussi aller au baston même si ça ne nous fait<br />

pas rire mais c’est une question d’honneur <strong>et</strong> de survie ».<br />

Parfois cohabitent un président, responsable officiel, déclaré en tant que tel <strong>à</strong> la préfecture, <strong>et</strong><br />

un ou plusieurs leaders, véritables responsables du groupe, comme chez les South Winners<br />

marseillais. Le premier s’occupe de la gestion du groupe <strong>et</strong> les autres de l’activité proprement<br />

dite de supporters.<br />

Troisième observation : le poids du secr<strong>et</strong>. Personne ne répond ouvertement <strong>à</strong> la question de<br />

savoir comment on devient membre du noyau dur. Ou alors de manière allusive <strong>et</strong> évasive :<br />

« il faut faire ses preuves… il faut être savoir défendre les valeurs du groupe… ». En<br />

interrogeant <strong>des</strong> membres néophytes sur c<strong>et</strong>te question il nous est arrivé maintes fois d’être<br />

interrompu par <strong>des</strong> membres plus anciens qui, en s’immisçant dans la conversation,<br />

détournaient les réponses ou provoquaient le mutisme de nos interviewés. Puisque l’objectif<br />

semblait être de les empêcher de parler c’est que nous approchions du fondement même du<br />

problème de l’acquisition <strong>des</strong> statuts <strong>et</strong> <strong>des</strong> rôles. C<strong>et</strong>te question du secr<strong>et</strong> rejoint celle de<br />

l’intégration au groupe. Comment en eff<strong>et</strong> les nouveaux sont-ils intégrés ? A ce nouveau<br />

questionnement suit le même type de réponse fuyante <strong>et</strong> ambiguë : « en faisant ses preuves » !<br />

Les Winners distinguent, par exemple, l’inscription de l’intégration, le fait d’être membre<br />

(payer sa cotisation) <strong>et</strong> le fait d’être accepté <strong>et</strong> reconnu comme un élément valable <strong>à</strong> qui il est<br />

possible de faire confiance. Certains évoquent même alors, dans ce groupe, comme dans<br />

d’autres, <strong>des</strong> rites initiatiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> rites intégratifs, les premiers consistant en la réalisation<br />

d’épreuves nécessaires <strong>à</strong> l’entrée dans la communauté, les seconds marquant l’adoption <strong>et</strong> la<br />

réception <strong>des</strong> néophytes par les membres plus anciens. Ce processus nous renvoie au double<br />

mécanisme de l’intégration. Il s’agit tout d’abord d’un acte délibéré <strong>et</strong> rationnel d’un individu<br />

attiré par les valeurs <strong>et</strong> l’esprit d’un groupe particulier. Mais il existe également l’autre<br />

versant celui du groupe qui accepte, ou non, de recevoir ce nouveau membre en qui il<br />

reconnaît un individu capable de partager les idéaux <strong>et</strong> les valeurs du groupe. A ce niveau il y<br />

un choix délibéré de l’individu d’abandonner une partie de lui-même au profit <strong>des</strong> valeurs <strong>et</strong><br />

de la culture du groupe auquel il aspire. C’est un choix conscient de la part de chacun <strong>des</strong><br />

nouveaux membres qui veut intégrer le groupe au sein du noyau dur. Les autres peuvent<br />

toujours participer aux activités annexes, aux tifos, aux chants <strong>et</strong> aux déplacements, mais ils<br />

ne seront pas reconnus comme étant <strong>des</strong> membres « initiés ». Il ne s’agit rien d’autre que du<br />

fonctionnement habituel <strong>des</strong> « sociétés secrètes » (Simmel, 1908 ; Martin Saint-Léon, 1901).<br />

Le poids du secr<strong>et</strong> est omniprésent <strong>et</strong>, ce n’est qu’en interprétant les dires <strong>et</strong> les faits, les nondits<br />

<strong>et</strong> les actions observables, en croisant les discours <strong>des</strong> membres <strong>des</strong> différents groupes les<br />

uns sur les autres que l’on peut interpréter l’importance <strong>des</strong> <strong>violences</strong> dans les sous-cultures<br />

déviantes. Le secr<strong>et</strong> est d’ailleurs un élément intégrateur, qui perm<strong>et</strong> de gagner la confiance<br />

<strong>des</strong> autres membres <strong>et</strong> de protéger le groupe. Pour être intégrés les nouveaux membres<br />

doivent participer activement au fonctionnement de la communauté.<br />

Les leaders <strong>des</strong> grands groupes Ultras ont une caractéristique supplémentaire : ils ont tous été<br />

interpellés, voire condamnés, dans le cadre de la loi Alliot-Marie (1995). Ainsi, LS <strong>à</strong><br />

Bordeaux pour « caillassage » d’un bus, RZ <strong>et</strong> C <strong>à</strong> Marseille pour agression physique, LT <strong>à</strong><br />

Marseille pour <strong>violences</strong> <strong>et</strong> pour avoir introduit dans le stade vélodrome une camionn<strong>et</strong>te de<br />

fumigènes <strong>et</strong>c. Aucun leader de groupe important en nombre <strong>et</strong> en réputation, quel que soit le<br />

club, n’échappe <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te règle. Interpellations <strong>et</strong> condamnations qui demandent cependant <strong>à</strong><br />

être nuancées par le simple fait qu’il est qui plus est plus facile d’arrêter les leaders connus, <strong>et</strong><br />

reconnaissables, qu’un individu quelconque. Arrêter un leader c’est aussi adresser un message<br />

<strong>à</strong> l’ensemble du groupe en lui signifiant d’une certaine manière « faites attention, n’allez pas<br />

trop lion ».<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Enfin dernier comportement observable : celui de leaders <strong>à</strong> la limite de la clan<strong>des</strong>tinité,<br />

filtrant les rendez-vous <strong>et</strong> se défiant <strong>des</strong> interlocuteurs appréhendés comme <strong>des</strong> ennemis<br />

potentiels. L’exemple du premier rendez-vous près du vieux port au bar « Le Pirheas » avec<br />

RZ, responsable d’un groupe particulièrement connu pour sa violence, ne se limite pas <strong>à</strong> la<br />

seule question de la confiance dans le chercheur. S’il se méfiait c’est que les supporters<br />

parisiens avaient mis sa tête <strong>à</strong> prix <strong>et</strong> qu’il était obligé de filtrer les rendez-vous.<br />

Affabulation ? Non car cela nous sera confirmé par les supporters parisiens eux-mêmes.<br />

Les rites intégratifs comportent, en fait, de nombreuses épreuves agonistiques : participation <strong>à</strong><br />

<strong>des</strong> affrontements ou <strong>à</strong> <strong>des</strong> expéditions punitives ; obligation de rapporter <strong>des</strong> trophées<br />

(insignes arrachés durant les affrontements, drapeaux ou banderoles volés aux supporters<br />

adverses) ; saccage <strong>des</strong> locaux <strong>des</strong> supporters adverses en déplacement avec l’obligation d’en<br />

ramener la preuve (photos ou vidéos <strong>des</strong> affrontements qui comme dans le cas <strong>des</strong><br />

Ultramarines seront montrés aux nouveaux <strong>et</strong> commentés).<br />

Les jeunes supporters, en quête de reconnaissance sociale, qui veulent devenir leaders de leur<br />

groupe ou être intégrés au noyau dur doivent satisfaire <strong>à</strong> ces rites. D’ores <strong>et</strong> déj<strong>à</strong>, on peut<br />

distinguer deux formes de hooliganisme : la première, résultant d’un fait ponctuel, imprévu <strong>et</strong><br />

pour lequel les individus n’ont d’autre choix que de répondre, la seconde, résultant d’un<br />

calcul, qui est un calcul rationnel <strong>et</strong> deviendrait alors un mode de vie. Nous y reviendrons.<br />

Dépasser la question du handicap socio-violent.<br />

Si la question de la classe d’âge ne diffère en rien <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> anglo-saxonnes, celle du<br />

déterminisme social est moins évidente. Ceux qui reconnaissent participer « fréquemment »<br />

ou « souvent » aux affrontements ne sont pas tous, loin s’en faut, <strong>des</strong> déshérités sociaux.<br />

Tous sexes confondus 39,21 % d’<strong>entre</strong> eux sont élèves, ou <strong>des</strong> étudiants <strong>et</strong> 83,7 % sont insérés<br />

professionnellement. 37,8 % <strong>des</strong> « élèves <strong>et</strong> étudiants violents » ont un père cadre supérieur.<br />

Ce chiffre est au-<strong>des</strong>sus de la moyenne nationale (35,7 %, source Ministère de l’éducation<br />

nationale 2000). 21,3 % ont <strong>des</strong> parents appartenant aux professions intermédiaires <strong>et</strong><br />

seulement 3 % d’<strong>entre</strong> eux ont un parent au moins au chômage. 67,5 % possèdent un diplôme<br />

de niveau 2 ou sont en licence. La catégorie « élèves étudiants » ne relève en rien d’un<br />

quelconque défaut dans la structure sociale qui pourrait les conduire <strong>à</strong> se comporter de<br />

violemment.<br />

La catégorie « chômeurs violents » représente, quant <strong>à</strong> elle, le double de la population<br />

normalement attendue au stade, en fonction <strong>des</strong> répartitions <strong>des</strong> unités urbaines. Pourtant peu<br />

d’<strong>entre</strong> eux sont <strong>des</strong> déshérités sociaux en situation précaire. La plupart (71,17 %) appartient <strong>à</strong><br />

la catégorie <strong>des</strong> 17-25 ans, diplômés, mais en recherche d’un premier emploi, leurs parents ne<br />

sont pas exclus socialement <strong>et</strong> se répartissent de façon équiprobable en référence <strong>à</strong> la<br />

population mère. Pour nuancer ces propos, il faut indiquer que les enquêtes ont été<br />

essentiellement effectuées <strong>entre</strong> 1995 <strong>et</strong> 1998, époque <strong>à</strong> laquelle le chômage était encore fort.<br />

Le taux de chômage <strong>des</strong> jeunes, leurs difficultés <strong>à</strong> trouver un premier emploi stable sont<br />

évidemment plus importants en tant de crise qu’en période de croissance économique ou de<br />

plein emploi.<br />

Les « violents insérés professionnellement » ne forment pas non plus une catégorie<br />

homogène. 12 d’<strong>entre</strong> eux sont commerçants ou chefs d’<strong>entre</strong>prise, 41 appartiennent <strong>à</strong> la<br />

catégorie <strong>des</strong> « cadres <strong>et</strong> professions intellectuelles supérieures », 30 aux professions<br />

intermédiaires. Le point commun n’est donc pas l’appartenance <strong>à</strong> une classe sociale<br />

défavorisée mais, le recours <strong>à</strong> la violence d’individus socialement hétérogènes. Certes<br />

l’insertion professionnelle n’implique pas obligatoirement l’épanouissement de chacun dans<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

son travail. Certains peuvent ressentir un désarroi, ou une désillusion, face <strong>à</strong> <strong>des</strong> possibilités<br />

de mobilité sociale réduites, <strong>à</strong> <strong>des</strong> perspectives professionnelles incertaines, ou encore <strong>à</strong> cause<br />

d’une contre mobilité sociale intergénérationnelle ou personnelle. La crise <strong>des</strong> identités<br />

(Dubar, 2000) est liée <strong>à</strong> <strong>des</strong> conjonctures économiques, sociales, politiques, mais aussi<br />

symboliques, qui s’inscrivent dans <strong>des</strong> trajectoires personnelles <strong>et</strong> <strong>des</strong> histoires collectives.<br />

Nous touchons aux limites de c<strong>et</strong>te étude qui ne fait pas apparaître l’intégralité <strong>des</strong><br />

professions précédemment exercées par ces individus, ou encore une évaluation de la<br />

satisfaction éprouvée dans leur travail. A l’inverse, ils possèdent deux caractéristiques<br />

majoritairement communes : 88,2 % d’<strong>entre</strong> eux sont <strong>des</strong> hommes <strong>et</strong> 74,9 % d’<strong>entre</strong> eux ont<br />

moins de 27 ans. Ces observations rejoignent celles de la délinquance ordinaire : l’exclusion<br />

ne peut pas expliquer seule la délinquance <strong>et</strong> les comportements déviants. Elle n’est qu’un<br />

facteur de risque parmi d’autres. Ce n’est que « lorsque les désavantages sociaux se cumulent<br />

– faible revenu familial, habitat <strong>et</strong> quartier délabrés, famille nombreuse - qu’il apparaît une<br />

corrélation statistique significative <strong>entre</strong> pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> délinquance » (Fillieule, 2001, 66). Nos<br />

résultats diffèrent ainsi d’une manière importante <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> anglo-saxonnes, issues,<br />

rappelons-le, <strong>des</strong> statistiques policières, alors qu’il s’agit ici d’une enquête de « violence autorévélée<br />

».<br />

Sur les données recueillies tardivement, la double hypothèse de la contre mobilité sociale<br />

(générationnelle ou intergénérationnelle) s’avère, dans l’état actuel <strong>des</strong> choses, totalement<br />

inopérante.<br />

Le hooliganisme : masculinité agressive ou rôles sexuellement<br />

partagés ?<br />

Très longtemps nous avons tenu pour acquis le caractère sexué du hooliganisme, n’hésitant<br />

pas <strong>à</strong> affirmer, d’une manière péremptoire <strong>et</strong>, ce, sans aucun relativisme : qu’« aucune<br />

question n’est <strong>à</strong> se poser sur le sexe <strong>des</strong> 366 individus concernés par le taux anormal de<br />

participation aux affrontements, ils sont tous de sexe masculin » (Bodin, 1999, 103). Nous<br />

avions alors versé dans la tendance que nous avons assez longuement critiqué de ne prendre<br />

en considération que les catégories les plus représentées en nombre pour comprendre le<br />

hooliganisme. C’était en fait une position réductrice, qui ne prenait pas assez en compte la<br />

genèse <strong>et</strong> le développement <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, renforcée par le fait que les groupes de supporters<br />

sont constitués très majoritairement d’hommes.<br />

Deux facteurs vont contribuer <strong>à</strong> reconsidérer c<strong>et</strong>te analyse. Le premier est la rencontre en<br />

1999/2000, d’une étudiante de maîtrise de l’UFR Staps de Bordeaux, venue me proposer la<br />

construction d’un mémoire de recherche sur les supporters bordelais. En élaborant avec elle<br />

son travail, <strong>et</strong> en discutant de ses connaissances préalables, elle en vient <strong>à</strong> évoquer son<br />

appartenance, révolue, <strong>à</strong> un p<strong>et</strong>it groupe bordelais de hooligans d’extrême droite. Dans ce<br />

groupe composé d’une cinquantaine d’individus, connus pour leurs méfaits, elles étaient une<br />

dizaine de jeunes femmes. Le second est la lecture de deux ouvrages (Dauphin <strong>et</strong> Farge,<br />

1997 ; Badinter, 2003) qui, <strong>à</strong> partir d’approches distinctes, que l’on peut qualifier d’étu<strong>des</strong> de<br />

cas, en ce qui concerne le premier, <strong>et</strong> d’essai, pour le deuxième, arrivent <strong>à</strong> poser la question<br />

d’une violence <strong>des</strong> femmes trop souvent inexplorée. Le hooliganisme n’échappe pas <strong>à</strong> la<br />

règle. C’est c<strong>et</strong> oubli que nous avons tenté de combler récemment en nous interrogeant sur<br />

l’existence d’un paralogisme ou d’une réalité sociale éludée ? (Bodin, <strong>et</strong> al. 2004b)<br />

Comme affirmé précédemment, très souvent pour ne pas dire trop souvent le hooliganisme est<br />

appréhendé <strong>et</strong> caractérisé dans ses variances <strong>à</strong> partir de son expression finale qui peut revêtir<br />

différentes formes <strong>et</strong> investir divers mo<strong>des</strong> d’affrontements : la violence physique ou la<br />

dégradation de biens <strong>et</strong> matériels. Or, c<strong>et</strong>te catégorisation du hooliganisme <strong>à</strong> partir de ses<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

types de productions, pour objective qu’elle puisse sembler se révéler, n’indique en aucune<br />

façon la manière dont <strong>des</strong> individus, bien souvent ordinaires, en arrivent <strong>à</strong> comm<strong>et</strong>tre pareils<br />

actes.<br />

Une telle approche révèle par contraste les biais qualitatifs qu’elle est supposée réduire. En<br />

eff<strong>et</strong>, comment échapper au caractère a priori sexué du hooliganisme dès lors qu’est r<strong>et</strong>enue<br />

pour unique définition du hooliganisme celle de la violence physique la plus dure,<br />

matérialisée par le sang versé <strong>et</strong> la <strong>des</strong>truction <strong>des</strong> biens ? Si la validité de la statistique<br />

criminelle est depuis toujours passionnément débattue (Cusson, 1989 ; Roché, 1994 ; Robert<br />

<strong>et</strong> al., op. cit. ; Fillieule, op.cit., <strong>entre</strong> autres), la question du genre est un fait reconnu depuis<br />

bien longtemps dans la construction <strong>des</strong> actes délictueux (Chesnais, 1981). Or, aucune étude,<br />

quel que soit le champ disciplinaire ou le pays considérés, n’aborde la question de la<br />

participation <strong>des</strong> femmes dans le hooliganisme. Ce qui pose un certain nombre de questions.<br />

Faut-il pour autant en déduire qu’il n’existe aucune femme hooligan ? Ou bien encore, faut-il<br />

comprendre que, si ces femmes ne participent pas directement aux affrontements les plus<br />

violents pour <strong>des</strong> raisons « physiques », leur rôle dans l’émergence <strong>et</strong> l’accomplissement <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> hooliganistiques se situe dans un ailleurs qu’il s’agit d’identifier ? Participent-elles<br />

de la construction de la violence, sont-elles <strong>à</strong> la genèse, au même titre que les hommes, de la<br />

logique oppositive, jouent-elles dans la violence un ou <strong>des</strong> rôles particuliers, font-elles l’obj<strong>et</strong>,<br />

ou exercent-elles <strong>des</strong> <strong>violences</strong> spécifiques ? Enfin, <strong>à</strong> considérer qu’il existe effectivement <strong>des</strong><br />

femmes hooligans : comment comprendre le déni de reconnaissance qui participe <strong>à</strong> rendre<br />

socialement <strong>et</strong> culturellement invisible leur participation aux actes délictueux ? Autrement dit,<br />

dans quels types d’enjeux s’inscrit la relégation ou la négation du hooliganisme féminin ?<br />

N’en parle t-on pas tout simplement, comme c’est le cas dans la criminalité ordinaire, parce<br />

qu’il est plus aisé de rendre compte <strong>des</strong> actes masculins très majoritairement représentés dans<br />

les comportements agonistiques ? S’agit-il au contraire d’une volonté délibérée qui, niant la<br />

violence féminine, a pour vocation de ne pas effrayer en laissant <strong>à</strong> penser que la violence <strong>des</strong><br />

supporters puisse s’étendre <strong>à</strong> toutes les couches sociales <strong>et</strong> aux deux sexes ?<br />

Cherchant <strong>à</strong> déterminer la place <strong>des</strong> femmes les réponses <strong>à</strong> la participation aux actes<br />

hooligans montrent le caractère particulièrement sexué de c<strong>et</strong>te forme de violence.<br />

Affrontements<br />

Sexe<br />

Oui Non Total<br />

Masculin 91,2 (271) 70,8 (165) 82,3 (436)<br />

Féminin 8,8 ( 26) 29,2 ( 68) 17,7 ( 94)<br />

Total 100 (297) 100 (233) 100 (530)<br />

Participation aux actes hooligans en fonction du sexe 125<br />

La dépendance est très significative. chi2 = 37,35, ddl = 1, 1-p = >99,99%.<br />

Ces chiffres ne dérogent en rien <strong>à</strong> la sur-représentation masculine, communément admise <strong>et</strong><br />

chiffrée, en matière de délinquance <strong>et</strong> de violence. Il est inutile de revenir l<strong>à</strong>-<strong>des</strong>sus. En eff<strong>et</strong>,<br />

les femmes reconnaissant participer aux actes de violence physique ne représentent que 8.8 %<br />

du total <strong>des</strong> individus violents, ce qui est très n<strong>et</strong>tement inférieur aux pourcentages de femmes<br />

mises en cause pour <strong>des</strong> faits similaires dans la société civile. Elles représentent en eff<strong>et</strong> 13.6<br />

125 Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis sur 530 observations. Ce tableau est construit<br />

sur la strate de population 'Supporters du football' contenant 530 observations <strong>et</strong> définie par le filtrage suivant :<br />

Sport = {Football} <strong>et</strong> supportérisme = {oui}.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 81


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

% en 2000 126 . Le caractère sexué du hooliganisme est renforcé par une lecture plus attentive<br />

du tableau dont les chiffres montrent que les femmes violentes sont proportionnellement<br />

moitié moins nombreuses que l’effectif total (les femmes représentent 8,8 % <strong>des</strong> violents <strong>et</strong><br />

17,7 % de l’effectif).<br />

A l’image <strong>des</strong> travaux de Blumstein, Cohen, Roth <strong>et</strong> Visher (1986), une analyse fine requiert<br />

de distinguer deux dimensions : la participation <strong>et</strong> la fréquence. Alors que, toutes formes de<br />

<strong>violences</strong> confondues, le rapport de participation est de 1 <strong>à</strong> 10 <strong>entre</strong> femmes <strong>et</strong> hommes, celleci<br />

augmente avec la gravité ou la dangerosité <strong>des</strong> infractions commises. Pour les infractions<br />

les plus graves (coups <strong>et</strong> blessures volontaires ayant entraîné <strong>des</strong> blessures) le rapport est de 1<br />

<strong>à</strong> 13,4. L’écart se réduit en terme de fréquence considérablement puisqu’elle n’est que de 1,8<br />

fois supérieure chez les hommes. Une première explication simple, pour ne pas dire simpliste,<br />

pourrait être d’expliciter c<strong>et</strong>te différence par le nécessaire engagement physique dans les<br />

<strong>violences</strong> les plus importantes, ce que nous discuterons <strong>à</strong> l’aide <strong>des</strong> <strong>entre</strong>tiens.<br />

Il faut également prendre en compte le fait que la quasi-totalité <strong>des</strong> femmes qui reconnaissent<br />

participer aux actes de hooliganisme sont membres <strong>des</strong> groupes de supporters, ce qui<br />

représente 25 personnes, parmi lesquelles 19 sont membres <strong>des</strong> noyaux durs, toutes ont un<br />

« ami » membre du noyau dur.<br />

En ce qui concerne l’âge, les caractéristiques sont identiques chez les hommes <strong>et</strong> chez les<br />

femmes. On peut ainsi observer la précellence de la catégorie <strong>des</strong> 17-24 ans.<br />

Catégorie d'âge Nb. cit. Intervalles de confiance<br />

- 17 ans 4 0,0% < 13,8 < 27,5%<br />

17 - 24 ans 18 33,7% < 56,3 < 78,8%<br />

25 - 39 ans 8 5,3% < 25,0 < 44,7%<br />

40 - 59 ans 2 0,0% < 8,6 < 17,3%<br />

60 ans <strong>et</strong> + 0 -<br />

Total 32<br />

Catégories d'âge <strong>des</strong> femmes hooligans membres <strong>des</strong> noyaux durs 127<br />

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 31,75, ddl = 4, 1-p = >99,99%.<br />

Dernière observation générale concernant les hooligans, aucune femme n’a <strong>à</strong> ce jour fait<br />

l’obj<strong>et</strong> d’une quelconque condamnation dans le cadre de la loi Alliot-Marie de 1995 relative <strong>à</strong><br />

la sécurité dans les enceintes sportives. Toutefois, constater c<strong>et</strong>te absence de délit caractérisé<br />

revient en définitive <strong>à</strong> observer simplement qu’aucune femme ne s’est faite prendre. Tout<br />

comme il convient aussi de remarquer plus largement que seulement 37 condamnations ont<br />

été prononcées depuis la mise en œuvre de la loi 128 . Ce qui est fort peu compte tenu du<br />

nombre d’incidents, souvent très violents qui émaillent chaque rencontre de première division<br />

tous les week-ends.<br />

On serait donc tenté de penser qu’il n’existe pas de femmes réellement violentes parmi les<br />

supporters. Mais il faut prendre en considération le fait que beaucoup d’évènements ont lieu<br />

souvent très loin <strong>des</strong> périmètres de sécurité <strong>et</strong> <strong>des</strong> forces de l’ordre, comme le « caillassage »<br />

126 13.99 % en 1999, 14.25 % en 1998, 13,96 % en 1997 pour l’ensemble de la catégorie comparable dans sa<br />

définition aux actes hooligans potentiels <strong>et</strong> intitulée « crimes <strong>et</strong> délits contre les personnes ». Source : Ministère<br />

de l’intérieur. DCSP, Crimes <strong>et</strong> délits constatés en France en 2000, chiffres définitifs.<br />

127 Le chi2 est calculé avec <strong>des</strong> effectifs théoriques égaux pour chaque modalité. L'intervalle de confiance <strong>à</strong> 99%<br />

est donné pour chaque modalité. Ce tableau est construit sur la strate de population 'Femmes, violence, football'<br />

contenant 32 observations <strong>et</strong> définie par le filtrage suivant : sexe = {féminin} <strong>et</strong> sport = {Football} <strong>et</strong><br />

affrontements {oui}.<br />

128 Source : Direction <strong>des</strong> affaires criminelles <strong>et</strong> <strong>des</strong> grâces.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

<strong>des</strong> bus adverses par exemple. Il faut également se souvenir que, bien souvent, les personnes<br />

condamnées le sont pour <strong>des</strong> prétextes futiles, comme le fait de faire pénétrer <strong>des</strong> fumigènes<br />

dans l’enceinte du stade dans le cas de L. T. leader du club <strong>des</strong> supporters marseillais <strong>des</strong><br />

Yankees en 2002, ou pour la simple raison qu’ils ont transgressé de manière trop visible, donc<br />

objectivement indéfendable, les interdits <strong>et</strong> la relative mansuétude <strong>des</strong> dirigeants <strong>et</strong> <strong>des</strong> forces<br />

de l’ordre. Constatons également, comme dans le cas <strong>des</strong> incidents opposant les supporters du<br />

PSG <strong>à</strong> ceux de Galatasaray en 2001 129 , que les arrestations avérées sont souvent peu<br />

nombreuses (11 individus en l’occurrence) pour <strong>des</strong> raisons inhérentes <strong>à</strong> l’organisation <strong>des</strong><br />

forces de l’ordre. Enfin le traitement du hooliganisme, comme la délinquance ordinaire, est<br />

sans doute sexuellement différencié <strong>et</strong> différentiel : les femmes pourraient ainsi bénéficier d’a<br />

priori positifs les excluant de toute responsabilité dans les faits les plus graves du fait de leur<br />

« faiblesse supposée ». De nombreux travaux généralistes (Becker, op. cit., Robert <strong>et</strong> al., op.<br />

cit., Chesnais, op. cit., Roché, 2003) ou spécialisés (Bodin, 2001a/c, 2003a) ont montré les<br />

différences de traitement existant. Le nombre de condamnations n’est donc<br />

vraisemblablement pas un indicateur suffisamment opérant pour révéler <strong>et</strong> quantifier <strong>à</strong> lui seul<br />

l’existence du hooliganisme ni pour en distinguer a fortiori les formes sexuées.<br />

Ces quelques données demandent de toute évidence <strong>à</strong> être complétées par le vécu de celles qui<br />

participent aux actes de <strong>violences</strong>.<br />

Reconsidérer la définition du hooliganisme pour faire émerger le rôle <strong>des</strong><br />

femmes.<br />

Ce qui importe en premier lieu est de reconsidérer la définition du hooliganisme. D’abord en<br />

prenant en compte la dimension dynamique du phénomène, ensuite en révisant le balisage du<br />

champ <strong>des</strong> <strong>violences</strong> que son exercice suppose. Il ne semble en eff<strong>et</strong> guère possible de<br />

continuer <strong>à</strong> considérer la violence <strong>des</strong> supporters sous le seul angle du résultat final qui, dans<br />

sa version la plus abrupte, celle d’un supporter anglo-saxon poignardé au début de l’année<br />

1998 dans une ruelle, semble être au sport ce que l’homicide volontaire <strong>et</strong> prémédité est au<br />

code pénal. Les <strong>violences</strong> décrites précédemment ne sont en fait qu’un « accomplissement<br />

pratique », aboutissement d’un long processus fait d’interactions sociales subtiles <strong>et</strong><br />

complexes <strong>entre</strong> les différents acteurs du spectacle sportif dans le quel les femmes trouvent<br />

probablement leur place.<br />

En Grande-Br<strong>et</strong>agne, dès 1978 Marsh critiquait c<strong>et</strong>te conception trop réductrice du<br />

hooliganisme. Car se cantonner <strong>à</strong> la violence physique <strong>et</strong> nier les <strong>violences</strong> morales <strong>et</strong><br />

symboliques revient en fait <strong>à</strong> nier la portée de dispositifs structurés remarquables comme<br />

« l’aggro », mise en scène ritualisée de la violence <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> impressionner l’adversaire. Or,<br />

le jeu qui consiste <strong>à</strong> impressionner, <strong>à</strong> paraître fort <strong>et</strong> dangereux, <strong>à</strong> chercher <strong>à</strong> faire peur aux<br />

autres, supplante pourtant bien souvent le passage <strong>à</strong> l’acte. Le basculement ne se produit en<br />

définitive que lors de la transgression <strong>des</strong> règles tacites de « l’aggro » (attaquer une fille par<br />

exemple), ou suite <strong>à</strong> l’intervention <strong>des</strong> forces de l’ordre. Certes, la frontière <strong>entre</strong> <strong>violences</strong><br />

physiques, symboliques ou morales est parfois ténue. Sans doute parce que les <strong>violences</strong><br />

considérées demeurent consubstantielles les unes <strong>des</strong> autres, qu’elles ne représentent en<br />

définitive qu’un moment ou une étape dans les processus sociaux <strong>et</strong> qu’elles « alimenteront,<br />

exacerberont ou renouvelleront en spirale d’autres expressions de violence » (Wieviorka, op.<br />

cit. 17). Cependant, prendre en considération l’ensemble de ces étapes ou de ces articulations<br />

perm<strong>et</strong>trait par eff<strong>et</strong> de contraste de rendre visible une catégorie d’acteurs, parmi lesquels sans<br />

129 Qui firent 56 blessés dont 7 graves, lors d’un match en Ligue <strong>des</strong> champions.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

doute un certain nombre de femmes, pour lesquels l’expression de la violence emprunte <strong>des</strong><br />

chemins détournés ou en tout cas dont l’activité violente échappe <strong>à</strong> une économie statistique<br />

rigide enfermée dans le comptage strict du « violemment physique <strong>et</strong> visible ». C’est la raison<br />

pour laquelle s’impose ici un véritable changement de focale. Car en recourant <strong>à</strong> une<br />

acception plus large de la violence de ses logiques de progression spiralaires <strong>et</strong> de ses<br />

catalyseurs, il devient en eff<strong>et</strong> possible de cerner plus facilement la part potentielle <strong>des</strong><br />

femmes dans l’émergence <strong>et</strong> la construction d’un processus dynamique. Il devient possible de<br />

comprendre en quoi leur action participe <strong>des</strong> faits les plus bénins <strong>à</strong> l’émergence de faits plus<br />

graves.<br />

De la place <strong>des</strong> femmes dans les <strong>violences</strong><br />

Si les femmes semblent a priori absentes <strong>des</strong> grands affrontements elles en sont néanmoins<br />

souvent les témoins ou parfois les victimes :<br />

« Tu sais nous on participe que très rarement aux bagarres. On fait pas le poids.<br />

On peut pas aller <strong>à</strong> la baston comme eux contre les autres garçons. Des fois on est<br />

obligée de se défendre quand même quand on est coincée. On fait ce qu’on peut<br />

mais ce n’est pas notre rôle. Si. Des fois on fait comme les garçons, on attend les<br />

autres, on caillasse les bus, il m’est arrivé aussi de tout casser <strong>à</strong> la sortie d’un<br />

stade avec les autres mais c’est tout » (supportrice Bad gones Lyon).<br />

C<strong>et</strong> extrait d’interview m<strong>et</strong> bien en lumière la différence d’engagement qui distingue hommes<br />

<strong>et</strong> femmes dans la participation aux affrontements. La dangerosité <strong>des</strong> événements constitue le<br />

premier critère d’appréciation. Aux garçons la violence physique, les filles participant pour<br />

leur part <strong>à</strong> une violence plus « distante » ou <strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>des</strong>tructions qui ne les confrontent pas<br />

directement aux supporters adverses. Mais c<strong>et</strong> <strong>entre</strong>tien laisse aussi percevoir que les femmes<br />

peuvent de surcroît avoir un rôle spécifique.<br />

Si la femme supporter semble bien éviter l’affrontement physique direct certaines héritent<br />

cependant d’un rôle très important : celui de responsables <strong>des</strong> emblèmes <strong>et</strong> <strong>des</strong> insignes. Rôle<br />

primordial car ces attributs ont bien évidemment un coût mais ils ont de surcroît un sens<br />

social très important puisqu’ils signent, signifient <strong>et</strong> authentifient la présence du groupe dans<br />

le stade aux supporters adverses. « Bâcher » chez l’adversaire, c’est <strong>à</strong> dire aller dans le stade<br />

adverse afficher le nom de son club de supporter est vécu par les deux parties en présence<br />

comme une provocation. La détention de ces emblèmes oblige donc très souvent les femmes <strong>à</strong><br />

subir ou <strong>à</strong> être confrontées <strong>à</strong> la violence :<br />

« Moi j’ai jamais vraiment cherché la bagarre parce que nous c’est pas possible<br />

contre les garçons. Alors nous on nous confie les bâches <strong>et</strong> les banderoles, on doit<br />

les r<strong>entre</strong>r dans les sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> les garçons eux ils sont l<strong>à</strong> pour veiller au grain. Une<br />

fois on n’était pas assez nombreux on s’est fait agresser <strong>et</strong> piquer une banderole.<br />

Ouais il a fallu se défendre les mecs en face n’ont pas hésité <strong>à</strong> nous taper <strong>des</strong>sus<br />

pour l’avoir » (supportrice, Yankees Marseille).<br />

La détention <strong>et</strong> la responsabilité <strong>des</strong> emblèmes n’est cependant pas un rôle anodin car au-del<strong>à</strong><br />

du coût que représentent ces matériels, c’est l’honneur du groupe de supporters qui est en jeu<br />

dans le fait de « bâcher » chez l’autre ou de se faire voler les insignes du groupe. Chaque<br />

groupe possède son musée où sont exposés les trophées dérobés lors <strong>des</strong> multiples<br />

escarmouches avec les policiers <strong>et</strong> les supporters adverses (casques de CRS, insignes,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Bombers, écharpes, bâches <strong>et</strong>c.). Au match suivant les bâches <strong>et</strong> emblèmes dérobés seront<br />

exhibés dans les tribunes, par provocation, mais aussi par esprit de domination de l’autre, <strong>à</strong><br />

l’image <strong>des</strong> seigneurs d’autrefois qui arboraient les armoiries de ceux qu’ils avaient vaincus <strong>et</strong><br />

vassalisés. Un eff<strong>et</strong> de spirale s’instaure ainsi progressivement. Au match r<strong>et</strong>our les<br />

supporters tenteront de se déplacer plus nombreux, pour venger l’affront, pour montrer leur<br />

puissance. Ceux qui se sont fait voler une bâche ou <strong>des</strong> emblèmes importants viendront en<br />

force, éventuellement armés, pour les reprendre <strong>et</strong> restaurer leur groupe dans sa légitimité <strong>et</strong><br />

son intégrité initiales.<br />

C<strong>et</strong>te observation renvoie <strong>à</strong> la définition culturaliste du statut <strong>et</strong> du rôle : « Un rôle représente<br />

l’aspect dynamique du statut. L’individu est socialement assigné <strong>à</strong> un statut, lui-même lié <strong>à</strong><br />

d’autres statuts. Quand il m<strong>et</strong> en œuvre les droits <strong>et</strong> les devoirs qui constituent le statut, il<br />

remplit un rôle » (Linton, op. cit., 138). A partir de c<strong>et</strong>te définition, il est aisé de comprendre<br />

qu’un rôle aussi important que la responsabilité <strong>des</strong> attributs du groupe qui engage l’honneur,<br />

l’existence <strong>et</strong> l’identité de la communauté toute entière, ne peuvent être confiées qu’<strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

personnes qui possèdent un statut important au sein de c<strong>et</strong>te entité. Ainsi émerge<br />

progressivement de l’ombre l’importance du statut de celles <strong>à</strong> qui sont confiés les rôles de<br />

passeurs <strong>et</strong> de protecteurs <strong>des</strong> emblèmes de la tribu. L<strong>à</strong> n’est pourtant pas la seule<br />

responsabilité que les femmes exercent. En eff<strong>et</strong>, plus proche encore de la violence, l’une<br />

d’<strong>entre</strong> elles est chargée chez les Ultramarines bordelais de filmer les affrontements avec les<br />

supporters :<br />

« Moi mon rôle c’est de filmer les bagarres avec les autres supporters, quand on y<br />

va <strong>et</strong> comment ça se passe. De filmer tout ce que je peux. Après au local on se<br />

repasse les films <strong>et</strong> on voit comment on était organisé, on en discute. Et puis aussi<br />

cela sert aussi aux jeunes <strong>à</strong> leur montrer comment ça se passe. Ca fait partie de la<br />

culture du groupe. On leur montre comme ça qu’on n’est pas <strong>des</strong> peureux. Ca les<br />

oblige <strong>à</strong> faire pareil » (supportrice, Ultramarines, Bordeaux).<br />

A la lecture de c<strong>et</strong> <strong>entre</strong>tien, hormis la prise en compte d’un nouveau rôle, on peut observer<br />

tout <strong>à</strong> la fois le caractère prémédité <strong>des</strong> <strong>violences</strong> ainsi que leur intégration dans la culture du<br />

groupe. Culture d’une certaine forme de violence structurée <strong>et</strong> structurante qui participe <strong>à</strong><br />

« l’instruction » <strong>des</strong> « nouveaux ». La violence fait bien partie intégrante du supportérisme.<br />

Enfin très souvent ce sont les femmes qui introduisent dans le stade les obj<strong>et</strong>s interdits<br />

(matraques télescopiques, fumigènes, stylos fusées, <strong>et</strong>c.). Plusieurs raisons <strong>à</strong> cela. Tout<br />

d’abord, les supporters masculins sont davantage surveillés, épiés, fouillés car soupçonnés<br />

d’être <strong>des</strong> hooligans potentiels. On peut parler ici de « délit de sale gueule » <strong>à</strong> moins que cela<br />

ne corresponde aussi tout simplement <strong>à</strong> l’incorporation par les forces de l’ordre de l’un <strong>des</strong><br />

préceptes de la domination masculine : celui de la virilité <strong>et</strong> de la violence (Bourdieu, 1998).<br />

Une seconde raison tient <strong>à</strong> l’organisation, ou tout au moins au défaut d’organisation <strong>des</strong><br />

services de sécurité privés ou policiers qui assurent le filtrage <strong>à</strong> l’entrée <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> ou du<br />

périmètre de sécurité. Une femme ne peut en eff<strong>et</strong> faire l’obj<strong>et</strong> de palpation ou de fouille que<br />

de la part d’une femme. Or celles-ci sont souvent trop peu nombreuses dans les divers<br />

services de contrôle <strong>et</strong> ne peuvent assurer pleinement leur mission qui consiste en définitive,<br />

le plus souvent, <strong>à</strong> <strong>des</strong> palpations sur quelques personnes choisies de manière aléatoire. Enfin,<br />

la fouille, qui perm<strong>et</strong>trait de détecter davantage d’obj<strong>et</strong>s interdits, ne peut être effectuée que<br />

par <strong>des</strong> personnes assermentées. La palpation (surfaçage rapide du corps), parce qu’elle se<br />

montre relativement inefficace, perm<strong>et</strong> très souvent d’introduire l’attirail nécessaire <strong>à</strong><br />

l’activité du supporter.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Ce rôle particulier <strong>des</strong> filles, passeuses d’armes, véritables « chevaux de Troie » n’est ni<br />

nouveau, ni original. Les femmes du FLN durant la guerre d’Algérie, ou leurs homologues<br />

vi<strong>et</strong>cong durant la guerre du Vi<strong>et</strong>nam n’agissaient pas différemment. Ces faits nous aident en<br />

revanche <strong>à</strong> mieux comprendre de quelle manière, <strong>à</strong> travers la violence <strong>des</strong> antagonismes <strong>et</strong> les<br />

tactiques déployées pour dominer l’interdit <strong>et</strong> les adversaires, en instrumentant en quelque<br />

sorte leur féminité <strong>et</strong> en adaptant <strong>à</strong> leur façon ce recours aux failles du système : « les femmes<br />

accèdent peu <strong>à</strong> peu au rang de suj<strong>et</strong> dans la guerre » (Branche, 2002). Sans doute ce constat<br />

n’invalide-t-il pas le problème de la domination <strong>et</strong> <strong>des</strong> positions de genre dans l’élaboration<br />

de ces stratégies. Mais, pour le moins, les statuts <strong>et</strong> les rôles <strong>des</strong> femmes hooligans au sein de<br />

leurs propres groupes fondent alors une légitimité dans l’action que seule la considération de<br />

normes plus étendues dans le processus de construction du hooliganisme <strong>et</strong> dans la nature <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> considérées peut aider <strong>à</strong> éclairer <strong>et</strong> du même coup <strong>à</strong> reconnaître. C<strong>et</strong>te<br />

reconnaissance dans <strong>et</strong> par la violence, ajoutée <strong>à</strong> d’autres regards, <strong>à</strong> d’autres reconnaissances,<br />

montre enfin, au-del<strong>à</strong> de tout jugement, au-del<strong>à</strong> de toute considération axiologique, de quelle<br />

manière, progressivement, s’effrite le modèle rassurant de l’invisibilité féminine dans<br />

l’histoire <strong>des</strong> hommes (Thébaud, 1992).<br />

Remarquer que <strong>des</strong> femmes puissent être membres <strong>des</strong> noyaux durs est révélateur. Nous<br />

avons vu que pour être intégrés les nouveaux membres doivent participer activement au<br />

fonctionnement de la communauté ainsi qu’aux rites intégratifs qui comportent de<br />

nombreuses épreuves. Il n’est guère anodin de relever la manière par laquelle tout ou partie de<br />

ces épreuves participent <strong>à</strong> la démonstration du courage <strong>et</strong> de la virilité intégrant plus<br />

largement, comme la force dans les anciens rites du monde ouvrier, une forme<br />

d’apprentissage <strong>des</strong> rôles masculins (Royn<strong>et</strong>te, 2002). Ce qui rend par contraste plus<br />

saisissant le modelage qui s’opère alors dans le champ du féminin. Car les femmes qui<br />

appartiennent au noyau dur <strong>et</strong> qui y possèdent un statut <strong>et</strong> un rôle particuliers ont<br />

nécessairement satisfait aux rites agonistiques. Il est en eff<strong>et</strong> inconcevable, dans un milieu<br />

aussi fortement hiérarchisé, dans lequel la domination masculine est si prégnante, que <strong>des</strong><br />

femmes puissent faire partie <strong>des</strong> « initiées », de celles sur lesquelles le groupe peut compter,<br />

sans qu’elles aient participé réellement <strong>et</strong> physiquement <strong>à</strong> <strong>des</strong> actes de <strong>violences</strong> de diverses<br />

natures.<br />

Un seul <strong>entre</strong>tien d’un membre masculin du noyau dur <strong>des</strong> South Winners relate assez<br />

précisément c<strong>et</strong>te question <strong>et</strong> m<strong>et</strong> en lumière la manière par laquelle, en termes de<br />

représentation, ces femmes semblent devenir « <strong>des</strong> hommes comme les autres »,<br />

conformément au modèle rousseauiste de l’assimilation de l’humain (universel) <strong>à</strong> l’homme<br />

(masculin) (Théry, 2000) :<br />

« Ouais, chez nous il y a <strong>des</strong> femmes dans le noyau dur. Quelques-unes. Pas<br />

nombreuses. Celles qui y sont ont fait leur preuve comme nous. On les considère<br />

comme nous. Elles vont <strong>à</strong> la baston comme nous s’il le faut ».<br />

Par, ailleurs ne peut-on considérer que la violence <strong>des</strong> femmes est ici également une réponse <strong>à</strong><br />

la domination masculine laquelle les conduit <strong>à</strong> faire, aussi bien, voire mieux, que les hommes<br />

dans le domaine de la violence afin d’être acceptées <strong>et</strong> reconnues ? Dans une perspective<br />

similaire, au début du siècle, la reconnaissance <strong>des</strong> femmes sportives par leurs homologues<br />

masculins <strong>et</strong> leur intégration au cercle très fermé <strong>des</strong> adeptes <strong>et</strong> expert(e)s dans le domaine<br />

<strong>des</strong> pratiques <strong>à</strong> haut risque supposant la violence <strong>des</strong> accidents <strong>et</strong> de la mort, s’accommodait<br />

parfaitement de ce type d’asymétrie, alors que les brev<strong>et</strong>s de pilotes aéronautes, par exemple,<br />

comportaient <strong>des</strong> épreuves bien plus rigoureuses <strong>et</strong> bien plus difficiles pour les femmes que<br />

pour les hommes (Robène, 1996). Comment ne pas prendre en compte une telle contrainte<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

alors que de nos jours encore, la plupart du temps <strong>et</strong> dans bien <strong>des</strong> domaines, malgré <strong>des</strong><br />

discours politiques convenus, les femmes continuent d’être obligées dans <strong>et</strong> par la société<br />

ordinaire <strong>à</strong> faire mieux ou davantage que les hommes pour accéder aux mêmes postes,<br />

rémunérations <strong>et</strong> reconnaissance sociale ? (Davisse, Louveau, 1998).<br />

Mais <strong>à</strong> lire ce qui précède on pourrait supposer que les femmes ne font finalement que subir<br />

un ordre inéluctablement établi en fonction <strong>des</strong> normes masculines <strong>et</strong> qu’elles n’ont jamais de<br />

rôle ou de position spécifiques directement reconnus dans l’émergence ou le développement<br />

<strong>des</strong> <strong>violences</strong>. Certains témoignages de supporters masculins tendent <strong>à</strong> montrer le contraire :<br />

« Y en a qui sont pire que nous. Parce qu'en fait elles nous poussent <strong>à</strong> y aller,<br />

elles nous encouragent. Elles nous chambrent si on n’y va pas, si on veut reculer.<br />

En fait ouais… comment dire… bon si on veut pas passer pour <strong>des</strong> lopes devant<br />

elles il faut y aller quoi » (supporter Magic Fan, Saint Etienne).<br />

Les femmes si elles ne sont pas forcément instigatrices deviennent ainsi parfois incitatrices<br />

<strong>des</strong> <strong>violences</strong> qui prennent corps <strong>et</strong> sens dans les rapports ambigus <strong>entre</strong> les sexes.<br />

« Des fois c’est elles qui provoquent les supporters adverses, qui les chambrent,<br />

qui les chauffent bon, chez les mecs c’est vrai que c’est dur de se faire chauffer<br />

par une nana. Souvent quand c’est comme ça, ça finit mal, on va <strong>à</strong> la bagarre<br />

parce que les autres ils acceptent pas de se faire chambrer par les gonzesses. On a<br />

beau leur dire mais souvent les trucs les plus durs arrivent quand c’est elles qui<br />

ont cherché les mecs <strong>des</strong> autres groupes » (supporter, Devils, Bordeaux).<br />

Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux de Godineau (1997) sur la violence <strong>et</strong> la férocité,<br />

verbale <strong>et</strong> physique dont pouvaient faire preuve les « tricoteuses » durant la révolution.<br />

Badinter (2003) nous rappelle également que dans bien <strong>des</strong> cas (femmes SS durant la dernière<br />

guerre mondiale, <strong>violences</strong> <strong>et</strong>hniques au Rwanda, <strong>et</strong>c.) sans la participation <strong>des</strong> femmes il n’y<br />

aurait pas eu autant de victimes. Par la simple force de leur présence elles obligent parfois les<br />

hommes <strong>à</strong> se surpasser <strong>et</strong> <strong>à</strong> prouver, <strong>à</strong> travers la violence produite, la virilité qu’ils sont censés<br />

posséder <strong>et</strong> qui leur donne valeur au cœur du groupe <strong>des</strong> individus soudainement mis en<br />

compétition sous le regard <strong>des</strong> femmes. Resterait <strong>à</strong> considérer les raisons pour lesquelles,<br />

précisément, le regard <strong>des</strong> femmes, leurs présences ou leurs invectives provocatrices<br />

s’inscrivent, de c<strong>et</strong>te manière, dans une logique culturelle qui participe en définitive <strong>à</strong><br />

construire une partition typée <strong>des</strong> <strong>violences</strong> produites : la femme demeurant a priori celle qui<br />

avive une tendance supposée « naturelle » <strong>des</strong> hommes <strong>à</strong> l’agonistique, <strong>à</strong> la compétition virile<br />

<strong>et</strong> <strong>à</strong> la démonstration de la force brute, voire <strong>à</strong> la guerre. Une telle approche perm<strong>et</strong> en réalité<br />

de comprendre combien les <strong>violences</strong> produites le sont d’une manière générale en fonction de<br />

rapports de domination complexes où interagissent le masculin <strong>et</strong> le féminin, alors que les<br />

territoires <strong>et</strong> la nature <strong>des</strong> <strong>violences</strong> varient sensiblement d’un genre <strong>à</strong> l’autre tout en se<br />

déplaçant <strong>et</strong> en se transformant l’un en fonction de l’autre. Inversement, c’est bien la mise en<br />

perspective de <strong>violences</strong> de nature différentes qui perm<strong>et</strong> alors de rendre visible l’existence<br />

<strong>des</strong> femmes comme actrices potentielles de ces <strong>violences</strong>, c’est-<strong>à</strong>-dire, a minima, comme<br />

actrice de l’histoire dans un monde posé non plus comme territoire de l’universel masculin<br />

mais plutôt comme monde irrémédiablement sexué (Virgili, 2002).<br />

Dès lors que nous observons la participation <strong>des</strong> femmes aux actes hooligans comment<br />

expliquer que celle-ci soit en définitive passée sous silence ? N’est-ce pas tout d’abord dans le<br />

rôle social traditionnellement dévolu aux hommes <strong>et</strong> aux femmes qu’il faut en rechercher les<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 87


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

raisons ? Pour reprendre les propos de Perrot (1975, 88) : « C<strong>et</strong>te indulgence, au fond, n’estelle<br />

pas suspecte ? Refuser <strong>à</strong> la femme sa nature criminelle, n’est-ce pas encore une façon de<br />

la nier ? ». Ce n’est pas seulement, comme le suggéraient Elias <strong>et</strong> Dunning (op. cit.) dans le<br />

fonctionnement social <strong>des</strong> individus, sous la forme du lien segmentaire, qu’il faut donc<br />

trouver sens, mais dans le rapport implicite <strong>entre</strong> les sexes. Les hommes sont censés faire<br />

preuve de virilité <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> activités physiques ou sportives plus ou moins violentes tandis<br />

que les femmes se réaliseraient plus facilement dans <strong>des</strong> activités ludiques, esthétiques ou<br />

artistiques. C<strong>et</strong>te virilité peut trouver corps <strong>et</strong> légitimité dans la violence alors que les femmes<br />

sont supposées n’être que douceur <strong>et</strong> miel. Cependant, les rôles ne peuvent être <strong>à</strong> ce point<br />

distincts, sauf <strong>à</strong> naturaliser la violence en la limitant aux seuls individus mâles censés<br />

posséder la force physique nécessaire <strong>à</strong> son expression. Or, Margar<strong>et</strong> Mead a su très tôt<br />

montrer combien sur les plans du pouvoir <strong>et</strong> de la violence, le jeu <strong>des</strong> genres pouvait se<br />

révéler autrement plus complexe que ne le laisse supposer l’histoire du monde occidental<br />

(Mead, 1928). La « nature féminine » n’apparaît en définitive que comme une construction<br />

culturelle, <strong>et</strong> son corollaire occidental, la faiblesse <strong>et</strong> la soumission féminine, n’est qu’un<br />

élément intégrant un éventail de possibles, fondement potentiel d’un discours social de<br />

l’inégalité (Bard, 1999). « On ne naît pas femme on le devient » : la formule magistrale de S.<br />

de Beauvoir (Beauvoir, 1949) introduit alors <strong>à</strong> la question du genre, c’est-<strong>à</strong>-dire <strong>à</strong> la<br />

« différence <strong>des</strong> sexes produite par la culture », prélude <strong>à</strong> l’analyse <strong>des</strong> partages réels <strong>et</strong><br />

symboliques <strong>entre</strong> les sexes <strong>et</strong> aux résistances au changement que ces partages suscitent<br />

(Perrot, 2003). Dans l’imaginaire collectif, la criminalité féminine semble encore se heurter <strong>à</strong><br />

une fin de non recevoir. De fait, la question <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>des</strong> femmes est encore une question<br />

qui divise <strong>et</strong> qui produit en définitive idéologiquement son contraire : l’absolution par nature.<br />

Le débat n’est pas nouveau. Le fonctionnement judiciaire m<strong>et</strong> en lumière une asymétrie<br />

sexuée de la condamnation faite tantôt d’indulgence, lorsque la femme est considérée comme<br />

n’ayant pas pu comm<strong>et</strong>tre un crime appartenant habituellement au registre du masculin, tantôt<br />

davantage de sévérité lorsque son crime implique son rôle de mère (Bard <strong>et</strong> al., 2002).<br />

Cependant si c<strong>et</strong>te reconnaissance pose problème, il faut sans doute aussi bien en rechercher<br />

les causes dans le déni pur <strong>et</strong> simple qu’instrumente une forme de domination, que dans le<br />

choix sélectif que chercheur <strong>et</strong> chercheuses opèrent dans les obj<strong>et</strong>s qu’ils soum<strong>et</strong>tent <strong>à</strong><br />

l’analyse (Virgili, op. cit.). Non pas qu’il faille, d’une quelconque manière, se glorifier de la<br />

violence <strong>et</strong> plus particulièrement de celle <strong>des</strong> femmes mais, ne pas en parler revient <strong>à</strong> nier<br />

c<strong>et</strong>te violence, <strong>à</strong> la déconsidérer, <strong>à</strong> la reléguer au rang <strong>des</strong> <strong>violences</strong> dérisoires <strong>et</strong> d’une<br />

certaine manière <strong>à</strong> pérenniser une distinction qui n’a de fondement que la domination <strong>à</strong><br />

laquelle elle fait écho. Il est vrai que dans le hooliganisme très, pour ne pas dire trop souvent,<br />

les interprétations n’ont été abusivement faites qu’<strong>à</strong> partir <strong>des</strong> catégories sociales les plus<br />

importantes proportionnellement, niant, de fait, la singularité (Bodin, 1999, 2003). « C’est ce<br />

postulat de départ qui domine la plupart <strong>des</strong> travaux contemporains sur la violence. Au nom<br />

de l’asymétrie statistique, la question de la violence <strong>et</strong> de l’abus du pouvoir féminin ne saurait<br />

être posé » (Badinter, op. cit. 89).<br />

Il existe cependant une autre raison <strong>à</strong> cela. Dans le discours féministe qui prévaut depuis les<br />

années 1960, il semble inconvenant de parler de la violence <strong>des</strong> femmes tandis que le combat<br />

pour la libération <strong>des</strong> femmes tient depuis toujours dans la dénonciation <strong>des</strong> <strong>violences</strong><br />

symboliques (abus de pouvoir, domination), morales (harcèlement moral <strong>et</strong> sexuel), physiques<br />

(<strong>violences</strong> conjugales, viols) dont sont victimes les femmes quotidiennement. En observant la<br />

littérature traitant <strong>des</strong> femmes depuis c<strong>et</strong>te époque, force est de constater que les travaux<br />

parlant <strong>des</strong> victimes de la domination masculines abondent. Au point que comme le souligne<br />

Badinter (op. cit. 16) « on s’intéresse moins <strong>à</strong> celle qui réalise <strong>des</strong> exploits qu’<strong>à</strong> la victime de<br />

la domination masculine ». Ce disant, que les choses soient claires. Nous ne renions <strong>et</strong> ne<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 88


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

sous-estimons en aucune manière le fossé statistique qui sépare les femmes victimes <strong>des</strong><br />

femmes violentes. Mais il faut néanmoins, malgré un dimorphisme aussi évident, accepter<br />

c<strong>et</strong>te réalité sociale : il existe <strong>des</strong> femmes violentes dans le hooliganisme comme ailleurs<br />

(violence familiale sur enfants, femmes meurtrières, jeunes femmes dans <strong>des</strong> « gangs » en<br />

France <strong>et</strong> pas seulement aux États-Unis, <strong>et</strong>c.). Or, comme le remarque Virgili, « en rendant<br />

visible les femmes actrices de l’histoire », il faut accepter l’idée que « l’appartenance au camp<br />

<strong>des</strong> victimes ou <strong>à</strong> la participation <strong>à</strong> l’émancipation » doive se conjuguer avec l’éclairage plus<br />

« problématique » <strong>des</strong> zones sombres : celles <strong>des</strong> femmes actrices de la violence (Virgili, op.<br />

cit., 8) 130 . Il est vrai que l’écart statistique est tel qu’il pourrait imposer le silence <strong>à</strong>, ce qui<br />

semble impensable, une réflexion sur la violence <strong>des</strong> femmes. Il est pourtant nécessaire, pour<br />

comprendre certains cheminements dans la violence, de fonder, comme le proposent Dauphin<br />

<strong>et</strong> Farge (op. cit., 11) « une réflexion sur la façon différenciée dont en histoire <strong>et</strong> aujourd’hui,<br />

les sociétés vivent, pensent <strong>et</strong> imaginent la violence féminine tandis qu’elles exercent<br />

simultanément de la violence sur <strong>des</strong> femmes ». Il faut donc accepter que derrière<br />

l’universelle domination masculine, puissent exister <strong>des</strong> lieux possibles <strong>et</strong> <strong>des</strong> moments<br />

particuliers où s’exercent <strong>des</strong> <strong>violences</strong> produites par les femmes. Des <strong>violences</strong> qui pour<br />

surprenantes qu’elles soient, précisément parce qu’elles sont exercées par <strong>des</strong> femmes <strong>et</strong> que<br />

nous n’en avons pas l’habitude, doivent être interprétées <strong>et</strong> comprises. Faute de quoi le risque<br />

est grand d’en faire une réalité sociale éludée, ce qui va <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong> principes mêmes de<br />

la sociologie : l’interprétation <strong>et</strong> la compréhension <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> vécus.<br />

De l’indicible incidence du spectacle sportif<br />

Si le hooliganisme s’inscrit bien dans la mise en spectacle <strong>des</strong> tribunes <strong>et</strong> dans la concurrence<br />

intergroupes dans lesquelles, hommes <strong>et</strong> femmes trouvent leur place, comment expliquer que<br />

tout facteur lié au jeu ait été éludé pour rendre compte de ces <strong>violences</strong>. Ce déni re<br />

reconnaissance de l’influence du spectacle sportif est compréhensible de la part <strong>des</strong> dirigeants<br />

du football. Si le spectacle, qu’ils gèrent <strong>et</strong> produisent, influe sur les comportements<br />

agonistiques ils pourraient, <strong>et</strong> devraient, être tenus pour responsables de l’émergence <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> hooligans. Responsabilité qui induit de nombreuses contraintes jusqu’alors rej<strong>et</strong>ées :<br />

politique éducative <strong>et</strong> préventive <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre en place auprès <strong>des</strong> jeunes supporters, organisation<br />

<strong>et</strong> encadrement <strong>des</strong> déplacements de leurs fans, prise en charge financière <strong>des</strong> émoluments<br />

liés <strong>à</strong> la concentration <strong>des</strong> forces de l’ordre, <strong>et</strong> bien d’autres choses encore.<br />

Les métho<strong>des</strong> d’investigations 131 mises en place au tout début de notre enquête se sont<br />

avérées insuffisantes pour rendre compte de l’influence du spectacle sportif.<br />

Peu de supporters associaient les <strong>violences</strong> dont ils font parfois preuve au spectacle (jeu,<br />

résultat, comportement <strong>des</strong> joueurs...). S’ils reconnaissaient que celui-ci crée, parfois, une<br />

déception, lorsqu’ils ont l’impression que les joueurs ne se battent pas, une tension, lorsque<br />

l’arbitrage est jugé comme mauvais ou partial, ou bien encore lorsque les joueurs <strong>et</strong> le banc de<br />

touche contestent les décisions, l’excitation qui en résulte expliquait, pour eux, rarement le<br />

passage <strong>à</strong> l’acte comme le montre le tableau ci-<strong>des</strong>sous.<br />

130 Fabrice Virgili évoque notamment, face <strong>à</strong> l’histoire <strong>des</strong> femmes dans la Résistance, une histoire toujours<br />

absente <strong>des</strong> femmes engagées dans les <strong>violences</strong> de la collaboration.<br />

131 Questionnaire, <strong>entre</strong>tiens <strong>et</strong> croisement <strong>des</strong> résultats de matchs avec les incidents connus ou répertoriés.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

affront/raisons<br />

Nb. cit. Fréq.<br />

Raisons invoquées par les membres <strong>des</strong> noyaux durs pour justifier le recours <strong>à</strong> la violence. 132<br />

Ne participent pas <strong>à</strong> la violence 191 32,6%<br />

réponse <strong>à</strong> la provocation<br />

152 26,0%<br />

rivalités <strong>entre</strong> clubs<br />

104 17,8%<br />

antécédents avec ces supporters 94 16,1%<br />

résultat du match<br />

28 4,8%<br />

arbitrage<br />

16 2,7%<br />

TOTAL CIT.<br />

585 100%<br />

La contestation de l’arbitrage <strong>et</strong> de l’équipe adverse est un jeu faisant partie intégrante du<br />

supportérisme. Ce n’est rien d’autre qu’une violence symboliquement déplacée <strong>et</strong> focalisée<br />

sur une victime émissaire innocente, perm<strong>et</strong>tant ainsi aux publics de se prémunir de la<br />

violence qui leur est faite.<br />

De même, l’observation croisée sur trois saisons, de 94/95 <strong>à</strong> 96/97, ne faisait apparaître<br />

aucune corrélation <strong>entre</strong> les incidents relevés par la police <strong>et</strong> les enjeux sportifs, pourtant<br />

observée <strong>à</strong> l’aide de critères multiples (Bodin, 1998) que nous pouvons résumer en trois<br />

gran<strong>des</strong> catégories liées : <strong>à</strong> la période du championnat, aux risques de relégation, aux enjeux<br />

sportifs (qualification en Coupe d’Europe). Aucune augmentation systématique n’était<br />

observable durant les matches r<strong>et</strong>ours. Les enjeux sportifs (maintien, relégation, qualification<br />

en Coupe d’Europe), très fortement ressentis par les supporters ne provoquent pas non plus<br />

nécessairement <strong>des</strong> conduites violentes. Les incidents étaient quantitativement peu importants<br />

<strong>entre</strong> équipes menacées de relégation. A l’inverse, ils étaient plus nombreux avec les autres<br />

clubs <strong>et</strong>, notamment en cas de défaite <strong>à</strong> domicile, ou en cas de derby, lorsqu’une <strong>des</strong> deux<br />

équipes était menacée de relégation. Le nombre <strong>et</strong> la fréquence d’incidents étaient n<strong>et</strong>tement<br />

plus élevés <strong>entre</strong> équipes jouant leur qualification en coupe d’Europe qu’<strong>entre</strong> équipes jouant<br />

la relégation. Mais dans ce cas de figure, tout se trouve plus ou moins confondu : la<br />

qualification potentielle, les rivalités sportives ancestrales, l’historicité <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong><br />

clubs... car ce sont bien souvent les mêmes clubs qui jouant le haut du classement possèdent<br />

également <strong>des</strong> équipes au plus haut niveau depuis un grand nombre de saisons.<br />

Pour rendre compte de l’influence du spectacle sportif sur les comportements violents, nous<br />

avions omis une dimension essentielle, qui nous semble pourtant évidente a posteriori : la<br />

frustration relative. Bien que c<strong>et</strong>te approche ait montré ses limites, en raison de nombreux<br />

contre-exemples, <strong>et</strong> ait été remise en cause par un certain nombre d’auteurs, on ne peut<br />

cependant pas affirmer comme Wieviorka (2004, 152) qu’il s’agisse d’« un mode d’approche<br />

épuisé pour rendre compte <strong>des</strong> <strong>violences</strong> », ni même que la violence « avec le paradigme de la<br />

frustration relative n’est pas loin d’être désocialisée ». La frustration relative, ramenée au<br />

contexte précis du hooliganisme est, bien au contraire, socialement inscrite : dans la<br />

concurrence intergroupes, dans l’opposition sportive, dans la réussite sportive d’une équipe au<br />

détriment d’une autre <strong>et</strong> par voie de conséquence dans la valorisation <strong>des</strong> individus ou <strong>des</strong><br />

groupes qui la défendent, dans les espoirs assouvis ou déçus, du moins si l’on considère le<br />

social, non pas comme l’aboutissement d’un suj<strong>et</strong> mais, comme un système dans lequel<br />

chacun essaie de maximiser ses bénéfices symboliques. L’action collective (supporter ou<br />

violenter) n’exclue pas les comportements individuels. Nous verrons par ailleurs que certains,<br />

132 Le nombre de citations est supérieur au nombre d’observations du fait de réponses multiples (2 au maximum).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

ou du moins quelques individus, très minoritaires dans un groupe, peuvent avoir une influence<br />

sur le comportement violent de celui-ci.<br />

La méthodologie pour rendre compte de la frustration relative nécessite une contextualisation<br />

du questionnement. Il n’est pas possible de demander aux supporters, comme nous le faisions<br />

précédemment, « si selon eux l’arbitrage ou le résultat influence les <strong>violences</strong> d’après<br />

match ? ». Ce type de d’interrogation s’avère trop généralisant. Ce n’est que dans l’étude de<br />

cas précis qu’il est possible de relier spectacle sportif <strong>et</strong> <strong>violences</strong>.<br />

Prenons un exemple concr<strong>et</strong> : celui <strong>des</strong> <strong>violences</strong> exercées par les supporters <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong><br />

joueurs marseillais en décembre 1997. A c<strong>et</strong>te époque quelques supporters ont caillassé <strong>à</strong> la<br />

fin de l’entraînement les voitures <strong>des</strong> joueurs. Le spectacle sportif n’est pas, de prime abord,<br />

directement en cause pourtant, certains supporters n’hésitent pas <strong>à</strong> affirmer :<br />

« Tu comprends c’est plus possible. Au début de la saison t’as les dirigeants qui te<br />

prom<strong>et</strong>tent <strong>des</strong> résultats, ils te disent <strong>à</strong> la fin du championnat on sera dans les trois<br />

premiers, devant les Parisiens, on a recruté un tel, un tel, vous verrez. Ils te font<br />

miroiter <strong>des</strong> trucs. Et puis t’as vu les résultats : nuls, complètements nuls. On<br />

gagne plus rien. T’as les joueurs c’est <strong>des</strong> chèvres. Ils gagnent <strong>des</strong> millions <strong>et</strong> ils<br />

avancent pas. L’autre jour ils sont allés perdre sur les avants-derniers alors l<strong>à</strong> c’est<br />

plus possible. Nous ce qu’on veut c’est qu’ils mouillent le maillot <strong>et</strong> qu’on soit <strong>à</strong><br />

notre place » (supporter Winners, Marseille).<br />

C<strong>et</strong> extrait d’<strong>entre</strong>tien montre bien que la violence peut résulter, en partie du moins, de l’écart<br />

<strong>entre</strong> les promesses faites, les attentes de ces supporters <strong>et</strong> la situation réelle, le tout activé par<br />

un événement déclencheur (Gurr, 1970). Il ne s’agit rien d’autre en fait que la <strong>des</strong>cription <strong>des</strong><br />

émeutes urbaines <strong>à</strong> Brixton, Vaulx-en-Velin ou Toulouse si bien relatées par Bachmann <strong>et</strong><br />

Leguennec (1996, 1997). Il est toujours possible d’objecter, ce qui demanderait <strong>à</strong> être mesuré<br />

<strong>et</strong> analysé, que c<strong>et</strong>te frustration puisse concerner principalement, voire prioritairement, les<br />

individus moins bien insérés socialement, ce que nous n’avons pas vérifié <strong>à</strong> ce jour. C<strong>et</strong>te<br />

approche ne suffit pas, bien évidemment, <strong>à</strong> elle seule, <strong>à</strong> rendre compte <strong>des</strong> actes hooligans<br />

mais a, au moins, le mérite de replacer le spectacle sportif dans le cadre <strong>des</strong> interactions qui<br />

conduisent <strong>à</strong> la violence. En observant ce défaut d’analyse dans notre recherche, nous avons<br />

conscience d’avoir laissé un pan entier d’étu<strong>des</strong> possibles allant, en plagiant Goffman, jusqu’<strong>à</strong><br />

l’analyse, <strong>à</strong> travers la violence, <strong>des</strong> mises en scène d’une partie de la vie quotidienne <strong>des</strong><br />

supporters.<br />

De l’inculture supposée <strong>des</strong> supporters<br />

Pour en finir avec les représentations collectives qui réduisaient le hooliganisme <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> exercées de manière préméditée par <strong>des</strong> jeunes mâles exclus socialement sans lien<br />

apparent avec le football nous nous sommes attachés <strong>à</strong> déconstruire l’image <strong>des</strong> supporters<br />

incultes sportivement <strong>et</strong> « footballistiquement » parlant (Bodin, 2002). Bien que le rapport<br />

Harrington, indiquait dès 1968 que les hooligans arrêtés loin d’être <strong>des</strong> délinquants extérieurs<br />

au monde du football étaient d’authentiques supporters érudits ayant une profonde<br />

connaissance <strong>des</strong> résultats <strong>et</strong> de l’histoire du football, de leur club <strong>et</strong> <strong>des</strong> joueurs, le thème de<br />

la déculturation du public reste prégnant <strong>et</strong> récurrent pour expliciter en partie du moins les<br />

exactions du public.<br />

Représentations <strong>entre</strong>tenues par les dirigeants du football professionnel par méconnaissance,<br />

ou par calcul, y voyant l<strong>à</strong> encore un moyen parmi d’autres de se dégager de toute<br />

responsabilité : si les violents ne sont pas <strong>des</strong> footballeurs ou <strong>des</strong> « connaisseurs » du fait<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 91


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

sportif, mais <strong>des</strong> individus qui viennent comm<strong>et</strong>tre leur méfait dans le stade, dans un but de<br />

visibilité sociale, les raisons sont <strong>à</strong> chercher dans le (dys)fonctionnement social <strong>et</strong> la réponse <strong>à</strong><br />

apporter est sociétale.<br />

Lors <strong>des</strong> <strong>entre</strong>tiens ce thème revenait fréquemment pour expliciter les phénomènes de<br />

hooliganisme. Les explications fournies étaient simples : « les supporters de football sont plus<br />

violents car ils sont moins connaisseurs » (policier bordelais) ou encore « le rugby [ ce<br />

pouvait être le bask<strong>et</strong>-ball ou le volley-ball ] c’est un sport de pratiquants donc on comprend<br />

le jeu, on ne réagit pas violemment... » (supporter du rugby au CA Bègles-Bordeaux<br />

Gironde). Il convient cependant de nuancer quelque peu les propos qui sont rapportés <strong>et</strong> d’en<br />

fixer les limites. Ne s’agit-il pas simplement d’une méconnaissance <strong>des</strong> publics du football ?<br />

Ou encore d’affirmations qui visent <strong>à</strong> j<strong>et</strong>er le discrédit ou l’opprobre sur les supporters d’un<br />

autre sport ? Ou enfin du mépris souvent affiché <strong>à</strong> l’encontre d’un public jugé - trop -<br />

populaire, avec toutes les déclinaisons sémantiques possibles de ce mot, trop bruyant <strong>et</strong> trop<br />

partial ? Les manifestations bruyantes, exacerbées <strong>et</strong> partisanes du public juvénile du football<br />

ont le don d’inquiéter <strong>et</strong> d’inciter <strong>à</strong> la défiance <strong>et</strong> <strong>à</strong> la méfiance les publics <strong>des</strong> autres <strong>sports</strong><br />

souvent plus âgés, insérés socialement <strong>et</strong> empreint d’une plus grande « distance au rôle » face<br />

au spectacle sportif.<br />

Ces propos rejoignent cependant ceux de Bourdieu qui se demandait « si certains aspects de<br />

l’évolution récente <strong>des</strong> pratiques sportives - comme le recours au doping ou les progrès de la<br />

violence tant sur les sta<strong>des</strong> que dans le public - ne sont pas pour une part un eff<strong>et</strong> de<br />

l’évolution que j’ai trop rapidement évoquée ». C<strong>et</strong>te évolution étant la massification du<br />

spectacle sportif par la venue d’un public moins connaisseur, c’est-<strong>à</strong>-dire « d’un public très<br />

imparfaitement pourvu de la compétence spécifique nécessaire pour le déchiffrer<br />

adéquatement » (op. cit, 184). Il n’est pas dans notre propos de réduire la pensée <strong>et</strong> les propos<br />

de Bourdieu en la matière. Il s’agit d’un questionnement que son auteur ém<strong>et</strong> en 1978 <strong>à</strong> une<br />

époque où les <strong>violences</strong> <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> se multiplient <strong>et</strong> acquièrent une visibilité sociale. En<br />

devenant un spectacle de masse, celui-ci aurait pu attirer un public moins connaisseur, qui par<br />

la méconnaissance de la logique interne de l’activité aurait parfois recours <strong>à</strong> la violence. Ces<br />

discours posent cependant un certain nombre de problèmes <strong>et</strong> de questions. Problèmes tout<br />

d’abord car, il n’est pas possible de comparer <strong>des</strong> discours aussi différents. Discours savant,<br />

d’une part, <strong>et</strong> discours ordinaires, d’autre part, bâtis sur fonds de représentations sociales,<br />

mais également, de stéréotypes <strong>et</strong> de préjugés. Il semble que sont amalgamées tout <strong>à</strong> la fois la<br />

violence spontanée, qui peut être celle de supporters mécontents qui réagissent par la violence<br />

<strong>et</strong> la violence préméditée <strong>et</strong> organisée qui est communément appelée hooliganisme. Sont<br />

amalgamées encore les <strong>violences</strong> qui peuvent être exercées par un individu seul <strong>et</strong> celles qui<br />

sont le fait d’un groupe de supporters. Questions ensuite car, comment mesurer la « culture »<br />

sportive <strong>des</strong> publics. Pour Bourdieu (op. cit, 184) « le connaisseur dispose <strong>des</strong> schèmes de<br />

perception <strong>et</strong> d’appréciation qui lui perm<strong>et</strong>tent de voir ce que le profane ne voit pas,<br />

d’apercevoir une nécessité l<strong>à</strong> où le béotien ne voit que violence <strong>et</strong> confusion [...] ». Alors <strong>à</strong><br />

partir de quels moments devient-on connaisseur, passe t-on de l’état profane <strong>à</strong> la connaissance<br />

<strong>et</strong> <strong>à</strong> l’expertise ? Comment s’acquiert, se construit ou se transm<strong>et</strong> une culture ? Defrance (op.<br />

cit., 50) suggère que la « difficulté de penser « une » culture sportive vient de ce que tous les<br />

pratiquants de sport n’ont pas la même façon de s’engager dans leur activité ».<br />

Le terme de culture est porteur de nombreuses controverses, au point que la multiplicité, <strong>et</strong> la<br />

profusion sans cesse croissante, <strong>des</strong> définitions proposées « ont fini par diluer la portée<br />

heuristique du concept » (Lallement, 1993, 61). Culturalistes <strong>et</strong> fonctionnalistes, <strong>à</strong> commencer<br />

par Malinowski (1944) <strong>et</strong> Herskovits (1948) s’accordent cependant <strong>à</strong> reconnaître <strong>des</strong> traits<br />

constitutifs fondamentaux de la culture comme produit d’un apprentissage social. Elle n’est<br />

donc pas « génétiquement » inscrite dans chaque suj<strong>et</strong>. Elle est le dérivé d’un environnement<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 92


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

historique, psychologique <strong>et</strong> social <strong>des</strong> hommes. Elle est enfin variable c’est-<strong>à</strong>-dire qu’il<br />

existe <strong>des</strong> différences internes au sein d’une même société. Fort de ces définitions <strong>et</strong><br />

remarques il semble cependant que rien ne peut empêcher un total béotien d’acquérir une<br />

culture sportive même s’il existe effectivement plusieurs niveaux de connaissance ou de<br />

culture sportive. Ainsi une distinction peut être opérée <strong>entre</strong> le pratiquant <strong>et</strong> le non pratiquant,<br />

le pratiquant de base <strong>et</strong> l’athlète de haut niveau expert de sa discipline avec <strong>entre</strong> les deux<br />

toutes les nuances possibles selon les différents niveaux de pratiques. A chacun de ces paliers<br />

correspondent une connaissance, un vécu de l’activité, <strong>des</strong> sensations <strong>et</strong> <strong>des</strong> expériences qui<br />

sont assimilés <strong>et</strong> servent de filtre <strong>et</strong> d’interprétation aux situations postérieures.<br />

Mais doit-on considérer la culture sportive sous le seul angle de la pratique ? Ce serait alors<br />

considérer les « experts » sportifs comme les seuls <strong>à</strong> posséder la compétence culturelle d’une<br />

discipline. Est-ce <strong>à</strong> dire alors que tout spectateur ou supporter non ancien pratiquant d’un<br />

certain niveau, qu’il resterait cependant <strong>à</strong> fixer, serait donc inculte ? Est-ce <strong>à</strong> dire également<br />

que l’inculture les empêcherait de garder une certaine « distance au rôle ». Ce serait oublier<br />

ou négliger l’approche anthropologique anglo-saxonne qui voit dans la culture le moyen<br />

d’ajuster les comportements en fonction de l’ordre social (Herskovits, op. cit.). La culture<br />

sportive ne peut se résoudre <strong>et</strong> se réduire <strong>à</strong> l’expérience praxique. Il faut y inclure <strong>des</strong> données<br />

historiques sur l’évolution du jeu, <strong>des</strong> techniques <strong>et</strong> <strong>des</strong> tactiques, <strong>des</strong> joueurs <strong>et</strong> <strong>des</strong> résultats,<br />

du club <strong>et</strong> du sport en général. La culture sportive est donc un obj<strong>et</strong> plurivoque abordable au<br />

plus grand nombre <strong>à</strong> considération de s’intéresser <strong>à</strong> l’évolution de ce sport dans sa<br />

complexité.<br />

Il nous a semblé nécessaire d’adopter une définition plus large <strong>et</strong> plus englobante de la culture<br />

« qui qualifie, dans leur cohérence <strong>et</strong> leur organisation, leur transmission <strong>et</strong> leur reproduction,<br />

les pratiques <strong>et</strong> les produits symboliques propres <strong>à</strong> un groupe social quelconque […] »<br />

(Pociello, 1995, 23). La culture sportive s’acquiert <strong>et</strong> s’enrichit dans la pratique mais,<br />

également dans la vision <strong>des</strong> pratiques nouvelles <strong>et</strong> <strong>des</strong> spectacles offerts <strong>et</strong> promus par notre<br />

société hyper médiatisée <strong>et</strong> de loisir où domine le culte du corps.<br />

La dernière enquête de l’Insep (2001), bien que très contestable sur un grand nombre de<br />

points 133 , donne une tendance générale <strong>et</strong> montre l’expansion <strong>et</strong> la diversification de la<br />

pratique sportive en France. « En juill<strong>et</strong> 2000, 36 millions de Français âgés de 15 <strong>à</strong> 75 ans<br />

déclarent avoir <strong>des</strong> APS. Ces pratiques sont plus ou moins régulières, plus ou moins intenses :<br />

ainsi, un peu plus de 26 millions font du sport au moins une fois par semaine <strong>et</strong> plus de la<br />

moitié <strong>des</strong> 10 millions d’adhérents aux clubs <strong>et</strong> associations sportifs participe <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

compétitions » (Mignon, Truchot, 2001, 1). Mais s’il semble de plus en plus d’échapper<br />

aujourd’hui <strong>à</strong> la pratique sportive 134 , il paraît plus difficile encore de fuir la mise en spectacle<br />

télévisuelle <strong>des</strong> <strong>sports</strong>. En c<strong>et</strong>te fin de XX ème <strong>et</strong> ce début de XXI ème siècle, le sport est devenu<br />

un spectacle ludique, refl<strong>et</strong> culturel de nos sociétés compétitives qu’accompagne le<br />

développement <strong>des</strong> médias. Ainsi les r<strong>et</strong>ransmissions télévisuelles ou radiophoniques<br />

contribuent <strong>à</strong> diffuser une « culture sportive ». Comment en eff<strong>et</strong> imaginer que l’on puisse<br />

méconnaître le sport alors que l’offre télévisuelle en la matière, bien que déformée <strong>et</strong><br />

disproportionnée en faveur de certains <strong>sports</strong>, le football, ou de certains événements, les Jeux<br />

133 Avec son acception large <strong>des</strong> APS <strong>et</strong> la relance systématique, la dernière enquête du MJS semble entériner<br />

l’idée d’une « France sportive ». L’astuce qui consiste <strong>à</strong> extrapoler <strong>à</strong> l’ensemble de la population (en exprimant<br />

les résultats en millions de personnes pour l’exemple français) les résultats obtenus <strong>à</strong> partir d’un échantillon<br />

urbain renforce ce sentiment. C<strong>et</strong>te « photographie » est, de surcroît, basée sur <strong>des</strong> déclarations en partie non<br />

spontanées en raison de la relance de l’enquêteur : une fois sur cinq environ. C<strong>et</strong>te application <strong>à</strong> relancer dans<br />

près de 20% <strong>des</strong> cas demeure quelque peu suspecte. Pour les pratiques moins directement compétitives, les<br />

résultats apportent, cependant, <strong>des</strong> indications intéressantes…<br />

134 Encore faut-il mieux être rappelons-le, jeune, célibataire, membre <strong>des</strong> classes moyennes ou supérieures <strong>et</strong><br />

habiter les gran<strong>des</strong> villes.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 93


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

olympiques <strong>et</strong> le Tour de France, atteint pratiquement 2800 heures en 1998, tous <strong>sports</strong><br />

confondus, <strong>et</strong> est passée de 452 heures en 1997 <strong>à</strong> 872 heures <strong>et</strong> 30 minutes en 1998 pour le<br />

seul football.<br />

Il est évident que l’hypothèse de la déculturation est exagérée <strong>et</strong> obsolète. Pour en rendre<br />

compte <strong>et</strong> pousser plus loin encore notre méthode comparative, nous avons eu recours <strong>à</strong> la<br />

construction d’un « Indice de Culture Sportive » (ICS). C<strong>et</strong> ICS a demandé de nombreux<br />

essais <strong>et</strong> tâtonnements. Le poids relatif donné <strong>à</strong> chacune <strong>des</strong> variables utilisées dans sa<br />

construction ne devait pas en eff<strong>et</strong> favoriser les supporters membres <strong>des</strong> noyaux durs. C’est<br />

pour c<strong>et</strong>te raison notamment que l’assiduité en déplacement n’est pondérée que du coefficient<br />

1. L’ancienn<strong>et</strong>é en tant que supporter mesure l’acte de « supporter » son équipe <strong>et</strong> non<br />

l’appartenance <strong>à</strong> un groupe identifié. Nous avons cherché également <strong>à</strong> pondérer très fortement<br />

la pratique sportive pour favoriser au maximum celle-ci dans l’acquisition de la culture. Enfin,<br />

la vision d’autres <strong>sports</strong> a été pondérée d’un indice double de celui de l’assiduité en<br />

déplacement favorisant les spectateurs au détriment <strong>des</strong> supporters qui suivent assidûment<br />

leur équipe <strong>et</strong> ont, normalement, compte tenu du nombre de matches dans une saison, moins<br />

de temps pour aller voir les autres <strong>sports</strong> 135 . C<strong>et</strong> ICS prend en compte <strong>et</strong> a pour objectif de<br />

mesurer :<br />

- la fréquence de vision du spectacle sportif (assiduité au match ; assiduité au<br />

déplacement), donc un enrichissement de la connaissance par la répétition,<br />

- l’enracinement de la connaissance (depuis combien de temps êtes-vous supporter ou<br />

spectateur de... ?) : l’inscription de la connaissance dans la durée avec un référentiel de<br />

l’histoire du sport, du club <strong>et</strong> de l’équipe,<br />

- la pratique sportive (depuis combien de temps êtes vous pratiquant ou combien de<br />

temps avez-vous été pratiquant de ce sport ?) : la prise en compte de l’expertise<br />

praxique,<br />

- la fréquentation d’autres <strong>sports</strong> (allez-vous voir d’autres <strong>sports</strong> ?) : un enrichissement<br />

culturel de multiples praxis.<br />

Le croisement de l’ICS (AFC ci-<strong>des</strong>sous) <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong> perm<strong>et</strong> de distinguer clairement les<br />

publics avec d’un côté le rugby pour lequel personne ne sera surpris de constater la présence<br />

d’une forte culture sportive <strong>et</strong> le football. Comment expliquer ce résultat qui va <strong>à</strong> l’encontre<br />

<strong>des</strong> idées généralement répandues sur la composition <strong>des</strong> publics sportifs ? Tout d’abord en<br />

terme de pratique sportive, les jugements de valeurs portés sur les publics <strong>des</strong> différents <strong>sports</strong><br />

s’avèrent être faux du moins en ce qui concerne nos sites. Le public du football est composé<br />

d’actuels ou d’anciens pratiquants dans 55,6 %, devançant très n<strong>et</strong>tement celui du bask<strong>et</strong>-ball<br />

<strong>et</strong> du volley-ball qui passent pourtant pour être <strong>des</strong> publics de connaisseurs ou d’anciens<br />

joueurs. Mais, ce n’est pas la seule différence puisque les publics du rugby <strong>et</strong> du football sont<br />

également composés <strong>des</strong> pratiquants les plus anciens (un tiers de l’effectif du public de<br />

chacun de ces <strong>sports</strong> pratique celui-ci depuis plus de 10 ans).<br />

135 Calcul de l’ICS = assiduité chaque match (coeff. 4) ou assiduité autres (coeff. 1) + assiduité en déplacement<br />

oui (coeff. 1) + ancienn<strong>et</strong>é de supporter + 10 ans (Coeff. 8) ou 5-10 ans (coeff.. 4) ou 2-5ans (coeff. 2) ou - 2 ans<br />

(coeff. 1) + pratique sportive (même coeff. que pour l’ancienn<strong>et</strong>é) + autres <strong>sports</strong> oui (coeff. 2). L’assiduité en<br />

déplacement a été faiblement pondérée pour ne pas favoriser « culturellement » les supporters qui sont la partie<br />

du public la plus nombreuse <strong>à</strong> se déplacer fréquemment <strong>et</strong> régulièrement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 94


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Axe 1 (86.0%)<br />

Forte culture sportive<br />

19 <strong>et</strong> plus<br />

de 16 <strong>à</strong> 19<br />

Football<br />

Rugby<br />

de 12 <strong>à</strong> 16<br />

Axe 2 (10.7%)<br />

de 5 <strong>à</strong> 8<br />

de 8 <strong>à</strong> 12<br />

Bask<strong>et</strong>-Ball<br />

moins de 5<br />

Faible culture<br />

sportive<br />

Volley-Ball<br />

AFC tri croisé Indice de Culture Sportive <strong>et</strong> <strong>sports</strong>.<br />

La dépendance est très significative. chi2 = 148,15, ddl = 15, 1-p = >99,99%.<br />

On peut se demander dès lors, qui sont parmi les supporters de football, les plus violents : les<br />

moins ou les plus cultivés ? La distribution <strong>des</strong> réponses <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te question, par le biais du<br />

croisement de l’ICS <strong>et</strong> <strong>des</strong> raisons invoquées par les supporters pour justifier leur participation<br />

aux affrontements, montre que le recours <strong>à</strong> la violence physique n’est pas le fait de personnes<br />

incultes mais, bien au contraire, <strong>des</strong> plus « cultivées sportivement ». Ceux qui obtiennent le<br />

plus faible ICS sont les « moins violents ».<br />

Axe 1 (85.7%)<br />

Inculture sportive <strong>et</strong><br />

non violence<br />

de 5 <strong>à</strong> 8<br />

moins de 5<br />

Ne participent pas<br />

de 8 <strong>à</strong> 12<br />

Axe 2 (8.6%)<br />

de 16 <strong>à</strong> 19<br />

Forte culture<br />

rivalités <strong>entre</strong> clubs<br />

sportive <strong>et</strong><br />

réponse <strong>à</strong> la provocation violence<br />

de 12 <strong>à</strong> 16<br />

19 <strong>et</strong> plus<br />

résultat du match<br />

antécédents avec ces supporters<br />

arbitrage<br />

AFC tri croisé ICS <strong>et</strong> affrontements/raisons.<br />

La dépendance est très significative. chi2 = 90,62, ddl = 25, 1-p = >99,99%.<br />

Nos résultats sont sans appel. L’hypothèse de la déculturation du public comme facteur de<br />

recours <strong>à</strong> la violence est totalement obsolète sur les sites étudiés. Il faut chercher d’autres<br />

explications au hooliganisme. Les observations précédentes tant quantitatives - concernant la<br />

composition <strong>des</strong> publics, les publics violents, le recours <strong>à</strong> la violence, les justifications<br />

données <strong>à</strong> ces actes... - que qualitatives - la genèse <strong>et</strong> l’ancrage <strong>des</strong> passions de supporters -<br />

m<strong>et</strong>tent en exergue l’évident clivage <strong>entre</strong> publics « déviants » ou « violents » <strong>et</strong> publics<br />

« normaux », opposant <strong>à</strong> l’évidence les supporters du football aux spectateurs <strong>et</strong> aux<br />

supporters <strong>des</strong> autres <strong>sports</strong> observés sur les sites étudiés. S’il est habituel de considérer que la<br />

pauvr<strong>et</strong>é, la vulnérabilité sociale, l’inégalité socio-économique peuvent engendrer la<br />

délinquance ou le recours <strong>à</strong> <strong>des</strong> actes violents, les comportements <strong>des</strong> foules sportives<br />

semblent échapper cependant, dans le cadre limité <strong>des</strong> sites étudiés, <strong>à</strong> ce cadre conceptuel. Les<br />

excès <strong>et</strong> les brutalités <strong>des</strong> foules sportives participent <strong>à</strong> l’évidence <strong>des</strong> logiques groupales<br />

oppositives qui s’inscrivent dans la passion partisane. Ces <strong>violences</strong> doivent être interprétées<br />

comme un « accomplissement pratique » selon le sens que les individus « violents » donnent <strong>à</strong><br />

leurs actions <strong>et</strong> aux réactions d’autrui. Si la finalité <strong>des</strong> supporters n’est pas la violence, quand<br />

bien même celle-ci est omniprésente dans le supportérisme, elle est, comme nous nous<br />

sommes attachés <strong>à</strong> le décrire <strong>à</strong> la suite de c<strong>et</strong>te première série de recherche, une partie<br />

culturelle, historique, intégrale <strong>et</strong> intégrative de chacun <strong>des</strong> groupes.<br />

Si l’originalité de notre travail, tient, pour une part, <strong>à</strong> la critique <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> précédentes, <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

l’analyse comparative <strong>et</strong> quantitative, il est, surtout, dans la compréhension <strong>des</strong> phénomènes<br />

hooligans, que nous allons nous attacher montrer, <strong>à</strong> travers l’expérience <strong>et</strong> les discours tenus<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 95


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

par les supporters mais également <strong>à</strong> travers notre immersion dans certains de ces groupes<br />

durant plus de trois années.<br />

Le hooliganisme comme « dérive extrême du supportérisme ».<br />

Il existe donc d’autres raisons inhérentes au supportérisme lui-même. Il faut tout d’abord<br />

constater qu’il y a très souvent homologie <strong>entre</strong> rivalités sportives <strong>et</strong> rivalités intergroupes.<br />

Les plus grands clubs, au plan sportif, sont également ceux qui possèdent un grand nombre de<br />

groupes <strong>et</strong> de supporters. Les plus gran<strong>des</strong> équipes, ou celles qui, <strong>à</strong> un moment donné, ont<br />

marqué l’histoire du football français <strong>à</strong> l’échelon national ou international, sont également<br />

celles qui connaissent le plus grand nombre d’incidents <strong>et</strong> d’interdits de sta<strong>des</strong> (Bodin, 1998).<br />

Contagiosité <strong>et</strong> concurrence.<br />

Les groupes de supporters vont se développer de manière diachronique avec la<br />

professionnalisation du football. L’épopée stéphanoise va servir de catalyseur aux autres clubs<br />

français de première division, mais également <strong>à</strong> l’engouement, <strong>des</strong> publics. On parle alors de<br />

« chaudron vert » pour illustrer la frénésie <strong>et</strong> l’engouement de ce public aux couleurs du club,<br />

tout entier acquis <strong>à</strong> la cause, <strong>et</strong> <strong>à</strong> la réussite, de l’équipe. C’est <strong>à</strong> la même époque que de<br />

grands capitaines d’industrie vont progressivement investir dans le football. Celui-ci devient<br />

une vitrine politico-économique pour les dirigeants, villes <strong>et</strong> régions. Comme en Grande-<br />

Br<strong>et</strong>agne, les clubs vont attirer un public plus nombreux afin d’accroître les rec<strong>et</strong>tes au<br />

guich<strong>et</strong> mais, également pour devenir crédibles vis <strong>à</strong> vis <strong>des</strong> investisseurs <strong>et</strong> <strong>des</strong> médias qui<br />

s’intéressent de plus en plus au football.<br />

La participation <strong>des</strong> clubs français au plus haut niveau de compétition internationale va<br />

favoriser le développement du football en apportant un spectacle de qualité <strong>et</strong> drainer un<br />

public plus jeune qui, du fait de son âge s’identifie davantage au club <strong>et</strong> aux héros sportifs qui<br />

exaltent le mérite, la réussite sociale <strong>et</strong> représentent leur ville ou leur région. C’est l’époque<br />

de la création du Commando Ultra <strong>à</strong> Marseille en 1984 (CU84) <strong>et</strong> <strong>des</strong> Ultras Bordelais <strong>à</strong><br />

Bordeaux en 1985 (UB85) 136 , dans ce qui était, ou allait devenir, les clubs phares<br />

sportivement <strong>des</strong> années 1980-1990. L’émergence de ces groupes Ultras se fait par plagiat<br />

<strong>des</strong> groupes italiens auxquels leur club a été confronté en coupe d’Europe comme l’affirme<br />

« Rital », leader charismatique <strong>et</strong> fondateur <strong>des</strong> Ultras Bordelais :<br />

« En France, <strong>à</strong> Bordeaux par exemple, on a vu la Juve en 1985 <strong>et</strong> on a été<br />

impressionné par ce qu'on a vu! Sur le terrain, <strong>et</strong> dans les tribunes! On a trouvé ça<br />

tellement beau, tellement différent de ce qui se faisait en France <strong>à</strong> l’époque, c’était<br />

vraiment soutenir son équipe, on a voulu essayer de faire la même chose,<br />

d’apporter un peu quelque chose au club <strong>et</strong> <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te équipe. ».<br />

A la même époque une nouvelle forme de supportérisme voit le jour en France conjointement<br />

au modèle ultra italien : un supportérisme dans la tradition anglaise. Le premier club a être<br />

concerné par ce type de supportérisme est le PSG qui voit <strong>des</strong> supporters se regrouper <strong>à</strong> partir<br />

de 1984 dans la tribune Boulogne sous la dénomination de « Kop de Boulogne ». A partir de<br />

1987, nous y reviendrons c<strong>et</strong>te tribune comptera de nombreux skinheads principalement au<br />

sein du Pitbull Kop. Par l’eff<strong>et</strong> vraisemblablement de la médiatisation où de la proximité de<br />

pays frontaliers touchés par les mouvements skinheads - Belgique, Allemagne - de nombreux<br />

groupes apparentés <strong>à</strong> l’extrême droite vont voir le jour en France : les Dogues Virage Est de<br />

136 Ultramarines, aujourd’hui, le nom variant régulièrement avec la couleur <strong>des</strong> maillots de l’équipe.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 96


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Lille, les North Warriors <strong>et</strong> les Skinhead belges de Lens, la Brigade Ultra de Mulhouse, les<br />

Bad Gones de Lyon, les Casuals Firms parisiens, le PSG Assas Club, <strong>et</strong>c.<br />

Les déplacements de ces groupes, dans la France entière, vont entraîner le développement du<br />

mouvement Ultra en France par contagion <strong>et</strong> émulation. De nombreux groupent apparaissent<br />

alors dans l’indifférence quasi générale. Les clubs de football y trouvent leur compte en<br />

bénéficiant d’une animation gratuite mais également de la logique du 12 ème homme. Personne<br />

ne remarque que de nombreux groupes se créent <strong>à</strong> partir de scissions avec les groupes<br />

originels. Ainsi <strong>à</strong> Marseille, le CU84 éclate en 3 groupes distincts (Ultras, South Winners,<br />

Fanatics), les Dodgers émanent <strong>des</strong> Yankees, les South Winners voient une partie de leurs<br />

membres fonder les MTP (Marseille Trop Puissant). Il en est de même <strong>à</strong> Toulouse où les<br />

jeunes supporters échappent aux Viol<strong>et</strong>s pour devenir les Ultras occitans ou encore <strong>à</strong><br />

Bordeaux avec les l’éclatement <strong>des</strong> UB85 en Ultramarimes <strong>et</strong> Devils. C<strong>et</strong>te multiplication par<br />

scission <strong>et</strong> mimétisme était déj<strong>à</strong> pourtant un signe avant coureur de logiques oppositives plus<br />

importantes.<br />

Les médias amplifieront ce phénomène en montrant les images festives de virages animés <strong>et</strong><br />

colorés. Chaque groupe cherchera <strong>à</strong> reproduire ce qui se fait ailleurs, voudra montrer qu’il est<br />

capable de supporter <strong>et</strong> d’encourager son équipe aussi bien que les Bordelais ou les<br />

Marseillais, essaiera de faire mieux en étant plus nombreux, en donnant <strong>des</strong> spectacles de<br />

meilleure qualité dans un désir de visibilité sociale <strong>et</strong> aussi par rivalité sportive. Si ce<br />

supportérisme s’est construit par mimétisme, il s’est trouvé renforcé par la logique oppositive<br />

de la compétition. Le niveau sportif <strong>et</strong> les résultats ont suscité les vocations de supporters qui<br />

affirment leur passion <strong>et</strong> leur engagement pour le club. En arborant sur leurs bâches <strong>et</strong> leurs<br />

insignes les armoiries de la ville, de la région, ils affichent leur attachement mais également<br />

leur appartenance <strong>et</strong> leur réussite : « fiers d’être marseillais » , « bordelais toujours ». Ne<br />

faisant qu’un avec le club, porteur de leurs espoirs <strong>et</strong> de leurs passions, celui-ci doit gagner,<br />

car la victoire de l’équipe est également leur réussite. Il faut se souvenir que l’inscription dans<br />

le supportérisme Ultra correspond <strong>à</strong> un moment particulier de la fin de l’adolescence, période<br />

d’opposition <strong>et</strong> de rupture avec la famille, étape importante de l’intégration sociale mais<br />

également dans la construction sociale de son identité personnelle en tant qu’adulte, dans « la<br />

dualité de sa définition même : identité pour soi <strong>et</strong> identité pour autrui ». Être supporter du<br />

premier club <strong>à</strong> avoir gagné une coupe d’Europe ou du club champion de France perm<strong>et</strong> ainsi<br />

de se construire une identité positive tant pour soi qu’au regard <strong>des</strong> autres. Il ne s’agit plus<br />

d’une passion ordinaire. Elle devient <strong>à</strong> ce niveau extraordinaire, car elle est aventure, empiète<br />

sur le temps libre, sur les étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> même sur le travail. C’est une passion débordante <strong>et</strong><br />

dévorante. Supporter devient un style de vie <strong>et</strong> marque l’appartenance <strong>à</strong> une communauté<br />

spécifiée. Chez les Ultras, il n’est pas question, comme ce peut être le cas au bask<strong>et</strong>-ball, de<br />

convivialité avec les autres groupes. Les groupes Ultras, se construisent par « acculturation<br />

antagoniste », se comparant sans cesse aux autres <strong>et</strong> cherchant <strong>à</strong> se différencier <strong>des</strong> autres.<br />

Ces influences mutuelles sont d’autant plus nécessaires que les groupes sont proches <strong>et</strong><br />

semblables. L’identité du groupe <strong>et</strong> sa cohésion sont renforcés par la tendance <strong>à</strong> valoriser en<br />

permanence l’in-group <strong>et</strong> <strong>à</strong> dévaloriser ou stigmatiser l’out-group. La féminisation <strong>des</strong><br />

supporters adverses dans les chants <strong>et</strong> la fustigation de l’équipe opposée ne sont en fait que<br />

<strong>des</strong> processus sociaux qui perm<strong>et</strong>tent aux groupes de se construire par rassemblement <strong>et</strong><br />

opposition. La compétition est duale elle a lieu sur le terrain mais également dans les tribunes.<br />

Les supporters veulent être les meilleurs, réaliser les plus beaux tifos, être les plus âpres <strong>à</strong><br />

chanter, <strong>à</strong> soutenir <strong>et</strong> <strong>à</strong> encourager l’équipe, les plus nombreux <strong>à</strong> se déplacer, prolongeant<br />

ainsi, ou cherchant <strong>à</strong> participer <strong>à</strong> la victoire sur le terrain. Certes, la ségrégation <strong>des</strong> supporters<br />

ne favorise pas la convivialité, ni même le respect de l’autre. Elle attise au contraire les<br />

antagonismes. Ces mesures sont même parfois inutiles compte tenu du peu de supporters qui<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 97


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

se déplacent. Mais, en excluant toute idée de convivialité, ils refusent en fait le dialogue qui<br />

n’est pourtant rien d’autre que la négation de la violence (Changeux, Ricœur, 1998). Ce refus<br />

du dialogue est de toute façon nécessaire <strong>à</strong> la construction identitaire : l’identité « se pose en<br />

s’opposant ». La proximité identitaire de ces différentes communautés impose une nécessité<br />

de s’opposer <strong>et</strong> de se distinguer, la violence devient alors parfois un vecteur de c<strong>et</strong>te<br />

affirmation identitaire. Ce supportérisme est donc passionnel, au sens phénoménologique du<br />

terme, mais aussi au sens du crime passionnel tel que le définit Dufour-Gompers, « quand la<br />

passion [amoureuse] est présente avec ses ingrédients de trahison, jalousie, aveu, abandon,<br />

colère, réactions disproportionnées <strong>et</strong> incontrôlées, passage <strong>à</strong> l’acte impulsif [...] » (op. cit.<br />

96), lorsque les clubs de supporters par l’usage de conduites agonistiques, se concurrencent,<br />

s’opposent, recherchent l’hégémonie territoriale dans les tribunes... <strong>et</strong> quelquefois recourent <strong>à</strong><br />

la violence. Le hooliganisme doit dès lors être perçu comme la dérive passionnelle du<br />

supportérisme. Dire cela ne réactive pas le débat <strong>entre</strong> passion <strong>et</strong> déraison, mais oblige tout<br />

simplement <strong>à</strong> chercher <strong>à</strong> travers ce rapport passionnel au groupe <strong>et</strong> au club la dynamique<br />

sociale <strong>et</strong> historique de certaines exactions.<br />

Apparu dans les années 1990, Sup’ Mag, magazine entièrement consacré au mouvement Ultra<br />

va catalyser l’esprit de compétition <strong>entre</strong> les groupes en les incitant <strong>à</strong> faire toujours mieux <strong>et</strong><br />

en établissant un classement officiel <strong>et</strong> officialisé <strong>des</strong> « meilleurs supporters ». Si les critères<br />

originels étaient la qualité <strong>des</strong> spectacles <strong>et</strong> le nombre de fans, progressivement, s’intégreront<br />

<strong>des</strong> critères « d’invincibilité », relatifs <strong>à</strong> la violence. On y r<strong>et</strong>rouvera ainsi quantité d’articles<br />

ayant trait au hooliganisme, <strong>des</strong> interviews de jeunes hooligans, <strong>des</strong> articles m<strong>et</strong>tant en cause<br />

les délégués <strong>à</strong> la sécurité <strong>des</strong> clubs... Ce mensuel va peu <strong>à</strong> peu extrêmiser son contenu vers un<br />

supportérisme plus dur. Les supporters reconnaîtront eux-mêmes les eff<strong>et</strong>s néfastes de la<br />

revue qui, en catalysant le mouvement, a drainé de nouveaux publics <strong>et</strong> instauré une<br />

compétition accrue au sein <strong>des</strong> groupes :<br />

« L'année dernière, il y a eu une embellie: tu parlais de "Sup Mag"... "Sup Mag" a<br />

eu un eff<strong>et</strong> que j'appelle un eff<strong>et</strong> pervers, parce que "Sup Mag" a créé une mode<br />

du mouvement ultra en France, <strong>et</strong> les gens se sont dits ultras comme ça, du jour au<br />

lendemain, parce qu'ils avaient lu <strong>des</strong> choses dans "Sup Mag"... Comme toutes les<br />

mo<strong>des</strong> ! Les mo<strong>des</strong>, ce n'est pas toujours très profond ! Il est parfois difficile<br />

d'expliquer le pourquoi du comment! Enfin moi j'ai du mal par rapport <strong>à</strong> ça. "Sup<br />

Mag" a eu un eff<strong>et</strong> pervers parce qu'il a drainé une quantité de gens dans les<br />

sta<strong>des</strong> ou dans les groupes ultras qui, sans "Sup Mag", n'y seraient jamais venus !<br />

Mais, en plus il a entraîné <strong>des</strong> dissensions dans le mouvement, <strong>des</strong> jalousies<br />

toujours plus importantes, <strong>des</strong> oppositions <strong>entre</strong> les groupes parce que quand on<br />

parle d’un groupe dans un journal comme ça <strong>et</strong> bien c’est normal, il faut faire<br />

mieux <strong>et</strong> si tu ne peux pas le faire positivement par le spectacle, tu vas le faire<br />

autrement, en cassant, en provoquant les autres <strong>et</strong> puis voil<strong>à</strong>... » (Rital).<br />

Progressivement s’instaure une hiérarchie officieuse <strong>et</strong> officielle <strong>des</strong> groupes de supporters.<br />

La concurrence <strong>et</strong> les rivalités intergroupes vont naître de c<strong>et</strong>te comparaison dans la<br />

« qualité » du soutien.<br />

Mise en spectacle <strong>et</strong> territorialisation <strong>des</strong> tribunes.<br />

Si tout est prétexte <strong>à</strong> concurrence <strong>et</strong> suj<strong>et</strong> <strong>à</strong> opposition dans le supportérisme la mise en<br />

spectacle <strong>des</strong> tribunes est néanmoins ce qui procure la plus grande visibilité aux supporters.<br />

Pour organiser leurs spectacles, les supporters ont besoin d’un espace. Ils vont donc investir <strong>et</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 98


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

s’accaparer les virages. Ceux-ci vont devenir <strong>des</strong> territoires délimités, bien qu’ouverts <strong>à</strong> tous,<br />

mais où tous ceux qui s’y installeront, devront obligatoirement participer <strong>à</strong> la<br />

spectacularisation de l’événement.<br />

A titre d’exemple, si vous vous rendez dans un virage pour un match, un jour de tifo, vous<br />

êtes obligé, moralement, de brandir les papiers déposés dans les gradins pour fabriquer les<br />

figures emblématiques qui décorent les sta<strong>des</strong>.<br />

Ces territoires <strong>et</strong> ces spectacles sont signalés <strong>et</strong> signifiés par <strong>des</strong> bâches au nom ou aux<br />

insignes du groupe. Le spectacle devient synonyme de capacité <strong>à</strong> organiser, <strong>à</strong> rassembler un<br />

grand nombre d’individus pour composer de gigantesques fresques avec <strong>des</strong> feuilles de<br />

papiers ou encore recouvrir le virage de bâches, en forme de maillot, aux couleurs du club.<br />

Dès lors le spectacle devient enjeu de bien <strong>des</strong> manières. Il faudra d’abord être capable de<br />

faire mieux chez soi, afin de montrer que l’on est meilleur, ou empêcher l’autre groupe de<br />

produire son show en volant son matériel, en chantant plus fort que lui, <strong>et</strong>c. Le spectacle<br />

devient concurrence tout autant qu’il est vécu comme une provocation ou une atteinte <strong>à</strong><br />

l’honneur lorsqu’une bâche est volée.<br />

Mais la territorialisation <strong>des</strong> tribunes est source de bien d’autres conflits. Tous les<br />

emplacements ne procurent pas la même visibilité dans le stade. La volonté hégémonique <strong>et</strong> la<br />

soif de reconnaissance entraînent de nombreux affrontements.<br />

Un exemple simple est celui de la bagarre opposant deux leaders marseillais dans le virage<br />

nord... de Bordeaux en 1998. C<strong>et</strong>te bagarre dégénère vite au point que Winners <strong>et</strong> Ultras<br />

marseillais s’affrontent, surprenant stadiers <strong>et</strong> policiers qui s’attendaient davantage <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

escarmouches <strong>entre</strong> bordelais <strong>et</strong> marseillais. En dehors <strong>des</strong> différents identitaires de ces deux<br />

groupes, l’explication de c<strong>et</strong>te bagarre tient dans la tentative d’éviction quelques semaines<br />

plus tôt <strong>des</strong> Winners par les Ultras dans le virage sud du stade vélodrome. Depuis que le<br />

CU84 s’est scindé en trois entités distinctes (Fanatics, Winners <strong>et</strong> Ultras), la rivalité est très<br />

forte <strong>entre</strong> Winners <strong>et</strong> Ultras pour bénéficier de la meilleure visibilité dans le virage sud de<br />

Marseille. Alors que les membres du noyau dur <strong>des</strong> Winners étaient en Belgique pour prêter<br />

« main forte » <strong>à</strong> leurs homologues du Hell Side du Standard de Liège, les Ultras tentèrent,<br />

sans résultat, d’investir leur territoire, situé au-<strong>des</strong>sus du leur <strong>et</strong> plus visible. Le groupe resté<br />

sur place repoussa les attaques <strong>des</strong> Ultras. La vigilance <strong>des</strong> stadiers, <strong>et</strong> <strong>des</strong> dirigeants,<br />

empêcha toutes représailles pendant plusieurs semaines. Elles se concrétisèrent finalement <strong>à</strong><br />

Bordeaux ou tout le monde ignorait les antagonismes. De nombreux affrontements trouvent<br />

ainsi leur origine dans <strong>des</strong> logiques territoriales <strong>et</strong> <strong>des</strong> antécédents qui remontent parfois <strong>à</strong><br />

plusieurs saisons.<br />

Violence <strong>et</strong> hooliganisme comme « jeu » social.<br />

Le hooliganisme est un jeu. C’est d’abord une sorte de taquinerie instaurée par de jeunes<br />

supporters trouvant dans le chahut une unité, une complicité <strong>et</strong> un défoulement dionysiaque.<br />

C’est aussi « un mécanisme concr<strong>et</strong> grâce auquel les hommes structurent leur relation de<br />

pouvoir » (Crozier, Friedberg, op. cit., 113). Il ne s’agit plus d’un simple divertissement mais<br />

bien d’une relation qui vise <strong>à</strong> instaurer la plus grande emprise possible sur l’autre.<br />

Des p<strong>et</strong>its faits bénins, dérisoires <strong>et</strong> futiles, semblables aux incivilités (Roché, 1996)<br />

remarquables dans la société civile, sont ainsi très souvent le prélude <strong>à</strong> <strong>des</strong> affrontements<br />

beaucoup plus violents. On parle ainsi en criminologie d’eff<strong>et</strong>s de spirale. Ainsi par jeu, mais<br />

également pour prouver leur supériorité, les supporters provoquent leurs homologues<br />

adverses : chahut, huées lors de leur arrivée au stade. Tout est prétexte <strong>à</strong> les dévaloriser <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

leur faire peur. La venue de supporters adverses est vécue comme un défi <strong>et</strong> il faut leur<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

montrer qu’ils sont chez « nous », sur « notre territoire ». Le film I.D 137 (Identity Document)<br />

m<strong>et</strong> bien en évidence ce fonctionnement <strong>à</strong> travers la poursuite d’un bus de supporters. Très<br />

souvent les groupes arpentent la ville pour trouver ceux qui se rendent au stade. Il s’agit d’une<br />

véritable guérilla urbaine. L’objectif est de juger <strong>et</strong> jauger l’adversaire, de mesurer sa force <strong>et</strong><br />

son nombre, de chercher <strong>à</strong> l’intimider <strong>et</strong> <strong>à</strong> lui faire peur pour qu’il détale. C’est pour cela que<br />

dans toutes les villes de France les supporters sont attendus <strong>et</strong> raccompagnés, par les forces de<br />

l’ordre, parfois fort loin du stade.<br />

Dans certaines occasions la tension monte d’un cran, <strong>et</strong> l’objectif n’est plus seulement de faire<br />

peur, mais d’intimider l’autre par <strong>des</strong> actions violentes. Ainsi le jeu favori <strong>des</strong> supporters<br />

parisiens est-il de « caillasser » les bus adverses depuis le périphérique, <strong>à</strong> Bordeaux certains<br />

sont attaqués dans le c<strong>entre</strong> ville, <strong>et</strong> dépouillés de leurs vêtements <strong>et</strong> insignes, lorsqu’ils se<br />

déplacent en faible nombre <strong>et</strong> qu’ils ne sont pas attendus par les forces de l’ordre. Les<br />

déplacements sont donc une source de dangers <strong>et</strong> de conflits. A l’inverse ils sont une manière<br />

d’affirmer son pouvoir <strong>et</strong> sa force, de montrer <strong>à</strong> l’autre que l’on n’a pas peur de venir chez lui.<br />

Les anecdotes <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> ne manquent pas :<br />

« Euh... ouais. Ils étaient aux 7J, <strong>et</strong> c'étaient ceux avec qui il y avait eu <strong>des</strong><br />

problèmes au C<strong>entre</strong> de Bègles <strong>à</strong> midi. C'est pareil: en fait, <strong>des</strong> Ultras bordelais<br />

sont allés voir arriver les Winners: on savait qu'ils arrivaient indépendamment <strong>à</strong> 9<br />

h du matin. Ils se sont dits: "s'ils sont moins que nous, si on pouvait leur casser la<br />

gueule, ça serait bien". Manque de pot, les Marseillais étaient plus nombreux, les<br />

Bordelais se sont faits casser la gueule ! Après, il y en a un qui les a suivis: ils<br />

sont <strong>des</strong>cendus au C<strong>entre</strong> de Bègles <strong>à</strong> midi. Donc il est venu nous le dire. »<br />

(Supporter membre <strong>des</strong> Ultramarines).<br />

Il reste néanmoins la question du nombre car si les Marseillais sont capables de mobiliser<br />

<strong>entre</strong> 1500 <strong>et</strong> 2500 supporters pour se rendre <strong>à</strong> Paris, les autres groupes ne sont jamais plus de<br />

100 <strong>à</strong> 500 personnes <strong>à</strong> se déplacer. Ceux qui se déplacent sont donc toujours en infériorité<br />

numérique ce qui ne fait qu’accroître le danger. Mais se déplacer est une question d’honneur,<br />

ne pas « bâcher », ne pas afficher dans le stade adverse le nom de son groupe est un<br />

déshonneur. L’opposition repose ainsi sur leur nécessaire affirmation identitaire. En<br />

permanence il existe une lutte pour le classement dans laquelle chaque communauté cherche <strong>à</strong><br />

se faire connaître <strong>et</strong> reconnaître ou encore, <strong>à</strong> contester son rang dans le classement officieux<br />

<strong>des</strong> supporters Ultras. « Ce top 50 <strong>des</strong> Ultras français n’existe pas concrètement […] une<br />

sorte de hiérarchie s’est instaurée, sans cesse remise en cause […] Il est généralement admis<br />

que les Marseillais sont en tête […] De même les groupes <strong>des</strong> équipes de deuxième division<br />

promues en première tentent-ils de se montrer <strong>à</strong> la hauteur […] en cherchant <strong>à</strong> se m<strong>et</strong>tre en<br />

valeur violemment si nécessaire. Mais, l’idéal pour un groupe soucieux d’acquérir ses l<strong>et</strong>tres<br />

de noblesse dans ce championnat parallèle est indéniablement une virée au stade vélodrome<br />

de Marseille » (Broussard, op. cit. 198-199). Malgré la dangerosité <strong>des</strong> déplacements il<br />

importe donc d’aller chez l’autre <strong>et</strong> qui plus est dans les clubs où les supporters sont connus <strong>et</strong><br />

réputés pour la qualité de leurs tifos, le nombre de leurs adhérents, ou tout simplement leur<br />

violence. Si les Marseillais sont souvent dans ce que l’on pourrait appeler de « mauvais<br />

137 Film qui r<strong>et</strong>race l’infiltration d’un groupe de hooligans par un jeune policier qui deviendra p<strong>et</strong>it <strong>à</strong> p<strong>et</strong>it luimême<br />

hooligan. Le réalisateur dit de ce film : « Ce n’est pas tellement le hooliganisme qui m’intéressait [...]<br />

mais, <strong>à</strong> la racine de c<strong>et</strong>te histoire, quelque chose dans l’itinéraire psychologique de John me plaisait : qu’il<br />

devienne c<strong>et</strong>te espèce de brute qu’il doit logiquement jouer a être <strong>et</strong> qu’on comprenne que ça pourrait arriver <strong>à</strong><br />

chacun d’<strong>entre</strong> nous » (P. Davis, réalisateur, note de production, 1997).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 100


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

coups », c’est peut-être que certains parmi eux recherchent la violence, mais c’est aussi <strong>et</strong><br />

surtout, bien souvent, parce qu’en raison de leur réputation, s’attaquer <strong>à</strong> eux, les provoquer,<br />

devient un honneur pour les p<strong>et</strong>its groupes.<br />

Dans c<strong>et</strong>te quête de distinction la force d’un groupe se mesure <strong>à</strong> sa capacité <strong>à</strong> se déplacer en<br />

masse, <strong>à</strong> faire le spectacle chez l’autre (chants, drapeaux, <strong>et</strong>c.), <strong>à</strong> signifier sa présence <strong>à</strong><br />

travers une unité culturelle <strong>et</strong> sociale. Ces actions sont vécues comme autant de provocations<br />

par les groupes qui « reçoivent ». Affronts qui, dans une logique d’honneur ou d’hégémonie<br />

groupale, doivent être lavés. Ainsi après les matches, les leaders « appellent <strong>à</strong> la course »<br />

(faire la chasse aux supporters adverses pour les dépouiller de leurs insignes, les frapper…).<br />

Chaque groupe possède son musée où sont exposés les trophées dérobés lors <strong>des</strong> multiples<br />

escarmouches avec les policiers <strong>et</strong> les supporters adverses (casques de CRS, insignes,<br />

Bombers, écharpes, bâches <strong>et</strong>c.). Au match suivant les trophées dérobés seront exhibés dans<br />

les tribunes, l<strong>à</strong> encore par provocation, mais aussi par esprit de domination de l’autre, <strong>à</strong><br />

l’image <strong>des</strong> seigneurs d’autrefois qui arboraient les armoiries de ceux qu’ils avaient vaincus <strong>et</strong><br />

vassalisés. Au match r<strong>et</strong>our les supporters tenteront de se déplacer plus nombreux, pour<br />

venger l’affront, pour montrer leur force. Ceux qui se sont fait voler une bâche, ou <strong>des</strong><br />

emblèmes importants, viendront en force, voire armés pour les reprendre. Une spirale sans fin<br />

s’amorce : provocation, réponse <strong>à</strong> la provocation, vend<strong>et</strong>ta. Elle favorise le passage d’une<br />

passion exacerbée au supportérisme passionnel : le hooliganisme. C’est bien de vend<strong>et</strong>ta dont<br />

il est question car la vengeance s’exercera de manière atemporelle, sans aucune<br />

proportionnalité avec la faute commise <strong>et</strong> sur chacun <strong>des</strong> membres de la famille (groupe).<br />

Plus personne ne connaît réellement l’origine <strong>des</strong> conflits, ni même qui a commencé : mais<br />

c’est toujours l’autre, l’ennemi.<br />

L’organisation de ces expéditions punitives <strong>et</strong> vengeresses marque un déplacement conceptuel<br />

important : le passage d’une violence spontanée (mots échangés, provocations réciproques,<br />

coups) aux origines diverses, <strong>à</strong> une violence préméditée <strong>et</strong> organisée. Cependant l’une <strong>et</strong><br />

l’autre sont du hooliganisme. Car l’une est <strong>à</strong> l’origine de l’autre <strong>et</strong> la violence armée qui se<br />

donne <strong>à</strong> voir n’est que la résultante <strong>et</strong> la partie émergée d’un grand nombre de conflits<br />

anodins trop souvent négligés.<br />

Hooliganisme, sous-cultures <strong>et</strong> politique<br />

Le supportérisme dès lors qu’il dépasse le soutien, fût-il inconditionnel <strong>et</strong> partisan, <strong>à</strong> l’équipe<br />

pose une question : est-il une sous-culture festive <strong>et</strong> dionysiaque ou engendre-t-il <strong>des</strong> souscultures<br />

déviantes ? Nous avons déj<strong>à</strong> répondu en partie <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te question en montrant qu’<strong>à</strong><br />

l’intérieur <strong>des</strong> groupes la question est de distinguer, parmi les supporters, les individus qui<br />

s’adonnent au hooliganisme de manière occasionnelle <strong>et</strong> passagère de ceux qui l’érigent en<br />

mode <strong>et</strong> style de vie .<br />

La sous-culture <strong>des</strong> supporters est donc très souvent double <strong>et</strong> instable : communautaire d’un<br />

côté, <strong>et</strong> déviante de l’autre. L’équilibre <strong>entre</strong> ces deux pôles antagonistes dépend <strong>à</strong> ce niveau<br />

de bien <strong>des</strong> facteurs : les valeurs <strong>et</strong> l’idéologie du groupe, la rationalité de certains acteurs,<br />

l’influence <strong>des</strong> « minorités actives », mais aussi du contexte particulier dans lequel s’exerce le<br />

supportérisme.<br />

Violences <strong>et</strong> culture <strong>des</strong> groupes.<br />

Mais, la violence a parfois d’autres fonctions. Elle perm<strong>et</strong> d’une part, de renforcer la cohésion<br />

du groupe par la distanciation, donc la différenciation avec les autres <strong>et</strong>, d’autre part, elle est<br />

constitutive de son propre groupe amené <strong>à</strong> choisir <strong>entre</strong> s’unir <strong>et</strong> faire front ou reculer <strong>et</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

disparaître. Dès lors la violence va être, au même titre que le soutien festif <strong>à</strong> l’équipe, un<br />

élément culturel de chacun <strong>des</strong> groupes. Celui-ci est <strong>à</strong> bien <strong>des</strong> égards une « famille », un lieu<br />

de socialisation privilégié, voire un refuge, pour certains, au sortir de l’adolescence. Un <strong>des</strong><br />

leaders <strong>des</strong> South Winners (l’un <strong>des</strong> groupes les plus violents de France) affirme que son<br />

groupe perm<strong>et</strong> aux jeunes de se structurer <strong>et</strong> de canaliser leurs <strong>violences</strong> malgré la violence<br />

latente <strong>et</strong> réelle du groupe:<br />

« C’est vrai qu’on est violents. C’est vrai que les jeunes du groupe sont violents,<br />

plus violents que les autres. Mais tu sais c’est rien par rapport <strong>à</strong> la violence de la<br />

rue dans laquelle ils sont tous les jours. Non tu sais je dirais que le groupe les rend<br />

moins violents car chez nous ils r<strong>et</strong>rouvent <strong>des</strong> amis, ils participent <strong>à</strong> la vie du<br />

groupe, ils ont un lieu <strong>à</strong> eux, un objectif : l’équipe » (RZ leader <strong>des</strong> South<br />

Winners).<br />

Ils effectuent <strong>des</strong> tâches, apprennent la solidarité, le respect, l’entraide, la fidélité. Le groupe<br />

joue un rôle social important dans la lutte contre les inégalités <strong>et</strong> l’exclusion. Le stade <strong>et</strong> les<br />

spectacles ne sont en fait que l’aboutissement du supportérisme. Le local est un lieu de<br />

rencontres <strong>et</strong> de convivialité dans lequel se nouent <strong>des</strong> amitiés. L’identité locale <strong>et</strong> régionale y<br />

est valorisée <strong>à</strong> travers les photos de la ville, du club, du groupe mais aussi la revendication de<br />

l’appartenance <strong>à</strong> une culture spécifique : l’Occitanie par exemple. Ces communautés sont<br />

porteuses de repères. Mais la transmission <strong>des</strong> valeurs du groupe, sa spécificité, son histoire,<br />

ses hauts faits <strong>et</strong> gestes, la biographie de ses leaders tiennent également compte de la violence.<br />

Les antagonismes sont inculqués par imprégnation. Les rivalités sont <strong>entre</strong>tenues par les<br />

leaders <strong>et</strong> les oppositions constituées au préalable de simples rivalités sportives dégénèrent<br />

ainsi, progressivement, en rivalités intergroupes, perm<strong>et</strong>tant la construction, la pérennisation<br />

<strong>et</strong> l’unification de chacun <strong>des</strong> groupes, en une sorte de mythologie fondatrice. Certes la<br />

narration <strong>des</strong> actes violents est très souvent déformée <strong>et</strong> subjective. Le groupe est toujours<br />

victorieux quels que soient le nombre <strong>et</strong> la réputation <strong>des</strong> assaillants, car ce sont aussi<br />

continuellement les autres qui attaquent <strong>et</strong> provoquent.<br />

« Ouais ! On m’a raconté : c’était hallucinant ! Les mecs, ils en ont bouffé comme<br />

jamais ! Dans le stade, <strong>et</strong> <strong>à</strong> l’extérieur du stade : ils ont pris deux raclées<br />

monumentales » (Supporter membre <strong>des</strong> Devils bordelais).<br />

« Nous on était tranquillement installé <strong>à</strong> la terrasse d’un bar quand les Parisiens<br />

sont arrivés. On cherchait pas la bagarre. Ils ont fondu sur nous comme ça. Ils<br />

étaient une bonne quinzaine de plus. Je peux te dire qu’ils sont pas tombés sur <strong>des</strong><br />

ingrats on a sorti les ceinturons, les battes <strong>et</strong> les matraques <strong>et</strong> on leur a mis une<br />

raclée » (Supporter membre <strong>des</strong> Bad gones lyonnais).<br />

Comme dans le cas de la construction <strong>des</strong> identités personnelles, celle du groupe,<br />

nécessairement positive <strong>et</strong> valorisante, manque totalement d’objectivité <strong>et</strong> fait appel <strong>à</strong><br />

« l’égocentration », le groupe est au c<strong>entre</strong> de l’action, <strong>et</strong> <strong>à</strong> la « bénefficience », les réussites<br />

sont davantage mises en avant que les échecs, (Greenwald, 1992). Encore faut-il que les<br />

groupes auxquels on a été confronté soient <strong>des</strong> groupes connus <strong>et</strong> reconnus. La narration de la<br />

violence est sélective, la notoriété <strong>et</strong> le prestige, ne s’acquièrent qu’en s’opposant aux groupes<br />

les plus prestigieux. Ainsi, certains jeunes supporters, développent une animosité, ou une<br />

haine, envers les supporters adverses sans les connaître si ce n’est <strong>à</strong> travers une<br />

historiographie partiale. A l’intérieur de la quasi totalité <strong>des</strong> groupes se développe une sous-<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

culture oppositive <strong>et</strong> violente, semblable aux « sous-cultures délinquantes » mises en évidence<br />

par Cohen (1955). Elle est non-utilitaire (aucun objectif instrumental), malintentionnée<br />

(réalisée par défi ou pour nuire), négative (faite en opposition aux normes établies), vise un<br />

hédonisme immédiat (ascension dans la hiérarchie officieuse <strong>des</strong> groupes) enfin, elle renforce<br />

l’autonomie <strong>et</strong> la cohésion du groupe (repli sur celui-ci <strong>et</strong> renforcement du sentiment<br />

d’appartenance de chacun <strong>des</strong> membres). Le hooliganisme fait donc partie intégrale du<br />

supportérisme. Dire cela ne réduit pas l’action <strong>des</strong> supporters aux seuls faits de <strong>violences</strong>,<br />

mais les incluent dans le fonctionnement social <strong>et</strong> le devenir de ces communautés.<br />

L’idéologie politique <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> en France : <strong>entre</strong> promotion <strong>des</strong> idées <strong>et</strong><br />

construction identitaire.<br />

Quelques-unes de nos récentes investigations, réalisées dans le prolongement de notre<br />

recherche, ou pour le compte du Conseil de l’Europe, concernent les idéologies politiques<br />

(Bodin, Robène, Héas, 2004b). Nous avions déj<strong>à</strong> discuté durant notre travail de thèse de la<br />

présence de tel ou tel groupe, sans pour autant faire la part <strong>des</strong> choses <strong>et</strong>, tenter de séparer les<br />

idéologies politiques qui s’exhibent dans les sta<strong>des</strong> en fonction de leurs finalités.<br />

Notre travail s’était <strong>à</strong> l’origine trouvé limité par ce que l’on peut qualifier un « écueil », ou un<br />

obstacle, dans la recherche. La collaboration avec la police <strong>et</strong> les renseignements généraux<br />

nous donnait alors accès aux fiches de renseignements concernant les hooligans. Après avoir<br />

commencé <strong>à</strong> investir le PSG, le directeur administratif de l’époque, en charge également de la<br />

sécurité, avait souhaité nous rencontrer. Ce n’est qu’après coup, que nous nous sommes rendu<br />

compte que la discussion était insidieuse. Sous prétexte « d’échanger » nos points de vue sur<br />

la politique de sécurité menée au Parc <strong>des</strong> princes, la discussion s’était progressivement<br />

déplacée sur les groupes que nous avions investis, rencontrés ou contactés. Lorsque nous<br />

émîmes <strong>des</strong> questions sur les raisons qui avaient pu pousser le PSG <strong>à</strong> fournir un local <strong>à</strong><br />

certains groupuscules d’extrême droite <strong>à</strong> l’intérieur même de l’enceinte sportive, <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

embaucher comme responsable <strong>des</strong> stadiers un ancien néo-nazi, notre bêtise n’avait d’égale<br />

que notre innocence en matière de recherche. Nous pensions alors que le « football », en tant<br />

que système, cherchait <strong>à</strong> lutter contre le hooliganisme <strong>et</strong> que le responsable assis en face de<br />

nous n’avait comme autre envie que le désir d’avoir un point de vue, peut-être, plus distancié.<br />

Il n’en était rien, car nous en avions trop dit <strong>et</strong> touché de très près un système collusoire que<br />

nous avons déj<strong>à</strong> évoqué. Congé pris, nous reçûmes quelques jours plus tard, un courrier<br />

officiel du PSG, nous annonçant qu’il n’était plus possible de collaborer, <strong>et</strong> nous enjoignant<br />

de cesser, pour l’instant, pour <strong>des</strong> raisons internes au club notre travail d’investigation 138 .<br />

C’est donc en immersion totale dans la tribune Boulogne <strong>et</strong> en opposition au club que ce<br />

travail débuta.<br />

A l’origine : le mouvement skinhead anglais<br />

Lorsque l’on évoque les idéologies politiques qui s’affichent dans les sta<strong>des</strong>, le propos se<br />

limite très souvent aux mouvements d’extrême droite. Les hooligans sont assimilés <strong>à</strong> <strong>des</strong> néonazis<br />

<strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>des</strong> skinheads. Comme le suggère Broussard (op. cit., 305), « l’image est classique.<br />

Elle tient presque du cliché ». Les néo-nazis qui fréquentent les sta<strong>des</strong> sont, ipso facto, Anglo-<br />

Saxons depuis le Heysel. Quand le gendarme Nivel se fait lyncher en France, c’est le fait de<br />

skinheads allemands, donc d’une longue tradition qui trouverait son expression dans les<br />

mouvements néo-nazis d’outre-rhin. Enfin, si le football italien voit pointer <strong>à</strong> Parme <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

138 Courrier qui fut joint en annexes du travail de thèse.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Rome une dérive xénophobe, chacun juge, bien évidemment, ces comportements choquants <strong>et</strong><br />

inadmissibles, mais n’y voit que le symbole d’une résurgence de l’Italie fasciste. Mais<br />

finalement, personne ne se pose jamais la question de savoir si skinheads <strong>et</strong> hooligans sont<br />

une seule <strong>et</strong> même entité ? S’il n’existe pas d’autres courants idéologiques dans les sta<strong>des</strong> ? Si<br />

les idéologies politiques affichées <strong>et</strong> revendiquées sont réelles ? Ou encore, quel est le sens <strong>à</strong><br />

donner <strong>à</strong> ces affirmations politiques <strong>et</strong> xénophobes ?<br />

Ce n’est pas tant « l’idéologie » en tant que mot ou concept qu’il s’agit d’interroger, mais ce<br />

que ce vocable recouvre de sens <strong>et</strong> de présupposés qui, sans nul doute, transparaissaient sous<br />

d’autres noms bien avant que Destutt de Tracy ne l’invente <strong>à</strong> la fin du XVIII ème siècle. Il<br />

existe tant de niveaux différents d’acception que la polysémie même de ce terme en fait, au<br />

mieux, un concept dilué. L’idéologie est-elle un idéal, <strong>des</strong> idées, préceptes, croyances,<br />

jugements de valeurs qu’une société tend <strong>à</strong> imposer <strong>à</strong> ses membres ou aux autres ? Ou bien<br />

est-ce au contraire un idéal, <strong>des</strong> idées, préceptes, croyances, jugements de valeurs que <strong>des</strong><br />

individus, en plus ou moins grand nombre, essaient de faire passer, voire d’imposer, au sein<br />

d’une société, tentant ainsi de bouleverser l’ordre social établi ? Quelle que soit la définition<br />

r<strong>et</strong>enue, l’idéologie doit être considérée comme le ferment <strong>et</strong> le fondement de bien <strong>des</strong><br />

fanatismes ou totalitarismes de toutes sortes (Arendt, 1972).<br />

Supportérisme <strong>et</strong> idéologies politiques<br />

Le phénomène n’est cependant pas nouveau. Les skinheads sont apparus <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années<br />

1960 en Angl<strong>et</strong>erre. A l’origine ce mouvement, relativement confidentiel, n’est pas raciste. Il<br />

s’inscrit tout <strong>à</strong> la fois en réaction au mouvement hippie <strong>et</strong> <strong>à</strong> la déstructuration de l’économie<br />

anglo-saxonne. Émerge ainsi une contre-culture : les hippies ont les cheveux longs,<br />

revendiquent la paix ; les skinheads porteront les cheveux courts <strong>et</strong> afficheront <strong>des</strong> normes de<br />

masculinité <strong>et</strong> de virilité <strong>à</strong> travers la violence. Les skinheads, issus <strong>à</strong> l’époque pour la plupart<br />

<strong>des</strong> milieux ouvriers, partagent <strong>des</strong> valeurs communes avec les immigrés qui sont, comme<br />

eux, exclus d’une société en déliquescence. Ils aiment alors le ska <strong>et</strong> le reggae. Les skinheads<br />

trouvent dans le football, indissociable <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te époque de la culture populaire anglo-saxonne,<br />

un moyen <strong>et</strong> un lieu d’expression valorisant. En décrivant succinctement l’émergence de ce<br />

mouvement on est loin du portrait archétypique associant supporters, hooligans, skinheads <strong>et</strong><br />

idéologie d’extrême droite <strong>à</strong> son origine.<br />

C’est <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années 1970 que le mouvement skinhead tournera réellement <strong>à</strong> la violence.<br />

Le slogan de l’époque, « No future », exprime bien le désarroi social dans lequel les skinheads<br />

s’inscrivent. Le mouvement se radicalise <strong>et</strong> réagit <strong>à</strong> la paupérisation de la société anglosaxonne<br />

<strong>et</strong> <strong>à</strong> la politique socio-économique qui marginalise les jeunes issus de la classe<br />

ouvrière. Ils adoptent un cri de ralliement Oï (« Oh you! », « Hep, toi ! »). La musique Oï est<br />

née avec <strong>des</strong> groupes qui contestent l’ordre établi, la politique économique <strong>et</strong> sociale de<br />

Thatcher, l’exclusion <strong>des</strong> ouvriers blancs (Garry, 1982). Elle prend place dans les tribunes,<br />

certains groupes musicaux affichent leur soutien <strong>à</strong> tel ou tel club dans leurs chansons <strong>et</strong><br />

composent quelques mélodies faciles <strong>à</strong> utiliser pour soutenir les équipes. Certains supporters<br />

se reconnaissent alors dans ces groupes.<br />

Progressivement vont ainsi se structurer <strong>des</strong> groupes skinheads qui se radicaliseront toujours<br />

davantage en réaction <strong>à</strong> la situation d’exclusion dont ils sont ou se sentent victimes. Leur<br />

violence s’inscrit alors dans la mise en évidence d’un « dysfonctionnement social » (Coser,<br />

1956). Émerge ainsi l’ICF de West Ham (Inter City Firm du nom d’un réseau de trains) en<br />

1975. Les skinheads n’affichent pourtant pas encore tous, loin s’en faut, une appartenance<br />

politique. Ce n’est qu’<strong>à</strong> partir du début <strong>des</strong> années 1980 que le mouvement va se radicaliser.<br />

La plupart <strong>des</strong> skinheads s’inscrivent dans les deux principaux partis d’extrême droite : le<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 104


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

British Movement <strong>et</strong> le National Front. C<strong>et</strong>te adhésion politique a pour conséquences<br />

essentielles d’accroître la violence mais également d’aider <strong>à</strong> diffuser les idéologies d’extrême<br />

droite parmi les jeunes supporters déçus par les partis politiques classiques <strong>et</strong> inqui<strong>et</strong>s de leur<br />

devenir. Ils trouvent alors dans le racisme, <strong>et</strong> dans les idéologies xénophobes, un moyen<br />

d’exprimer leur colère en se concentrant sur une « victime émissaire » (Girard, 1972).<br />

A cause du malaise social, mais aussi par mimétisme, d’autres groupes vont se structurer un<br />

peu partout en Europe en s’affublant de noms inquiétants (les Nutty turn out – les videurs fous<br />

– de Millwall, les Headhunters –les chasseurs de têtes – de Chelsea, le Service Crew –<br />

l’équipe d’<strong>entre</strong>tien – de Leeds). En Espagne, les jeunes franquistes se regrouperont autour de<br />

l’Español de Barcelone, tandis que la jeunesse nostalgique du III ème Reich se regroupera en<br />

RFA <strong>et</strong> en RDA autour <strong>des</strong> clubs de Berlin, Dortmund <strong>et</strong> Leipzig.<br />

Force nous est de constater que les sta<strong>des</strong> français ne sont pas en reste <strong>et</strong> qu’un certain<br />

nombre de clubs de supporters sont affublés de noms qui ne sont pas sans rappeler le III ème<br />

Reich. C’est le cas de l’Army Korp (PSG) du Naoned Korp (FC Nantes), d’autres affichent<br />

directement leur appartenance politique Ordre Nouveau (PSG), certains réactivent les<br />

souvenirs de mai 68 139 , avec le PSG ASSAS Club, quelques-uns, enfin, affirment <strong>à</strong> travers<br />

leurs noms ce qu’ils sont dans ou en-dehors du stade comme les North Warriors ou les<br />

Skinheads belges (RCL 140 ), le Casual Firm (PSG), les Bad Gones lyonnais… La liste n’est<br />

pas circonscrite <strong>à</strong> ces quelques clubs de supporters aux dénominations explicites. Urban<br />

Service (FC Nantes), Horda Frénétik (Stade messin), Commando Ultra 1984 (Olympique de<br />

Marseille), Viola Front (Toulouse FC) <strong>et</strong> bien d’autres revendiquent plus ou moins<br />

ouvertement une idéologie proche de l’extrême droite, tandis que Winners <strong>et</strong> MTP<br />

(Olympique de Marseille), Ultras Occitans (Toulouse FC), <strong>et</strong>c., affirment <strong>des</strong> idées d’extrême<br />

gauche.<br />

De l’idéologie <strong>à</strong> l’identité<br />

Toutes ces idéologies présentent-elles cependant le même caractère de dangerosité ? Si ces<br />

démonstrations sont, comme l’affirme Bromberger (1995), davantage une expression<br />

prosaïque <strong>et</strong> sporadique perm<strong>et</strong>tant au groupe de marquer son antinomie, ou un moyen pour<br />

quelques-uns de se distinguer, elles représentent parfois également une réelle émanation de<br />

partis politiques. Les groupes servent alors de vitrine <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent de noyauter la jeunesse <strong>des</strong><br />

tribunes pour la recruter. Deux tribunes françaises serviront <strong>à</strong> exemplifier ce propos : le Kop<br />

de Boulogne au PSG <strong>et</strong> le virage sud de Marseille.<br />

Croix celtiques ou gammées fleurissent dans les années 1980 <strong>à</strong> 1995 dans la tribune Boulogne<br />

du Parc <strong>des</strong> Princes. Le Choc du mois, périodique du Front National fait ainsi l’apologie du<br />

Kop de Boulogne en opposition <strong>à</strong> l’ordre policier de gauche (Mignon, 1995). Les joueurs<br />

adverses noirs y sont parfois conspués comme en Italie. A la même époque, le « A » de<br />

Anarchie <strong>et</strong> la figure du Ché peuplent le virage sud du stade vélodrome de Marseille dans le<br />

territoire <strong>des</strong> South Winners.<br />

S’il ne faut pas surcharger de sens <strong>et</strong> de significations ces affirmations <strong>et</strong> démonstrations<br />

politiques, il faut néanmoins s’en défier. Elles sont <strong>à</strong> l’origine <strong>des</strong> affrontements <strong>entre</strong> groupes<br />

de clubs opposés (Marseille <strong>et</strong> Paris, par exemple), de groupes du même club (South Winners<br />

<strong>et</strong> Commando Ultra marseillais), <strong>et</strong> de réseaux d’alliances ou d’inimitiés <strong>entre</strong> clubs<br />

(supporters de Châteauroux, de Paris <strong>et</strong> de Strasbourg unis contre les Marseillais). La<br />

139 Où la fac d’Assas affrontait celles de Nanterre <strong>et</strong> de Jussieu.<br />

140 Racing Club de Lens.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 105


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

politique vient ici dynamiser les <strong>violences</strong> en y superposant <strong>des</strong> raisons supra-sportives. Mais<br />

ces idéologies possèdent <strong>des</strong> finalités distinctes.<br />

L’extrême droite est dans le stade : le cas de la tribune rouge du Paris Saint-Germain<br />

En ce qui concerne le Paris Saint Germain, l’appartenance politique est certaine. Le PSG reste<br />

aujourd’hui le club français le plus noyauté. Le Kop de Boulogne est né en 1987 sous<br />

l’impulsion d’un skinhead 141 membre <strong>des</strong> JNR (Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires)<br />

rattachées <strong>à</strong> l’organisation Troisième voie. A c<strong>et</strong>te époque, les organisations Troisième voie,<br />

L’œuvre française <strong>et</strong> le PNFE (Parti nationaliste français <strong>et</strong> européen) tentent d’organiser, de<br />

récupérer <strong>et</strong> de structurer les groupes skinheads. C’est la période d’émergence d’une nouvelle<br />

extrême droite en France (Bourseiller, 1991 ; Winock, 1993). Les JNR ont même leur quartier<br />

général au Parc <strong>des</strong> Princes. Ce groupuscule va structurer <strong>et</strong> influencer le Kop de Boulogne,<br />

S.A. fonde le 9 décembre 1989, le « Pitbull kop » <strong>à</strong> l’origine de nombreux affrontements,<br />

débordements <strong>et</strong> slogans xénophobes <strong>et</strong> pro-nazis. Ce Kop deviendra, <strong>à</strong> partir de la rencontre<br />

PSG-Strasbourg du samedi 16/01/93 hooligan en totalité : « […] politiquement <strong>et</strong><br />

philosophiquement cohérente <strong>et</strong> homogène. Champ clos peuplé d’activistes, hyper-motivés<br />

qui n’ont rien en commun avec <strong>des</strong> supporters de football : absence de banderole,<br />

d’animation. Seuls apparaissent <strong>des</strong> drapeaux ″Sudistes <strong>et</strong> Ordre nouveau″. C<strong>et</strong>te tribune est<br />

devenue uniformément grise ou noire. Certains de ces éléments participent activement au<br />

service d’ordre d’un parti politique » (Rouibi, op. cit., 4).<br />

Il s’agit d’une réelle tentative d’infiltration <strong>des</strong> tribunes qui s’inscrit dans une stratégie de<br />

visibilité politique <strong>à</strong> travers une provocation <strong>à</strong> la discrimination, <strong>à</strong> la haine <strong>et</strong> <strong>à</strong> la violence<br />

raciale aisément constatable <strong>à</strong> travers les affiches <strong>des</strong> groupes de supporters du Kop de<br />

Boulogne en 1993.<br />

Apologie de la haine raciale au Kop de Boulogne (affiche)<br />

En 1996, au lendemain de sa victoire en coupe <strong>des</strong> vainqueurs de Coupes, le PSG va<br />

connaître, lors de la présentation du trophée aux supporters, <strong>des</strong> <strong>violences</strong> racistes <strong>et</strong><br />

xénophobes sans précédents. Les supporters de la tribune Boulogne envahissent la pelouse <strong>et</strong><br />

s’attaquent <strong>à</strong> ceux de la tribune Auteuil « bronzés de préférence » 142 .<br />

C<strong>et</strong>te dérive extrémiste a <strong>des</strong> significations sociales. Il s’agit d’une combinaison de<br />

domination <strong>et</strong> de ségrégation (Wieviorka, 1998), <strong>et</strong> non de l’expression de la paupérisation de<br />

certaines couches sociales. En eff<strong>et</strong>, les fondateurs du Kop de Boulogne, <strong>et</strong> plus<br />

particulièrement les skinheads, sont, pour la plupart d’<strong>entre</strong> eux, originaires <strong>des</strong> classes<br />

141 Que nous appellerons S.A. de ses initiales.<br />

142 Journal L’équipe, 10/5/96, 2.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

supérieures (Wieviorka, 1992a). L’inscription dans les idéologies d’extrême droite peut ainsi<br />

connaître <strong>des</strong> chemins divers <strong>et</strong> variés dus <strong>à</strong> l’histoire de vie de chacun (Dur<strong>et</strong>, 2004) <strong>et</strong><br />

semble, dans le stade, comme ailleurs dans la société, souvent procéder avant tout de<br />

références <strong>à</strong> la différence culturelle (Wieviorka, 1992b). La structuration de la tribune<br />

Boulogne aide au recrutement d’éléments nouveaux <strong>et</strong> sert de tribune politique. Les<br />

supporters les plus engagés participent également au service d’ordre de partis d’extrême<br />

droite comme le Front National. Si, aujourd’hui, les drapeaux arborant croix celtiques ou<br />

croix gammées n’existent plus dans c<strong>et</strong>te tribune, on peut légitimement s’interroger sur les<br />

raisons qui ont conduit les dirigeants du PSG <strong>à</strong> laisser se développer de pareilles<br />

organisations. Les tenues panzers, les saluts nazis, les tee-shirts (voir ci-<strong>des</strong>sous) aux logos<br />

racistes ne laissaient en eff<strong>et</strong> aucun doute sur la radicalisation de la tribune.<br />

Tee-shirts « empruntés » aux supporters parisiens lors de nos investigations.<br />

Que dire lorsque, de surcroît, ce club recrute comme responsable <strong>des</strong> stadiers un ancien<br />

hooligan d’extrême droite ? Son recrutement fut vivement critique par la presse, compte tenu<br />

de ses antécédents connus en matière de violence <strong>et</strong> d’idéologie. Par ailleurs, s’il connaît bien<br />

le milieu est-il crédible pour autant auprès de ses anciens condisciples ? Certains leaders<br />

Ultras font ainsi part de l’intérêt que peuvent trouver les dirigeants dans les débordements de<br />

leurs supporters les plus violents <strong>et</strong> les plus extrémistes. Pour eux, il s’agit en fait d’une<br />

stratégie. D’une part, ils se concilient les faveurs d’un public « délicat », <strong>et</strong> d’autre part, ils les<br />

instrumentalisent pour faire peur <strong>et</strong> pression sur les publics adverses qui n’osent plus venir.<br />

Affabulation ou dénigrement ? Ces propos trouvent cependant leur écho dans ceux du<br />

contrôleur général Rouibi (op. cit., 4) qui observe « que les responsables du PSG [lui]<br />

apparaissent dépassés <strong>et</strong> effrayés par c<strong>et</strong>te évolution que leur laxisme <strong>et</strong> leur mercantilisme<br />

ont passablement encouragé par le passé ». Mais peut-être tout simplement comme le propose<br />

Becker que les normes sont impunément <strong>et</strong> très souvent contournées lorsque deux groupes<br />

sociaux y trouvent un intérêt commun.<br />

A Marseille se distinguer pour exister : l’extrême gauche pour prétexte.<br />

Si au PSG l’appartenance politique <strong>et</strong> l’idéologie revendiquée semblent réelles, il n’en va pas<br />

de même <strong>à</strong> Marseille. Pourtant, parmi le groupe <strong>des</strong> Winners les drapeaux <strong>à</strong> l’effigie du Ché<br />

ou les affiches pourraient laisser supposer le contraire. Sur les affiches annonçant les<br />

déplacements, les armes par <strong>des</strong>tination (batte de base-ball, matraque) côtoient la mention<br />

KAOS ou encore le « A » de anarchie. La violence fait partie du groupe. Elle est affichée <strong>et</strong><br />

déclarée.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 107


Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Affiche <strong>des</strong> South Winners pour le déplacement <strong>à</strong> Lyon en 1998<br />

Au classement officieux <strong>des</strong> supporters français, les Winners ont depuis longtemps la double<br />

réputation d’être les plus violents <strong>et</strong> de rester invaincus. L’appartenance politique n’est<br />

pourtant qu’un prétexte qui leur a permis de se différencier <strong>des</strong> autres groupes. Des Parisiens<br />

tout d’abord, l’ennemi héréditaire au niveau sportif bien sûr, mais aussi au niveau historique<br />

depuis que la capitale a envoyé <strong>des</strong> troupes pour réprimer les insurrections dans ce qui a<br />

longtemps été une <strong>des</strong> villes les plus riches de France. Mais la revendication idéologique tient<br />

principalement <strong>à</strong> autre chose. La proximité de l’Italie <strong>et</strong> les rencontres de Coupe d’Europe ont<br />

déclenché un enthousiasme pour le football sans limite parmi les jeunes marseillais dans les<br />

années 1980. Par mimétisme au football italien, de jeunes supporters se regroupent dans le<br />

virage sud, dans ce qui se nommera d’abord le CU84. Ce groupe ressemble <strong>à</strong> Marseille : il est<br />

bigarré <strong>et</strong> culturellement diversifié. Rapidement, <strong>des</strong> tensions apparaissent <strong>entre</strong> les leaders,<br />

au point que le groupe se scinde <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années 1980 en trois unités distinctes : les<br />

Fanatics, les Ultras, <strong>et</strong> les Winners, qui resteront cependant brièvement unis <strong>à</strong> travers une<br />

association commune dénommée FUW. Les raisons de c<strong>et</strong> éclatement sont tout d’abord<br />

<strong>et</strong>hniques au sens de Poutignat <strong>et</strong> Streiff-Fenart (1995) : les Ultras <strong>et</strong> les Fanatics sont<br />

essentiellement composés de « blancs », bien que beaucoup soient d’origine étrangère, <strong>à</strong><br />

commencer par les leaders, les Winners de « gris ». Les raisons de l’éclatement sont<br />

également culturelles <strong>et</strong> sociales : les Ultras <strong>et</strong> les Fanatics proviennent de couches sociales<br />

plus aisées que les Winners issus principalement <strong>des</strong> quartiers nord de Marseille ou du Panier,<br />

lieux où le taux de chômage atteignait parfois 40 %, comme en 1998. Ces dissensions ont<br />

aussi pour fondement le pouvoir <strong>et</strong> leadership car un certain nombre de jeunes souhaitent<br />

s’imposer <strong>à</strong> la tête du ou <strong>des</strong> groupes. L’âge enfin joue un rôle important dans c<strong>et</strong>te<br />

ségrégation. Les Winners ont été fondés par <strong>des</strong> lycéens, tandis que les autres groupes<br />

rassemblent <strong>des</strong> jeunes un peu plus âgés, insérés professionnellement ou poursuivant <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> supérieures pour la plupart. Le fonctionnement <strong>des</strong> groupes est connu. Pour perdurer<br />

un groupe doit pouvoir se différencier, notamment <strong>des</strong> autres entités les plus proches de lui :<br />

« l’identité se pose en s’opposant », les conflits participant de c<strong>et</strong>te distanciation sociale. Les<br />

Ultras se structurent plus rapidement que les autres. Les groupes s’influencent ainsi<br />

mutuellement <strong>et</strong> réciproquement. Chez les Ultras certains revendiquent plus ou moins <strong>des</strong><br />

idées d’extrême droite. Le groupe arbore le bombers (réplique <strong>des</strong> blousons d’aviateurs) bleu<br />

marine. Quelques membres du noyau dur portent <strong>des</strong> doc martens <strong>à</strong> lac<strong>et</strong>s blancs, autant de<br />

signes d’appartenance aux mouvements skinheads. Par réaction, les Winners affichent le Ché<br />

<strong>et</strong> <strong>des</strong> drapeaux anarchistes dans le virage. Les membres du noyau dur portent, eux aussi, le<br />

bombers, mais le r<strong>et</strong>ournent, doublure orange visible, quelques-uns portant de surcroît <strong>des</strong> doc<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

martens <strong>à</strong> lac<strong>et</strong>s rouges comme les Redskins (skinheads d’extrême gauche). Pour les leaders<br />

du groupe, « tout cela est venu comme ça, par provocation <strong>et</strong> par envie de se distinguer <strong>des</strong><br />

fachos de l’autre groupe qui les traitent de “Rebe” 143 ». Les affirmations gauchistes sont<br />

davantage feintes que réelles. L’esprit qui a prévalu <strong>à</strong> la formation <strong>des</strong> groupes Ultras, au sens<br />

large du terme, leur recherche d’indépendance vis-<strong>à</strong>-vis <strong>des</strong> adultes, le militantisme dont les<br />

adhérents font preuve, l’autonomisation vis-<strong>à</strong>-vis <strong>des</strong> contraintes familiales <strong>et</strong> l’opposition <strong>à</strong><br />

l’autorité parentale en raison de l’âge rapprochent bien souvent ces jeunes supporters d’une<br />

idéologie libertaire. L’aspect le plus important de la dimension politique chez les Winners<br />

transparaît dans l’application au quotidien <strong>des</strong> valeurs communautaires : solidarité, refus de<br />

faire <strong>des</strong> profits importants, aide financière <strong>des</strong> membres <strong>et</strong> de nombreuses autres formes<br />

d’assistance. C<strong>et</strong> esprit libertaire coïncide aussi tout simplement avec les difficultés sociales,<br />

le sens de la débrouille <strong>et</strong> la nécessaire mise en commun <strong>des</strong> ressources de ces jeunes pour<br />

s’en sortir. C’est c<strong>et</strong>te solidarité qui fonde, en partie du moins, l’esprit de corps qui transparaît<br />

dans les affrontements. A Marseille il n’est pas question d’infiltration. L’idéologie affichée<br />

est bien un prétexte pour se différencier. Aucun groupe marseillais d’extrême droite ou<br />

d’extrême gauche ne s’est jamais affilié avec <strong>des</strong> homologues idéologiques dans d’autres<br />

sta<strong>des</strong>. Les groupes font au contraire front commun contre les « fachos » parisiens ou<br />

lyonnais. Contrairement aux Parisiens, aucun ne participe aux services d’ordre d’un<br />

quelconque parti politique. Il ne s’agit pas, en disant cela, de stigmatiser les uns en angélisant<br />

les autres. Ce n’est que l’expérience du terrain qui est r<strong>et</strong>ransmise ici <strong>et</strong> se trouve confortée<br />

par les analyses de la Direction centrale de la sécurité publique.<br />

Les idéologies présentes, affichées <strong>et</strong> revendiquées dans les sta<strong>des</strong> français, n’ont donc pas<br />

toute la même signification. Pas plus qu’elles ne l’ont dans les autres pays d’Europe. Dans<br />

celles qui émergent <strong>et</strong> se donnent <strong>à</strong> voir dans certains pays de l’ex-Europe de l’Est se<br />

r<strong>et</strong>rouvent les mêmes raisons sociales : l’effondrement d’un système économique qui conduit<br />

une partie de la jeunesse <strong>à</strong> s’extrémiser en réaction <strong>à</strong> la paupérisation dont elle est l’obj<strong>et</strong>. Il<br />

en est ainsi <strong>des</strong> supporters d’extrême droite de Budapest <strong>des</strong>cendant dans le stade pour frapper<br />

leurs propres joueurs qui ne se battaient pas assez selon eux. Le procédé est condamnable,<br />

mais ne doit-on pas observer <strong>et</strong> accepter, en tant que gestionnaire d’un pays ou d’un sport, que<br />

le football puisse devenir une sorte de « laboratoire social » de la société ? Quand l’économie<br />

d’un pays se transforme radicalement au point de laisser pour compte une partie de sa<br />

population, la visibilité de la réaction (violence, revendications politiques extrémistes) devrait<br />

devenir un signal politique compris <strong>et</strong> perçu par nos gouvernants. Le stade est en eff<strong>et</strong>, très<br />

certainement le « dernier espace toléré de débridement <strong>des</strong> émotions » (Elias, Dunning, op.<br />

cit.) dans nos sociétés de plus en plus pacifiées <strong>et</strong> prophylactiques. Peut-être faut-il accepter<br />

l’idée que le sport est tout <strong>à</strong> la fois un exutoire social <strong>et</strong> bien le lieu privilégié du<br />

« controlling-decontrolling » <strong>des</strong> pulsions ? Dire cela ne revient pas <strong>à</strong> affirmer qu’il faut<br />

laisser s’installer les idéologies racistes, xénophobes <strong>et</strong> violentes dans nos sta<strong>des</strong>, mais<br />

simplement accepter l’idée qu’il est peut-être mieux pour la société de les voir s’exprimer<br />

dans un espace clos, réglementé <strong>et</strong> structuré (le stade) que dans la rue, <strong>et</strong> de pouvoir observer<br />

ainsi, avant que le malaise ne s’installe définitivement, ou de manière plus cruciale, au sein de<br />

la société, la déstructuration sociale. Ce qui est moins acceptable est le manque de réactivité<br />

<strong>des</strong> instances dirigeantes sportives face <strong>à</strong> la montée du racisme <strong>et</strong> de la xénophobie dans les<br />

sta<strong>des</strong>. Ainsi, l’Unesco titrait-elle en 2000 : « la FIFA <strong>entre</strong> indignation <strong>et</strong> indulgence »<br />

expliquant que la récente déclaration de la FIFA, condamnant les actes <strong>et</strong> manifestations de<br />

racisme ne devait « pas faire oublier l’absence de réaction observée <strong>à</strong> la suite du<br />

comportement critiquable de certaines personnalités du football, comme Mehm<strong>et</strong> Ali Yilmaz.<br />

143 Arabe en verlant.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Ce dernier, qui est président du club Turc de Trabzonsport, avait traité l’attaquant Noir<br />

anglais Kevin Campbell de « cannibale » <strong>et</strong> de « décoloré », le forçant <strong>à</strong> se m<strong>et</strong>tre en grève<br />

avant d’obtenir son transfert au club anglais d’Everton » 144 . Le cas n’est pas isolé puisque,<br />

Ron Atkinson, consultant de la chaîne britannique ITV <strong>et</strong> entraîneur d’Aston Villa, se croyant<br />

hors antenne, a traité Marcel Desailly, de « putain de fainéant de nègre » 145 . Pour combattre le<br />

racisme dans les sta<strong>des</strong>, l’UEFA <strong>et</strong> le FARE (Football Against Racism in Europe) réunis <strong>à</strong><br />

Londres en mars 2003 ont adopté une charte proposant dix mesures concrètes pour lutter<br />

contre le racisme dans le football. Il s’agit d’une étape importante puisque le FARE avait<br />

comptabilisé 120 incidents racistes graves dans les dix années précédentes. On peut<br />

néanmoins se rendre compte du décalage <strong>entre</strong> la rédaction d’une telle charte, nécessaire <strong>à</strong> la<br />

prévention <strong>et</strong> <strong>à</strong> la condamnation <strong>des</strong> manifestations raciste dans les sta<strong>des</strong>, <strong>et</strong> les premières<br />

gran<strong>des</strong> manifestations xénophobes au sein du football <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années 1970 !<br />

Émergent cependant aujourd’hui, dans le sport, d’autres revendications idéologiques dont le<br />

fondement n’est plus seulement l’exclusion économique <strong>et</strong> sociale d’une partie de la<br />

population. Ces affirmations s’avèrent plus dangereuses <strong>et</strong> plus radicales dans leur expression.<br />

Il ne s’agit plus de réclamer une place dans la société, ni même d’affirmer son mal être. Ce<br />

sont les conflits <strong>et</strong>hniques, culturels <strong>et</strong> religieux, inhérents, par exemple, <strong>à</strong> la dernière guerre<br />

<strong>des</strong> Balkans qui sont le ferment <strong>des</strong> <strong>violences</strong> xénophobes. A un niveau moindre, la montée<br />

<strong>des</strong> communautarismes (Wieviorka, 2001), en France, comme ailleurs nous expose <strong>à</strong> ce type<br />

de dérives, refondant la partition <strong>et</strong> la compréhension <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, <strong>à</strong> travers un repli<br />

communautaire <strong>et</strong> le renversement <strong>des</strong> stigmates. Ces dernières sont plus difficiles <strong>à</strong> endiguer,<br />

car elles reposent non seulement sur <strong>des</strong> a priori, <strong>des</strong> préjugés <strong>et</strong> <strong>des</strong> jugements de valeurs,<br />

mais aussi sur <strong>des</strong> atrocités que la mémoire individuelle <strong>et</strong> collective ne peut effacer d’un seul<br />

trait.<br />

De la rationalité de l’acteur <strong>à</strong> l’influence <strong>des</strong> minorités actives.<br />

A lire ce qui précède, restreindre les interprétations <strong>à</strong> une vision déterministe <strong>et</strong> holiste, où le<br />

supporter violent serait tout <strong>à</strong> la fois prisonnier de ses appartenances <strong>et</strong> de ses rôles, repose sur<br />

une conception trop réductrice de l’acteur. Si le hooliganisme s’inscrit bien dans <strong>des</strong><br />

comportements groupaux <strong>et</strong> passionnels (faire <strong>entre</strong>r <strong>des</strong> fumigènes, chahut, provocations,<br />

affrontements intergroupes, <strong>et</strong>c.), le supporter qui s’adonne aux <strong>violences</strong> peut être considéré,<br />

du moins <strong>à</strong> certains moments, comme un acteur rationnel, <strong>à</strong> rationalité limitée, c’est <strong>à</strong> dire<br />

possédant une liberté d’action <strong>et</strong> une capacité <strong>à</strong> effectuer <strong>des</strong> choix, en prise directe avec un<br />

système qu’il a contribué <strong>à</strong> construire. Il ne s’agit pas de psychologiser <strong>et</strong> naturaliser l’analyse<br />

<strong>et</strong> les discours mais, il n’y a pas si longtemps que nous nous sommes aperçu que, pour affiner<br />

la compréhension du hooliganisme, il fallait s’intéresser aux fins, aux moyens <strong>et</strong> aux<br />

occasions de l’action violente du point de vue du supporter lui-même. Les supporters sont en<br />

eff<strong>et</strong> libres de s’associer ou non aux actions violentes. La question est donc double : pourquoi<br />

certains participent-ils tandis que d’autres ne le font pas ? Certains n’osent peut être tout<br />

simplement pas : par peur d’un « mauvais coup », <strong>des</strong> représailles ou <strong>des</strong> poursuites<br />

judiciaires s’ils sont pris. D’autres participent mais dans quels buts <strong>et</strong> <strong>à</strong> quelles fins ?<br />

L’absence de contrôle social ne peut tout expliquer. En reprenant la typologie de Cusson<br />

(1981) concernant les finalités de l’action délinquante, on peut observer que les actes<br />

hooligans poursuivent eux aussi quatre grands types de fins : l’action, l’appropriation,<br />

l’agression <strong>et</strong> la domination. L’action violente est vécue par les supporters comme excitante,<br />

144 Article consultable sur le site de l’Unesco : http://www.unesco.org/courier/2000_11/fr/<strong>et</strong>hique.htm.<br />

145 Propos faisant l’obj<strong>et</strong> d’un carton rouge dans L’Équipe Magazine du 30 avril 2004, 104, 19.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

source de plaisir <strong>et</strong> recherche de sensations. Elle ne répond pas obligatoirement <strong>à</strong> une logique<br />

utilitariste ou <strong>à</strong> d’autres buts comme la vengeance. Elle est une fin en soi. Elle est aventure <strong>et</strong><br />

provocation, jeu <strong>et</strong> désir de se réaliser, de faire mieux que les autres. La deuxième fin est<br />

l’appropriation. Dans bien <strong>des</strong> cas les affrontements ont pour obj<strong>et</strong> la dépouille <strong>des</strong> supporters<br />

adverses, cela contribue <strong>à</strong> constituer les « musées », mais également les collections<br />

personnelles. Certaines chambres de supporters sont décorées de bonn<strong>et</strong>s, d’écharpes <strong>et</strong> de<br />

maillots dérobés <strong>à</strong> leurs adversaires. Les supporters arrachent les insignes <strong>des</strong> autres <strong>et</strong> les<br />

portent sur leurs propres vêtements, comme autant de trophées, <strong>à</strong> l’image <strong>des</strong> aviateurs qui<br />

durant la guerre peignaient sur leurs avions leurs victoires. Ce n’est que le prolongement de<br />

l’action, un moyen de proroger <strong>et</strong> revivre l’excitation ressentie, <strong>des</strong> rites carnavalesques qui<br />

attirent l’œil <strong>et</strong> le regard en offrant une visibilité certaine <strong>à</strong> ceux qui s’y adonnent. La<br />

troisième fin, l’agression, est soit défensive, <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> se protéger, soit vengeresse. Enfin, le<br />

quatrième type de fin est la domination. C<strong>et</strong>te dernière est avec l’action les deux finalités les<br />

plus importantes pour les supporters. L’objectif est tout <strong>à</strong> la fois la puissance, le plaisir<br />

d’exercer un pouvoir sur autrui <strong>et</strong> le prestige qui consistent <strong>à</strong> susciter l’admiration <strong>des</strong> autres<br />

membres. La participation aux actes violents ou déviants n’est pas une obligation pour<br />

s’inscrire dans un groupe de supporters, cela devient indispensable dès lors qu’un supporter<br />

envisage une carrière. L’exemple de RZ <strong>à</strong> Marseille, un <strong>des</strong> leaders Ultras les plus connus, est<br />

<strong>à</strong> ce niveau exemplaire puisque c’est la violence <strong>et</strong> son courage qui en ont fait un <strong>des</strong> leaders<br />

du groupe. Chef incontesté <strong>et</strong> incontestable, qui s’est imposé par, <strong>et</strong> dan,s la violence, il est<br />

tout <strong>à</strong> la fois admiré, craint <strong>et</strong> respecté par les membres de son groupe mais aussi par ses<br />

adversaires. Si la violence n’est pas l’aspect essentiel <strong>et</strong> primordial de ces supporters, elle est<br />

néanmoins présente <strong>à</strong> tout moment <strong>et</strong> fait partie intégrale du supportérisme en ce sens qu’elle<br />

est constitutive du groupe, rappelant en cela les propos de Crozier <strong>et</strong> Friedberg, pour qui un<br />

groupe n’acquiert réellement la qualité <strong>et</strong> la compétence de groupe que lorsqu’il a su résoudre<br />

les difficultés auxquelles il a été confronté. En ce sens la violence est bien constitutive car elle<br />

pose au groupe un problème majeur : s’unir <strong>et</strong> faire front, ou reculer de manière individuelle<br />

<strong>et</strong> donc disparaître en tant que groupe aux yeux de ses propres membres <strong>et</strong> au regard <strong>des</strong><br />

adhérents <strong>des</strong> autres groupes. La violence devient une partie intégrative <strong>et</strong> intégrante pour<br />

chacun <strong>des</strong> membres dès lors qu’ils veulent accéder aux noyaux durs, être acceptés par les<br />

membres les plus anciens <strong>et</strong> souhaitent obtenir rôles, prestige, statuts <strong>et</strong> considération. Elle<br />

témoigne du courage, de la détermination, de la qualité <strong>et</strong> de la foi de son engagement. Dans<br />

la mesure où les supporters connaissent les obligations <strong>et</strong> les principes qui sous-tendent leurs<br />

activités déviantes <strong>et</strong> qu’ils tendent <strong>à</strong> s’y conformer, alors ils sont bels <strong>et</strong> biens <strong>des</strong> acteurs<br />

rationnels qui poursuivent <strong>des</strong> buts, établissent une stratégie pour y parvenir <strong>et</strong> s’en donnent<br />

les moyens. En ce sens le hooliganisme est bien un acte prémédité <strong>et</strong> planifié, qui ne répond<br />

pas seulement <strong>à</strong> un mécanisme d’autodéfense. Mais ce n’est pas pour autant un crime commis<br />

par <strong>des</strong> éléments extérieurs au football. Il s’agit d’un « accomplissement pratique », fût-il<br />

atypique, ou nuisible, qui s’inscrit dans un monde socialement organisé. Il existe une dérive<br />

permanente <strong>entre</strong> normalité (dans le groupe <strong>et</strong> dans la vie de tous les jours) <strong>et</strong> déviance ou<br />

violence, un même individu pouvant se conduire de façons tantôt conforme <strong>et</strong> tantôt déviante<br />

(Becker, op. cit.). Tantôt Dr Jekill <strong>et</strong> tantôt Mr Hyde, les leaders Ultras « violents », voire<br />

interdits de stade, possèdent c<strong>et</strong>te double personnalité : certains sont œnologues, d’autres<br />

poursuivent <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> d’architecte, d’autres encore sont en faculté de droit <strong>à</strong> un assez haut<br />

niveau (maîtrise <strong>et</strong> thèse), quelques-uns gèrent <strong>des</strong> <strong>entre</strong>prises familiales. Une question se<br />

pose alors : comment ces individus font-ils pour vivre c<strong>et</strong>te dualité sociale ? Comment<br />

l’acceptent-ils alors qu’ils reconnaissent eux-mêmes que la violence est trop présente dans le<br />

supportérisme <strong>et</strong> que les lois <strong>et</strong> règlements édictés sont fondés <strong>et</strong> nécessaires ? Une réponse a<br />

été apportée depuis fort longtemps <strong>à</strong> ces questions avec la notion de « techniques de<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

neutralisation » (Sykes, Matza, 1957). L’apprentissage de comportements délinquants ou<br />

déviants ne consiste pas seulement <strong>à</strong> participer <strong>à</strong> une « sous-culture déviante », ni même <strong>à</strong><br />

accomplir <strong>des</strong> actes déviants consciemment réfléchis <strong>et</strong> calculés, mais <strong>à</strong> acquérir de surcroît la<br />

maîtrise de techniques perm<strong>et</strong>tant d’avoir une idée positive de soi-même, de continuer <strong>à</strong> croire<br />

<strong>à</strong> la validité <strong>des</strong> règlements <strong>et</strong> lois, de donner aux autres une image honorable tout en violant<br />

les règles, normes <strong>et</strong> comportements habituels. Les supporters « déviants ou violents »<br />

utilisent tour <strong>à</strong> tour, ou simultanément, les cinq « techniques de neutralisation » :<br />

- le déni de responsabilité (« on ne les a pas cherchés, on était tranquillement installé <strong>à</strong> la<br />

terrasse d’un bar quand ils nous ont attaqués »),<br />

- le déni de préjudice (« ça n’est pas vrai, ils en rajoutent, on a juste essayé de leur faire<br />

peur »),<br />

- le déni de victimation (« on n’a fait de mal <strong>à</strong> personne, ils racontent ça parce qu’ils ont<br />

détalé »),<br />

- l’accusation <strong>des</strong> accusateurs (« ils sont plus violents que nous, <strong>à</strong> l’aller c’est eux qui nous<br />

avaient attaqués, c’est eux qui ont commencé »),<br />

- l’appel <strong>à</strong> <strong>des</strong> loyautés plus élevées (« les autres ont attaqué deux ou trois membres du<br />

groupe, on ne pouvait pas laisser faire ça »).<br />

Avec la maîtrise de ces techniques, chacun peut continuer <strong>à</strong> vivre <strong>et</strong> légitimer son action de<br />

supporter, continuer <strong>à</strong> discourir sur la pertinence <strong>et</strong> le bien-fondé de celle-ci malgré le recours<br />

<strong>à</strong> <strong>des</strong> actes que leur morale <strong>et</strong> leur éducation réprouvent parfois. On peut néanmoins se<br />

demander ce qui peut encore être tenu pour rationnel dans ces conduites faites de dangers, de<br />

<strong>violences</strong> <strong>et</strong> d’exactions ? Dès lors que le « noyau dur » de ces communautés regroupe un<br />

grand nombre d’acteurs « rationnels » qui comm<strong>et</strong>tent <strong>des</strong> actes de hooliganisme de manière<br />

délibérée, il semble normal que les actes hooligans soient majoritairement le fait de ce noyau<br />

« suractif ». Tous sont <strong>à</strong> la recherche d’une reconnaissance sociale, espèrent voir leur<br />

engagement, leurs actions, ou leurs mérites reconnus. Il y a donc une concurrence dans le<br />

groupe au sein même du noyau dur. C<strong>et</strong>te compétition interindividuelle va entraîner un<br />

accroissement quantitatif mais également « qualitatif » <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, chacun essayant de faire<br />

davantage <strong>et</strong> toujours mieux, dans un souci de visibilité <strong>et</strong> d’attirance. Pour Moscovici « quel<br />

que soit le sacrifice, leur [les minorités marginales] premier souci est en fait de devenir<br />

visibles, donc d’obtenir la pleine reconnaissance de leur existence aux yeux de la majorité »<br />

(1979, 224). Dans le cas précis <strong>des</strong> supporters, le mot majorité doit être compris dans un<br />

double sens : celle du groupe d’appartenance mais également celle <strong>des</strong> autres Ultras. Ces<br />

minorités ne sont qu’un pôle de ces communautés. Ce qui faire dire <strong>à</strong> l’un <strong>des</strong> leaders <strong>des</strong><br />

Ultras occitans qu’un groupe est composé de trois entités : les « buveurs », ceux qui viennent<br />

faire la fête, les « chanteurs » essentiellement pour encourager l’équipe <strong>et</strong>, les « frappeurs ou<br />

casseurs » qui viennent pour en découdre le cas échéant. Ce ne sont pas <strong>des</strong> entités distinctes,<br />

les individus se rapprochant, au gré <strong>des</strong> circonstances <strong>et</strong> <strong>des</strong> événements, plus ou moins, de tel<br />

ou tel pôle. Mais dire cela m<strong>et</strong> en exergue également <strong>des</strong> mécanismes d’influence longuement<br />

étudiés, dans d’autres domaines que celui du hooliganisme, par la psychologie sociale. A<br />

certains moments la minorité déviante <strong>et</strong> violente peut entraîner la majorité du groupe dans<br />

<strong>des</strong> exactions, en provoquant les membres <strong>des</strong> communautés adverses, en faisant croire <strong>à</strong> un<br />

danger menaçant le groupe, ou encore en « obligeant » les autres membres <strong>à</strong> prouver <strong>et</strong><br />

affirmer leur solidarité en cas d’agression qu’ils ont parfois eux-même suscitée. Les groupes<br />

de supporters ne sont pas <strong>des</strong> communautés socialement homogènes <strong>et</strong> hermétiquement<br />

closes. Ils sont traversés par <strong>des</strong> champs de force <strong>et</strong> <strong>des</strong> tensions qui font fluctuer les<br />

comportements de l’ensemble au gré, parfois, de l’influence de quelques-uns. Pour l’un <strong>des</strong><br />

responsables <strong>des</strong> Dodgers (groupe de supporters marseillais) :<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

« dans tous les groupes vous avez <strong>des</strong> violents, il y en a qui sont plus violents que<br />

d’autres, qui viennent davantage pour ça, ou qui sont tout simplement plus sur les<br />

nerfs que d’autres parce qu’ils ont <strong>des</strong> problèmes personnels. Il y a <strong>des</strong> groupes<br />

plus violents, mais tout simplement parce qu’ils ont plus de violents dans le<br />

groupe ».<br />

Le danger tient aussi dans le nombre. Lorsqu’un noyau dur est composé de 300 <strong>à</strong> 500<br />

personnes, comme c’est le cas de la plupart <strong>des</strong> groupes <strong>à</strong> Marseille, il peut, <strong>à</strong> lui seul,<br />

provoquer la violence <strong>et</strong> s’opposer <strong>à</strong> l’intégralité <strong>des</strong> Ultras d’un autre club. 146 L’écueil est ici<br />

qu’une minorité puisse en arriver <strong>à</strong> se considérer <strong>et</strong> se comporter comme une majorité, voire<br />

se m<strong>et</strong>tre en totale opposition avec les idées de celle-ci <strong>et</strong> agir sans son approbation. C’est<br />

ainsi que naissent <strong>des</strong> groupes totalement déviants <strong>et</strong> violents ou que parfois <strong>des</strong> individus<br />

totalement réfractaires <strong>à</strong> la violence sont entraînés malgré eux dans <strong>des</strong> affrontements. Le<br />

supportérisme est bien en ce sens un modèle centripète de la violence qui conjugue<br />

volontairement ou non de nombreuses raisons de recourir au hooliganisme. C<strong>et</strong>te situation est<br />

d’autant plus préoccupante que l’on s’adresse <strong>à</strong> <strong>des</strong> jeunes <strong>et</strong> que pour eux tout « acte qui<br />

n’est pas sanctionné n’est pas grave » (Roché, 2001). Dans le cas, précédemment cité, du fils<br />

d’un ministre, il renforce de surcroît l’idée qu’il puisse y avoir, comme c’est le cas dans les<br />

« affaires politiques », une justice <strong>à</strong> deux vitesses : celle de la « France d’en haut <strong>et</strong> celle de la<br />

France d’en bas ». Comme dans le cas de la délinquance juvénile, il nous faut cependant<br />

renoncer <strong>à</strong> confondre c<strong>et</strong>te forme de violence avec une quelconque lutte <strong>des</strong> classes. Le<br />

hooliganisme m<strong>et</strong> tout simplement en exergue « l’éclatement <strong>des</strong> normes » (Wieviorka,<br />

1999), le manque d’encadrement <strong>des</strong> jeunes supporters, le vide-social, la une complicité ou la<br />

mansuétude qui marquent le déficit en matière relationnelle <strong>et</strong> d’encadrement <strong>des</strong> dirigeants,<br />

<strong>des</strong> supporters <strong>et</strong> <strong>des</strong> joueurs.<br />

Les <strong>violences</strong> que nous avons décrites jusqu’alors semblent dresser un tableau dont la<br />

noirceur est sans commune mesure avec l’impression générale qui se dégage du<br />

supportérisme en France ou <strong>des</strong> statistiques officielles. Affabulation, dramatisation de la<br />

situation du supportérisme français par une étude sectorielle qui ne rend compte que d’un<br />

aspect - le revers négatif du supportérisme - <strong>et</strong> qui ne restituerait pas la proportionnalité <strong>entre</strong><br />

aspects positifs - le soutien, les spectacles, le supportérisme comme créateur de lien social... -<br />

<strong>et</strong> négatifs ? Malheureusement non ! La gravité de la situation est sans commune mesure avec<br />

les représentations ordinaires sur le suj<strong>et</strong>. L’utilisation d’armes, la violence préméditée nous<br />

ont déj<strong>à</strong> permis de clamer haut <strong>et</strong> fort qu’il ne nous était pas possible de continuer <strong>à</strong> distinguer<br />

supportérisme <strong>et</strong> hooliganisme, <strong>et</strong> que ce dernier était tout <strong>à</strong> la fois une forme <strong>et</strong> une partie<br />

intégrée du supportérisme. Quelles peuvent être dès lors les raisons de ce décalage <strong>entre</strong> le<br />

perçu <strong>et</strong> le réel, le supposé <strong>et</strong> le vécu ?<br />

En dehors de ce que nous avons déj<strong>à</strong> évoqué - faits non comptabilisés par la police, faits<br />

déformés par les journalistes - il est nécessaire d’ajouter la mise en place du contrôle social.<br />

D’une manière un peu caricaturale, nous pouvons nous demander si en allant au stade, c’est<br />

bien <strong>à</strong> un spectacle sportif auquel nous nous rendons ? Sans prendre l’exemple du PSG qui<br />

est un point extrême en la matière - les matches au Parc <strong>des</strong> Princes mobilisant jusqu’<strong>à</strong> 1 500<br />

policiers en tenue <strong>et</strong> en civil aux abords du stade mais également dans le métro <strong>et</strong> ce, en sus<br />

<strong>des</strong> stadiers - nous nous contenterons de celui de Toulouse, site relativement calme, <strong>et</strong> d’une<br />

rencontre sans supporters très véhéments, le match TFC-Lens.<br />

146 Souvenons-nous que la plupart <strong>des</strong> groupes ne sont composés que de 50 <strong>à</strong> 300 membres.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

Un sentiment d’insécurité vous envahit dès votre arrivée tant les mesures de sécurité sont<br />

importantes. L’entrée dans l’enceinte du stade se fait par une unique porte située en contrebas<br />

d’une passerelle de périphérique. De part <strong>et</strong> d’autre de la porte, <strong>des</strong> cordons de vigiles,<br />

entièrement vêtus de noirs. Un vigile sur cinq est accompagné d’un chien. A chaque porte<br />

d’accès aux tribunes, deux vigiles supplémentaires sont en faction, <strong>et</strong> <strong>des</strong> groupes de 3 ou 4<br />

vigiles avec chiens font <strong>des</strong> ron<strong>des</strong> incessantes. A l’extérieur stationnent les cars de la<br />

compagnie d’intervention de la police nationale ainsi que ceux <strong>des</strong> C.R.S., tous prêts <strong>à</strong><br />

intervenir.<br />

La foule <strong>entre</strong> <strong>et</strong> ressort sans problème mais peut-il y en avoir ? Les affrontements <strong>entre</strong><br />

supporters, sauf cas extrêmes, n’opposent guère plus de quelques dizaines d’individus. La<br />

violence ne peut pas, ou ne peut plus, avoir lieu sur place. C<strong>et</strong>te violence s’est déplacée tout<br />

simplement « ailleurs » du fait même de l’efficacité <strong>des</strong> divers services -policiers ou sécurité -<br />

mis en place. Le problème n’existe donc apparemment plus !<br />

« Finalement, ils servent <strong>à</strong> empêcher qu’il y ait <strong>des</strong> incidents dans le stade, c’est<br />

tout. Bon que les mecs, comme je te disais, ils arrivent <strong>à</strong> 5 heures du matin pour<br />

tout casser, eux ils ne prévoient pas ça, eux ils comptent les bus, les écharpes <strong>et</strong><br />

puis le reste... Nous, il nous est arrivé de se faire attaquer <strong>à</strong> Paris par les Boulogne<br />

Boys,, ils l’ont vu <strong>et</strong> c’est nous qui avons ramassé au final, rien de très logique, ils<br />

distribuent les coups de matraque <strong>à</strong> tout le monde comme ça pas de jaloux. Mais<br />

eux, bien souvent ils ne se rendent même pas compte que bon ils sont l<strong>à</strong> au stade,<br />

c’est sûr, il n’y a plus d’incidents ou presque mais ils ne voient pas qu’en réalité<br />

ça se passe ailleurs, pour eux, ça ne se passe plus l<strong>à</strong> donc, il n’y a plus de<br />

problèmes, c’est tout. » (Supporter membre <strong>des</strong> South Winners marseillais).<br />

A l’image de ce qui s’est passé en Angl<strong>et</strong>erre, en Belgique ou en Hollande, la mise en place<br />

d’un contrôle « policier » plus important en dehors du déplacement spatial du problème a<br />

introduit une nouvelle forme de supportérisme dur : les « casuals ». L’assimilation<br />

« introduction d’obj<strong>et</strong>s-supporters-volonté de nuire-hooliganisme » n’a fait que modifier les<br />

règles du jeu. Les supporters « violents », ou qui tentent d’introduire <strong>des</strong> fusées ou autres<br />

matériels, sont devenus invisibles. De fait, ils ne répondent pas aux critères de détection <strong>des</strong><br />

supporters extrémistes, ils passent inaperçus lors de l’entrée au stade <strong>et</strong> ne font pas l’obj<strong>et</strong><br />

d’un contrôle aussi poussé comme le confirme ce délégué <strong>à</strong> la sécurité :<br />

« [...] j’ai remarqué en les observant un truc : tu arrives au stade sans sac, ils te<br />

palpent, tu arrives avec un sac on fouille ton sac on ne te palpe pas ! Va expliquer<br />

pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe dans le mécanisme du fouilleur, du policier, tu<br />

arrives sans sac, on te palpe, tu arrives avec ton sac, tu tends ton sac, on te le<br />

fouille <strong>et</strong> on te le rend en te disant merci. T’es bien habillé ils te fouillent moins,<br />

tu es en supporter, c’est la complète ! C’est <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de comportement... c’est<br />

pas bon, c’est incroyable ! Des trucs comme cela, il y a <strong>des</strong> moments tu te dis...<br />

Non, la loi Alliot-Marie... » (Délégué <strong>à</strong> la sécurité).<br />

La législation a de fait créé comme dans les autres pays européens une nouvelle forme de<br />

hooliganisme, moins contrôlable <strong>et</strong> identifiable. En faisant état d’une « assimilation de plus en<br />

plus marquée <strong>entre</strong> <strong>violences</strong> sportives <strong>et</strong> <strong>violences</strong> urbaines. C<strong>et</strong>te assimilation se manifeste<br />

dans l’exacerbation de <strong>violences</strong> collectives qui ne se limitent plus aux enceintes sportives<br />

mais gagnent la voie publique » (DCSP, 1995, 3) <strong>à</strong> aucun moment la DCSP ne m<strong>et</strong> en cause,<br />

ou s’interroge, sur l’influence du contrôle social dans le déplacement de ce phénomène.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 3 : Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

La prise en charge de l’enceinte sportive par les clubs sécurise effectivement davantage les<br />

sta<strong>des</strong> par <strong>des</strong> contrôles plus poussés, une présence massive de stadiers, l’installation de<br />

portillons, d’équipements de vidéo-surveillance, de règlements intérieurs... Les policiers sont<br />

maintenant <strong>à</strong> l’extérieur <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>, s’occupant <strong>des</strong> abords immédiats, de la sécurité urbaine,<br />

de l’accueil <strong>et</strong> du raccompagnement <strong>des</strong> supporters adverses. Dès lors, le Football est un sport<br />

propre <strong>et</strong> les incidents ont lieu en-dehors <strong>des</strong> sta<strong>des</strong>. Les dirigeants du Football peuvent donc<br />

arguer fièrement qu’il ne s’agit pas de supporters puisque tout cela se déroule loin<br />

temporellement <strong>et</strong> spatialement <strong>des</strong> compétitions sportives, qui plus est avec <strong>des</strong> individus qui<br />

ne portent quelquefois même plus les couleurs du club. La violence devient ainsi celle de<br />

délinquants ordinaires, de ban<strong>des</strong> de jeunes qui s’affrontent dans la rue ou dans les quartiers<br />

réputés sensibles confirmant ce que le football clamait depuis toujours.<br />

Le monde sportif peut ainsi se décharger allègrement <strong>et</strong> sans scrupule de toute responsabilité :<br />

c’est la société qui doit prendre en charge les défauts inhérents <strong>à</strong> la structure sociale. Ce<br />

déplacement du problème présente un autre avantage, en dehors de l’éthique ou de l’image du<br />

football, tout simplement financier. La participation <strong>des</strong> C.R.S. <strong>et</strong> <strong>des</strong> policiers avait un coût<br />

financier, au sens strict du terme : les interventions <strong>et</strong> les déplacements avant l’application de<br />

la loi Pasqua 147 étaient facturés aux clubs. Dès lors que les policiers sont relégués <strong>à</strong> l’extérieur<br />

<strong>des</strong> sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> n’interviennent plus de manière permanente dans une enceinte <strong>à</strong> caractère privé,<br />

régie par un règlement intérieur, c’est l’état qui prend en charge les frais d’intervention sur la<br />

voie publique du fait de son monopole en matière de police administrative <strong>et</strong> de son obligation<br />

de maintien de l’ordre public. Seules les interventions <strong>des</strong> forces de l’ordre <strong>à</strong> l’intérieur de<br />

l’enceinte sportive, restent <strong>à</strong> la charge de l’organisateur. On comprend mieux l’intérêt du<br />

football <strong>à</strong> clamer haut <strong>et</strong> fort que les hooligans ne sont pas ses supporters. On comprend<br />

mieux également c<strong>et</strong>te volonté d’asseoir les publics <strong>des</strong> virages, <strong>et</strong> donc de les pacifier, mais<br />

également de les sélectionner par une politique de prix plus élevés ? « Paie, assieds-toi, taistoi<br />

» semble être la politique privilégiée pour mater les débordements de supporters <strong>à</strong> l’image<br />

<strong>des</strong> sta<strong>des</strong> anglais où le fait de se lever peut donner lieu <strong>à</strong> une exclusion <strong>à</strong> vie. 148 Que<br />

d’avantages pour le Football qui n’a pas, ou qui n’a plus, <strong>à</strong> gérer un contexte social qu’il a<br />

cependant induit, généré <strong>et</strong>, jusqu’alors méprisé ou, tout au moins, duquel il s’est totalement<br />

désintéressé en dehors du poids que les supporters pouvaient avoir sur l’équipe adverse. Le<br />

football devient ainsi un promoteur de spectacles <strong>et</strong> n’a pas plus d’obligations que les<br />

organisateurs de concerts ou autres spectacles de masse. Le football abandonne derrière lui, en<br />

se déchargeant sur la société, <strong>des</strong> passions qu’il a volontairement ou non suscitées <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

eff<strong>et</strong>s pervers engendrés par son développement. Le problème existe cependant toujours <strong>et</strong> ce<br />

n’est pas en sécurisant les sta<strong>des</strong> <strong>à</strong> outrance, en déplaçant la violence en d’autres lieux qu’elle<br />

disparaît. Mais ce problème n’intéresse peut-être tout simplement personne <strong>et</strong> n’est<br />

probablement qu’un élément futile <strong>et</strong> dérisoire, qui agace certes, mais qu’il suffit de mépriser<br />

pour faire en sorte qu’il ne soit plus visible.<br />

147 Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, « d’orientation <strong>et</strong> de programmation relative <strong>à</strong> la sécurité », prévoit dans<br />

son article 10 <strong>des</strong> « dispositions relatives <strong>à</strong> la prévention de l’insécurité » <strong>et</strong> ce, notamment au moyen de la<br />

vidéo-surveillance « dans <strong>des</strong> lieux <strong>et</strong> établissements ouverts au public particulièrement exposés <strong>à</strong> <strong>des</strong> risques<br />

d’agression ou de vol... » <strong>et</strong>, modifiant la loi « relative <strong>à</strong> l’organisation <strong>et</strong> <strong>à</strong> la promotion <strong>des</strong> activités physiques<br />

<strong>et</strong> sportives » n° 84-610 du 16 juill<strong>et</strong> 1984, prévoit également dans son article 23 que « les organisateurs de<br />

manifestations sportives... peuvent être tenus d’assurer un service d’ordre », les frais supplémentaires de<br />

maintien de l’ordre, assurés par les forces de police sont <strong>à</strong> la charge de l’organisateur, que celui-ci est<br />

responsable en cas d’incidents ou accidents.<br />

148 En avril 1995, Steve BRISCOE supporter de Manchester United est exclu <strong>à</strong> vie du stade pour être resté<br />

debout dans les tribunes <strong>à</strong> encourager l’équipe malgré les appels réitérés de la sécurité. (Équipe magazine, n°<br />

806, 16).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 115


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts<br />

personnels : <strong>des</strong> <strong>violences</strong> observables aux aspects<br />

éducatifs<br />

Consciemment en formulant ce titre, nous rej<strong>et</strong>ons d’emblée, la norme de désintéressement<br />

énoncée par Merton, selon laquelle l’unique objectif du chercheur serait l’accroissement <strong>des</strong><br />

connaissances <strong>et</strong> non une satisfaction personnelle. C’est une vision fonctionnaliste de la<br />

science, répondant <strong>à</strong> la question « <strong>à</strong> quoi sert la recherche ? » <strong>et</strong> non « comment ? dans quel<br />

contexte ? dans quel objectif ? par qui se fait-elle ? ». Elle s’oppose en cela <strong>à</strong> la passion<br />

weberienne, tout comme elle nie le besoin de reconnaissance par la communauté scientifique,<br />

en termes de publications, de postes, d’invitations en tant que conférencier, <strong>et</strong>c., que chacun<br />

attend de c<strong>et</strong> investissement même si cela n’est pas la finalité première.<br />

Mais comment expliquer qu’un obj<strong>et</strong> se transforme, se renouvelle, puisse changer même ?<br />

Dans le monde universitaire les conseils distribués en la matière encouragent le chercheur en<br />

construction, celui qui n’a pas encore satisfait aux ultimes épreuves académiques de<br />

l’habilitation <strong>à</strong> diriger <strong>des</strong> recherches, <strong>à</strong> poursuivre son travail initial afin de ne montrer aucun<br />

signe d’égarement ou d’éparpillement. Certains s’engagent alors dans la voie d’une hyper<br />

spécialisation qui va <strong>à</strong> l’encontre même de la complexité que doivent analyser les sciences<br />

anthropo-sociales. Ces conseils sont pourtant pertinents car ils contiennent, en eux-mêmes,<br />

une <strong>des</strong> réalités de la recherche dans nos champs scientifiques : il faut savoir pousser l’analyse<br />

d’un phénomène au maximum car on ne peut qu’approcher, au mieux, la vérité de la<br />

complexité sociale, sans jamais, cependant, la faire éclater totalement. Ce qui fait dire <strong>à</strong> Weil<br />

que « si une vérité a été révélée, elle l’a été, elle ne l’est plus pour la seule raison qu’elle l’a<br />

été » (op. cit., 334). Comme le suggérait Weber (1919, 87 <strong>et</strong> passim) il faut se résigner <strong>à</strong><br />

accepter que tout travail scientifique est appelé <strong>à</strong> être dépassé <strong>et</strong> <strong>à</strong> vieillir <strong>et</strong> n’a d’autre sens<br />

que de faire naître de nouvelles questions. La multiplication <strong>des</strong> approches, l’utilisation<br />

parfois de champs distincts, le recours <strong>à</strong> <strong>des</strong> méthodologies variées, les investigations<br />

renouvelées <strong>à</strong> quelques mois, ou années d’intervalles, sur un même site, forment l’essence<br />

d’une recherche <strong>et</strong> renforcent également la logique de la preuve. A l’inverse, le manque de<br />

diversité, qu’il ne faut cependant pas confondre avec la dispersion, pose le problème simple<br />

de la spécialisation précoce antagoniste <strong>à</strong> une formation plus ouverte, voire, le propos est<br />

peut-être quelque peu exagéré, « encyclopédique », perm<strong>et</strong>tant <strong>à</strong> l’étudiant, puis au chercheur<br />

qui se construit, de donner libre cours <strong>à</strong> sa libido sciendi, pour effectuer, après coup <strong>et</strong> <strong>à</strong> bon<br />

escient, le choix du savoir le plus approprié aux questions qu’il se pose (Moscovici, 1998). La<br />

recherche du pluralisme n’équivaut pourtant en rien <strong>à</strong> un quelconque relativisme, mais <strong>à</strong> une<br />

érudition nécessaire ne serait-ce que pour choisir un modèle préférentiel en connaissance de<br />

cause. Comment en eff<strong>et</strong> exprimer une préférence si ce n’est après <strong>des</strong> lectures assidues de<br />

l’ensemble <strong>des</strong> textes <strong>à</strong> notre disposition ? Le chercheur se doit d’être curieux ; « l’ignorance<br />

est la mère <strong>des</strong> traditions » écrivait Montesquieu qui soutenait aussi, tout comme Voltaire, que<br />

nous devons accepter <strong>et</strong> défendre tout autant la pluralité d’opinion, que les possibilités<br />

d’expression de personnes avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord.<br />

Trop souvent ces conseils confondent en fait obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> suj<strong>et</strong> de recherche, tout comme ils<br />

semblent ignorer que le chercheur, avec toute l’objectivité qu’il est supposé construire <strong>et</strong><br />

posséder n’est pas pour autant exclu <strong>des</strong> interactions sociales qu’il étudie, influençant de fait<br />

son travail.<br />

C’est <strong>à</strong> l’aune de ces quelques remarques que nous allons montrer, comment <strong>et</strong> par quels<br />

processus sociaux, notre suj<strong>et</strong> s’est progressivement modifié, <strong>à</strong> travers une succession de<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 116


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

travaux, en gardant cependant le même obj<strong>et</strong> : l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> étroites <strong>et</strong> complexes<br />

qu’<strong>entre</strong>tiennent <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>.<br />

R<strong>et</strong>our sur le hooliganisme <strong>et</strong> la question de départ pour<br />

comprendre comment on peut progressivement changer de suj<strong>et</strong><br />

Lorsque Vigarello, introduisant notre contribution <strong>à</strong> un ouvrage collectif 177 , parle d’une<br />

« analyse fine » qui confirme tout <strong>à</strong> la fois la complexité sociale du hooliganisme <strong>et</strong> la<br />

mécompréhension de l’institution sportive, ces propos nous touchent profondément, venant<br />

d’un chercheur connu <strong>et</strong> réputé pour la qualité de ses approches herméneutiques, car ils<br />

soulignent, par l<strong>à</strong> même, l’un <strong>des</strong> objectifs que nous nous étions préalablement fixés : celui de<br />

reconstituer, <strong>à</strong> travers une démarche compréhensive <strong>et</strong> avec le moins d’erreurs possibles, le<br />

sens <strong>des</strong> actions <strong>des</strong> supporters « hooligans » <strong>à</strong> partir de la question naïve de départ « d’où<br />

vient la violence <strong>des</strong> supporters ? ». Force est cependant de constater que si ce premier<br />

objectif est partiellement rempli, le second le fut moins. En se demandant « peut-on la<br />

prévenir ? » nous avions en eff<strong>et</strong> un objectif éducatif qui, en France du moins, s’avère non<br />

atteint.<br />

En affirmant cela, nous n’inscrivons pas seulement la recherche <strong>et</strong> la science dans une seule <strong>et</strong><br />

unique perspective utilitariste. Les questions du rapport <strong>entre</strong> « connaissance <strong>et</strong> intérêt » 178 , de<br />

l’indépendance de la science <strong>et</strong> de la recherche face au pouvoir économique <strong>et</strong> politique, <strong>des</strong><br />

différences <strong>entre</strong> recherche <strong>et</strong> « recherche-action », de la répartition <strong>des</strong> tâches <strong>entre</strong> savants <strong>et</strong><br />

politique(s) sont <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s amplement débattus, <strong>et</strong> pourtant non résolus, en France,<br />

contrairement aux pays anglo-saxons <strong>et</strong> plus particulièrement ceux d’Amérique du nord. Si la<br />

finalité de notre recherche, n’était pas l’éradication, ou la mise en place, de mesures<br />

préventives concrètes, elle s’inscrivait cependant dans le but de contribuer <strong>à</strong> faire prendre<br />

conscience <strong>à</strong> l’institution sportive, afin qu’elle agisse, de l’existence de rapports (de force)<br />

objectifs <strong>entre</strong> les individus <strong>et</strong> les choses. C’était peut-être utopique. C’est l<strong>à</strong> je crois que se<br />

construit réellement la recherche <strong>et</strong> le chercheur. Le chercheur débutant imagine trop souvent,<br />

<strong>et</strong> illusoirement, que sa recherche pourra intéresser, ceux qui gèrent l’obj<strong>et</strong> étudié, oubliant<br />

qu’<strong>à</strong> moins de verser dans le conformisme, ou de répondre <strong>à</strong> un appel d’offres circonstancié<br />

en la matière, sa recherche ne reste avant toute chose, qu’un plaisir intellectuel passionnément<br />

investi <strong>et</strong> éventuellement utilisable. Notre travail n’échappe pas <strong>à</strong> cela.<br />

Le hooliganisme pose pourtant dans la société en générale, <strong>et</strong> sportive en particulier, de<br />

multiples problèmes éducatifs. Celui tout d’abord d’une violence qui se donne <strong>à</strong> voir <strong>et</strong>, qui<br />

de ce fait, peut éventuellement, par mimétisme, jeu, provocation, revanche sociale, <strong>et</strong> bien<br />

d’autres raisons encore s’étendre <strong>à</strong> d’autres catégories de jeunes qui pourraient y trouver, non<br />

seulement plaisir mais également, une valorisation (inter <strong>et</strong> intra) personnelle. C’est aussi le<br />

problème de l’éducation <strong>et</strong> de la socialisation de ces jeunes, en dehors de tout contrôle <strong>et</strong><br />

contrainte sociale. Il faut prendre le terme de contrainte dans une acception large, fait<br />

d’aspects normatifs qui s’imposent aux individus, mais également de collaboration <strong>et</strong> de<br />

coopération, ne limitant pas seulement l’éducation <strong>et</strong> la socialisation <strong>à</strong> une perspective<br />

durkheimienne où la société <strong>et</strong> le système prévalent sur l’homme, mais bien au contraire un<br />

processus qui prend corps <strong>et</strong> forme dans un ensemble social complémentaire <strong>et</strong> parfois opposé<br />

fait de « communautés <strong>et</strong> sociétés ». Celui par voie de conséquence d’une socialisation de<br />

type communautaire fermée « <strong>entre</strong> pairs » qui, si elle peut être socialisante en partie, n’en<br />

reste pas moins pour autant vécue dans la relation <strong>à</strong> autrui comme une construction identitaire<br />

177 Bodin 2001.<br />

178 Plagiant Habermas (1968b).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

dont la face négative pourrait être le repli communautariste, <strong>et</strong>hnique <strong>et</strong> la violence<br />

(Wieviorka, 1993). Celui encore de l’éducation <strong>et</strong> de la socialisation de jeunes au sein de<br />

groupes déviants <strong>et</strong> violents avec les perspectives « carriéristes » que nous avons développées.<br />

Disons le franchement les aspects éducatifs <strong>et</strong> préventifs ne sont pas pris en compte par, <strong>et</strong><br />

n’intéressent pas, l’institution sportive. Pour expliquer cela il faut peut être accepter l’idée<br />

comme le suggère Latour (1999, 28) que la recherche « est une expérimentation collective de<br />

ce qu’humains <strong>et</strong> non humains, ensembles, sont capables d’accepter ou de refuser ».<br />

Au tout début de notre recherche, nous avons eu l’occasion d’être invité, un certain nombre de<br />

fois, par la LNF (Ligue Nationale de Football) qui était alors intéressée par nos travaux… tant<br />

que ceux-ci restaient <strong>à</strong> une phase <strong>des</strong>criptive : émergence <strong>et</strong> construction du hooliganisme,<br />

identification <strong>des</strong> publics, <strong>et</strong>c. Il s’agissait d’ailleurs en même temps d’une contrepartie<br />

débattue avec le Ministère de la jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong> de l’époque <strong>et</strong> les fédérations, pour les<br />

appuis, les recommandations <strong>et</strong> les autorisations reçues pour investir les différents sites. Rien<br />

de plus normal <strong>et</strong> éthique, pour un chercheur, que d’effectuer un r<strong>et</strong>our <strong>des</strong> données<br />

recueillies auprès de ceux qui vous ont aidé <strong>à</strong> les collecter.<br />

Le changement est radical cependant <strong>à</strong> partir du moment où les analyses commencent <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre<br />

en cause l’institution sportive <strong>et</strong> l’action de ses représentants. A la conférence de<br />

Maubuisson 179 , ou pour la première fois nous exposions la question de « l’anomie sociale » <strong>et</strong><br />

de l’absence de politique préventive, nous fûmes pris <strong>à</strong> partie, après la conférence, car il<br />

n’avait probablement pas osé le faire devant les 400 <strong>à</strong> 500 éducateurs, enseignants <strong>et</strong><br />

dirigeants présents, par le Président de la commission sécurité de la LNF, s’inscrivant en faux<br />

sur nos dires.<br />

C’est <strong>à</strong> ce moment que nous avons pris pleinement conscience du désintéressement de<br />

l’institution pour les aspects préventifs <strong>et</strong> éducatifs, mais aussi <strong>des</strong> dysfonctionnements du<br />

système. Cela ne fait que corroborer la <strong>des</strong>cription de Weber du « politique » déchiré <strong>entre</strong><br />

l’« éthique de la conviction », qui le pousse <strong>à</strong> agir quelles que soient les conséquences, <strong>et</strong><br />

l’« éthique de la responsabilité », valorisant les conséquences de ses actes.<br />

Prenons un exemple simple <strong>et</strong> concr<strong>et</strong>. La France est aujourd’hui le seul pays d’Europe, dans<br />

lequel ne s’appliquent pas les versants préventifs <strong>et</strong> éducatifs du fan-coaching 180 . Seule la<br />

présence dissuasive de stadiers <strong>et</strong> la surveillance <strong>des</strong> supporters est mise en place.<br />

Ces propos nous ramènent inexorablement vers le déni de reconnaissance de ces supporters<br />

dont les instances sportives n’ont commencé <strong>à</strong> s’intéresser, <strong>et</strong> <strong>à</strong> s’occuper, qu’<strong>à</strong> partir du<br />

moment où ils posaient, non pas un problème d’ordre public mais bien, « d’ordre en public »<br />

pouvant m<strong>et</strong>tre en péril l’image du football <strong>et</strong> son développement économique. Car ce n’est<br />

pas la maîtrise du phénomène qui importe ici, c’est son invisibilité. C’est ainsi que se<br />

développe dans le football un <strong>et</strong>hos répressif <strong>et</strong> punitif où, paraphrasant Wacquant (1999), on<br />

peut voir au passage comment <strong>des</strong> mesures sécuritaires <strong>et</strong> policières, dépourvues d’eff<strong>et</strong><br />

(l’exemple le plus évident est l’Angl<strong>et</strong>erre), arrivent <strong>à</strong> se généraliser, bien qu’elles échouent<br />

partout, lorsqu’elles ne sont pas accompagnées de contreparties éducatives, mais se trouvent<br />

pourtant validées par le fait même de leur diffusion. Les politiques sécuritaires qui sont<br />

179 ème<br />

9 université sportive organisée par l’Ufolep-Usep sur le thème « Violence <strong>et</strong> sport » du 2 au 5 juill<strong>et</strong> 2001 <strong>à</strong><br />

Carcans Maubuisson (33).<br />

180<br />

Rappelons succinctement que le fan-coaching, proj<strong>et</strong> préconisé <strong>et</strong> soutenu par le conseil de l’Europe <strong>et</strong><br />

l’Union Européenne, consiste, d’une part, en la présence dissuasive <strong>et</strong> la surveillance <strong>des</strong> supporters dans le stade<br />

dans le but de prévenir les <strong>violences</strong> (c’est le rôle <strong>des</strong> stadiers en France) <strong>et</strong>, d’autre part, en un travail de<br />

prévention en amont <strong>des</strong> matches en organisant diverses activités pour les jeunes fans (rencontres sportives,<br />

voyages, activités sportives distinctes du football).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

proposées dans les sta<strong>des</strong>, comme ailleurs dans la société, passent ainsi, comme le soulignent<br />

Beaud <strong>et</strong> Pialoux (2003), <strong>à</strong> côté de l’essentiel : la fabrique sociale <strong>des</strong> émeutiers.<br />

Faire évoluer son obj<strong>et</strong> : oui mais comment ?<br />

A ceux qui nous reproche parfois d’effleurer la sociologie critique, imaginant ou souhaitant<br />

qu’il ne puisse y avoir qu’une forme de sociologie si dominante qu’elle aurait étouffé les<br />

autres, nous répondons tout simplement que nous avons, en décrivant le hooliganisme, usé<br />

d’une règle fondamentale en sciences sociales : celle d’une totale « absence de restriction au<br />

droit de désenchanter le réel » (Weber, op. cit., 27). Quoiqu’il en soit c’est ce premier constat,<br />

de l’évidente mauvaise volonté <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre en place de réelles politiques éducatives <strong>et</strong><br />

préventives, qui a induit, en partie du moins, l’évolution de c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> en changeant<br />

progressivement de suj<strong>et</strong>. En partie seulement car, il ne faut pas nier l’épuisement de tout<br />

chercheur face <strong>à</strong> un investissement quasi décennal sur un même suj<strong>et</strong>. Épuisement qu’il ne<br />

faut cependant pas confondre avec la perte de « passion propre au métier <strong>et</strong> <strong>à</strong> la vocation de<br />

savant » (Weber, op. cit.). Mais, <strong>à</strong> moins de devenir totalement répétitif, <strong>et</strong> donc improductif,<br />

ou d’avoir une propension <strong>à</strong> verser dans le dogmatisme, il faut savoir, <strong>et</strong> accepter, <strong>à</strong> un<br />

moment donné de laisser le champ libre <strong>à</strong> d’autres chercheurs, qui peuvent être nos propres<br />

étudiants, qui investiront <strong>à</strong> bras le corps <strong>et</strong> d’une manière novatrice, car neufs <strong>et</strong> enthousiastes,<br />

ce même suj<strong>et</strong>. C’est ce que nous avons développé dans un premier temps en ouvrant de<br />

nouveaux terrains, en France, pour nos étudiants ou en aidant ceux d’autres universités <strong>à</strong> la<br />

demande de confrères de Strasbourg, Troyes, ou Bordeaux.<br />

C’est aussi une époque, que je qualifierai de vagabondage intellectuel. Celle du plaisir <strong>à</strong><br />

investir un certain nombre de suj<strong>et</strong>s nouveaux, mais ponctuels, tout en conservant c<strong>et</strong>te même<br />

entrée du sport comme théâtre de <strong>violences</strong>. Vagabondage qui n’est pas dispersion ou<br />

éparpillement mais, a contrario, investissement de nouveaux terrains, exploitation <strong>des</strong> acquis<br />

antérieurs, construction progressive d’un nouveau suj<strong>et</strong>, collaboration avec divers organismes<br />

internationaux <strong>et</strong>/ou avec d’autres chercheurs. Autant de points sur lesquels nous reviendrons<br />

en conclusion. Outre le plaisir d’investir <strong>des</strong> terrains inconnus, c’est aussi un moment de<br />

diversification <strong>des</strong> lectures, peut-être pour chercher ce nouveau suj<strong>et</strong> qui déclenchera autant<br />

de passion que le premier ou, plus prosaïquement <strong>et</strong> simplement, pour la seule <strong>et</strong> simple<br />

nécessité de compléter <strong>et</strong> d’enrichir nos réflexions sur les travaux en cours. Reconstruisant a<br />

posteriori ce parcours <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te période, je dois reconnaître qu’elle fut particulièrement faste :<br />

ouverture de terrains pour nos étudiants, utilisation <strong>des</strong> données non encore exploitées sur le<br />

hooliganisme (les idéologies politiques par exemple), réponse <strong>à</strong> différentes comman<strong>des</strong> en<br />

termes d’ouvrages ou de contribution d’ouvrages (Bodin, Héas, 2002 ; Bodin, 2003 ; Bodin,<br />

Robène, Héas, 2004 ; <strong>et</strong>c.), investissement de nouveaux terrains, <strong>et</strong>c.<br />

Sans nous en rendre compte, ou feignant de l’ignorer, c’est l’éducation <strong>et</strong> la socialisation de<br />

jeunes sportifs confrontés <strong>à</strong> diverses formes de <strong>violences</strong> que nous commençons <strong>à</strong> étudier <strong>à</strong><br />

travers ces nouvelles thématiques. De manière temporellement désordonnée, il n’est pas<br />

possible de faire autrement, compte tenu parfois <strong>des</strong> délais d’expertise <strong>et</strong> de publication de<br />

certaines revues, successivement seront étudiés : les fondements idéologiques <strong>à</strong> la base <strong>des</strong><br />

politiques sportives dans les cités sensibles (Bodin, Debarbieux, 2001), les processus <strong>et</strong> les<br />

interactions conduisant au dopage (Bodin, Héas, 2002b), la place <strong>des</strong> homosexuel(les) dans le<br />

sport (Bodin, Debarbieux, 2003 ; Héas, Bodin, Amossé, Kerespar, 2004), l’analyse critique du<br />

traitement préventif de la violence par le sport <strong>à</strong> travers l’exemple de 3 cités sensibles (Bodin,<br />

Blaya-Debarbieux, Héas, Robène 2003), les politiques éducatives <strong>et</strong> d’équipement sportif <strong>à</strong><br />

Bordeaux durant l’occupation (Robène, Bodin, Héas, 2004), l’instrumentalisation du sport<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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par certains acteurs pour s’intégrer dans la société <strong>et</strong> lutter contre l’exclusion vécue (Bodin,<br />

Héas, Robène, 2004), pour finir par investir, depuis deux années maintenant, la question du<br />

sport en prison comme moyen d’éducation <strong>et</strong> de socialisation (Bodin, Robène, Héas, 2004c).<br />

Nous ne développerons que certaines de ces contributions dans les lignes, <strong>et</strong> les pages, qui<br />

viennent nous contentant pour les autres de montrer le lien évident avec nos recherches<br />

présentes.<br />

Entre constructivisme <strong>et</strong> influences<br />

L’étude du dopage<br />

La question du dopage tout d’abord. Aborder c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> particulier qu’est le dopage ne relève<br />

en aucune façon d’un quelconque opportunisme face <strong>à</strong> ce qui se révèle être une question, <strong>et</strong><br />

non une préoccupation, particulièrement sensible <strong>et</strong> récurrente dans le monde sportif européen<br />

du moins. Peut-on en eff<strong>et</strong> aujourd’hui continuer <strong>à</strong> nier que le sport dans son ensemble, <strong>et</strong><br />

malheureusement pas seulement le sport de haut niveau, est touché par ce phénomène dont<br />

l’ampleur semble chaque fois surprendre sportifs, éducateurs, dirigeants <strong>et</strong> politiques ?<br />

L’actualité ne manque en eff<strong>et</strong> jamais de nous rappeler de façon certaine (contrôles positifs,<br />

opérations de police, procès…), ou insidieuse (décès prématurés de certains sportifs, silence<br />

consensuel <strong>des</strong> anciens athlètes, cyclistes notamment, face aux « affaires », mutisme<br />

également embarrassé de certains dirigeants lorsqu’ils ne participent pas tout simplement <strong>à</strong> la<br />

dissimulation de certains faits…), l’omniprésence du dopage dans le sport. La médiatisation<br />

du dopage ne m<strong>et</strong> en exergue qu’une portion congrue <strong>des</strong> contrevenants : ceux qui bien<br />

souvent n’ont pas suivi <strong>à</strong> la l<strong>et</strong>tre les conseils avisés de leur « médecin », n’ont pas joué le jeu<br />

<strong>des</strong> institutions sportives qui ont pour habitude de « laver leur linge sale en famille », ou<br />

encore ceux qui utilisent <strong>des</strong> produits dépassés <strong>et</strong> facilement détectables. La compréhension<br />

<strong>des</strong> phénomènes de dopage dans le monde sportif passe trop souvent par un certain nombre de<br />

préjugés ou de jugements de valeurs maintes fois répétés. Ainsi dans l’imaginaire collectif les<br />

sportifs qui se dopent pratiqueraient pour la plupart d’<strong>entre</strong> eux <strong>des</strong> <strong>sports</strong> <strong>à</strong> dominante<br />

« énergétique » ou privilégiant la « force », tels que le cyclisme, l’haltérophilie, le ski de fond,<br />

l’athlétisme <strong>et</strong> quelques autres. Ces représentations laissent <strong>à</strong> penser que d’autres <strong>sports</strong>, pour<br />

<strong>des</strong> raisons diverses, ou peut être tout simplement en fonction <strong>des</strong> présupposés ludiques,<br />

éducatifs ou hygiénistes qui les caractérisent, en seraient exempts. Ces interprétations ne<br />

reflètent pourtant qu’une partie de la réalité d’une construction sociale qui s’avère beaucoup<br />

plus complexe. C<strong>et</strong>te vision du dopage est par bien <strong>des</strong> aspects trop restrictive <strong>et</strong> caricaturale.<br />

Trop restrictive car si elle répond <strong>à</strong> la question de savoir qui « comm<strong>et</strong> majoritairement quel<br />

type d’infraction » (Ogien, op. cit.), elle ne répond pas <strong>à</strong> la question de savoir pourquoi, mais<br />

ne perm<strong>et</strong> pas non plus de passer, comme le suggéraient Elias <strong>et</strong> Dunning (op. cit.) « du statut<br />

<strong>à</strong> l’expérience », c’est <strong>à</strong> dire de comprendre comment <strong>des</strong> individus pratiquant d’autres <strong>sports</strong><br />

que ceux habituellement soupçonnés de dopage, aux comportements jugés « normaux » dans,<br />

<strong>et</strong> par, les sociétés civiles <strong>et</strong> sportives, en arrivent eux aussi <strong>à</strong> recourir aux substances<br />

interdites. Trop restrictive encore du simple fait que seuls les sportifs de « haut niveau », c’est<br />

<strong>à</strong> dire concourant au titre <strong>des</strong> équipes nationales, <strong>des</strong> équipes de première division, ou encore<br />

participant <strong>à</strong> <strong>des</strong> compétitions internationales seraient corrompus. Les sportifs amateurs, ou<br />

privilégiant tout simplement l’activité physique <strong>et</strong> corporelle dans un objectif sanitaire ou<br />

totalement ludique, seraient supposés exempts de toute consommation. Qu’en est-il alors de<br />

ces body-builders non-compétiteurs aux muscles si saillants que les appareils de musculation<br />

les plus sophistiqués ne sauraient cependant suffire <strong>à</strong> former par le simple travail ? Trop<br />

caricaturale car tous les sportifs vilipendés, ou du moins soupçonnés, de recourir <strong>à</strong> ces<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

produits du fait de leur seule appartenance <strong>à</strong> un sport couramment confronté <strong>à</strong> ce type de<br />

problème, ne sont pas obligatoirement dopés.<br />

Ce n’est pourtant pas c<strong>et</strong>te actualité cyclothymique, faite tantôt de négation <strong>et</strong> tantôt de<br />

dénonciation du dopage, qui nous a interpellé mais, plutôt le hasard de rencontres multiples.<br />

Mais la première interrogation sur ce suj<strong>et</strong> a suivi l’interview d’un footballeur professionnel<br />

alors que nous travaillons sur le thème très distant du hooliganisme. Pressé de ne pas répondre<br />

<strong>à</strong> <strong>des</strong> questions qui ne le concernaient semble t-il pas, il avait alors bien involontairement<br />

suscité notre curiosité en déclarant :<br />

« Je n’ai rien <strong>à</strong> dire sur les hooligans, nous de toutes façons on ne les voit pas, on<br />

en entend parler sans plus. Je ne peux rien dire. Si vous me parliez de dopage dans<br />

le foot ou de musique alors l<strong>à</strong> oui ! »<br />

Sur le moment la remarque nous avait échappé <strong>et</strong> ce n’est qu’en r<strong>et</strong>ranscrivant l’<strong>entre</strong>tien<br />

qu’elle avait émergé. Mais il n’était pas alors question, pris par notre travail en cours,<br />

d’aborder ce problème particulier.<br />

La seconde rencontre, entamée bien antérieurement <strong>à</strong> la précédente, est celle <strong>des</strong> travaux de<br />

Bernard Jeu. La relecture de ses écrits, <strong>et</strong> plus particulièrement Analyse du sport, nous ont<br />

confronté <strong>à</strong> la « poétique <strong>et</strong> <strong>à</strong> la politique du sport ». Joli titre s’il en est résumant d’une<br />

manière elliptique un univers social peu conventionnel qui du point de vue du sportif voit se<br />

côtoyer la réussite <strong>et</strong> l’échec, le désir d’éternité <strong>et</strong> la mort symbolique, l’effort <strong>et</strong> ce qui sert<br />

aujourd’hui bien souvent de substrat <strong>à</strong> l’effort : le dopage. Mais ce dernier n’est-il pas conçu<br />

tout simplement comme une pratique « normale » dans une société qui glorifie <strong>à</strong> outrance ses<br />

sportifs, leurs exploits, leurs performances, leur « résistance » <strong>à</strong> l’effort en obligeant les âmes<br />

<strong>et</strong> les corps <strong>à</strong> aller <strong>à</strong> l’extrême ?<br />

Le dopage, quelle que soit sa forme ou les produits utilisés, dès lors qu’il dépasse la simple<br />

consommation de produits futiles, bien qu’interdits, par inadvertance 181 induit un premier<br />

questionnement : répond-il une simple méconnaissance <strong>des</strong> produits illicites ou s’intègre t-il<br />

dans une sous-culture déviante?<br />

Pour répondre <strong>à</strong> ces questions nous avons eu recours aux histoires de vie de quatorze sportifs<br />

professionnels ou amateurs, encore que ce dernier terme devrait être aujourd’hui discuté dans<br />

un monde sportif trop souvent <strong>à</strong> la marge <strong>des</strong> politiques sociales <strong>et</strong> économiques. Ces sportifs<br />

ont trois points communs leur jeunesse tout d’abord, ils ont <strong>entre</strong> 16 ans ½ <strong>et</strong> 21 ans, le fait<br />

d’être tous de sexe masculin <strong>et</strong>, enfin le recours aux produits dopants.<br />

La première similitude qui émergeait de leurs discours était un important désir de réussite<br />

sportive, un besoin de visibilité <strong>et</strong> de reconnaissance sociale, qu’Ehrenberg (1986, 1991), dans<br />

un tout autre domaine, celui du supportérisme <strong>et</strong> du hooliganisme, qualifiait de rage de<br />

paraître. Leurs propos sont éloquents <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong>, il ne leur suffit pas de gagner, ils souhaitent<br />

surpasser leurs adversaires tant au niveau du résultat (la victoire), du nombre <strong>et</strong> de<br />

l’importance <strong>des</strong> titres conquis (champions olympiques, du Monde…) mais également de<br />

l’écart, de la distance, qu’ils ont ou sauront m<strong>et</strong>tre <strong>entre</strong> eux <strong>et</strong> leurs rivaux. Ce n’est donc pas<br />

tant le résultat qui compte mais la qualité de la performance, qualité qui leur perm<strong>et</strong>tra, du<br />

moins le pensent-ils, d’être connus <strong>et</strong> de passer <strong>à</strong> la postérité. Certains n’hésitent pas <strong>à</strong><br />

affirmer que ce qu’ils veulent c’est devenir <strong>des</strong> héros, reconnus <strong>et</strong> adulés, riches <strong>et</strong> célèbres.<br />

Ce discours est d’autant plus intéressant que ces jeunes sportifs ne sont pourtant pas<br />

disqualifiés socialement. Pour la plupart d’<strong>entre</strong> eux, ils n’appartiennent pas aux classes<br />

sociales défavorisées, les APS qu’ils pratiquent se situent <strong>à</strong> tous les niveaux de l’espace social<br />

181 Nous pouvons prendre l’exemple <strong>des</strong> simples pastilles « pullmol » pour soigner les maux de gorge mais qui<br />

perm<strong>et</strong>tent aussi une meilleure ventilation pulmonaire.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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<strong>des</strong> <strong>sports</strong> (Pociello, 1981, 1995). Leurs propos ne s’inscrivent donc pas dans un quelconque<br />

discours de revanche ou de requalification sociale.<br />

En reprenant dans nos <strong>entre</strong>tiens les questionnements de Mirkin (1981) <strong>et</strong> Goldman (1984)<br />

cités par De Mondenard (2000), 11 sur 14 ont déclaré qu’ils n’hésiteraient pas <strong>à</strong> recourir <strong>à</strong> un<br />

nouveau produit dopant si celui-ci leur perm<strong>et</strong>tait de gagner tout en réduisant leur espérance<br />

de vie. Deux remarques s’imposent immédiatement : tout d’abord la proportion remarquable<br />

<strong>et</strong> très n<strong>et</strong>tement supérieure aux étu<strong>des</strong> précitées (78,57 %) de ceux qui prendraient ce risque<br />

peut aisément s’expliquer peut-être par le fait qu’ils sont tous déj<strong>à</strong> engagés dans le dopage,<br />

leur jeunesse ensuite qui leur fait tout <strong>à</strong> la fois composer avec les normes <strong>et</strong> les valeurs<br />

habituelles (Galland, 1998) <strong>et</strong> leur laisse penser qu’ils sont « invincibles ». Leurs réponses<br />

sont peut être faussées par leur âge, leurs espoirs en la médecine ou tout simplement parce<br />

qu’<strong>à</strong> l’aube de leur vie (ils ont pour la plupart <strong>entre</strong> 16 ½ <strong>et</strong> 18 ans) la mort leur semble un<br />

épilogue lointain. Les risques pris ici vont parfois jusqu’<strong>à</strong> l’ordalie, <strong>à</strong> moins qu’ils ne servent<br />

tout simplement <strong>à</strong> donner un sens <strong>à</strong> leur existence, acceptant les dangers pour privilégier leur<br />

réussite sociale, <strong>et</strong> préférant le risque d’une mort annoncée <strong>à</strong> une vie ordinaire (Le Br<strong>et</strong>on,<br />

1991, 2001).<br />

Mais leurs propos ne sont pas sans rappeler ceux de Jeu (1977, 1987) <strong>et</strong> Brohm (1992, 1993)<br />

pour qui le sport moderne de haut niveau glorifie les vainqueurs alors que les perdants quant <strong>à</strong><br />

eux disparaissent <strong>et</strong> meurent symboliquement : on ne se souvient que du nom du vainqueur<br />

jamais du deuxième. Poulidor est <strong>à</strong> ce niveau exemplaire. Il fait partie <strong>des</strong> « héros magnifiés »<br />

(Dur<strong>et</strong>, 1993, 2003) car il était peut-être porteur de valeurs sociales dans lesquelles se<br />

reconnaissaient ses supporters. Il y a obligation de résultat dans un monde concurrentiel ou ne<br />

pas se doper c’est déj<strong>à</strong> pour le sportif accepter de se priver de victoire, il préfèrerait alors « le<br />

risque de la mort réelle, s’adonnant au dopage, <strong>à</strong> celui d’une mort symbolique, celle de la<br />

défaite » (Jeu, 1977, 9). L’amélioration <strong>des</strong> techniques <strong>et</strong> <strong>des</strong> matériels, l’accroissement <strong>des</strong><br />

charges d’entraînement, les procédures de plus en plus sophistiquées de détection <strong>et</strong> de<br />

sélection <strong>des</strong> jeunes talents, l’abaissement de l’âge de début de la carrière sportive tout autant<br />

que le recours <strong>à</strong> la préparation mentale ne suffisent plus. L’importance accrue du record<br />

(Brohm, 1992) participe de la construction du mythe du héros <strong>des</strong> temps modernes. La<br />

concurrence est telle que la rentabilisation de l’acte sportif passe désormais malheureusement<br />

bien souvent par l’utilisation <strong>des</strong> « drogues de la performance » (De Mondenard, op. cit.).<br />

Ainsi selon Jeu pour le sportif « perdre c’est mourir ». Pour de jeunes athlètes le dopage est<br />

considéré, illusoirement bien souvent, comme un moyen supplémentaire, voire une certitude,<br />

d’accéder <strong>à</strong> la victoire, de vivre <strong>et</strong> d’exister.<br />

Mais la question philosophique de Jeu (1987) <strong>et</strong> l’évolution du sport vers un système<br />

valorisant les records (Brohm, op. cit.) se limitent cependant au sport de haut niveau,<br />

négligeant ou méconnaissant le fait que le recours au dopage touche une population de plus en<br />

plus jeune mais également hétérogène en terme de niveau de pratique. Le sport de haut niveau<br />

n’est malheureusement plus le seul <strong>à</strong> être concerné par ce fléau. Tous les athlètes interrogés,<br />

bien que l’on puisse considérer qu’ils font partie d’une certaine élite, ne deviendront pas <strong>des</strong><br />

athlètes de haut niveau au sens strict du terme. Beaucoup affirment qu’ils ont <strong>des</strong> amis, <strong>des</strong><br />

connaissances qui, bien qu’évoluant <strong>à</strong> un niveau moindre, ont recours au dopage. Un certain<br />

nombre de contraintes sociales semblent donc bien aujourd’hui favoriser la prise de produits<br />

dopants.<br />

L’économique est devenu un élément capital du sport professionnel tout autant<br />

« qu’amateur ». Il semble ainsi depuis quelques années que l’on assiste <strong>à</strong> une dérive du sport.<br />

Certes les affaires ne sont pas nouvelles <strong>et</strong> les compromissions de toutes sortes accompagnent<br />

le sport depuis sa genèse. Aujourd’hui chaque président de club « achète », avant toute chose<br />

pour se faire plaisir, <strong>des</strong> joueurs pour renforcer ses équipes <strong>et</strong> ce quels que soient le sport en<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 122


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

question mais également le niveau de pratique. Si en ce début de XXI ème siècle le sport est<br />

devenu un spectacle ludique, l’offre télévisuelle en matière sportive n’a cessé de croître pour<br />

atteindre pratiquement 2 800 heures en 1998, il est également le refl<strong>et</strong> culturel de nos sociétés<br />

modernes qui encouragent la compétition sociale, la réussite socio-économique <strong>et</strong> le culte du<br />

corps poussé <strong>à</strong> l’extrême. Car ce n’est pas <strong>et</strong> plus seulement les valeurs traditionnellement<br />

portées par le sport qui se trouvent véhiculées aujourd’hui <strong>à</strong> travers les médias. On ne parle<br />

plus d’effort, d’abnégation, d’éducation, comme au temps « <strong>des</strong> forçats de la route » ou de<br />

Swiateck 182 qui dans une interview au journal sud-ouest (20/7/2001) déclarait « mon salaire<br />

de l’époque était une misère comparée aux sommes qui circulent actuellement dans le milieu<br />

pro mais j’avais le privilège de ne faire que du football. On jouait pour <strong>des</strong> cerises mais j’étais<br />

heureux de mon sort car je savais qu’il n’était pas celui de tout le monde ». Bien souvent ce<br />

qui aujourd’hui est mis en avant c’est la réussite financière <strong>des</strong> athlètes, le coût de leurs<br />

transferts, les sommes sans cesse croissantes gagnées, sommes qui n’ont plus rien <strong>à</strong> voir avec<br />

la réalité <strong>des</strong> efforts consentis <strong>et</strong> la brièv<strong>et</strong>é de la carrière. Qu’un joueur comme Zidane<br />

perçoive par semaine ce qu’un ouvrier payé au SMIC ne gagnera pas en 14 ans ne semble<br />

choquer personne.<br />

Mais les jeunes sportifs interrogés sont marqués par ces images. Leurs réponses sont<br />

éloquentes. S’ils veulent aujourd’hui surclasser leurs adversaires, ils associent tous c<strong>et</strong>te<br />

domination aux r<strong>et</strong>ombées économiques qu’ils peuvent obtenir. La réussite financière est, <strong>à</strong><br />

leurs yeux, indissociable de la réussite sportive. En reformulant la question de Mirkin <strong>et</strong><br />

Goldman, tous se déclarent prêts <strong>à</strong> prendre <strong>des</strong> produits s’ils peuvent gagner <strong>et</strong> devenir riche.<br />

La réussite sportive ne s’inscrit donc plus dans le registre éducatif. Les fonctions mises en<br />

exergue sont celles de la réussite sociale <strong>à</strong> travers le pouvoir économique. Le sport change ici<br />

d’obj<strong>et</strong>, il n’est plus pratiqué pour lui-même mais afin d’obtenir notoriété <strong>et</strong> richesse. Certains<br />

nonobstant que dès la Grèce Antique réussite sportive, gloire <strong>et</strong> prospérité pouvaient se<br />

confondre. Mais s’il offrait <strong>à</strong> quelques-uns la possibilité de devenir Géné, « il y a loin de c<strong>et</strong><br />

usage économique du sport antique <strong>à</strong> son poids économique d’aujourd’hui » (Bodin,<br />

Debarbieux, 2001, 19). Ce n’est plus l’effort <strong>et</strong> le plaisir qui sont valorisés mais la réussite<br />

socio-économique de sportifs dont l’image, <strong>à</strong> l’instar d’un footballeur comme Anelka, ne peut<br />

décemment pas toujours servir de modèle identificatoire <strong>à</strong> une jeunesse sportive.<br />

Si la mutation socio-économique du sport peut être éventuellement le catalyseur de la prise de<br />

produits interdits, tous nous parlent également de la « première fois » d’une façon qui n’est<br />

pas sans rappeler la première cigar<strong>et</strong>te ou le premier joint : « essaies, tu verras, c’est super tu<br />

n’es pas fatigué, tu récupères plus vite… ». Jeu, provocation, envie de savoir, de connaître,<br />

pression « du groupe de pairs qui joue un rôle d’incitation », <strong>à</strong> l’image de celui décrit par Le<br />

Br<strong>et</strong>on pour la vitesse (2001, 50), toutes ces raisons neutralisent les préceptes parentaux tout<br />

autant que les discours éducatifs de certaines fédérations.<br />

C’est la curiosité, le fait d’être « capable de » mais également le ras-le-bol de savoir que l’on<br />

s’entraîne parfois pour concourir avec d’autres qui n’utilisent pas les mêmes armes que nous<br />

qui poussent bien souvent au passage <strong>à</strong> l’acte. Tous ont le même discours : « tu essaies <strong>et</strong> puis<br />

après tu continues parce que c’est vrai tu te sens bien parfois mais c’est aussi dans la tête on<br />

se sent <strong>à</strong> égalité avec les autres, on a les mêmes chances ».<br />

La première fois est donc faite de défi <strong>et</strong> de curiosité, de désir de réussite tout autant que<br />

d’indignation de ne pas être sur un même plan d’égalité. Certes tous ne cèdent pas <strong>à</strong> la<br />

tentation <strong>et</strong>, certains préfèrent parfois abandonner le sport que de continuer <strong>à</strong> concourir d’une<br />

façon qui ne leur laisse aucune chance. Mais les discours faussement indignés <strong>des</strong> fédérations<br />

sont ici pris en défaut par le manque de contrôles longitudinaux, de contrôles vraiment<br />

inopinés, de sanctions réelles <strong>et</strong> exemplaires tout autant que le fait de fermer les yeux sur ces<br />

182 Ancien joueur de football <strong>des</strong> girondins de bordeaux dans les années 1940-1950.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 123


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

athlètes qui s’échappent de la halle <strong>des</strong> <strong>sports</strong> de l’Insep 183 par les fenêtres afin d’éviter le<br />

médecin inopportun. La première fois pourrait parfois être empêchée si le triptyque<br />

inspection/transgression/punition était réellement appliqué <strong>et</strong> souhaité. Ceux qui travaillent<br />

sur les questions de déviances le savent bien : la menace de la répression suffit <strong>à</strong> éviter bien<br />

<strong>des</strong> délits (Boudon, 1991).<br />

Mais se peut-il que les parents ne se rendent compte de rien ? Ne posent-ils jamais de<br />

question ? Imaginent-ils que le dopage, s’il est présent dans le sport, épargne forcément leur<br />

progéniture ? Trois attitu<strong>des</strong> se détachent ici. Ceux dont les parents ne demandent rien. Ils<br />

savent que le dopage existe dans le sport pratiqué par leur fils. Mais ils feignent d’ignorer, ne<br />

veulent pas savoir ou ont peut-être tout simplement peur de savoir sans rien pouvoir y<br />

changer, <strong>à</strong> moins qu’ils soient démunis <strong>et</strong> ne sachent pas comment aider leur enfant <strong>à</strong> changer.<br />

Ceux encore qui ont appris, par maladresse, en trouvant <strong>des</strong> produits <strong>et</strong> qui embarrassés en ont<br />

parlé mais sans plus en insistant simplement sur les risques encourus, sans pour autant fixer<br />

<strong>des</strong> interdits. Il existe <strong>à</strong> ce niveau un déni. On feint d’ignorer par peur du dopage, par peur de<br />

ce qui peut arriver <strong>à</strong> son enfant, tout autant que par impuissance face <strong>à</strong> un phénomène qui les<br />

dépasse. Ces attitu<strong>des</strong> ne sont pas sans rappeler ici l’attitude démunie de nombreux parents<br />

face <strong>à</strong> la toxicomanie avérée de leurs enfants. C’est un r<strong>et</strong>our sur eux-mêmes, sur l’éducation<br />

<strong>et</strong> l’accompagnement qu’ils leur ont octroyés. Mais c’est aussi parfois accepter pour que son<br />

enfant réussisse. Les propos sont éloquents : « mon père quand il a su, il m’a simplement dit<br />

fais attention mais de toutes façons si tu veux réussir… <strong>et</strong> puis voil<strong>à</strong> il sait mais il m’en a<br />

jamais reparlé ». Le désir de réussite sociale <strong>des</strong> parents vis <strong>à</strong> vis de leurs enfants vient ici<br />

contrecarrer toute action contre le dopage, car tous les parents de nos jeunes sportifs ont un<br />

point commun : ils ont inculqué une volonté de gagner en insistant particulièrement sur<br />

l’importance du résultat sur la « forme », c’est <strong>à</strong> dire les progrès, le comportement...<br />

Mais le déni <strong>et</strong> la négation du dopage ne s’arrêtent pas l<strong>à</strong>. Tous insistent sur le fait qu’ils n’ont<br />

pas d’autre choix pour y arriver, que c’est la faute <strong>des</strong> dirigeants qui ne luttent pas assez<br />

contre le dopage, que la logique de la performance amène <strong>à</strong> utiliser <strong>des</strong> produits, que les<br />

temps de récupération ne sont pas assez longs <strong>et</strong> nombreux, que les sponsors veulent <strong>des</strong><br />

résultats <strong>et</strong> que « s’ils ne tiennent pas la seringue, ils les obligent en quelque sorte <strong>à</strong> le faire »<br />

qu’il en est de même pour les dirigeants, que si les autres n’en avaient pas pris avant eux ils<br />

n’en auraient jamais pris, que si d’autres ne leur avaient pas fait essayer <strong>des</strong> produits jamais<br />

ils n’auraient osé <strong>et</strong>c. Brissoneau (2003a, 2003b) montre <strong>à</strong> ce suj<strong>et</strong> que la réalité<br />

physiologique, que constitue la fatigue, est la justification première concernant le recours aux<br />

produits pharmacologiques, légaux ou illégaux. Ces arguments ne sont en fait rien d’autres<br />

que les techniques de neutralisation mises en évidence par Sykes <strong>et</strong> Matza (op. cit.). « Déni<br />

compréhensible par la volonté d’avoir une image <strong>et</strong> une estime de soi pour soi <strong>et</strong> pour les<br />

autres la plus positive possible » (Bodin, 2003b, 147). Mais déni qui ne fait que rej<strong>et</strong>er sur<br />

l’autre ou les autres la faute sans jamais s’interroger en fait sur une question simple <strong>à</strong> laquelle<br />

ils s’avèrent incapables de répondre : « en vous préparant mieux physiquement <strong>et</strong><br />

psychologiquement, en travaillant <strong>et</strong> en progressant techniquement ou tactiquement pensezvous<br />

que vous en seriez au même résultat ? ». Car ce qui est très surprenant, quel que soit le<br />

sport en question, c’est le fait que tous parlent de leur activité d’une manière « physique » ou<br />

« énergétique », aucun ne l’envisage sous l’angle plus « fin » de la tactique <strong>et</strong> de la technique.<br />

Tous parlent de la fatigue <strong>et</strong> de la douleur qui obligent <strong>à</strong> prendre <strong>des</strong> produits illicites pour<br />

pouvoir se dépasser. La performance doit pourtant être considérée comme « un pacte<br />

symbolique avec la douleur […]. Le prix <strong>à</strong> payer est peu de choses au regard de la volonté de<br />

notoriété, la quête de l’exploit ou simplement la construction de l’estime de soi » (Le Br<strong>et</strong>on,<br />

2003, 87). Mais eux refusent c<strong>et</strong>te douleur <strong>et</strong> pour accéder <strong>à</strong> la notoriété n’hésitent pas <strong>à</strong><br />

183 Institut national du sport <strong>et</strong> de l’éducation physique <strong>à</strong> Paris.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

tricher au mépris de c<strong>et</strong>te construction de l’estime de soi. N’y a t’il pas l<strong>à</strong> un défaut<br />

d’appréhension du sport de la part de ces jeunes athlètes mais également <strong>des</strong> éducateurs qui<br />

les ont formés ou qui les encadrent actuellement ? Défaut d’appréhension qui favorise un<br />

terreau propice au dopage. Si je prends un exemple simple celui de la fédération de tennis de<br />

table, l’accent est mis pour la formation <strong>des</strong> jeunes essentiellement sur le volume<br />

d’entraînement (minimum x heures par semaine, par an) sur le nombre de compétitions <strong>et</strong>c.<br />

N’existe t-il pas, dans certains <strong>sports</strong> du moins, d’autres manières d’aborder la performance ?<br />

La performance n’est pas seulement physique, elle est aussi psychique, elle est également jeu<br />

<strong>et</strong> roublardise, habil<strong>et</strong>é <strong>et</strong> analyse, clairvoyance <strong>et</strong> audace. Un autre programme « éducatif »<br />

favoriserait peut-être une approche différente du sport, du moins de certains <strong>sports</strong> équilibrant<br />

de manière certaine performance physique <strong>et</strong> technico-tactique, mais n’est-ce pas la majorité<br />

<strong>des</strong> APS ; cela éloignerait ainsi la nécessité de recourir au dopage. A c<strong>et</strong> égard les athlètes<br />

blessés ont souvent montré qu’ils étaient capables de revenir après coup, mais de manière<br />

souvent différente, au même niveau. Le recul pris par rapport <strong>à</strong> leur activité, l’analyse de<br />

celle-ci lors d’une interruption forcée les amène bien souvent <strong>à</strong> reconsidérer leur manière de<br />

gérer tout <strong>à</strong> la fois leur carrière <strong>et</strong> leurs efforts.<br />

La question du dopage pose finalement une question simple : celle de l’avenir du sport de<br />

compétition dont la crédibilité, <strong>à</strong> travers les résultats <strong>et</strong> les performances, sont mis en cause<br />

par ces dérives. Le sport, dans une volonté de lutte contre le dopage est peut-être <strong>à</strong> repenser<br />

par les dirigeants <strong>et</strong> les éducateurs dans sa pratique tout autant que dans sa gestion.<br />

Le pouvoir sportif tend chaque jour davantage <strong>à</strong> considérer le sport comme un espace de non<br />

droit, doté d’une sorte d’extraterritorialité juridique. « Les faux passeports du football, les<br />

arrangements dans le cas de certains fait hooligans ou le dopage le montrent. L’indignation<br />

<strong>des</strong> sportifs lors <strong>des</strong> perquisitions au tour de France 2000 ou au tour d’Italie 2001 sont<br />

édifiantes au regard <strong>des</strong> produits interdits r<strong>et</strong>rouvés » (Bodin, Héas, 2002, 207). Le silence <strong>des</strong><br />

dirigeants sportifs sur le suj<strong>et</strong> est atterrant. Mais ne tient-il pas au fait que le sportif est devenu<br />

le nouveau héros <strong>des</strong> temps modernes porteur a priori de valeurs morales <strong>et</strong> éducatives<br />

héritées mutatis mutandis de l’esprit coubertinien mais également nouveau héraut médiatique<br />

<strong>et</strong> vecteur économique qu’il faut « protéger » pour continuer <strong>à</strong> vendre ! Si le dopage se<br />

conjugue tout <strong>à</strong> la fois avec victoires <strong>et</strong> records, « comment ignorer que les sponsors <strong>des</strong><br />

équipes cyclistes, mais c’est tout aussi vrai dans d’autres <strong>sports</strong> qui drainent beaucoup<br />

d’argent, cherchent un r<strong>et</strong>our sur investissement en terme de r<strong>et</strong>ombées médiatiques,<br />

d’amélioration de l’image de marque <strong>et</strong> de conquêtes de parts de marché ? C’est d’une<br />

politique de mark<strong>et</strong>ing dont il est question <strong>et</strong> non de sport même si certains sponsors aiment<br />

réellement le sport. » (Bodin, Debarbieux, op. cit., 21). Certes ce n’est ni le sponsor ni le<br />

dirigeant qui tiennent la seringue, pas plus qu’ils ne donnent l’ordre de « piquer » les athlètes,<br />

tout au moins peut-on l’espérer, mais c’est leur désir de réussite qui est « transmis » aux<br />

athlètes par les « médecins <strong>et</strong> soigneurs », désir de réussite qui n’est pas seulement celui <strong>des</strong><br />

sportifs mais également <strong>des</strong> dirigeants qui n’existent, n’évoluent ou n’acquièrent de la<br />

visibilité qu’<strong>à</strong> travers eux, qui ne peuvent être élus dans les instances internationales que grâce<br />

<strong>à</strong> leurs résultats. De plus, le sport pose bien souvent <strong>à</strong> la société le problème particulier du<br />

rapport <strong>à</strong> la norme qui, rappelons-le, pour être acceptable <strong>et</strong> acceptée doit pouvoir être<br />

contournée ou détournée. Si la norme sociale est un repère donné aux individus, s’applique <strong>à</strong><br />

eux, très souvent <strong>et</strong> pour <strong>des</strong> raisons diverses (surcharge <strong>des</strong> tribunaux, évolution <strong>des</strong> mo<strong>des</strong><br />

de pensée de la société dans certains secteurs, libération <strong>des</strong> mœurs, <strong>et</strong>c.) <strong>des</strong> écarts sont<br />

tolérés. Il en était ainsi de la vitesse en voiture il n’y a pas si longtemps encore, de la<br />

possession de « joints » pour son usage personnel aujourd’hui, mais aussi du dopage dans le<br />

sport connu, <strong>et</strong> jusqu’<strong>à</strong> une époque récente, très peu condamné <strong>et</strong>, bien d’autres choses<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

encore. Ainsi la société accepte du sport, <strong>et</strong> de ses héros, <strong>des</strong> faits parfois pénalisables ou<br />

pénalisants par ailleurs (Dur<strong>et</strong>, Bodin, 2003).<br />

S’il semble nécessaire de repenser le sport aux plans éducatif <strong>et</strong> <strong>des</strong> finalités de tout un<br />

chacun, il faut peut être malgré tout accepter l’idée que l’homme est un loup pour l’homme <strong>et</strong><br />

que rien ne pourra empêcher certains de tricher. On ne peut vraisemblablement plus rien<br />

également pour le sport professionnel. Les sponsors qui investissent dans ce dernier ne le font<br />

pas par philanthropie, pas plus qu’ils ne peuvent le faire indéfiniment <strong>à</strong> fonds perdus.<br />

L’<strong>entre</strong>prise ne peut être associée en permanence <strong>à</strong> une image de défaite <strong>et</strong> il y a une<br />

obligation de r<strong>et</strong>our sur investissement qui, si elle n’est pas obligatoirement économique, l’est<br />

au moins en termes d’image de marque. Ne faut-il pas dès lors accepter l’idée d’un sport <strong>à</strong><br />

deux vitesses ? Ne faut-il pas adm<strong>et</strong>tre l’idée que le sport professionnel, eu égard aux enjeux<br />

<strong>et</strong> aux pouvoirs extra sportifs, ne puisse plus suivre « tout <strong>à</strong> fait la même logique que le sport<br />

amateur <strong>et</strong> qu’il vaut peut-être mieux que le dopage soit avéré <strong>et</strong> contrôlé que dissimulé <strong>et</strong><br />

sans réel suivi médical ? » (Bodin, Héas, op. cit., 208) <strong>et</strong> faire porter les efforts en matière de<br />

lutte contre le dopage sur le sport amateur, les jeunes <strong>et</strong> le suivi longitudinal ? La première<br />

réponse pourrait consister <strong>à</strong> rappeler que la norme n’est que le refl<strong>et</strong> du modèle dominant, qui<br />

pour être imposé par tous, n’est pas obligatoirement acceptée de tous. Le sportif « hors<br />

norme » bénéficie, plus que d’autres peut-être, au titre de c<strong>et</strong> héroïsme particulier qui le<br />

caractérise (Dur<strong>et</strong>, 1993) du soutien de ceux qui refusent, ou du moins ne partagent pas, les<br />

valeurs dominantes. L’exemple du dopage en est le refl<strong>et</strong> le plus évident. Mais cela ne suffit<br />

cependant pas <strong>à</strong> expliquer pourquoi un simple spectateur, non sportif lui-même semble plus<br />

tolérant <strong>à</strong> l’égard du sport <strong>et</strong> <strong>des</strong> sportifs que d’autres individus ? Pourquoi la société ne<br />

condamne pas, au sens strict du terme, davantage les comportements hors normes de nos<br />

sportifs ?<br />

Force est de constater que le sport est devenu aujourd’hui un véritable phénomène social que<br />

ce soit au niveau du nombre de pratiquants, de son importance croissante au sein même de la<br />

sphère <strong>des</strong> loisirs, de sa mise en spectacle, de sa reconnaissance en tant que phénomène<br />

culturel <strong>et</strong> de son assimilation <strong>à</strong> l’idéal démocratique selon lequel « n’importe qui peut<br />

devenir quelqu’un ». Si les normes sociales sont ainsi impunément très souvent transgressées,<br />

c’est peut être, comme le suggère Becker (1963) parce que les groupes sociaux trouvent<br />

avantage <strong>à</strong> fermer les yeux. Le sport est donc tout <strong>à</strong> la fois un espace normatif (apprentissage<br />

de règles communes, « contrôle <strong>des</strong> émotions »), normalisé (règlements, entraînements,<br />

compétitions, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> hors normes qui accepte, intègre, voire promeut en son sein <strong>des</strong> normes<br />

distinctes ou condamnées par la société.<br />

Acceptation, intégration <strong>et</strong> exclusion <strong>des</strong> homosexuels dans le sport de haut<br />

niveau.<br />

C’est l’étude ensuite de la place, (de l’exclusion devrait-on dire) <strong>des</strong> homosexuel(le)s dans le<br />

sport. A travers ce suj<strong>et</strong> ce sont de nouvelles formes de <strong>violences</strong>, plus feutrées, morales ou<br />

symboliques, de domination également, que nous avons étudiées, constatant la dualité sociale<br />

dans laquelle de nombreux athlètes hommes, ou femmes, sont contraints de vivre pour ne pas<br />

subir l’opprobre général, de ne pas être mis <strong>à</strong> l’écart définitivement, ou ne pas perdre leurs<br />

sponsors, en raison du poids social <strong>et</strong> <strong>des</strong> préjugés qui prévalent en la matière.<br />

Alors que depuis les années 1970, les « Gay and lesbian studies » se multiplient dans les<br />

universités d’outre-atlantique au même titre que les recherches consacrées aux autres<br />

minorités, discriminées ou non, peu, pour ne pas dire aucune étude, en France du moins, ne<br />

s’est intéressée <strong>à</strong> la question très précise de l’homosexualité masculine dans le sport de haut<br />

niveau. La présence d’homosexuels y est pourtant tour <strong>à</strong> tour supposée ou invisible,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 126


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

dissimulée ou condamnée, ignorée ou suj<strong>et</strong>te <strong>à</strong> la rumeur <strong>et</strong> au commérage discriminatoire<br />

« un tel en serait » visant <strong>à</strong> la disqualification sociale ou <strong>à</strong> la constitution d’une identité<br />

négative <strong>des</strong> individus en question (Paugam, 1991). Pour nous renseigner davantage quelques<br />

étu<strong>des</strong> évoquent de manière superficielle l’ambiguïté <strong>des</strong> <strong>relations</strong> dans certains <strong>sports</strong><br />

collectifs masculins. Badinter (1992) parlera « d’homo-érotisme » sur les terrains de football,<br />

Saouter (2000) de pratiques « homosexuées » 184 pour décrire les mo<strong>des</strong> particuliers de<br />

sociabilité au rugby : « sport d’hommes ». La nudité, le rapport au corps, les contacts<br />

corporels <strong>et</strong> les jeux sexuels de la troisième mi-temps ne sont peut être en eff<strong>et</strong> rien d’autres<br />

que la résurgence <strong>des</strong> rites initiatiques masculins dans les sociétés traditionnelles. Aucun<br />

n’osera aborder l’impensable : le sportif de haut niveau, même s’il est le héros (héraut) <strong>des</strong><br />

temps modernes, peut également, <strong>et</strong> malgré tout, être homosexuel. Alors que certains de nos<br />

hommes politiques n’hésitent plus <strong>à</strong> déclarer leur homosexualité, rares sont les sportifs<br />

« gays » de haut niveau <strong>à</strong> oser l’affirmer ou le revendiquer. Singulièrement les athlètes<br />

féminins semblent plus promptes que leurs homologues masculins <strong>à</strong> le faire durant leur<br />

carrière sportive. L’exemple récent de Mauresmo nous le confirme. Seraient-elles plus enclins<br />

<strong>à</strong> défendre leur identité collective <strong>à</strong> travers c<strong>et</strong> acte ? Qui sait par exemple, en dehors du<br />

cercle r<strong>et</strong>reint <strong>et</strong> fermé du monde sportif, qu’un de nos plus grands joueurs de football a vécu<br />

trois années durant avec un célèbre danseur étoile ? A ce niveau la discrétion <strong>des</strong> chercheurs,<br />

<strong>des</strong> dirigeants <strong>et</strong> <strong>des</strong> sportifs eux-mêmes rejoint, celle, ô combien surprenante, <strong>des</strong> journalistes<br />

qui jamais n’évoquent c<strong>et</strong>te question. Il est vrai que le sport de haut niveau jouit d’a priori <strong>et</strong><br />

de présupposés laudatifs que le caractère déviant (Becker, 1963) <strong>et</strong> pervers longtemps attribué<br />

<strong>à</strong> « c<strong>et</strong> amour qui n’ose pas dire son nom » prend en défaut. Très longtemps en eff<strong>et</strong><br />

l’homosexualité a été considérée « contre nature », assimilée par indéfinition <strong>à</strong> la perversion<br />

pédophile, ou dénommée par défaut sémantique : bougrerie, sodomite, antiphysique, « amour<br />

<strong>des</strong> garçons », troisième sexe <strong>et</strong>c.<br />

Il est pourtant vraisemblable qu’il existe un taux au moins similaire d’homosexuels parmi les<br />

athlètes de haut niveau que dans le reste de la population. Comment pourrait-il en être<br />

autrement ? Envisager l’inverse reviendrait <strong>à</strong> naturaliser <strong>et</strong> limiter les compétences sportives<br />

en les associant ou les confondant <strong>à</strong> la seule virilité hétérosexuelle. Les qualités sportives ne<br />

s’inscriraient donc pas dans un processus ou une construction sociale mais serait intrinsèque <strong>à</strong><br />

l’homme résolvant d’un seul coup, un seul, le dilemme de nombreuses fédérations : savoir<br />

comment détecter les athlètes !<br />

Notre propos n’était cependant pas d’étudier les mœurs de nos sportifs qu’un récent ouvrage<br />

(Alric, 2002) vient d’aborder, pas plus qu’il n’était question d’y apporter en la matière un<br />

quelconque « jugement », fût-il dénué de toute homophobie, ni même d’envisager la question<br />

de l’inné ou l’acquis dans c<strong>et</strong>te forme de sexualité, mais au contraire de nous focaliser sur la<br />

question qui s’avère centrale dans le combat de la communauté homosexuelle pour sa<br />

reconnaissance <strong>et</strong> l’acquisition de ses droits : le coming out. 185 Car s’interroger sur la<br />

présence ou non d’homosexuels parmi les sportifs de haut niveau revient <strong>à</strong> se demander<br />

pourquoi si peu d’<strong>entre</strong> eux « sortent du placard », mais aussi s’il est nécessaire qu’ils le<br />

fassent <strong>et</strong> dans ce cas pour qui <strong>et</strong> dans quels buts ? Nous avons eu pour cela recours aux<br />

histoires de vie de douze athlètes de haut niveau. Ce qui nous intéressait était de comprendre<br />

<strong>et</strong> d’articuler les domaines d’existence <strong>et</strong> voir s’il existait dans ces histoires singulières <strong>des</strong><br />

traits communs <strong>et</strong> <strong>des</strong> récurrences. Ces histoires de vie se sont cependant limitées <strong>à</strong> la<br />

question de leur appartenance sexuelle depuis qu’ils font du sport. Un constat s’est imposé<br />

d’emblée pour tous sans exception : sortir du placard leur semble impensable <strong>et</strong><br />

184<br />

Reprenant <strong>à</strong> travers ce néologisme « l’homosexualité désexualisée » de Bastide in Encyclopédia<br />

Universalis,1980, 1034).<br />

185<br />

Faire la révélation de son homosexualité. On parle aussi de « sortir du placard ».<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 127


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

inenvisageable. Leurs <strong>entre</strong>tiens sont <strong>à</strong> ce point conformes sur ce suj<strong>et</strong> précis que la condition<br />

sine qua non de leur participation <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te étude est la certitude que nous ne révélerons pas leur<br />

homosexualité. Le poids social semble donc si évident qu’il les contraint <strong>à</strong> une dualité sociale<br />

que nombre d’homosexuels ont connue avant eux ou connaissent encore de nos jours dans la<br />

vie civile ordinaire.<br />

La raison première <strong>à</strong> leur mutisme est leur statut, ou du moins l’idée qu’ils en ont, de héros<br />

sportifs. A défaut de dresser un portrait exhaustif du héros de nos sociétés contemporaines, il<br />

est néanmoins possible comme l’ont montré Dur<strong>et</strong> (1993) ou Centlivres, Fabre <strong>et</strong> Zanabend<br />

(1999) d’en cerner certaines caractéristiques. Ce sont essentiellement <strong>des</strong> hommes qui se sont<br />

illustrés en défendant les valeurs de leur pays. La société française toujours profondément<br />

inégalitaire de nos jours, si l’on s’en réfère aux grilles de salaires, aux temps d’antennes<br />

consacrés aux <strong>sports</strong> féminins, ne r<strong>et</strong>ient que peu de femmes. Il y eut bien Jeanne d’Arc dans<br />

l’histoire de France mais dont l’ambivalence sexuelle <strong>et</strong> l’ambiguïté de l’habillement, la<br />

virginité <strong>et</strong> la chast<strong>et</strong>é en faisaient une héroïne « homosexuée ». S’il y eut <strong>des</strong> héros<br />

homosexuels ce fait est tu.<br />

Ne devient pas non plus héros qui veut. Il ne suffit pas de gagner, d’être premier. Le héros est<br />

reconnu comme tel par ses fans, ses pairs <strong>et</strong> la nation toute entière. Qu’un sportif puisse être<br />

peint sur un mur d’immeuble n’est pas donné <strong>à</strong> n’importe qui. Il a fallu <strong>à</strong> Zidane ce parcours<br />

exceptionnel en coupe du monde, ces deux buts contre le Brésil, démontrant ainsi que le<br />

« beur » parti de rien dans les quartiers nord de Marseille était capable de tout pour se<br />

r<strong>et</strong>rouver érigé symboliquement au regard de tous. Les héros ne sont cependant pas<br />

obligatoirement ceux qui gagnent tout <strong>et</strong> toujours. Poulidor en fut un autre exemple. Ils<br />

représentent bien souvent le peuple, dont ils sont eux-mêmes issus, ou en défendent les<br />

valeurs. L’abnégation, la souffrance, les efforts, le travail qu’ils consentent sont portés au<br />

pinacle <strong>et</strong> participent de c<strong>et</strong>te construction mythique. Alors qu’ils deviennent <strong>des</strong> figures<br />

emblématiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> modèles identificatoires pour toute une population <strong>et</strong> surtout les plus<br />

jeunes, peuvent-ils se déclarer homosexuels ? Cela leur semble d’autant plus impossible <strong>à</strong> dire<br />

qu’ils associent c<strong>et</strong>te révélation <strong>à</strong> la <strong>des</strong>truction d’une identité sociale valorisante <strong>et</strong> valorisée<br />

qu’ils ont eu beaucoup de difficultés <strong>à</strong> construire <strong>et</strong> <strong>à</strong> accepter. Certains se souviennent <strong>et</strong><br />

restent profondément marqués par l’attitude de rej<strong>et</strong> qu’ils ont connue dans leur jeunesse :<br />

« A l’école, j’étais au mieux traité de fille <strong>et</strong> au pire de sale pédé. J’avais<br />

conscience d’être différent mais je ne comprenais pas. J’étais en permanence le<br />

bouc émissaire de ma classe, c’est comme cela que mes parents m’ont mis au<br />

[sport] 186 pour que je m’endurcisse <strong>et</strong> que je devienne un homme ! Alors révéler<br />

maintenant mon homosexualité comme cela <strong>à</strong> tout le monde cela me semble<br />

impossible même si mes copains sont au courant ».<br />

L’homosexuel est ainsi stigmatisé au nom d’une féminité ou d’un efféminement qui lui est<br />

attribué, l’apparence n’impliquant cependant pas nécessairement l’homosexualité. Mais c<strong>et</strong>te<br />

position réaffirme tout simplement qu’un homme ne peut être attiré que par une femme. A<br />

l’époque antique il n’en allait pas de même. Ceux qui par trop fréquentaient les femmes <strong>et</strong><br />

« déviaient <strong>des</strong> normes du genre masculin en préférant la douceur de l’amour <strong>à</strong> la dur<strong>et</strong>é de la<br />

guerre » (Halperin, 2002, 30), étaient qualifiés de malthakos, de mou, d’efféminés. Il faut<br />

aussi nous souvenir que dans les sociétés doriennes l’amour pédérastique marquait<br />

l’intégration au corps social <strong>et</strong> au groupe de guerriers. Le désir amoureux <strong>entre</strong> hommes<br />

participait ainsi de la construction <strong>et</strong> de l’organisation de la vie collective. Socrate, s’inspirant<br />

peut-être du « bataillon sacré » thébain, célèbre pour ses victoires <strong>et</strong> sa force, mais aussi pour<br />

186 C’est nous qui faisons disparaître le sport.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 128


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

être composé uniquement de guerriers homosexuels, était convaincu que la meilleure armée<br />

du monde serait celle qui saurait réunir en ses rangs <strong>des</strong> amants capables d’accomplir les plus<br />

grands exploits en raison de leur attachement réciproque. Le héros antique, contrairement au<br />

héros sportif contemporain, pouvait donc être « pédé » sans perdre pour autant les qualités<br />

attribuées illusoirement <strong>et</strong> sans raison scientifique particulière <strong>à</strong> l’homme hétérosexuel !<br />

Même si la permissivité de l’opinion <strong>à</strong> l’égard <strong>des</strong> homosexuels a considérablement crû<br />

depuis une décennie, ils sont en fait bien souvent encore condamnés <strong>à</strong> la dualité sociale <strong>à</strong><br />

moins qu’ils n’arrivent, comme le propose Wieviorka (2001), <strong>à</strong> opérer « un renversement du<br />

stigmate » comportant deux dimensions <strong>entre</strong>mêlées : un travail de l’acteur sur lui-même qui<br />

doit s’accepter sans réserve, ni honte, ni gêne <strong>et</strong> la confrontation de sa personnalité au regard<br />

de la société sans crainte <strong>des</strong> jugements rendus ou potentiels. Les récents débats sur le PACS<br />

ou sur l’adoption d’enfants par <strong>des</strong> couples homosexuels démontrent davantage une tolérance<br />

grandissante <strong>à</strong> leur égard qu’une réelle acceptation <strong>et</strong> intégration dans le corps social en tant<br />

qu’individus différents mais égaux devant la loi <strong>et</strong> aux yeux de tous. Les sportifs homosexuels<br />

se sentent ainsi prisonniers de leur appartenance identitaire qui les condamnent au silence ou <strong>à</strong><br />

la perfection. Le moindre faux pas leur est inenvisageable. En se révélant homosexuels ils ont<br />

tout <strong>à</strong> la fois peur de perdre ce statut de héros mais sont aussi effrayés de (re)devenir dans la<br />

défaite ou l’échec <strong>des</strong> « pédés » disqualifiant ainsi leur communauté toute entière plutôt que<br />

de l’aider <strong>à</strong> faire accepter sa différence comme le montre c<strong>et</strong> extrait d’<strong>entre</strong>tien :<br />

« Tu sais j’ai peur en affirmant mon homosexualité que cela choque mais que tout<br />

se passe bien au fond tant que je serai bon, que je gagnerai, mais après ? Si je<br />

perds ? Est-ce que je resterai un sportif ou est-ce que je serai une tap<strong>et</strong>te ? Le dire<br />

c’est bien, cela rendra peut être service aux autres homosexuels <strong>et</strong> après quand je<br />

perdrai est-ce que cela ne sera pas parce que je suis pédé ou la faute de tous les<br />

pédés ? ».<br />

Au regard de la société le sportif homosexuel est ainsi bien souvent contraint d’assumer une<br />

identité <strong>et</strong> une sexualité duale : réelle d’une part, vécue au quotidien, mais cachée aux yeux de<br />

tous pour se protéger <strong>des</strong> lazzis, quolib<strong>et</strong>s <strong>et</strong> jugements de valeurs <strong>et</strong>, supposée d’autre part,<br />

pour les journalistes <strong>et</strong> les spectateurs qui imaginent dans ce sportif un hétérosexuel accompli.<br />

C<strong>et</strong>te dualité sociale oppose ainsi quotidiennement la sphère privée <strong>à</strong> la sphère publique. On<br />

peut légitimement dès lors se demander dans quelle mesure c<strong>et</strong>te double vie imposée, soit par<br />

la société soit par le sportif lui-même, n’induit pas une désorganisation <strong>des</strong> résultats <strong>et</strong> de la<br />

performance ?<br />

Ce qui s’applique aux sportifs n’est en fait rien d’autre que le vécu quotidien <strong>des</strong> homosexuels<br />

ordinaires protégés du pouvoir <strong>des</strong> médias mais exposés davantage encore, peut-être, <strong>à</strong><br />

l’opprobre général. Il n’y a pas si longtemps que l’homosexualité, n’est plus pénalisée <strong>et</strong> a<br />

droit de citer. Si les Love parade de Berlin ou les Lesbian and Gay pri<strong>des</strong> de Paris offrent une<br />

visibilité <strong>et</strong> un droit d’exister, elles marquent surtout un changement dans la morale mais aussi<br />

<strong>des</strong> mentalités d’une grande partie de nos concitoyens. La honte est aujourd’hui davantage du<br />

côté <strong>des</strong> homophobes que <strong>des</strong> homosexuels. Mais l’héritage de la morale judéo-chrétienne,<br />

<strong>des</strong> législations, <strong>des</strong> persécutions <strong>et</strong> <strong>des</strong> brima<strong>des</strong> en tous genres restent très prégnantes. Le<br />

poids social <strong>et</strong> l’arbitraire subi depuis <strong>des</strong> siècles imposent toujours aux homosexuels<br />

prudence <strong>et</strong> réserve dans l’affirmation de ce qu’ils sont. L’homophobie <strong>et</strong> la honte sont <strong>à</strong> ce<br />

point intériorisées que beaucoup préfèrent rester cachés. Quelques exemples suffisent <strong>à</strong> le<br />

prouver. La bible a condamné l’homosexualité <strong>à</strong> maintes reprises (Genèse XVIII <strong>et</strong> XIX ;<br />

Corinthiens VI ; Juges XIX ; Lévitique XVIII <strong>et</strong> XX ; Romains I ; Sagesse XIV).<br />

L’homosexualité resta passible de peine de mort dans la plus grande partie du monde chrétien<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 129


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

jusqu’au 18 ème siècle. Le pape Paul VI réaffirma la condamnation de l’homosexualité en 1976<br />

qui restera ainsi dans l’esprit de tout un chacun assimilée au vice, au péché, au crime ou <strong>à</strong> la<br />

perversion. Les homosexuels furent internés dans l’Allemagne nazie <strong>et</strong> certains furent j<strong>et</strong>és<br />

vivants aux chiens pour être dévorés devant leurs congénères. Ce n’est enfin que dans les<br />

années 1980 que les lois anti-homosexuelles furent abrogées en France, entraînant la<br />

suppression du fichage par les Services <strong>des</strong> Renseignements Généraux ainsi que les briga<strong>des</strong><br />

spécialisées <strong>des</strong> préfectures de police chargées de les contrôler <strong>et</strong> de les interpeller.<br />

Au sein de la sphère sportive on ne peut pas vraiment parler de dualité sociale : chacun sait<br />

qui est <strong>et</strong> ce que fait l’autre. A défaut il faut bien adm<strong>et</strong>tre qu’il est attendu <strong>des</strong> sportifs<br />

homosexuels qu’ils soient « invisibles ». Il s’agit presque d’un « secr<strong>et</strong> de famille ». Chacun<br />

sait mais personne n’en parle. Le suj<strong>et</strong> est tout simplement éludé. Dans le sport de haut niveau<br />

l’homosexualité est tolérée sous un certain nombre de conditions : de ne pas être dragué, de ne<br />

pas s’afficher ou de ne pas afficher ses sentiments, de ne pas en parler, réaffirmant par la<br />

même le tabou social en la matière. A l’inverse aucune remarque désobligeante ou blessante<br />

n’est adressée <strong>à</strong> celui dont le style de vie diffère de la norme sociale habituelle. Le<br />

positionnement dans le sport masculin, fût-il collectif, est bien différent de ce qui se passe<br />

dans le sport féminin où certaines équipes sont composées exclusivement d’homosexuelles<br />

dans lesquelles la règle tacite de recrutement, de cooptation ou d’acceptation est que la<br />

nouvelle le soit aussi (Bodin, Héas, op. cit.). C<strong>et</strong>te « acceptation sous réserve d’invisibilité »<br />

est souvent évoquée de manière très concrète de différentes manières :<br />

« Dans le groupe personne ne m’en a jamais parlé ou au début si : ta copine vient<br />

te chercher après le match ? Comme je répondais non <strong>et</strong> que finalement ils ne<br />

m’ont jamais vu avec une fille plus personne ne m’a branché sur le suj<strong>et</strong>. Je sais<br />

que certains sont au courant maintenant parce que le sport est un tout p<strong>et</strong>it monde<br />

<strong>et</strong> puis voil<strong>à</strong> ! Personne ne m’en parle. Moi non plus d’ailleurs ».<br />

« Ils ont tout de suite su que j’étais homo car il y en avait un qui le savait mais<br />

personne ne m’a jamais fait de remarque. Les rares fois ou mon ami est venu me<br />

chercher il a été accepté sans problème par le groupe. Bon c’est vrai que l’on ne<br />

s’affiche pas non plus <strong>et</strong> puis peut être aussi… en y réfléchissant bien… qu’ils<br />

l’ont accepté… comme un copain <strong>à</strong> moi pas comme mon compagnon ! Ils ont fait<br />

semblant de ne pas voir ou pas comprendre quoi ! Finalement c’est peut-être eux<br />

les plus gênés ».<br />

A travers ces propos se ressentent bien les tensions cristallisées qui façonnent <strong>et</strong> structurent<br />

les <strong>relations</strong> au sein même de la sphère sportive. L’homosexuel est toléré <strong>et</strong> accepté, car c’est<br />

un coéquipier, un partenaire d’entraînement sur lequel on peut compter <strong>et</strong> avec lequel il faut<br />

compter. Mais la barrière <strong>entre</strong> la sphère privée <strong>et</strong> publique est ici très n<strong>et</strong>te. Tout ne peut être<br />

partagé. A moins peut être que le sportif habituellement confronté <strong>à</strong> l’amitié virile ne sache<br />

comment s’y prendre, ni que dire ou faire. Le sportif homosexuel garde pour sa part une<br />

certaine réserve dans ses rapports sociaux qui n’est pas sans rappeler les propos de Chauncey<br />

(2002) sur « la « double vie » de la génération d’avant Stonewall ». A l’inverse les autres<br />

sportifs font « comme si », acceptent la situation parce que c’est un coéquipier <strong>et</strong> qu’il sait<br />

maintenir une réserve <strong>et</strong> une discrétion sur la question. Mais il est évident également qu’ils<br />

participent au maintien du secr<strong>et</strong> <strong>et</strong> protègent leur partenaire sportif. Même s’il s’agit d’un<br />

« secr<strong>et</strong> de polichinelle » celui-ci reste préservé. Aucune remarque ou déclaration, qu’elle soit<br />

désobligeante ou non, ne filtre sur l’homosexualité supposée d’un membre du groupe dans les<br />

médias. Il s’agit bien d’une « famille » qui fait clan <strong>et</strong> corps en protégeant la réputation de ses<br />

membres. Il y a ici tout <strong>à</strong> la fois respect de la vie privée d’autrui, amitié, valeurs sportives,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 130


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

efforts, recherche de performances partagés mais peut-être également auto-protection car, la<br />

révélation malencontreuse de l’homosexualité d’un sportif pourrait éventuellement avoir <strong>des</strong><br />

répercussions sur l’ensemble du groupe ou du sport en question. Ce double impératif moral de<br />

protéger ses coéquipiers « gays » tout en se protégeant afin d’éviter toute révélation<br />

scandaleuse renforce bien souvent les <strong>relations</strong> de confiance <strong>entre</strong> sportifs :<br />

« Tu sais ce qui est très différent pour moi c’est la confiance que j’ai en eux. Je<br />

sais qu’ils n’en parleront jamais <strong>à</strong> l’extérieur. Et ça c’est super. Ils ne me jugent<br />

pas ou au moins je pense mais ils ne me trahiront pas non plus. Rien que pour<br />

cela. Je ferai tout aussi pour les aider si je peux car je ne sais pas, j’en suis même<br />

certain que c’est pas pareil pour ceux qui n’ont pas la chance d’être sportifs, pour<br />

ceux qui travaillent dans un bureau ou n’importe où. Pour eux ce n’est pas sûr que<br />

personne ne le répétera <strong>et</strong> dans ce cas l<strong>à</strong> ils perdront peut-être tout espoir de<br />

promotion ou autre ».<br />

Moins proches que leurs coéquipiers l’attitude <strong>des</strong> dirigeants est identique <strong>et</strong> s’inscrit<br />

également dans le statu quo : s’ils sont vraisemblablement au courant, ils n’en parlent pas. Il y<br />

a néanmoins déni de reconnaissance <strong>et</strong> d’existence, certains n’hésitant pas <strong>à</strong> déclarer que :<br />

« cela ne les regarde pas, qu’ils ne veulent pas savoir ce que font leurs sportifs en-dehors <strong>des</strong><br />

entraînements <strong>et</strong> <strong>des</strong> compétitions ». Peut-on pourtant concevoir pour la réussite d’un athlète<br />

pareil découpage <strong>des</strong> sphères privées, publiques, sportives, <strong>et</strong>c. ?<br />

L’absence de coming out trouve aussi son origine dans la marchandisation du sport <strong>et</strong> du<br />

sportif. Certains évoquent le fait que leurs sponsors individuels leur ont promulgué moult<br />

recommandations sur la révélation ou l’affichage de leur homosexualité, leur demandant « de<br />

donner le change », de s’afficher de temps <strong>à</strong> autres avec <strong>des</strong> femmes. Dans tous les cas ceux<br />

qui n’ont pas reçu de telles directives ressentent d’eux-mêmes la nécessité de rester cachés<br />

sous peur de perdre leurs contrats. Il y a donc encore <strong>à</strong> ce niveau nécessité d’<strong>entre</strong>tenir la<br />

dualité sociale <strong>et</strong> de préserver l’image du sportif mâle obligatoirement hétérosexuel. La<br />

logique communicationnelle ne diffère donc en rien de l’héritage social. Pour en avoir la<br />

certitude nous avons interrogé le directeur du mark<strong>et</strong>ing d’une grande marque en lui<br />

demandant si sa société sponsoriserait un athlète homosexuel ? La réponse s’avère<br />

complexe <strong>et</strong> pleine de précautions oratoires :<br />

« C’est très complexe comme cela. Il faudrait étudier très précisément la question.<br />

Car il faut exposer le problème <strong>à</strong> différents niveaux : s’agit-il d’un sportif<br />

confirmé ou en devenir ? Quelle est son image : s’agit-il d’un athlète adulé du<br />

public ou non ? A t-il révélé son homosexualité ou pas ? C<strong>et</strong>te première série de<br />

questions s’ajoute bien évidemment <strong>à</strong> celles que nous nous posons<br />

habituellement : est-il un vecteur potentiel de communication ? S’inscrit-il dans<br />

notre secteur de marché ? En quoi peut-il nous perm<strong>et</strong>tre de développer nos parts<br />

de marchés, d’en conquérir de nouvelles <strong>et</strong>c. ? Il est certain que dans l’état actuel<br />

<strong>des</strong> choses en France comme en Europe la situation s’améliore, les homosexuels<br />

sont mieux acceptés mais, peut-on associer notre marque <strong>à</strong> un sportif homosexuel<br />

pour autant ? C’est très délicat. Ce n’est pas faire de la discrimination en disant<br />

cela. Il faut tout simplement accepter l’idée que notre démarche n’est pas<br />

philanthropique. Elle s’inscrit dans une logique économique qui détermine<br />

l’image de l’<strong>entre</strong>prise <strong>et</strong> son avenir immédiatement mais pour longtemps. Tout<br />

faux pas est interdit. J’aurais tendance <strong>à</strong> dire que si la rumeur sur son<br />

homosexualité n’entachait en rien sa popularité cela ne poserait aucun problème.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 131


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Dans les autres cas… Bon pour les plus forts c’est toujours plus facile : regardez<br />

Navratilova en tennis, cela ne gênait personne. Il y a maintenant une autre<br />

dimension <strong>à</strong> considérer c’est le devenir de la communauté homosexuelle, son<br />

intégration dans la population. Regardez aujourd’hui tout le monde se moque que<br />

le maire de Paris soit homosexuel. Cela n’aurait pas été concevable il y a dix ou<br />

vingt ans. L’évolution <strong>des</strong> mœurs <strong>et</strong> <strong>des</strong> mentalités peut très bien bouleverser<br />

notre approche en la matière. Il faut aussi regarder la communauté homosexuelle<br />

comme un groupe de consommateurs <strong>à</strong> part entière. Cela pourrait aussi s’inscrire<br />

dans une logique commerciale qui ciblerait ce public précis. Je ne crois pas que<br />

nous en soyons l<strong>à</strong> mais qui sait ? ».<br />

Faire son coming out ne semble pas plus aisé dans le sport de haut niveau que dans le reste de<br />

la société. Mais est-il vraiment nécessaire que les sportifs le fassent ? Ne faut-il pas tout<br />

simplement considérer que les pratiques sexuelles relèvent de la sphère privée <strong>et</strong> qu’<strong>à</strong> ce titre,<br />

hormis les cas délictueux (atteintes aux mœurs, pédophilie, viol <strong>et</strong>c.) elle n’a pas <strong>à</strong> être<br />

révélée. Demande t-on aux sportifs hétérosexuels de s’affirmer en tant que tels ? Dans un<br />

souci égalitariste, ou pour se donner bonne conscience <strong>et</strong> prouver que nous ne sommes pas<br />

homophobes nous insistons peut-être trop sur un acte qui a pour première valeur de faire<br />

oublier <strong>à</strong> tous le scandale de la mise <strong>à</strong> l’écart d’une partie de la population sous les prétextes<br />

les plus fallacieux. Dans un souci d’intégration <strong>et</strong> de reconnaissance le coming out s’impose<br />

cependant comme le recours le plus efficace de toute une communauté, souvent bafouée, qui<br />

en se révélant cherche <strong>à</strong> s’affirmer <strong>et</strong> se protéger. Car si faire la sociologie de la différence<br />

revient <strong>à</strong> s'intéresser aux questions d’exclusion, d’inégalités, de discrimination, de<br />

disqualification ou de ségrégation, c’est aussi <strong>et</strong> surtout s’interroger sur la manière dont les<br />

identités collectives se forment <strong>et</strong> « se déforment » ainsi que sur la place du « suj<strong>et</strong> » au sein<br />

de celles-ci.<br />

Si faire son coming out revient comme le suggérait Sartre <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre fin <strong>à</strong> la honte comme<br />

« conscience de soi sous le regard d’autrui » (1943, 263), l’enjeu ne peut se limiter cependant<br />

<strong>à</strong> libérer l’individu en lui perm<strong>et</strong>tant d’assumer sa honte, d’accéder <strong>à</strong> une intégrité personnelle<br />

ou <strong>à</strong> un équilibre psychologique. L’enjeu est communautaire <strong>et</strong> la revendication n’est que la<br />

volonté d’accéder au quotidien <strong>à</strong> tous les possibles d’une société démocratique quel que soit<br />

le domaine : vie civile, travail, sport, <strong>et</strong>c.<br />

Révéler son homosexualité dépasse l’homme <strong>et</strong> consiste <strong>à</strong> s’exposer chaque jour plus<br />

nombreux <strong>et</strong> de manière plus visible pour mieux se fondre dans la masse, c’est <strong>à</strong> dire être<br />

intégré <strong>et</strong> assimilé sans craindre l’opprobre ou la discrimination. C’est aussi un message<br />

adressé aux autres qui n’osent pas le faire leur signifiant qu’ils ne sont pas seuls. Le coming<br />

out est donc une affirmation de soi mais aussi un défi qui marque l’engagement de l’individu<br />

dans un acte solidaire <strong>et</strong> politique. « Pour cesser d’être confinés dans l’espace privé ou<br />

considérés comme dégénérés (homosexuels) […] les acteurs qui construisent l’identité<br />

collective deviennent <strong>des</strong> militants qui interpellent la société » (Wieviorka, op. cit., 129). S’il<br />

est concevable que la revendication devienne un acte militant est-il possible néanmoins de<br />

concevoir que c<strong>et</strong>te identité collective puisse se construire sans heurts ni douleurs, sans crises<br />

ni conflits ? Ce serait réduire l’identité collective <strong>à</strong> un ensemble d’individus homogènes dans<br />

leurs choix, calculs, envies <strong>et</strong> raisonnements. Les antagonismes relatés par Chauncey <strong>entre</strong> la<br />

génération d’avant <strong>et</strong> après Stonewall, <strong>entre</strong> ceux qui désiraient « rester dans le placard » <strong>et</strong><br />

ceux qui souhaitaient en sortir, s’appliquent également aux sportifs « gays ». Si la visibilité<br />

revendiquée est une stratégie politique, elle s’oppose ainsi bien souvent <strong>à</strong> celle <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s qui<br />

désirent rester libres <strong>et</strong> maîtres de leurs choix sans se voir imposer au nom d’un intérêt<br />

collectif un acte qui les engage individuellement.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 132


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

La construction d’une identité collective oscille ainsi <strong>entre</strong> <strong>des</strong> intérêts complexes <strong>et</strong> parfois<br />

divergents qui induisent en permanence un engagement <strong>et</strong> un dégagement <strong>des</strong> individus qui y<br />

adhèrent. Certains n’ont pas envie de faire part de leur homosexualité pour <strong>des</strong> raisons autres<br />

que la préservation de leur carrière sportive. Si leur homosexualité est connue dans le milieu<br />

sportif, elle ne l’est pas toujours dans la famille.<br />

A c<strong>et</strong>te question de l’engagement dans <strong>et</strong> pour la cause homosexuelle <strong>à</strong> travers leur coming<br />

out les réponses sont unanimes pour ne pas le faire mais ne sont cependant pas unitaires. Ainsi<br />

la référence <strong>à</strong> une identité « apparaît de moins en moins de l’ordre de l’ascription ou de la<br />

reproduction <strong>et</strong> toujours plus de l’ordre du choix » (Wieviorka, op. cit., 142) de chacun <strong>des</strong><br />

individus qu’il s’agisse de la rejoindre, de l’affirmer, de s’y reconnaître, de la revendiquer ou<br />

de la rej<strong>et</strong>er. Mais alors que les militants les plus engagés considèrent la dualité sociale<br />

comme une hypocrisie <strong>et</strong> un refus de sa personnalité, d’autres la voient <strong>et</strong> la vivent comme un<br />

enrichissement, une appartenance culturelle multidimensionnelle ou plus simplement une<br />

sécurité :<br />

« Moi je n’ai jamais vécu le fait de taire mon homosexualité comme un problème.<br />

Je trouve cela au contraire enrichissant. J’aurais peur au contraire en le déclarant<br />

être enfermé dans un gh<strong>et</strong>to, de ne plus fréquenter que <strong>des</strong> homosexuels, de ne<br />

plus être invité par mes copains hétéros, ou pire de devenir l’égérie de tout le<br />

mouvement gay. Regarde Galfione, bon lui n’est pas homo mais les gays en ont<br />

fait une égérie, il incarnait le culte du corps, un idéal de beauté, de<br />

perfectionnisme, un art de vie, <strong>et</strong> lui ne l’a pas supporté ».<br />

« Je ne sais pas si en faisant mon coming out cela me causerait <strong>des</strong> ennuis mais<br />

en tout cas, je ne veux pas essayer non plus. Mes amis ne connaissent rien de ma<br />

vie. Je ne leur demande rien de la leur <strong>et</strong> ils ne me demandent rien de la mienne.<br />

Mais ce qui est certain c’est que je n’ai pas de problème. Je ne suis pas mis <strong>à</strong><br />

l’écart. Je fréquente tout le monde, les soirées se passent bien, je suis invité chez<br />

les uns <strong>et</strong> les autres avec leurs amies <strong>et</strong> puis c’est tout. Quand ils viennent chez<br />

moi, peut-être certains le savent-ils <strong>et</strong> ne m’en parlent pas, d’autres doivent se dire<br />

qu’ils ne m’ont jamais vu avec une copine… Bon mais ma vie est normale. Je ne<br />

suis pas la <strong>à</strong> tendre le dos ».<br />

L’identité collective perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> chacun de se construire mais elle offre dans le cas précis de<br />

l’homosexualité bien souvent trop peu de chances de s’en écarter. En se déclarant les sportifs<br />

prennent <strong>des</strong> risques, se sentent marqués du sceau de l’infamie <strong>et</strong> prisonniers de l’identité. Si<br />

celle-ci est une ressource, un repère ou une référence perm<strong>et</strong>tant un reversement du stigmate<br />

dont les homosexuels sont victimes au quotidien, elle n’offre que peu de possibilité de s’en<br />

dégager. Sans <strong>entre</strong>r en conflit avec leur identité collective ou les mouvements qui la<br />

défendent les sportifs préfèrent ainsi très souvent la taire pour « mieux » vivre leur carrière<br />

sportive.<br />

Acquis <strong>et</strong> influences<br />

Finalement dans toutes ces étu<strong>des</strong>, les acquis sont réinvestis : réseaux de connaissance <strong>et</strong><br />

d’influence, outillage théorique <strong>et</strong> méthodologique, même s’ils sont adaptés, complétés <strong>et</strong><br />

affinés. Autant d’aspects hérités de la recherche sur le hooliganisme. De la même façon il est<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 133


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

aisé de constater que nous nous intéressons <strong>à</strong> un même type de public qualifiable de<br />

déviant 187 .<br />

De ce point de vue notre obj<strong>et</strong> se construit par accumulation, appropriation <strong>et</strong><br />

réinvestissement <strong>des</strong> connaissances. Ce n’est pourtant pas la seule manière. Il existe aussi <strong>des</strong><br />

sphères d’influences qui modèlent, modulent <strong>et</strong> transforment c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong>.<br />

Lorsque l’on évoque <strong>des</strong> recherches, ce qui est mis en avant est le produit « fini », « accepté »<br />

(qui peut être controversé) par la communauté scientifique, donc publié. Ce produit possède<br />

en fait deux caractéristiques distinctes : l’une négative, l’autre positive.<br />

Examinons tout d’abord le côté positif de ces influences. Un <strong>des</strong> principaux aspects de<br />

l’activité scientifique est la publication, donc, la mise en commun <strong>des</strong> travaux en les offrant <strong>à</strong><br />

l’examen <strong>et</strong> <strong>à</strong> la critique <strong>des</strong> confrères. La réception <strong>des</strong> expertises <strong>des</strong> articles envoyés aux<br />

revues scientifiques est toujours un moment fort. Une fois dépassée la question de l’ego, mis<br />

en cause <strong>à</strong> travers les critiques formulées, ou celle, parfois, <strong>des</strong> jugements de valeur trop<br />

souvent émis <strong>à</strong> la place d’une analyse réellement critériée, les remarques formulées font<br />

apparaître <strong>des</strong> imperfections, <strong>des</strong> manques théoriques, <strong>des</strong> analyses statistiques déficientes,<br />

<strong>des</strong> commentaires <strong>à</strong> nuancer <strong>et</strong>, bien d’autres choses encore. Ces expertises m<strong>et</strong>tent en<br />

exergue tout simplement l’existence d’autres possibles. Elles sont source d’enrichissement<br />

lorsqu’on se dit « comment avais-je pu laisser passer cela ? » ou « comment n’y ai-je pas<br />

pensé ? » ou, lorsqu’elle nous oblige <strong>à</strong> reconsidérer notre point de vue, <strong>à</strong> réinvestir d’autres<br />

perspectives théoriques ou, encore approfondir certaines analyses. Bref, en dehors de la<br />

simple « consécration », induite par la publication, elle oblige, le chercheur, non pas <strong>à</strong> la<br />

perfection mais au progrès.<br />

A c<strong>et</strong>te face positive s’en substitue une autre, plus négative, qui fait de la recherche, non plus<br />

une construction en dialectique avec d’autres chercheurs, <strong>et</strong> d’autres perspectives ou points de<br />

vue, mais bien au contraire, un produit normalisé <strong>et</strong> épuré <strong>des</strong>tiné <strong>à</strong> être accepté <strong>et</strong> publié. La<br />

coloration <strong>des</strong> comités de lectures, le choix <strong>des</strong> invités dans les séminaires, la composition <strong>des</strong><br />

colloques, les communications r<strong>et</strong>enues pour publication signifient au chercheur, ou <strong>à</strong><br />

l’apprenti chercheur, tout le chemin qu’il lui reste <strong>à</strong> parcourir. Ce qui fait dire <strong>à</strong> Latour <strong>et</strong><br />

Woolgar (1979) que le résultat scientifique ne peut être considéré ni comme une vérité de la<br />

nature, ni seulement comme un pur produit de la raison. Il est, en partie du moins,<br />

l’aboutissement d’une longue suite d’interactions, de négociations, de compromis dont l’issue<br />

dépend <strong>des</strong> rapports de force cognitifs <strong>et</strong> sociaux, du poids du laboratoire d’appartenance, <strong>et</strong>c.<br />

On peut parler ici de « production sociale » contingentée <strong>des</strong> faits scientifiques (Latour,<br />

1994). Pour intéressante qu’elle soit, c<strong>et</strong>te discussion n’a d’autre intérêt, sur l’instant, que de<br />

montrer que la recherche, notre recherche, est sous influence <strong>et</strong> se construit aussi dans c<strong>et</strong>te<br />

dialectique. Il ne faut cependant pas confondre <strong>à</strong> ce niveau la rationalisation de l’activité <strong>à</strong> la<br />

base de « la formation de l’esprit scientifique » <strong>et</strong> la rationalité d’une production sous<br />

l’emprise d’un système.<br />

Collaborations <strong>et</strong> rencontres<br />

Au-del<strong>à</strong> de c<strong>et</strong>te perspective constructiviste, <strong>et</strong> relativiste <strong>à</strong> la fois, la recherche évolue aussi,<br />

<strong>et</strong> surtout, grâce <strong>à</strong> <strong>des</strong> collaborations, <strong>des</strong> rencontres <strong>et</strong> au hasard.<br />

Prenons tout d’abord le cas <strong>des</strong> collaborations. Elles sont de plusieurs ordres. Lorsque nous<br />

collaborons avec Debarbieux, nous avons un obj<strong>et</strong> commun : la violence. Obj<strong>et</strong> qui nous<br />

réunit, <strong>à</strong> travers une volonté de comprendre <strong>et</strong> prévenir <strong>des</strong> formes de <strong>violences</strong> juvéniles. Nos<br />

terrains <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>s sont pourtant distants. C’est cependant autour de c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> du besoin<br />

187 Selon la définition de la déviance de la « labelling theory ».<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

d’analyser les fondements qui prévalent <strong>à</strong> l’instauration de telle ou telle politique préventive,<br />

que se bâtit un travail réflexif commun au fondement même <strong>des</strong> recherches qui suivent. Ce<br />

type de collaboration est l’occasion non seulement de se rencontrer, différemment, mais de<br />

percevoir <strong>des</strong> choses, que nous ne devinions parfois même pas auparavant <strong>et</strong>, qui vont<br />

contribuer <strong>à</strong> élargir nos analyses. C’est aussi la base d’une collaboration nouvelle,<br />

probablement due, en partie, <strong>à</strong> ce premier travail, sur la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> juvéniles au<br />

Brésil par le sport, sous l’égide de l’Unesco Brésil.<br />

Les travaux communs avec Héas <strong>et</strong> Robène sont d’un autre ordre. Le travail au sein d’une<br />

même UFR nous fait progressivement découvrir d’autres chercheurs, aux obj<strong>et</strong>s <strong>à</strong> première<br />

vue parfois très éloignés <strong>des</strong> nôtres, mais dont la réflexion <strong>et</strong> les perspectives d’analyses sont<br />

très proches ou encore très complémentaires : intérêt pour les perspectives (inter)actionnistes,<br />

pour les approches socio-historiques, <strong>et</strong>c. Parce que l’on a plaisir <strong>à</strong> travailler conjointement,<br />

nous trouverons alors un ensemble de suj<strong>et</strong>s qui nous réunit totalement : ce sera l’analyse <strong>des</strong><br />

<strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> en Europe en se partageant les thématiques en fonction de<br />

nos sensibilités mais, aussi <strong>et</strong> surtout, le sport en prison ; chacun gérant, en collaboration <strong>et</strong> en<br />

complémentarité avec les autres, ce suj<strong>et</strong>, devenu obj<strong>et</strong> commun, afin de l’éclairer au mieux <strong>à</strong><br />

partir d’approches <strong>et</strong> d’intérêts personnels distincts.<br />

Parlons ensuite <strong>des</strong> rencontres. Nous l’avons déj<strong>à</strong> évoqué au début de ce travail. Mais force<br />

est de constater que tout au long de notre parcours nous sommes « sous influence ». Lorsque<br />

Debarbieux nous demande, pour lui rendre service, de le remplacer dans une réunion ayant<br />

trait <strong>à</strong> la « violence scolaire » au conseil de l’Europe en décembre 2001 <strong>à</strong> Strasbourg, ni lui, ni<br />

moi ne pouvons imaginer ce qui va suivre. La réunion dure 3 jours. Notre véhémence <strong>et</strong> notre<br />

argumentation <strong>à</strong> l’encontre de certains propos tenus par Olweus durant ce séminaire suscitent<br />

l’intérêt de l’administrateur en charge du proj<strong>et</strong> intégré « réponses <strong>à</strong> la violence quotidienne<br />

dans une société démocratique » au point qu’il nous demandera d’intégrer les travaux du<br />

conseil de l’Europe, en tant qu’expert sur la violence. Nous participerons ainsi aux divers<br />

séminaires relatifs <strong>à</strong> la prévention du hooliganisme en Europe, <strong>à</strong> l’analyse <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

moyens de prévention de celles-ci en Fédération de Russie, au proj<strong>et</strong> sport <strong>et</strong> <strong>relations</strong><br />

interculturelles, recevrons commande d’un ouvrage, <strong>et</strong> rencontrerons surtout d’autres<br />

chercheurs. Russes, tout d’abord avec lesquels nous commencerons <strong>à</strong> collaborer sur la<br />

question <strong>des</strong> idéologies politiques dans les sta<strong>des</strong>, espagnols, ensuite, un représentant du<br />

ministère de la justice espagnol nous demandant de lancer une enquête sur le hooliganisme en<br />

Espagne. C’est encore l’opportunité de rencontrer M. Mickaël Kleiner, représentant de l’ONU<br />

avec lequel nous collaborerons en 2005 pour « l’année du sport dans le monde ».<br />

Ce n’est ni un inventaire <strong>à</strong> la Prévert que nous dressons l<strong>à</strong>, ni un exercice d’exhibitionnisme<br />

narratif, mais la simple <strong>des</strong>cription factuelle de l’évolution d’une recherche au hasard<br />

d’intérêts communs <strong>et</strong> de collaborations qui se bâtissent, montrant par l<strong>à</strong> même que si la<br />

(notre) recherche, en partie du moins, est le fruit d’un travail personnel, elle reste néanmoins<br />

dépendante <strong>et</strong> totalement contingente de ceux qui nous entourent.<br />

Finalement un choix<br />

Finalement un choix… double ! C’est celui tout d’abord de conserver l’étude du hooliganisme<br />

en ouvrant un nouveau terrain en Espagne, dont l’objectif est purement l’étude <strong>des</strong> publics<br />

déviants <strong>et</strong> violents dans un but de mise en place d’une politique préventive. Celui enfin de<br />

conc<strong>entre</strong>r nos recherches ultérieures sur les questions d’éducation <strong>et</strong> de socialisation par le<br />

sport dans le cadre précis de l’univers carcéral. Deux recherches aux investissements très<br />

différents.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

En ce qui concerne le hooliganisme, la demande du gouvernement espagnol n’est pas que<br />

nous réalisions l’étude mais au contraire que c<strong>et</strong>te intervention soit organisée autour de trois<br />

axes : former, <strong>à</strong> partir de la méthodologie mise en place en France, <strong>des</strong> enquêteurs qui<br />

s’occuperont <strong>des</strong> recherches en Espagne, gérer le dépouillement <strong>et</strong> l’analyse <strong>des</strong> résultats,<br />

participer <strong>à</strong> la construction de propositions concrètes <strong>des</strong>tinées <strong>à</strong> prévenir les <strong>violences</strong>, dans<br />

un réel souci d’éducation <strong>et</strong> de prévention <strong>des</strong> jeunes supporters, les mesures prophylactiques<br />

restant du seul domaine de la police.<br />

Si l’investissement en milieu carcéral émane du terrain, <strong>et</strong> plus particulièrement de la maison<br />

d’arrêt Jacques Cartier de Rennes <strong>et</strong> de la région pénitentiaire grand-ouest qui souhaitaient<br />

élaborer <strong>et</strong> développer <strong>des</strong> activités éducatives <strong>et</strong> socialisantes <strong>à</strong> l’intention de deux<br />

populations précises -les mineurs incarcérés <strong>et</strong> les délinquants sexuels qui bénéficiaient<br />

jusqu’alors de peu de choses-, il est en même temps l’aboutissement d’une réflexion entamée<br />

dans les cités sensibles <strong>et</strong> en milieu scolaire mais aussi, singulièrement, l’activation <strong>des</strong><br />

réseaux constitués lors de notre recherche sur le hooliganisme. C’est en eff<strong>et</strong> par<br />

l’intermédiaire du procureur adjoint de la république de Périgueux, avec lequel nous avons<br />

longtemps collaboré, <strong>et</strong> auquel nous nous étions ouvert de notre intérêt grandissant concernant<br />

la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> pour les publics juvéniles, que c<strong>et</strong>te demande avait aboutie… <strong>à</strong><br />

Rennes. Ce nouvel axe de recherche consiste en fait en un simple renversement de perspective<br />

de notre obj<strong>et</strong> passant de « comment prévenir les <strong>violences</strong> observables dans le sport ? » <strong>à</strong><br />

« comment le sport peut-il contribuer <strong>à</strong> prévenir les <strong>violences</strong> ? ».<br />

Renversement qui avait effectivement déj<strong>à</strong> pris corps <strong>et</strong> sens dans la recherche sur le<br />

hooliganisme dès lors que nous contestions le fait que le sport puisse être, <strong>à</strong> l’encontre <strong>des</strong><br />

idées reçues <strong>et</strong> <strong>des</strong> présupposés laudatifs qui existe en la matière, éducatif, insérant,<br />

intégrateur ou socialisant par nature. Analysant les politiques de la ville, en matière de<br />

prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> par le sport, nous affirmions ainsi qu’il « faut faire table rase <strong>des</strong><br />

mirages : non seulement « le » sport contemporain parfois ne pacifie pas, mais encore il<br />

augmente la violence, violence sur les autres, <strong>et</strong> avec les autres, violence sur soi-même,<br />

violence symbolique ou violence réelle. La croyance dans les vertus du sport comme antidote<br />

<strong>à</strong> la « violence », crée bien <strong>des</strong> illusions <strong>et</strong> <strong>des</strong> désillusions dans ce qu’on nomme la<br />

« politique de la ville », mais aussi la prévention spécialisée. […] Les politiques sportives en<br />

la matière sont nécessaires <strong>et</strong> bénéfiques, mais n’est-il pas utopique de penser que ces<br />

pratiques sportives peuvent être facteur d’insertion, lorsqu’elles ne sont que politiques venues<br />

« de l’autre », du monde <strong>des</strong> inclus ? » (Bodin, Debarbieux, 2001, 13).<br />

Ainsi, si la « connaissance scientifique n’est pas une connaissance accumulative de vérités »<br />

(Morin, 1982, 50), la connaissance du chercheur, centrée sur un obj<strong>et</strong>, se construit pour sa part<br />

de manière progressive par accumulation, remise en cause, discussion <strong>et</strong> élimination d’un<br />

certain nombre de connaissances.<br />

En opposition <strong>à</strong> un « sport » paré, a priori, de toutes les vertus, s’élabore progressivement une<br />

réflexion qui se construit autour d’une question qui aujourd’hui nous semble centrale :<br />

« qu’est-ce qui dans le sport, au sens générique du terme, éduque <strong>et</strong>/ou socialise ? ». C<strong>et</strong>te<br />

question, <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> contourner les présupposées laudatifs en nous intéressant davantage aux<br />

conditions (cadre réglementaire, pratique auto-gérée ou encadrée, <strong>et</strong>c.), au contexte (pratique<br />

en extérieur ou en intérieur, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> aux modalités de pratique (utilisation d’APS individuelles<br />

ou collectives, entraînements ou compétitions, <strong>et</strong>c.) sert en fait de grille lecture pour<br />

construire la recherche en cours sur le sport en prison.<br />

Trois recherches successives nous ont aidé <strong>à</strong> affiner c<strong>et</strong>te nouvelle perspective: d’une part, la<br />

réponse <strong>à</strong> un appel d’offres sur la région Aquitaine, concernant, la place du sport dans la cité,<br />

l’opportunité offerte par une étude, en management du sport, sur le golf où nous avions pu<br />

remarquer que quelques golfeurs semblaient « symboliquement » en décalage avec c<strong>et</strong>te<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

pratique <strong>et</strong>, d’autre part, une demande émanant de collèges br<strong>et</strong>ons, faisant écho <strong>à</strong> notre<br />

intervention, intitulée « le sport remède miracle ou dernier rempart contre la violence ? », lors<br />

du colloque URAPEL/UGSEL de novembre 2002.<br />

Le sport dans la cité<br />

La première (Bodin, Héas, Robène, 2002) interroge tout d’abord le rôle attribué a priori au<br />

sport lui-même devenu en quelques années le parangon de la lutte contre l’exclusion <strong>et</strong> le<br />

moyen, semble t-il, le plus adéquat pour favoriser la socialisation d’une jeunesse considérée<br />

comme difficile, <strong>et</strong> prévenir les <strong>violences</strong> juvéniles émergentes. Elle questionne également<br />

une « politique » qui est tout <strong>à</strong> la fois naturalisation du sport <strong>et</strong> naturalisation <strong>des</strong><br />

« sauvageons » qu’il convient de pacifier. Elle fait apparaître, enfin, <strong>à</strong> travers l’étude <strong>des</strong><br />

pratiques sportives <strong>à</strong> l’intérieur de trois cités sensibles de la banlieue bordelaise, les limites de<br />

c<strong>et</strong>te politique répondant trop souvent de la « pédagogie couscous ou du social <strong>et</strong>hnique » (El<br />

Houlali El Houssaïne, 2001). Ces pratiques centrées sur la cité exclues plus qu’elles ne<br />

socialisent en raison du repli communautaire, de l’exclusion de certaines catégories (jeunes,<br />

filles, jeunes <strong>des</strong> autres cités), confinement au sein même de la cité, absence d’encadrement,<br />

absence de passerelles vers le sport fédéral, non que celui-ci soit meilleur (les tricheries<br />

diverses y sont également de mise), ou plus socialisant mais tout simplement parce qu’il<br />

présente, davantage que le sport dans la cité, d’hétérogénéité sociale, donc d’apprentissage du<br />

respect de l’altérité. De surcroît, en limitant les pratiques sportives au football <strong>et</strong> au bask<strong>et</strong>ball,<br />

peut-être a t-on tout simplement oublié de concevoir, ou d’imaginer, la mise en place<br />

d’APS structurantes comme les activités <strong>à</strong> risque pourtant plébiscitées de nos jours par un<br />

nombre sans cesse grandissant de jeunes en raison <strong>des</strong> sensations qu’elles procurent (Le<br />

Br<strong>et</strong>on, 1991, 2002 ; Chantelat <strong>et</strong> al. 2002 ; Clément 2000) <strong>et</strong> qui nécessitent une adaptation<br />

<strong>des</strong> individus au milieu, le recours parfois obligé <strong>à</strong> l’autre, l’adulte ou le moniteur, sans lequel<br />

tout danger <strong>et</strong> toute difficulté ne peuvent être écartés.<br />

Devant l’émergence <strong>et</strong> la répétitivité de flambées de <strong>violences</strong> dans certaines « banlieues »<br />

françaises, comme <strong>à</strong> Vaux-en-Velin près de Lyon dans les années 1980, dans le quartier du<br />

Mirail <strong>à</strong> Toulouse dans les années 1990, dans le « triangle d’or » (Lille-Roubaix-Tourcoing)<br />

en 1995 ou encore dans les quartiers nord de Marseille aujourd’hui 188 <strong>et</strong> face au débat<br />

récurrent sur la violence <strong>à</strong> l’école, certains hommes politiques ont cru voir dans le sport ce<br />

que Dur<strong>et</strong> (2001) a appelé un « contre-feu immédiat <strong>à</strong> la violence <strong>des</strong> cités ».<br />

Le sport semble changer de paradigme. Alors que durant de nombreuses années il est resté<br />

considéré, dans la société française, comme un obj<strong>et</strong> « culturellement bas de gamme par<br />

excellence » (Ehrenberg, 1991), il devient, de manière aussi inopinée que surprenante, le<br />

dernier espoir, le dernier recours voire, le dernier rempart, face aux délinquances <strong>et</strong> <strong>violences</strong><br />

émergentes dans certains quartiers. Les premières explosions urbaines <strong>et</strong> l’irruption <strong>des</strong><br />

émeutes étaient pourtant davantage <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre sur le compte de la fracture sociale, de la<br />

précarité grandissante, <strong>et</strong> de l’absence, perceptible <strong>et</strong> intériorisée, d’avenir que de la<br />

transformation d’une partie de notre jeunesse en « classe dangereuse » (Bachmann, Le<br />

Guennec, 1996, 1997).<br />

Ainsi, au mépris longtemps affiché face aux pratiques corporelles jugées « populaires », au<br />

sens vulgaire du terme, comme le football jusque dans les années 1970, ou au dédain <strong>à</strong> peine<br />

feint <strong>et</strong> souvent convenu, <strong>des</strong> enseignants encadrant les matières « principales » (français,<br />

188 Prenant volontairement <strong>des</strong> exemples sur tout le territoire français pour sortir de l’image ténue d’une violence<br />

qui serait propre, ou essentiellement liée, aux seules cités de la région parisienne.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 137


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

mathématiques, sciences <strong>et</strong>c.) <strong>à</strong> l’égard de leurs collègues « profs de gym » dans les collèges<br />

<strong>et</strong> lycées 189 , s’est substitué, ce qu’il est convenu d’appeler, un « prêt <strong>à</strong> porter idéologique »<br />

faisant <strong>des</strong> APS (activités physiques <strong>et</strong> sportives) le parangon de la lutte contre l’exclusion <strong>et</strong><br />

le moyen, semble t-il, le plus adéquat pour favoriser la socialisation d’une jeunesse considérée<br />

comme difficile <strong>et</strong> que nous préférons qualifier, pour notre part, de jeunesse « en difficulté »<br />

voulant montrer par la même que l’expérience <strong>et</strong> l’incertitude sociale dans lesquelles ces<br />

jeunes vivent pèsent de tout leur poids sur leur vécu quotidien, par conséquent dans leurs<br />

interactions sociales.<br />

Mais c<strong>et</strong>te soudaine sportivisation <strong>des</strong> cités n’est pas sans poser un certain nombre de<br />

problèmes conceptuels. Elle traduit avant toute chose l’épuisement du travail socioculturel qui<br />

avait prévalu dans les mêmes lieux depuis les années 1960 (Labbé, 1992). La priorité était<br />

alors l’éducation <strong>et</strong> l’accès <strong>à</strong> la culture <strong>des</strong> habitants, jeunes <strong>et</strong> moins jeunes, <strong>des</strong> cités. C’était<br />

l’époque <strong>des</strong> « banlieues rouges » habitées par <strong>des</strong> populations socialement homogènes,<br />

ouvrières <strong>et</strong> « françaises » 190 pour la plupart, possédant une forte conscience <strong>et</strong> culture de<br />

classe. Les MJC (Maisons <strong>des</strong> jeunes <strong>et</strong> de la culture) <strong>et</strong> les animateurs socioculturels ont<br />

ainsi fleuri sans réussir <strong>à</strong> adapter leurs actions <strong>à</strong> la gh<strong>et</strong>toïsation ainsi qu’<strong>à</strong> l’hétérogénéité<br />

sociale <strong>et</strong> au multiculturalisme <strong>et</strong>hnique grandissant qui l’ont accompagnée.<br />

Le deuxième problème revient au rôle attribué a priori au sport lui-même : prévenir les<br />

<strong>violences</strong> juvéniles émergentes. C<strong>et</strong>te « politique » mise en place dans l’urgence médiatique<br />

revient <strong>à</strong> naturaliser le sport (Bodin, Debarbieux, 2001) qui jouirait ainsi de vertus<br />

intrinsèques favorisant la pacification <strong>et</strong> la socialisation <strong>des</strong> « sauvageons » pour reprendre<br />

l’expression de J-P Chevènement, alors ministre de l’intérieur. Concevoir le sport comme<br />

pacificateur par essence témoigne d’une approche réductrice assimilant obligatoirement<br />

violence, comme étant le fait d’une partie de la jeunesse, jeunesse, aimant obligatoirement le<br />

sport, sport, favorisant nécessairement le « contrôle <strong>et</strong> l’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions » <strong>et</strong> offrant<br />

un « espace toléré de débridement <strong>des</strong> émotions » (Elias <strong>et</strong> Dunning, op. cit.). A moins que<br />

l’activité physique encouragée dans les cités ne réponde tout simplement <strong>à</strong> la logique de<br />

« surveiller <strong>et</strong> courir », c’est <strong>à</strong> dire de rassembler dans un même lieu, <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> activités<br />

communes ces jeunes qui dérangent <strong>et</strong> font peur. Mais ces jeunes aiment-ils tous les APS ?<br />

Ont-ils tous envie d’en pratiquer ? La lutte contre les <strong>violences</strong> urbaines <strong>et</strong> l’insécurité est<br />

conçue arbitrairement <strong>et</strong> illusoirement, <strong>à</strong> l’image du sport en prison, comme un moyen<br />

occupationnel. Rien n’empêche en eff<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te jeunesse, considérée comme « dangereuse », de<br />

recourir <strong>à</strong> de multiples <strong>violences</strong> avant <strong>et</strong>/ou après le temps du sport. Les APS sont de toute<br />

façon saisonnières. Les pratiques extérieures sont soumises aux aléas climatiques. Le temps<br />

du sport dans la cité est donc davantage ponctuel que régulier.<br />

Le troisième problème est celui <strong>des</strong> <strong>violences</strong> elles-mêmes. Les <strong>violences</strong> que les hommes<br />

politiques veulent prévenir, <strong>à</strong> moins qu’ils ne veulent tout simplement politiquement s’en<br />

prémunir, dans les banlieues <strong>et</strong> cités sensibles, sont-elles réellement nouvelles ? La<br />

<strong>des</strong>cription de Bachmann <strong>et</strong> Le Guennec (1996) de ces jeunes qui hantent les halls<br />

d’immeubles est d’une incroyable modernité, mais concerne pourtant ceux que nous appelions<br />

les blousons noirs dans les années 1960. Le vieux mythe assimilant « classes laborieuses <strong>et</strong><br />

189 Appellation utilisée souvent tout autant par les parents, peut-on leur en vouloir, que par les autres enseignants<br />

ce qui dénote un manque de reconnaissance. Parle t-on de « prof de calcul » réduisant ainsi les matières<br />

enseignées <strong>et</strong> les enseignants qui les encadrent aux aspects les plus dérisoires de leur travail ?<br />

190 Française <strong>entre</strong> guillem<strong>et</strong>s voulant rappeler ainsi que, si aujourd’hui dans les représentations collectives trop<br />

souvent la délinquance est le fait d’étrangers, ce n’est que par pure confusion <strong>entre</strong> « couleur de peau » <strong>et</strong><br />

nationalité, confusion qui fait bien souvent le lit <strong>des</strong> opinions politiques les plus extrémistes, prônant le r<strong>et</strong>our<br />

<strong>des</strong> délinquants de couleur « chez eux ». Ce délit de faciès fonctionne sur une physiognomonie moderne bien<br />

décrite par certaines analyses (Le Br<strong>et</strong>on, 1992).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 138


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

classes dangereuses » semble ainsi se renouveler indéfiniment au point de faire oublier que<br />

les « banlieues <strong>et</strong> cités sensibles » ne sont pas que <strong>violences</strong>. L’équation banlieues-jeunesimmigration-délinquance<br />

n’est qu’une vision réductrice <strong>et</strong> déformée de la réalité sociale <strong>des</strong><br />

cités. A trop vouloir n’y distinguer que les conduites agonistiques, on en oublierait<br />

l’essentiel : de nouvelles cultures <strong>et</strong> de nouvelles formes de solidarité émergent de ces<br />

« quartiers d’exil » (Dub<strong>et</strong> & Lapeyronnie, 1992 ; Bazin, 1995 ; Villechaise-Dupont, 2000 ;<br />

Felonneau-Busqu<strong>et</strong>s, 2001 ; Penven, Bonny & Roncin, 2002). L’hyper médiatisation <strong>des</strong><br />

<strong>violences</strong> urbaines, l’évolution de notre société vers un monde sans cesse plus prophylactique<br />

<strong>et</strong> sécurisé, tout autant que la volonté politique de maintenir un « ordre en public » (Roché,<br />

1996), n’ont fait qu’abaisser notre seuil de tolérance <strong>à</strong> la violence (Chesnais, 1981 ; Elias &<br />

Dunning, op. cit.) au point que se confondent trop souvent insécurité réelle <strong>et</strong> « sentiment<br />

d’insécurité » renforcé par les multiples sondages en la matière 191 . L’américanisation de nos<br />

banlieues est ainsi évoquée alors même que les taux de <strong>violences</strong> <strong>et</strong> de délinquances <strong>des</strong><br />

« gh<strong>et</strong>tos américains <strong>et</strong> français » sont incomparables (Wacquant, 1992a/b).<br />

Nous nous sommes donc intéressés de savoir ce qu’il en était de la réalité du terrain. Si le<br />

sport intégré <strong>à</strong> la cité participe t-il de la socialisation de ces jeunes « en difficulté » ? Et si oui<br />

dans quelle mesure ou dans quelles limites ? C’est <strong>à</strong> ces trois questions que nous avons tenté<br />

de répondre en nous servant <strong>des</strong> résultats d’une enquête réalisée en 2002 sur les villes de<br />

Cenon, Floirac <strong>et</strong> Lormont.<br />

C<strong>et</strong>te réflexion repose sur une enquête observant les pratiques sportives autogérées sur <strong>des</strong><br />

espaces « ouverts » de type plateau sportif, Agorespace ou City Stade 192 , dans <strong>des</strong> cités dites,<br />

ou réputées, « sensibles » <strong>des</strong> villes de : Corbeil-Essonnes, Tremblay en France, <strong>et</strong> Villepinte<br />

en Île-de-France, Saint-Brieuc <strong>et</strong> Rennes en Br<strong>et</strong>agne, les quartiers nord de Marseille en<br />

PACA (Provence Alpes Côte d’Azur) <strong>et</strong>, enfin Cenon, Lormont, <strong>et</strong> Floirac en Aquitaine.<br />

Trois métho<strong>des</strong> de collectes de données ont été utilisées :<br />

♦ un questionnaire comprenant 67 items remplis avec les jeunes <strong>des</strong> cités visant <strong>à</strong><br />

identifier leurs mo<strong>des</strong> de sociabilité, leurs habitu<strong>des</strong>, leurs réseaux d’amitié <strong>et</strong><br />

d’inimitié, le fonctionnement <strong>des</strong> APS <strong>et</strong> leurs souhaits,<br />

♦ <strong>des</strong> <strong>entre</strong>tiens semi-directifs de type récit de pratiques visant <strong>à</strong> recueillir tout <strong>à</strong> la<br />

fois <strong>des</strong> histoires singulières mais également leur point de vue sur la manière dont<br />

ils perçoivent la pratique <strong>des</strong> APS <strong>et</strong> les enjeux,<br />

♦ <strong>des</strong> observations pour identifier les modalités de pratiques mais aussi pour<br />

confirmer, infirmer ou compléter les « dires » recueillis dans les deux premières<br />

métho<strong>des</strong> par les « faits ».<br />

191 Il est curieux de constater que ces sondages, organisés par de multiples instituts, ne sont jamais <strong>des</strong><br />

« enquêtes de victimation » qui pourraient faire apparaître une réelle évolution du nombre <strong>des</strong> victimes <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

faits délictueux. De surcroît la publication chaque année <strong>des</strong> « chiffres officiels de la délinquance » par le<br />

ministère de l’intérieur ne fait que renforcer ce sentiment d’insécurité alors même qu’il ne donne bien souvent<br />

que <strong>des</strong> indications sommaires (<strong>des</strong>tinées aux forces de l’ordre elles-mêmes) sur <strong>des</strong> faits qui n’étaient pas<br />

toujours enregistrés auparavant pour <strong>des</strong> raisons diverses. Le viol en est un exemple parmi d’autre.<br />

192 Rappelons que ces espaces sont dits « ouverts » car construits <strong>et</strong> mis <strong>à</strong> la disposition <strong>des</strong> habitants <strong>des</strong><br />

quartiers de manière libre <strong>et</strong> autogérée. Les plateaux sportifs, Agorespaces (du nom de la société Agora qui les a<br />

construits) <strong>et</strong> City-Stade représentent une évolution dans l’architecture <strong>des</strong> espaces sportifs vers <strong>des</strong> équipements<br />

plus sécurisés, plus diversifiés, plus « colorés » au <strong>des</strong>ign modern cherchant <strong>à</strong> se rapprocher de plus en plus <strong>des</strong><br />

cultures jeunes.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 139


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Une première remarque s’impose d’emblée. Les pratiques sportives « dans la cité » sont<br />

davantage sexuées encore que dans le sport fédéral : 90,24 % <strong>des</strong> pratiquants sont <strong>des</strong><br />

garçons.<br />

Sexe Nb. cit. Intervalles de confiance<br />

Masculin 481 86,9% < 90,2 < 93,6%<br />

Féminin 52 6,4% < 9,8 < 13,1%<br />

Total 533<br />

Taux de pratique sportive selon le sexe.<br />

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 345,29, ddl = 1, 1-p = >99,99%.<br />

Le chi2 est calculé avec <strong>des</strong> effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.<br />

L'intervalle de confiance <strong>à</strong> 99% est donné pour chaque modalité.<br />

Les filles semblent exclues de la pratique mais pas <strong>des</strong> terrains, ou du moins leurs abords<br />

immédiats, comme nous avons pu le constater lors de nos fréquentes visites. Il faut par<br />

ailleurs considérer que 72,33 % de ces jeunes affirment être de confession musulmane.<br />

Comme le remarque par ailleurs (Villechaise-Dupont, op. cit.) le fondement de c<strong>et</strong>te exclusion<br />

devient plus explicite lorsque l’on considère que les filles pour <strong>des</strong> raisons d’honneur ne<br />

peuvent, ou ne doivent pas dévoiler leur corps, ou le moins possible, <strong>et</strong> que leur honneur est<br />

indissociable de celui <strong>des</strong> « grands frères » au sens restrictif du terme. C<strong>et</strong>te réflexion doit être<br />

néanmoins nuancée car, comme le font remarquer Dur<strong>et</strong> (1993, 2001), Chantelat, Fodimby,<br />

Camy (op. cit.) ou encore Clément (op. cit.) la spectacularisation du jeu 193 est privilégiée.<br />

C’est l<strong>à</strong> toute l’ambiguïté de la pratique sportive puisque nos jeunes garçons n’hésitent pas <strong>à</strong><br />

affirmer qu’il faut « être beau <strong>et</strong> bon sur le terrain car c’est le moyen idéal pour draguer les<br />

meufs ». Exclues pour ne pas avoir <strong>à</strong> dévoiler leur corps, le jeu est un <strong>des</strong> nombreux co<strong>des</strong> qui<br />

perm<strong>et</strong> cependant la « drague » mais assoie également la domination masculine.<br />

Dans la cité comme dans le sport civil, la principale catégorie concernée par la pratique<br />

sportive est celle <strong>des</strong> 12-15 ans : 79,17 % de ceux qui déclarent s’adonner <strong>à</strong> une ou plusieurs<br />

APS appartiennent <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te classe.<br />

Catégorie d'âge Nb. cit. Intervalles de confiance<br />

- 12 ans 46 5,5% < 8,6 < 11,8%<br />

12 - 15 ans 422 74,6% < 79,2 < 83,7%<br />

15 - 18 ans 44 5,2% < 8,3 < 11,3%<br />

18 ans <strong>et</strong> + 21 1,8% < 3,9 < 6,1%<br />

Total 533<br />

Taux de pratique sportive selon les catégories d'âge.<br />

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 837,18, ddl = 3, 1-p = >99,99%.<br />

Le chi2 est calculé avec <strong>des</strong> effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.<br />

L'intervalle de confiance <strong>à</strong> 99% est donné pour chaque modalité.<br />

Ce résultat, largement confirmé par nos observations <strong>et</strong> nos <strong>entre</strong>tiens pose le problème de<br />

l’objectif fixé <strong>à</strong> la pratique sportive dans la cité : prévenir les <strong>violences</strong>. L’objectif de<br />

prévention ne devrait-il pas concerner en priorité, ou du moins d’une manière égalitaire, les<br />

plus jeunes ? La prévention doit s’inscrire sur le long terme <strong>et</strong> la volonté de socialisation soustendue<br />

dans la pratique sportive est peut être <strong>à</strong> considérer comme l’intégration progressive,<br />

193 L’emploi du terme de jeu est volontaire, dissociant ainsi, selon la définition de B. Jeu (1972, 40) : « le sport,<br />

finalement diffère du jeu parce qu’il prend le jeu au sérieux », les pratiques corporelles dont l’objectif prioritaire<br />

ludique chez les jeunes <strong>des</strong> cités s’oppose <strong>à</strong> celui de compétition <strong>et</strong> de classification dans nos associations<br />

sportives.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 140


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

mais dès le plus jeune âge, de normes <strong>et</strong> de comportements. Se pose ainsi tout simplement le<br />

problème de la régulation de pratiques qui sont autogérées. « La loi du plus fort » réduit les<br />

plus jeunes, <strong>à</strong> l’instar <strong>des</strong> filles, au rôle de simples spectateurs, ou pouvant utiliser une partie<br />

du terrain lorsque l’action de jeu se déroule plus loin. Certains pratiquent, parfois, avec les<br />

plus grands : souvent d’un niveau technique relativement élevé, ils sont « protégés » par les<br />

« grands frères » <strong>à</strong> qui ils doivent néanmoins, dans une logique de « don <strong>et</strong> contre-don » faire<br />

allégeance en leur perm<strong>et</strong>tant de marquer <strong>et</strong> de se valoriser comme l’ont observé Dur<strong>et</strong> (2001)<br />

<strong>et</strong> Lepoutre (op. cit.). C<strong>et</strong>te non participation <strong>des</strong> plus jeunes doit être cependant nuancée. Au<br />

mythe d’une jeunesse en errance ou <strong>des</strong> familles démissionnaires dans les banlieues 194 , se<br />

substitue une réalité sociale très différente : très peu de jeunes « traînent » en soirée dans la<br />

cité. Les arguments évoqués par ces mêmes jeunes laissent <strong>entre</strong>voir le contrôle parental :<br />

« mes parents ils veulent pas que je reste dehors », « quand ils sont pas l<strong>à</strong> [les parents] j’ai pas<br />

intérêt <strong>à</strong> quitter l’appartement. S’ils l’apprennent je prends une raclée. J’ai pas le droit d’aller<br />

dehors tout seul ». Surveillance <strong>et</strong> contraintes familiales qui ne soulignent pas toujours la<br />

dangerosité de la cité mais une volonté éducative, fût-elle par la contrainte, de briser l’image<br />

stigmatisante d’un jeune habitant la cité <strong>et</strong> déambulant obligatoirement en « bande ».<br />

La pratique sportive, a contrario, <strong>des</strong> pratiques traditionnelles axées sur la compétition,<br />

privilégie comme l’ont déj<strong>à</strong> montré Dur<strong>et</strong>, Augustini (1993) <strong>et</strong> Chantelat <strong>et</strong> al. (1996) la<br />

spectacularisation du jeu. Dans le stre<strong>et</strong>ball, par exemple, la pratique est assimilable <strong>à</strong> celle de<br />

la NBA : défense « homme <strong>à</strong> homme », dunks, engagement physique intense, s’opposent au<br />

jeu construit, <strong>à</strong> une tactique délibérément choisie <strong>et</strong> obligatoirement appliquée. On assiste<br />

alors <strong>à</strong> <strong>des</strong> rencontres où « l’occasion fait le larron » pourvu que le jeu soit rapide <strong>et</strong> beau.<br />

L’objectif est multiple. En-dehors de la « drague » préalablement évoquée se superpose une<br />

« rage de paraître », un désir d’exister <strong>et</strong> de reconnaissance sociale provoquées par les<br />

nombreux stigmates dont ces jeunes font l’obj<strong>et</strong> : « <strong>à</strong> l’école je suis le rebe, celui qui est bon <strong>à</strong><br />

rien, celui dont on ne s’occupe pas alors, que l<strong>à</strong> sur le terrain, tout le monde me regarde,<br />

m’admire pour ce que je suis capable de faire ». L’admiration suscitée <strong>à</strong> travers la pratique<br />

sportive est peut être un premier pas vers ce que Wieviorka (2001) appelle le « renversement<br />

du stigmate » qui comporte deux dimensions étroitement <strong>entre</strong>mêlées : un travail de l’acteur<br />

sur lui-même qui doit s’accepter sans réserve, ni honte, ni gêne <strong>et</strong> la confrontation de sa<br />

personnalité au regard de la société sans crainte <strong>des</strong> jugements rendus ou potentiels. A<br />

contrario cependant de ce que Dur<strong>et</strong>, ainsi que Chantelat <strong>et</strong> al. ont décrit, nous n’avons pas<br />

remarqué sur nos sites, de volonté d’équilibrer les équipes. Même si la spectacularisation du<br />

jeu est l’objectif prioritaire, pour ne pas dire fondamental, la victoire reste recherchée <strong>à</strong><br />

travers « l’écrasement » de l’adversaire, violence symbolique, qui établit ou renforce une<br />

relation de pouvoir <strong>et</strong> de domination <strong>entre</strong> les différents groupes. La valorisation collective<br />

ou/<strong>et</strong> personnelle dépasse largement la mise en spectacle comme le suggère ce jeune : « tu<br />

sais le must c’est quand ils touchent pas un ballon, quand tu peux les m<strong>et</strong>tre minables ».<br />

Mais la chose la plus remarquable <strong>et</strong> surprenante, lorsque l’on fréquente les plateaux sportifs<br />

<strong>des</strong> cités, est ce que nous pourrions appeler « l’<strong>et</strong>hnicisation <strong>des</strong> pratiques », avec toutes les<br />

précautions nécessaires <strong>à</strong> l’emploi de ce vocable (Poutignat <strong>et</strong> Streiff-Fenart, op. cit.). Les<br />

terrains de bask<strong>et</strong>-ball sont essentiellement fréquentés par de jeunes noirs tandis que ceux de<br />

football le sont par les « blancs ou les gris » comme ils se désignent eux-mêmes. Le discours<br />

tenu par ces jeunes nous indique qu’il s’agirait d’une conséquence de la médiatisation de ces<br />

<strong>sports</strong>, <strong>et</strong> notamment de la NBA dominée par les joueurs noirs. Comprendre pourquoi ils<br />

privilégient le bask<strong>et</strong>-ball, alors que l’équipe de France de football possède en ses rangs de<br />

194 Si la famille joue un rôle fondamental dans le contrôle <strong>et</strong> la prévention, toutes les étu<strong>des</strong> s’accordent pour<br />

montrer que c’est moins la démission <strong>des</strong> parents qui est en cause que l’influence <strong>des</strong> conditions de vie<br />

socioéconomiques (Muchielli, 2000, 2001).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 141


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

nombreux joueurs noirs de grande valeur, mériterait une analyse que nos investigations ne<br />

perm<strong>et</strong>tent pas. Néanmoins, la pratique est réellement ségréguée au point qu’il est<br />

inenvisageable qu’un « blanc » puisse participer <strong>à</strong> un match de bask<strong>et</strong>-ball, l’inverse est vrai<br />

également pour le football, <strong>à</strong> moins qu’il n’ait de très bons amis dans c<strong>et</strong>te équipe <strong>et</strong> que sa<br />

valeur technique soit reconnue. Il faut cependant nuancer quelque peu ce propos, qui pourrait<br />

laisser supposer la construction d’un « communautarisme <strong>et</strong>hnique » dans nos cités. Tout<br />

d’abord la couleur de peau n’induit pas obligatoirement un sentiment d’appartenance <strong>à</strong> une<br />

communauté. Qui plus est les cités ont souvent été conçues depuis les années 1970/1980<br />

comme <strong>des</strong> « quartiers d’exil » <strong>et</strong> <strong>des</strong> lieux de relégation. Les populations y ont souvent été<br />

« rassemblées » selon un profil social qui ne laisse aucun doute dans ce long processus de<br />

transformation <strong>des</strong> grands ensembles décrit par Bachmann <strong>et</strong> Le Guennec (1996). La<br />

construction <strong>des</strong> terrains, <strong>et</strong> donc en conséquence leur fréquentation, par les jeunes de ces<br />

quartiers répondent peut-être tout simplement <strong>des</strong> présupposés de nos décideurs en matière de<br />

pratique sportive de telle ou telle partie de la population. L’<strong>et</strong>hnicisation <strong>des</strong> pratiques n’est<br />

peut être que le refl<strong>et</strong> social du quartier qu’une étude plus approfondie nous perm<strong>et</strong>tra de<br />

m<strong>et</strong>tre en évidence.<br />

Mais, d’ores <strong>et</strong> déj<strong>à</strong>, les résultats laissent apparaître le refus de « l’étranger » de celui que l’on<br />

ne connaît pas, qui n’est pas du quartier. A la question fermée « avec qui viens-tu sur les<br />

terrains de sport ? », <strong>à</strong> aucun moment n’apparaît la réponse « avec <strong>des</strong> amis d’autres<br />

quartiers ou d’autres cités ».<br />

Relationnel Nb. cit. Intervalles de confiance<br />

Avec mon/mes frères <strong>et</strong> sœurs 65 8,5% < 12,2 < 15,8%<br />

Avec <strong>des</strong> amis qui habitent la cité 246 40,6% < 46,2 < 51,7%<br />

Avec <strong>des</strong> amis qui habitent le même immeuble 186 29,6% < 34,9 < 40,2%<br />

Seul 36 4,0% < 6,8 < 9,5%<br />

Total 533<br />

Pratique sportive <strong>et</strong> <strong>relations</strong> aux autres.<br />

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 222,22, ddl = 3, 1-p = >99,99%.<br />

Le chi2 est calculé avec <strong>des</strong> effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.<br />

L'intervalle de confiance <strong>à</strong> 99% est donné pour chaque modalité.<br />

Les réponses sont très homogènes. La proximité caractérise les interactions sociales. Cela<br />

peut être lu dans les deux sens. En tout premier lieu, comme le refus ou la peur de l’autre, que<br />

l’on ne connaît pas. Comme l’ont montré Elias & Scotson (op. cit.) la stigmatisation <strong>des</strong><br />

autres, la peur de l’autre ne sont pas le fait <strong>des</strong> seuls nantis bien pensant réfugiés dans de<br />

paisibles quartiers, ce peut être celui aussi de gens déshérités Le refus de la relation <strong>à</strong> l’autre<br />

<strong>et</strong> son rej<strong>et</strong> viennent conforter l’image que chacun se fait de soi <strong>à</strong> l’intérieur d’un groupe<br />

social. En second lieu, il s’agit de la peur de l’autre <strong>et</strong> <strong>des</strong> stigmates dont il pourrait nous<br />

affubler. Le repli sur soi, <strong>entre</strong> soi, est une manière de se protéger <strong>des</strong> lazzis, quolib<strong>et</strong>s,<br />

préjugés <strong>et</strong> jugements de valeurs.<br />

Mais c<strong>et</strong>te interprétation, pour intéressante qu’elle soit, est en partie contredite par la<br />

territorialisation de l’espace sportif.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 142


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Entrer en relation Nb. cit. Intervalles de confiance<br />

Venir sur nos terrains est une provocation 368 37,9% < 42,2 < 46,5%<br />

Rivalités <strong>entre</strong> cités 191 18,3% < 21,9 < 25,5%<br />

Antécédents (altercations, bagarres, <strong>et</strong>c.) avec ces 176 16,7% < 20,2 < 23,7%<br />

jeunes<br />

Ils n'ont pas <strong>à</strong> venir sur notre territoire 90 7,7% < 10,3 < 13,0%<br />

Nous n'allons pas chez eux 47 3,4% < 5,4 < 7,3%<br />

Total 872<br />

Les raisons invoquées <strong>à</strong> la territorialisation de l'espace sportif.<br />

Le nombre de citations est supérieur au nombre d'observations du fait de réponses multiples (2 au<br />

maximum).<br />

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 350,42, ddl = 5, 1-p = >99,99%.<br />

Le chi2 est calculé avec <strong>des</strong> effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.<br />

L'intervalle de confiance <strong>à</strong> 99% est donné pour chaque modalité.<br />

Les terrains de <strong>sports</strong> sont effectivement <strong>des</strong> territoires très souvent marqués, tagués, pour<br />

bien signifier <strong>à</strong> ceux de l’extérieur qu’il appartient aux jeunes de telle ou telle bande, de telle<br />

ou telle cité. La venue <strong>des</strong> autres est alors vécue non plus comme une peur, mais comme une<br />

provocation inenvisageable qui appelle réparation dans la violence. Les raisons invoquées<br />

sont communes aux multiples fonctionnements groupaux étudiés en sociologie ou en<br />

psychologie sociale <strong>et</strong> ressemble <strong>à</strong> s’y méprendre aux antagonismes <strong>entre</strong> supporters du<br />

football (Bodin, 1999, 2001, 2003).<br />

La pratique sportive est centrée sur « la cité ». Seulement 23,7 % <strong>des</strong> jeunes interrogés<br />

pratiquent également en club. La socialisation par le sport dans la cité, conçue comme le fait<br />

d’<strong>entre</strong>r en relation avec les autres, est prise en défaut, en ce sens qu’il s’agit d’une<br />

socialisation dans « l’<strong>entre</strong> soi ». Elle n’est pas l’étape espérée vers le sport fédéral. Mais<br />

comme l’a montré, Fize (1993), c<strong>et</strong>te forme de socialisation n’est pas <strong>à</strong> négliger car elle<br />

marque tout <strong>à</strong> la fois un passage « obligé » chez les adolescents <strong>et</strong> nécessite une mise en<br />

relation, faite de négociations, de compromis, de règles choisies <strong>et</strong> édictées qu’il faut<br />

respecter. Le refus du sport fédéral comporte plusieurs dimensions. La première concerne les<br />

contraintes temporelles (horaires d’entraînement fixes <strong>à</strong> respecter, calendrier sportif,<br />

participations aux compétitions <strong>et</strong> aux stages <strong>et</strong>c.) qui s’opposent <strong>à</strong> la libre pratique selon son<br />

envie <strong>et</strong> ses disponibilités dans la cité. Contraintes qui ont d’ailleurs parfois pour conséquence<br />

un taux élevé de non-relicenciation dans certains clubs <strong>et</strong> pour certaines catégories d’âge<br />

(Bodin, Héas, 2002). La deuxième raison tient au refus du mélange social, refus qui comme<br />

nous l’avons évoqué précédemment tient tout <strong>à</strong> la fois dans la peur <strong>et</strong> le rej<strong>et</strong> de l’autre. La<br />

troisième raison est la peur du monde extérieur avec <strong>des</strong> co<strong>des</strong> vestimentaires, comportements<br />

<strong>et</strong> langagiers que l’on ne maîtrise pas obligatoirement. Tout leur « être » trahi alors leur<br />

origine sociale. Ils se r<strong>et</strong>rouvent ainsi souvent en décalage <strong>et</strong> de nouveaux rej<strong>et</strong>és ou<br />

stigmatisés. La quatrième raison tient <strong>à</strong> l’expérience inaugurale. Le sport, contrairement aux<br />

idées reçues n’est pas abordable par tous. Au montant de la cotisation vient s’ajouter<br />

l’équipement, quand celui-ci n’est pas fourni comme au football, mais également <strong>et</strong> surtout le<br />

coût <strong>des</strong> déplacements <strong>et</strong> <strong>des</strong> stages. Il est souvent plus facile <strong>à</strong> ces jeunes d’affirmer devant<br />

les autres que « le sport en club ça ne m’intéresse pas », « les clubs c’est pour les bouffons »<br />

que de reconnaître que leurs parents ne peuvent pas financer leur activité.<br />

Dès lors concevoir le sport comme le remède miracle <strong>à</strong> la violence <strong>des</strong> cités semble relever de<br />

l’utopie <strong>à</strong> moins que cela ne pose tout simplement le problème de mesures prises dans<br />

l’urgence médiatique sans étude préalable <strong>et</strong> avec souvent très ou trop peu d’évaluations a<br />

posteriori.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 143


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Il faut tout d’abord adm<strong>et</strong>tre que le sport ne peut régler les problèmes inhérents <strong>à</strong> la fracture<br />

sociale <strong>et</strong> <strong>à</strong> la défection de l’état providence <strong>à</strong> lui seul. Lorsque nos hommes politiques<br />

prônaient la mise en place de pratiques sportives dans les banlieues comme moyen de<br />

prévention avaient-ils réfléchi aux <strong>violences</strong> dont ils voulaient se prémunir ? Le terme n’est<br />

pas unitaire. Il regroupe tout aussi bien les incivilités (sonner aux portes <strong>des</strong> voisins pour les<br />

déranger par exemple), les provocations, les insultes, les coups <strong>et</strong> blessures volontaires, les<br />

<strong>des</strong>tructions diverses en passant bien évidemment par le rack<strong>et</strong>, <strong>et</strong> même parfois le viol ou le<br />

crime prémédité. Les exemples récents largement (sur)médiatisés ne manquent pas dans les<br />

journaux télévisés. Mais, la violence est également perçue différemment selon que l’on est<br />

agresseur ou victime, que c<strong>et</strong>te expérience ait marqué ou non notre existence. Nous avons<br />

déj<strong>à</strong> eu l’occasion d’affirmer que ce que nous appelons violence dans nos sociétés<br />

occidentales modernes n’a probablement rien <strong>à</strong> voir avec les <strong>violences</strong> vécues en d’autres<br />

temps <strong>et</strong> en d’autres lieux. Mais, lorsque le sociologue s’intéresse <strong>à</strong> la question <strong>des</strong> <strong>violences</strong>,<br />

il s’intéresse nécessairement <strong>à</strong> la question de l’exclusion, qui ne prend pas forme <strong>et</strong> sens<br />

seulement dans la misère humaine. C’est aussi l’exclusion de la sphère familiale, le manque<br />

d’amour, le manque d’attention, l’absence d’avenir <strong>et</strong> de perspective sociale, l’expérience de<br />

l’altérité <strong>et</strong> de la différence qui se conjuguent si souvent avec la xénophobie <strong>et</strong> les préjugés.<br />

C’est également l’exclusion du système scolaire (Dub<strong>et</strong>, Duru-Bellat, 2000), ou encore le<br />

manque d’argent qui conduit soit <strong>à</strong> être différent, mal habillé, <strong>à</strong> ne pas pouvoir participer aux<br />

mêmes activités, soit au contraire <strong>à</strong> se procurer par <strong>des</strong> moyens illicites (rack<strong>et</strong>s, vols <strong>et</strong> trafics<br />

divers), les « marques » éminemment nécessaires <strong>à</strong> l’existence <strong>et</strong> la reconnaissance sociale.<br />

Car dans nos sociétés de consommation modernes l’avoir prime sur l’être. C’est peut être <strong>à</strong><br />

cela dont doit s’attacher : participer <strong>à</strong> éduquer ces jeunes <strong>à</strong> être <strong>et</strong> <strong>à</strong> devenir « d’honnêtes <strong>et</strong><br />

respectables citoyens » <strong>à</strong> travers le sport, en partie, sans oublier les limites ou les excès de<br />

celui-ci. Les <strong>violences</strong> s’inscrivent donc d’abord dans une rage de paraître, dans un besoin<br />

d’existence <strong>et</strong> de reconnaissance sociale, mais pas seulement. Ce serait en restreindre le sens.<br />

Les <strong>violences</strong> ne sont ni totalement, ni même obligatoirement, le fait <strong>des</strong> plus démunis. Les<br />

enfants <strong>des</strong> familles aisées rack<strong>et</strong>tent, harcèlent <strong>et</strong> violentent avec autant de ferveur <strong>et</strong> de<br />

passion que ceux <strong>des</strong> familles les plus pauvres.<br />

Les <strong>violences</strong> sont aussi bien souvent, comme c’est le cas dans le hooliganisme ou les<br />

<strong>violences</strong> <strong>à</strong> l’école l’expression d’un contexte d’anomie sociale (Durkheim, 1893), c’est <strong>à</strong> dire<br />

l’absence de règles <strong>et</strong> de normes, ou la perte de valeurs de celles-ci. Quel meilleur ancrage, en<br />

eff<strong>et</strong>, pour les <strong>violences</strong> de toutes natures que l’absence de contrat, que celui-ci soit<br />

pédagogique, moral ou réglementaire. Ce manque ne délimite plus les possibles <strong>et</strong> les<br />

interdits, l’absence de punitions <strong>et</strong> de sanctions repousse sans cesse plus loin les limites <strong>des</strong><br />

interdits qui deviennent possibles. Qui plus est l’absence de contrat renforce le sentiment<br />

d’une sanction plus injuste <strong>et</strong> plus infamante encore lorsque celle-ci arrive <strong>à</strong> être prononcée.<br />

En disant cela, nous n’adhérons pourtant pas au tout sécuritaire, pas plus que nous ne le<br />

rej<strong>et</strong>ons d’ailleurs, force nous est de constater qu’il peut être nécessaire d’envoyer <strong>à</strong> la société<br />

<strong>des</strong> signaux forts, rassurant les plus faibles, <strong>et</strong> inquiétant les plus « délinquants ». Il faut en<br />

eff<strong>et</strong> prévenir les eff<strong>et</strong>s de spirale (Skogan, op. cit.) qui conduisent <strong>à</strong> passer progressivement<br />

de p<strong>et</strong>its actes futiles <strong>et</strong> dérisoires, <strong>des</strong> incivilités <strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>violences</strong> plus importantes. S’attaquer<br />

au résultat, les <strong>violences</strong> <strong>et</strong> délinquances, ne suffit pas pour autant <strong>à</strong> les endiguer car c’est<br />

aussi refuser d’en voir les causes profon<strong>des</strong> <strong>et</strong> d’agir <strong>des</strong>sus.<br />

Les <strong>violences</strong> qui s’expriment dans la rue ou <strong>à</strong> l’école ne sont bien souvent qu’une réponse<br />

aux innombrables « agressions ou injustices » subies <strong>et</strong> vécues par ceux qui s’y adonnent, aux<br />

multiples discriminations <strong>et</strong> aux nombreux processus de disqualification sociale observables<br />

au quotidien <strong>et</strong> qui conduisent certains, par défi ou par dépit, <strong>à</strong> se venger <strong>des</strong> iniquités<br />

endurées. L’accumulation de frustrations individuelles ou collectives sont ainsi <strong>à</strong> l’origine de<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 144


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

bien <strong>des</strong> émeutes urbaines qui prennent forme <strong>à</strong> partir d’un événement déclencheur parfois<br />

anodin comme (Gurr, op. cit.).<br />

Il est bien évident que demander au sport de résoudre rapidement la question <strong>des</strong> <strong>violences</strong><br />

urbaines semble d’autant plus présomptueux que nos hommes politiques succombent, en ce<br />

domaine, <strong>à</strong> la tentation du sociologisme. Affirmer que les APS étaient le moyen le plus<br />

approprié pour que les jeunes se transforment d’individus considérés comme « asociaux » en<br />

être sociaux <strong>et</strong> espérer que les valeurs intrinsèques supposées <strong>des</strong> APS, soient acquises <strong>à</strong><br />

travers la pratique <strong>et</strong> transférées aux autres domaines sociaux, relève d’une vision holiste qui<br />

présume de la primauté de la société sur l’individu. La socialisation est envisagée comme le<br />

produit d’une incorporation, d’une intériorisation <strong>des</strong> normes <strong>et</strong> <strong>des</strong> valeurs par les individus,<br />

nonobstant le fait que celle-ci puisse se faire dans le cadre d’interactions autres.<br />

Encore aurait-il fallu que la construction <strong>des</strong> espaces sportifs « autogérés » soit accompagnée<br />

de passerelles vers le sport fédéral. Non pas que celui-ci soit meilleur (les tricheries diverses y<br />

sont également de mise), ou plus socialisant mais tout simplement parce qu’il présente,<br />

davantage que le sport dans la cité, d’hétérogénéité sociale. Ce mélange social induit ou<br />

perm<strong>et</strong> la connaissance <strong>et</strong> l’acceptation de l’Autre. Mais ces passerelles n’existent pas ou trop<br />

peu. Combien de clubs organisent <strong>des</strong> actions, <strong>des</strong> tournois, <strong>des</strong> démonstrations ou <strong>des</strong><br />

animations dans les cités ? Combien de sportifs de renom s’y déplacent ? Ce sont les<br />

politiques sportives <strong>des</strong> collectivités locales qui sont <strong>à</strong> repenser en terme d’obligations faites<br />

aux clubs fédéraux. Ne serait ce qu’au regard d’un simple ratio subvention versée/nombre de<br />

licenciés. Les clubs sportifs ne devraient-ils pas, en eff<strong>et</strong>, avoir une obligation d’animer au<br />

moins ponctuellement les APS dans les cités ?<br />

Les pratiques sportives mises en place répondent trop souvent de la « pédagogie couscous ou<br />

du social <strong>et</strong>hnique », pour reprendre les mots de El Houlali El Houssaïne (op. cit.). Les<br />

plateaux sportifs offrent toujours sensiblement le même équipement : principalement <strong>des</strong><br />

terrains de bask<strong>et</strong>-ball <strong>et</strong> de football. Les jeunes « blancs, gris ou noirs » considérés comme<br />

désœuvrés sont censés s’intéresser <strong>à</strong> ces deux activités. Il s’agit l<strong>à</strong> d’une vision réductrice de<br />

la jeunesse sportive, qui repose en partie peut-être sur le nombre de licenciés de ces<br />

fédérations, <strong>à</strong> moins qu’il ne s’agisse tout simplement du poids de celles-ci sur les politiques<br />

nationales ou locales en matière d’équipements urbains ? Chantelat <strong>et</strong> al. ont montré dans leur<br />

étude sur la banlieue lyonnaise que les jeunes <strong>des</strong> cités pouvaient aussi être intéressés par<br />

d’autres activités comme l’escalade par exemple. En ne prenant pas l’avis de ces jeunes, ne<br />

s’est-on pas privé d’une réelle politique de prévention ? Car interroger <strong>et</strong> discuter avec ces<br />

jeunes, c’est tout <strong>à</strong> la fois leur reconnaître une existence <strong>et</strong> une compétence. La négociation<br />

est aussi l’apprentissage du respect mutuel. C’est également la mise en place d’un contrat, qui<br />

pour moral qu’il soit avec <strong>des</strong> mineurs, définit <strong>des</strong> besoins <strong>et</strong> <strong>des</strong> objectifs, fixe <strong>des</strong> possibles<br />

<strong>et</strong> <strong>des</strong> interdits, <strong>des</strong> règles <strong>et</strong> <strong>des</strong> normes : bref, socialise. Certes, ces jeunes ne représentent<br />

rien, considérés trop souvent comme <strong>des</strong> délinquants potentiels, jugés sur leur langage <strong>et</strong> leurs<br />

tenues, appartenant pour un certain nombre <strong>à</strong> <strong>des</strong> familles mal insérées socialement. Dès lors,<br />

ne peut-on faire nôtre les propos d’Elias <strong>et</strong> Scotson (op. cit.): « ces jeunes qui, sachant qu’ils<br />

indisposaient ceux qui les traitaient en parias, trouvaient l<strong>à</strong> une incitation supplémentaire,<br />

peut-être l’incitation majeure <strong>à</strong> mal se conduire ». Ainsi, alors que certaines installations<br />

étaient régulièrement dégradées, Chantelat <strong>et</strong> al. remarquent que celles qui ont été négociées<br />

sont préservées.<br />

Mais, en limitant les pratiques sportives au football <strong>et</strong> au bask<strong>et</strong>-ball, peut-être a t-on tout<br />

simplement oublié de concevoir ou d’imaginer la mise en place d’APS structurantes comme<br />

les activités <strong>à</strong> risque plébiscitées de nos jours par un grand nombre de jeunes pour les<br />

sensations qu’elles procurent (Le Br<strong>et</strong>on, 1991, 2002 ; Clément op. cit. ; Lor<strong>et</strong>, 2002) <strong>et</strong> qui,<br />

de surcroît, nécessitent une adaptation <strong>des</strong> individus au milieu, le recours parfois obligé <strong>à</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 145


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

l’autre, l’adulte, le moniteur sans lequel tout danger ou toute difficulté ne peuvent être écartés,<br />

mais aussi pour leur montrer, comme dans le cas du surf, qu’il existe d’autres horizons <strong>et</strong><br />

d’autres possibles que les limites verticales <strong>des</strong> barres de la cité (El Houlali El Houssaïne, op.<br />

cit.). Les APS peuvent sans nul doute participer <strong>à</strong> la socialisation <strong>des</strong> jeunes <strong>des</strong> cités, ne<br />

serait-ce que parce qu’elles révèlent bien souvent <strong>des</strong> jeunes qui sont « exclus » ou<br />

disqualifiés dans d’autres domaines sociaux comme l’école. Encore faut-il que les actions<br />

soient réfléchies <strong>et</strong> non pas seulement conçues comme un pansement capable de résorber<br />

immédiatement les plaies sociales.<br />

Le sport « instrumentalisé » pour s’insérer <strong>et</strong> s’intégrer<br />

Une enquête réalisée par un de nos étudiants en maîtrise de management du sport va nous<br />

donner une opportunité supplémentaire de questionner c<strong>et</strong>te fonction « intégrative » du sport.<br />

Réalisant une enquête sur la fidélisation <strong>des</strong> clients <strong>des</strong> golfs br<strong>et</strong>ons de la société Formule<br />

golf, c<strong>et</strong> étudiant remonta une donnée surprenante : un certain nombre de golfeurs<br />

pratiquaient le golf, dans le cadre de c<strong>et</strong>te société, alors que l’origine sociale de leurs parents<br />

ne les y « prédisposait pas ». Notre étudiant ne souhaitant pas poursuivre son cursus<br />

ultérieurement, il a accepté de nous donner les coordonnées de ces pratiquants « hors<br />

normes » afin que nous puissions les contacter.<br />

Pour Bourdieu, nos goûts en matière esthétique, culturelle <strong>et</strong> notamment sportive, sont très<br />

largement déterminés par <strong>des</strong> habitus intégrés par imprégnation progressive tout au long de<br />

notre éducation <strong>et</strong> plus largement de notre vie (Bourdieu, 1978, 1979). Le milieu d’origine <strong>et</strong><br />

la position sociale, par un « eff<strong>et</strong> d’inculcation », induisent très largement le devenir social<br />

mais également les choix, jugements, manières d’être <strong>et</strong> comportements de chacun. C<strong>et</strong>te<br />

approche semble privilégier une vision structurante de l’action sociale n<strong>et</strong>tement déterministe<br />

même si Bourdieu est partiellement revenu au fil de son œuvre sur c<strong>et</strong>te manière d’aborder le<br />

monde. Sans doute paraît-il difficile de cantonner ce chercheur aux confins d’un<br />

structuralisme finissant qui ferait <strong>des</strong> individus, comme il le dit lui-même, « <strong>des</strong> automates<br />

réglés comme <strong>des</strong> horloges, selon <strong>des</strong> lois mécaniques qui leur échappent » (Bourdieu, 1987).<br />

Assez rapidement son <strong>entre</strong>prise s’est, en eff<strong>et</strong>, employée <strong>à</strong> tenter de dépasser les formes<br />

d’objectivisme propres <strong>à</strong> la démarche structuraliste pour « réintroduire la pratique de l’agent,<br />

sa capacité d’invention, d’improvisation » (Bourdieu, op. cit.). Le concept même d’habitus,<br />

dans une certaine mesure, rend partiellement opérante la procédure analytique qui tente<br />

d’échapper <strong>à</strong> « l’alternative du structuralisme sans suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> de la philosophie du suj<strong>et</strong> »<br />

(Bourdieu, op. cit.). Présenté finalement comme principe générateur « d’improvisations<br />

réglées », ce concept majeur de la sociologie bourdieusienne semble devoir rendre compte de<br />

stratégies qui, ni véritablement conscientes, ni franchement inconscientes, sont en définitive<br />

comparables <strong>à</strong> celles du joueur <strong>à</strong> la fois contraint de respecter les règles du jeu <strong>et</strong> sensible au<br />

jeu avec la règle. Un joueur capable de « s’adapter <strong>à</strong> <strong>des</strong> situations indéfiniment variées,<br />

jamais parfaitement identiques ». Ce qui perm<strong>et</strong> <strong>à</strong> Bourdieu de concevoir « l’habitus comme<br />

sens du jeu », c’est-<strong>à</strong>-dire « le jeu social incorporé, devenu nature » (Bourdieu, op. cit.).<br />

L’évolution <strong>des</strong> propositions théoriques du sociologue <strong>et</strong> le cheminement de sa pensée<br />

montrent, donc, <strong>à</strong> l’évidence qu’il serait simpliste de présenter le travail couvrant la carrière<br />

entière d’un chercheur sous le signe d’une homogénéité <strong>et</strong>, a fortiori, de défendre l’idée d’une<br />

cohérence linéaire ou anticipée par l’auteur lui-même (Lahire, 2001, 10). Le danger<br />

consisterait alors <strong>à</strong> adhérer <strong>à</strong> un « mythe bien commode » qui subsume en quelques phrases<br />

faciles <strong>à</strong> r<strong>et</strong>enir les correspondances <strong>entre</strong> de multiples écrits. Souvent réduites <strong>à</strong> un ensemble<br />

de concepts (habitus, capitaux, champs), les sociologies développées par c<strong>et</strong> auteur <strong>et</strong> ses<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 146


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

nombreux « poursuiteurs 195 » sont en réalité plus complexes. Toutefois, malgré de réelles<br />

subtilités théoriques généralement minorées, voire ignorées, c<strong>et</strong>te sociologie ou ces<br />

sociologies de Bourdieu ne semblent pas prendre suffisamment en compte tout <strong>à</strong> la fois la<br />

dynamique diffuse <strong>et</strong> englobante <strong>des</strong> transformations sociétales ainsi que la rationalité<br />

complexe <strong>des</strong> aspirations ou sentiments <strong>des</strong> individus dès lors que la variance même <strong>des</strong><br />

trajectoires individuelles est examinée.<br />

La notion d’habitus, précisément, considérée comme trop unificatrice, est aujourd’hui<br />

fortement remise en cause par un certain nombre de sociologues 196 au profit de l’idée<br />

« d’acteur pluriel » (Lahire, 1998). Dans c<strong>et</strong>te perspective, l’acteur au fil de sa socialisation,<br />

vit <strong>des</strong> expériences variées, rencontre d’autres individus, remplit simultanément ou<br />

successivement <strong>des</strong> rôles différents <strong>et</strong> parfois inattendus au regard <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> de pensée <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> schèmes possibles d’actions qui lui étaient symboliquement attribués en raison de son<br />

origine sociale. Or, pour Bourdieu, ce cheminement structurant reste irrémédiablement lié aux<br />

expériences de classe : « l’habitus (…) est le produit de toute l’histoire individuelle, mais<br />

aussi au travers <strong>des</strong> expériences formatrices de la prime enfance, de toute l’histoire collective<br />

de la famille <strong>et</strong> de la classe » (Bourdieu, op. cit.).<br />

A l’inverse, l’observation d’une socialisation de l’acteur s’effectuant par paliers successifs,<br />

dans <strong>des</strong> sphères sensiblement différentes, laisse émerger non seulement l’idée que <strong>des</strong><br />

apports successifs en termes d’habitu<strong>des</strong> de pensée ou de schèmes d’action constitueront<br />

autant de répertoires disponibles <strong>et</strong> utilisables selon les contextes mais encore que ces<br />

dispositions parfois antagonistes pourront être réactivées en fonction <strong>des</strong> circonstances <strong>et</strong> du<br />

jeu qu’il s’agit de jouer. Ce qui, au final, donne une image <strong>des</strong> potentialités de l’acteur<br />

beaucoup moins restreintes que ne les distingue Bourdieu, dans la mesure où dans c<strong>et</strong>te<br />

perspective, les dispositions acquises sont traversées par <strong>des</strong> dynamiques moins déterministes<br />

<strong>et</strong> d’avantage tributaires <strong>des</strong> interactions <strong>et</strong> <strong>des</strong> logiques d’action.<br />

Repréciser ce point ne dévalorise ni la théorie, ni le modèle conceptuel de Bourdieu, mais<br />

perm<strong>et</strong> simplement de constater, comme il le suggérait lui-même, que les productions<br />

intellectuelles sont aussi l’émanation <strong>et</strong> le refl<strong>et</strong> <strong>des</strong> structures sociales d’une époque. Elles<br />

sont donc elles-mêmes en tant que construction de connaissances <strong>et</strong> productions culturelles <strong>et</strong><br />

sociales, liées <strong>à</strong> <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s de position <strong>et</strong> de contexte : socialement, spatialement <strong>et</strong><br />

historiquement situées. C’est dire que leur ancrage paradigmatique <strong>et</strong> leur dynamique<br />

heuristique méritent d’être critiquées, amendées <strong>et</strong>/ou enrichies en fonction <strong>des</strong> évolutions qui<br />

par définition participent <strong>à</strong> transformer la société, ses horizons, donc les contextes de la<br />

recherche <strong>et</strong> le sens <strong>et</strong> l’interprétation <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> vécus. C<strong>et</strong>te critique, portant plus<br />

précisément sur l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> sur l’appréhension <strong>des</strong> pratiques sportives comme<br />

pratiques culturelles <strong>et</strong> enjeux de concurrences sociales, constitue l’un <strong>des</strong> axes forts de notre<br />

étude. L’analyse de l’instrumentalisation de la pratique du golf aux fins d’intégration sociale<br />

par <strong>des</strong> acteurs initialement exclus de la distribution sociale traditionnelle de ce type d’activité<br />

élective, constituant une forme de revers de la distinction bourdieusienne mais traduisant<br />

également le degré d’ouverture accru <strong>des</strong> choix <strong>et</strong> <strong>des</strong> trajectoires possibles <strong>des</strong> acteurs au<br />

sein du système, constituera la partie propositionnelle de notre démonstration.<br />

L’étude <strong>des</strong> goûts sportifs par Bourdieu a été reprise <strong>et</strong> complétée par Pociello (1981, 1995,<br />

1999) <strong>et</strong> de nombreux autres chercheurs influents au sein de la 74 ème section universitaire en<br />

France (Clément, Defrance, Louveau, Michon, Ohl ou Waser). C<strong>et</strong>te influence a débordé le<br />

champ de la sociologie pour atteindre celui de l’histoire <strong>des</strong> APS (Chartier & Vigarello, op.<br />

cit.). Souvent, ces chercheur(se)s insistent sur les praxis différenciées <strong>des</strong> « classes » ou<br />

195 Pour utiliser une expression sportive.<br />

196 Citons <strong>entre</strong> autres De Singly (2000) <strong>à</strong> travers ses travaux sur la sociologie du couple, Dubar (1991) <strong>et</strong> la<br />

sociologie <strong>des</strong> identités professionnelles, Boltanski <strong>et</strong> Thévenot (1991) pour la sociologie de l’action.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

catégories sociales. Aux classes dominantes les pratiques corporelles qui allient grâce,<br />

esthétique, contrôle, absence de contact viril, <strong>sports</strong> instrumentés, <strong>et</strong> onéreux, pratiques<br />

désintéressées exercées dans un but essentiellement éducatif. Aux classes populaires les<br />

activités physiques <strong>et</strong> sportives qui allient force <strong>et</strong> virilité, mélange <strong>des</strong> corps, esprit de<br />

sacrifice, exaltant la compétition, le mérite, la productivité <strong>et</strong> le professionnalisme. La<br />

différenciation sociale se double ainsi d’une distinction sportive opposant sport apollinien <strong>et</strong><br />

sport dionysiaque pour reprendre <strong>des</strong> expressions antiques remises au goût du jour (Maffesoli,<br />

1982).<br />

L’espace social <strong>et</strong> le style de vie sportif formalisés par Bourdieu, <strong>et</strong> complétés dans un<br />

premier temps par Pociello, posent cependant quelques problèmes méthodologiques <strong>et</strong><br />

conceptuels qui peuvent être d’emblée soulignés.<br />

Il s’agit tout d’abord d’une construction a priori. En aucun cas en eff<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te distribution<br />

sociale <strong>des</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> classes ne repose sur une projection statistique rigoureuse. Si<br />

l’aspect général de l’espace social <strong>et</strong> <strong>des</strong> styles de vie laisse <strong>à</strong> penser qu’il pourrait s’agir du<br />

résultat d’un travail basé sur la rigueur d’une analyse factorielle <strong>des</strong> correspondances, il n’en<br />

est rien 197 . Un certain nombre de critiques <strong>et</strong> de réserves doivent donc être émises ici.<br />

D’une part, les classes sociales <strong>et</strong> les APS y sont placées subjectivement par l’articulation, sur<br />

le mode antagoniste, du triptyque capital économique, culturel <strong>et</strong> social <strong>et</strong> <strong>des</strong> valeurs<br />

attribuées aux APS pratiquées. C<strong>et</strong>te manière de faire pose différentes questions<br />

méthodologiques <strong>et</strong> conceptuelles. Les précautions méthodologiques sont parfois présentes<br />

lorsque Bourdieu précise que les enquêtes quantitatives – de l’époque – sont délicates <strong>à</strong><br />

utiliser. « On ne peut dégager <strong>des</strong> statistiques disponibles autre chose que les tendances les<br />

plus générales qui sont attestées partout en dépit <strong>des</strong> variations tenant <strong>à</strong> l’imprécision de la<br />

définition de la pratique, de sa fréquence, de ses occasions, <strong>et</strong>c. » (Bourdieu, 1979, 238).<br />

Depuis ces analyses princeps, d’autres approches quantitatives n’ont pas véritablement réussi<br />

<strong>à</strong> préciser l’activité physique ni même <strong>à</strong> qualifier autrement que subjectivement la nature<br />

sportive <strong>des</strong> pratiques <strong>des</strong> populations enquêtées : est actif/sportif celui que se déclare tel<br />

(Irlinger, Louveau, Métoudi, 1988). C<strong>et</strong>te définition émique, qui reprend la logique subjective<br />

de la définition piagétienne du jeu de l’enfant ne résout pas la difficulté précisée par Bourdieu<br />

lui-même lorsqu’il poursuit : «… toutes les enquêtes reposent sur les déclarations <strong>des</strong><br />

enquêtés, <strong>et</strong> ne sauraient tenir lieu de véritables enquêtes sur <strong>des</strong> publics de pratiquants ou de<br />

spectateurs » (Bourdieu, op. cit. 238). Dont acte. En revanche, ces enquêtes plus récentes ont<br />

permis qui de préciser l’essor <strong>des</strong> <strong>sports</strong> pratiqués par le troisième âge <strong>et</strong> le phénomène de<br />

multipratique, qui d’affiner <strong>et</strong> de rendre en partie caduque l’opposition <strong>entre</strong> pratiques dites<br />

informationnelles <strong>et</strong> énergétiques précisément soulignée par le système <strong>des</strong> <strong>sports</strong> de<br />

Bourdieu/Pociello (Mignon, Truchot, 2001).<br />

Proj<strong>et</strong>er analytiquement la réalité du monde, que ce soit avec <strong>des</strong> outils sophistiqués ou non,<br />

ne doit pas faire oublier au moins deux niveaux critiques. D’un côté l’aspect artificiel, <strong>et</strong> pour<br />

tout dire socialement construit, de tout modèle présenté : qu’il s’agisse d’un tableau<br />

synthétique, d’un repère orthonormé ou bien d’un schéma reliant <strong>des</strong> entités <strong>entre</strong> elles par<br />

nombre de flèches (Defrance, Pociello, 1993 198 ). Et surtout, ne pas perdre de vue d’un autre<br />

côté, l’aspect symbolique de toute inscription, de toute <strong>des</strong>cription, de tout graphisme, a<br />

fortiori de toute image (Goody, 1979, 2003 ; Bougnoux, 2003). Les signes, les graphes,<br />

utilisés ordonnent la réalité observée <strong>et</strong> analysée, qu’on le veuille ou non. Ainsi, « Être (placé)<br />

en haut » du repère orthogonal est susceptible de renforcer consciemment ou non -- malgré<br />

notre vigilance -- la « hauteur » attribuée aux personnes censées être <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te place sociale. Les<br />

197 Des auteurs comme Ohl ou Michon ont depuis utilisé très sérieusement de tels outils statistiques <strong>et</strong><br />

informatiques (Michon, Ohl, 1995),<br />

198 Cité par Irlinger, 1995.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

critiques adressées <strong>à</strong> l’espace <strong>des</strong> styles de vie, <strong>et</strong> plus précisément <strong>à</strong> l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong><br />

gravitent, en partie, autour de ce biais potentiel... malgré les quelques mises en garde parfois<br />

formulées. La question <strong>des</strong> valeurs <strong>et</strong> de leur dynamique, par conséquent de leur analyse<br />

sociologique, s’avère, elle aussi, délicate <strong>à</strong> m<strong>et</strong>tre en œuvre (Kuty, 1998 ; Bréchon, 2000). Les<br />

valeurs attachées <strong>à</strong> un sport par un échantillon représentatif de la population <strong>et</strong> celles<br />

considérées a priori par <strong>des</strong> chercheurs, même (surtout ?) s’ils sont spécialistes de ce sport<br />

peuvent être en décalage. Elles posent toujours le problème de la prise de distance par rapport<br />

<strong>à</strong> l’obj<strong>et</strong> étudié (Galland, Lemel, Tchernia, 2002). A fortiori, rien n’implique que les<br />

cohérences axiologiques dégagées sont pour autant sous-tendues par un système. Les diverses<br />

positions prises par les groupes, donc par les individus qui les composent, ne sont sans doute<br />

pas aussi cohérentes ni stables que les analys(t)es le supposent… En outre, une même activité<br />

peut être investie, simultanément ou successivement, de manières différentes ou en fonction<br />

de dynamiques axiologiques ou de proj<strong>et</strong>s sensiblement différents, par les membres de<br />

groupes a priori saisis dans leur apparente homogénéité sociale. Ces différences qu’elles<br />

renvoient <strong>à</strong> <strong>des</strong> stratégies plus ou moins conscientes ou <strong>à</strong> <strong>des</strong> schèmes d’organisation<br />

microsociale plus complexes battent en brèche l’idée trop séduisante d’unité en termes de<br />

catégories de pensée, de valeurs communément partagées, de représentations <strong>et</strong> de<br />

« psychologie collective » (Robène, 2000 ; Hoibian, 2000). D’autre part, les catégories<br />

sociales mises en évidence peuvent être, d’une manière abusive <strong>et</strong> caricaturale, considérées<br />

comme homogènes… pour un lecteur peu attentif. Il existe pourtant <strong>à</strong> l’intérieur de chacune<br />

d’<strong>entre</strong> elles <strong>des</strong> différences de statuts <strong>et</strong> de revenus qui conditionnent <strong>et</strong> ségréguent fortement<br />

les individus qui les composent (Weil, 1987, 35). Dans chaque profession <strong>et</strong> catégorie sociale<br />

(PCS) existent <strong>des</strong> revenus plus faibles <strong>et</strong> <strong>des</strong> revenus plus élevés (la dispersion est plus<br />

accentuée qu’auparavant). Corrélativement, nous assistons en France <strong>à</strong> une réduction <strong>des</strong><br />

écarts <strong>entre</strong> PCS. C<strong>et</strong>te situation complexifie d’autant la comparaison <strong>des</strong> catégories sociales<br />

surtout lorsque les questions de statut social <strong>et</strong> de légitimité <strong>entre</strong>nt en ligne de compte. Les<br />

revendications de catégories a priori valorisées socialement comme celle <strong>des</strong> médecins<br />

exemplifient, si besoin était, les problèmes pécuniaires de ceux qui s’installant <strong>et</strong> exerçant en<br />

ville ne gagnent parfois que le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) 199 .<br />

L’exercice libéral <strong>à</strong> partir d’un niveau de formation prolongé, comme c’est le cas pour les<br />

professions paramédicales, n’est pas le garant d’un revenu élevé rapidement, même si le statut<br />

paraît collectivement enviable <strong>et</strong> envié (Héas, 1996). Ainsi, pour garder c<strong>et</strong> exemple, le<br />

revenu moyen <strong>des</strong> artisans plombiers en France se situe au niveau de celui <strong>des</strong> médecins<br />

généralistes (Source Ministère de l’économie <strong>et</strong> <strong>des</strong> Finances septembre 2001). De manière<br />

plus générale c’est donc en définitive, le choix <strong>des</strong> critères de construction <strong>des</strong> différentes<br />

catégories sociales qui doit être questionné dans la mesure où le cadre d’analyse ainsi élaboré<br />

va considérablement influer sur la teneur de la démonstration (Hoibian, op. cit.). Certes, P.<br />

Bourdieu ne néglige pas c<strong>et</strong>te difficulté méthodologique, au moins dans le discours théorique,<br />

comme le montre sa présentation <strong>des</strong> tableaux statistiques utilisés pour analyser les<br />

trajectoires scolaires <strong>et</strong> estudiantines (Bourdieu & Passeron, 1964). Ce qui rend sans doute<br />

plus critiquable l’homogénéisation pratique <strong>des</strong> mêmes catégories dès lors qu’est abordée la<br />

formalisation de l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong>, comme si ce champ culturel pouvait s’accommoder de<br />

simplifications intuitives. Modélisations certes partiellement heuristiques, mais formellement<br />

contestables. De plus, d’autres lignes de partage sans doute perçues alors comme secondaires<br />

ont été singulièrement négligées. Elles prennent aujourd’hui une importance qui contribue <strong>à</strong><br />

rendre critiquables certains aspects de l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong>. En eff<strong>et</strong>, plus profondément encore<br />

dans les analyses réalisées par Bourdieu sur les <strong>sports</strong>, les catégories utilisées sont traversées<br />

par <strong>des</strong> différences (<strong>des</strong> facteurs ?), elles-mêmes, très importantes <strong>et</strong> autrement productrices<br />

199 6,66 Euros brut de l’heure.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 149


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

de clivages . Par exemple le rapport <strong>à</strong> l’âge. Les catégories d’âge ne sont pas<br />

systématiquement représentées ou prises en compte alors que le choix <strong>et</strong> le type <strong>des</strong> APS<br />

pratiquées (plus ou moins risquées 200 , pratiques émergentes ou traditionnelles, « fun » ou<br />

« ringar<strong>des</strong> ») sont fortement influencés par les valeurs <strong>et</strong> les cultures juvéniles (Galland,<br />

1997 ; Galland, Roud<strong>et</strong>, 2002), par la disponibilité <strong>des</strong> « jeunes », leur mode de sociabilité<br />

« <strong>entre</strong> pairs ». A l’inverse certaines APS sont également dépendantes du pouvoir financier<br />

conféré (en moyenne) par l’âge… <strong>et</strong> les revenus. Certes, Bourdieu aborde d’une certaine<br />

manière le thème de l’âge <strong>à</strong> travers la question de l’ancienn<strong>et</strong>é même de la pratique sportive<br />

qui correspond d’ailleurs <strong>à</strong> notre obj<strong>et</strong> : le golf, en tant que pratique en cours de relative<br />

démocratisation. « C’est ainsi que les <strong>sports</strong> qui se “démocratisent“ (précise-t-il) peuvent faire<br />

coïncider (le plus souvent dans <strong>des</strong> espaces <strong>et</strong> <strong>des</strong> temps séparés) <strong>des</strong> publics socialement<br />

différents qui correspondent <strong>à</strong> <strong>des</strong> âges différents du sport considéré » (Bourdieu, 1979, 234).<br />

En revanche, , il ne s’intéresse que trop peu au niveau individuel, c’est-<strong>à</strong>-dire aux influences<br />

possibles de l’âge <strong>des</strong> pratiquants eux-mêmes… ce que nous nous proposons de réaliser plus<br />

précisément ici <strong>à</strong> partir de l’exemple de la pratique du golf.<br />

Tout se passe en définitive comme si l’approche sociologique <strong>des</strong> <strong>sports</strong> de Bourdieu était<br />

superficielle <strong>et</strong> globalisante. Plus intuitive <strong>et</strong>, de fait, plus simplificatrice que réellement<br />

rigoureuse. Si le mérite de Bourdieu reste incontestablement d’avoir ouvert la voie <strong>à</strong> l’analyse<br />

scientifique du champ sportif, globalement conçu comme « champ de concurrence »<br />

(Bourdieu, 1978), sans doute ses travaux méritent-ils en ce domaine d’être repris, complétés,<br />

amendés <strong>et</strong> critiqués pour spécifier de manière plus fine les mo<strong>des</strong>, les cadres, les conditions,<br />

les horizons <strong>et</strong> les dynamiques de ces concurrences elles-mêmes liées <strong>à</strong> <strong>des</strong> perspectives<br />

culturelles <strong>et</strong> sociales en mouvements au cœur d’une histoire sociale en mouvement.<br />

L’approche sociologique du champ sportif proposée par Bourdieu, sans être figée dans son<br />

principe, le devient inévitablement dans le cadre référentiel de la lecture datée <strong>et</strong> partielle<br />

qu’elle propose. Elle apparaît, en outre, <strong>à</strong> bien <strong>des</strong> égards lacunaire au regard <strong>des</strong> nouvelles<br />

perspectives d’analyses induites par les transformations <strong>des</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> pratiquants, par<br />

les transformations <strong>des</strong> contextes de la pratique, <strong>et</strong> par celle <strong>des</strong> regards construits sur les<br />

pratiques <strong>et</strong> les dynamiques de mutations <strong>et</strong> de distributions sociales <strong>des</strong> APS.<br />

Ainsi, c<strong>et</strong>te approche sociologique <strong>des</strong> <strong>sports</strong> ne recouvre par exemple qu’une analyse sexuée<br />

partielle, car largement andrologique, voire « androcentrée » (Héas, Bodin, Rannou, 2001).<br />

Production sans doute caractéristique du regard porté plus généralement sur un obj<strong>et</strong>, le sport,<br />

alors traditionnellement conçu comme bastion de la virilité, au moment de son élaboration.<br />

Les pratiques féminines n’y sont effectivement pas répertoriées spécifiquement. Or, les<br />

sociabilités sportives peuvent avec profit être examinées sous l’aspect de la socialisation de<br />

genre… y compris parfois <strong>à</strong> partir de la théorie de Bourdieu (Mennesson, 2002 ; Héas, Bodin,<br />

2001 ; Dur<strong>et</strong>, 1999, Robène, 2000). La domination masculine que Pierre Bourdieu a précisée,<br />

en 1998, d’un point de vue très global, perm<strong>et</strong> par ailleurs d’envisager conceptuellement une<br />

grille de lecture particulièrement heuristique dès lors qu’il s’agit d’investir certains espacestemps<br />

sportifs ou ludiques particuliers. Nous avons d’ailleurs tenté de préciser ce point dans<br />

d’autres travaux <strong>à</strong> partir d’une analyse, par observation participante prolongée, de la troisième<br />

mi-temps en football <strong>et</strong> rugby féminins dans une région française, la Br<strong>et</strong>agne (Héas, Bodin,<br />

2003 ; Héas, Bodin, Amossé, Kerespar, op. cit.). La domination masculine y perdure sans<br />

empêcher <strong>des</strong> r<strong>et</strong>ournements partiels, plus ou moins durables <strong>des</strong> rapports sociaux en place.<br />

La domination sociale dans certaines situations d’interaction précisées n’est pas toujours du<br />

côté masculin-social-traditionnel : le sexe fort devient parfois peu crédible, si ce n’est<br />

incrédule… Les joueuses parviennent <strong>à</strong> dominer quelques fois y compris <strong>et</strong> surtout dans <strong>des</strong><br />

comportements <strong>et</strong> <strong>des</strong> postures corporels sexuels <strong>à</strong> valeur explicite de domination. Ces<br />

200 C<strong>et</strong>te notion étant elle-même suj<strong>et</strong>te <strong>à</strong> caution (institutionnelle ou non).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 150


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

confrontations festives <strong>à</strong> forte connotation sexuelle ébranlent l’édifice sportif masculin : elles<br />

écartent, pour une fois, les joueurs d’espaces traditionnellement masculins comme les bars de<br />

café ou de discothèque. Pour une fois, les techniques corporelles <strong>et</strong> les exploits sont féminins<br />

majeurs, les joueuses sont les ved<strong>et</strong>tes incontestées…<br />

Une autre enquête perm<strong>et</strong> de souligner certaines initiatives dans les offres ludosportives<br />

actuelles qui semblent pouvoir rem<strong>et</strong>tre en question en partie <strong>et</strong> d’une manière plus visible <strong>et</strong><br />

durable ces mêmes rapports sociaux <strong>entre</strong> hommes <strong>et</strong> femmes. Les initiatives de « femmes<br />

pour les femmes exclusivement » se multiplient dans certaines offres de services. C’est le cas<br />

dans les pays anglo-saxons en ce qui concerne certaines pratiques touristiques aventurières<br />

comme le trekking réservé aux seules femmes, voire aux homosexuelles : treks féminins<br />

« solo » (<strong>des</strong>igned by women for women), Walking Tour for Women, Women Travelling<br />

Tog<strong>et</strong>her, <strong>et</strong>c. (Héas, Bodin, Rannou, op. cit.). Certes la place de la femme dans le sport reste<br />

moindre (33 % <strong>des</strong> licenciés en France en 2000) mais le culte du corps dans nos sociétés<br />

contemporaines, l’image de la femme, sa progressive indépendance financière <strong>et</strong> temporelle<br />

accentuent sa pratique sportive (moyenne) en loisir ou en compétition. Or l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong><br />

est resté relativement sourd <strong>à</strong> la « distinction <strong>des</strong> genres », si l’on excepte quelques travaux<br />

plus récents qui ont tenté de renouveler le concept même de capital pour y intégrer la<br />

distinction de genre (Mc Call, 1992, Laberge, 1994). Autre point faiblement abordé, les<br />

analyses de Bourdieu enregistrent les mouvements de déclin de certaines pratiques sportives<br />

(comme la boxe anglaise) ou d’émergence d’autres formes d’APS (comme le surf, la boxe<br />

thaï), mais ces activités sont toujours placées a priori dans l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> ne m<strong>et</strong>tent<br />

pas en évidence la possible transformation anthropologique <strong>et</strong> axiologique fondamentale sousjacente<br />

: les pratiques émergentes associent en eff<strong>et</strong> plus souvent ilinx (vertige) <strong>et</strong> alea<br />

(hasard) alors que les <strong>sports</strong> traditionnels reposaient sur le couple agôn (compétition) <strong>et</strong> aléa.<br />

Les pratiques décrites ne tiennent pas compte non plus de la sphère socio-économique du club<br />

d’adhésion puisque les <strong>sports</strong> sont examinés de manière homogène. Les associations sportives<br />

sont pourtant <strong>des</strong> entités distinctes. Elles excluent de fait par le montant de la cotisation, voire<br />

de l’adhésion, les individus les plus démunis financièrement mais également socialement par<br />

la nécessité parfois d’être parrainé pour y accéder. Il est encore possible d’envisager la<br />

domination symbolique exercée <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> <strong>sports</strong>, mais aussi le prestige de certains clubs<br />

sportifs, considérés bien souvent « comme n’étant pas pour moi » selon les propos tenus par<br />

Jérémy Thomin, champion du monde Boxe, lors de l’émission transversale sur Pathé sport, le<br />

4 janvier 2002, au suj<strong>et</strong> du golf. Disons le franchement c<strong>et</strong> espace sociosportif date quelque<br />

peu. La vision qu’il propose mérite d’être reprise <strong>et</strong> réaménagée <strong>à</strong> la fois en termes de choix<br />

de variables <strong>et</strong> d’indices pertinents <strong>et</strong> de possibilités d’interprétation <strong>des</strong> trajectoires <strong>et</strong><br />

mobilités sociales <strong>des</strong> acteurs. Les données émanent <strong>des</strong> années 1970. Les positions sociales,<br />

les goûts <strong>et</strong> les dégoûts ont parfois sensiblement évolué. La proximité spatiale de certaines<br />

observations 201 (ouvriers, manœuvres, vin rouge ordinaire, football…) peut prêter aujourd’hui<br />

<strong>à</strong> sourire. Mais surtout, la perception générale du sport s’est transformée sous l’eff<strong>et</strong> conjugué<br />

de la monté <strong>des</strong> loisirs, de la transformation <strong>des</strong> mœurs <strong>et</strong> d’une forme incontestable de<br />

massification <strong>des</strong> consommations de pratiques <strong>et</strong> de biens culturels, <strong>et</strong> plus encore sous l’eff<strong>et</strong><br />

d’une transformation de la manière légitime d’envisager le sport <strong>et</strong> ses mo<strong>des</strong> de pratiques,<br />

d’une légitimité unipolaire qui semblait jusqu’alors dominer c<strong>et</strong> espace, vers une diversité de<br />

« légitimités culturelles <strong>et</strong> sportives ». Alors qu’<strong>à</strong> l’époque de la distinction culture <strong>et</strong> sport<br />

paraissait encore antinomiques, il semble aujourd’hui beaucoup plus évident d’évoluer dans<br />

un monde marqué par l’essor <strong>et</strong> la diffusion <strong>des</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> modèles sportifs. Il paraît<br />

ainsi de bon ton pour un cadre supérieur ou un membre de l’intelligentsia de pouvoir pratiquer<br />

<strong>des</strong> APS plus ru<strong>des</strong>, comme les <strong>sports</strong> de combat, leur perm<strong>et</strong>tant, peut-être, de construire une<br />

201 Sur le premier graphique établi par Bourdieu.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 151


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

identité masculine valorisée <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> activités qui exacerbent la force, la virilité <strong>et</strong> le<br />

risque (Le Br<strong>et</strong>on, 1991 ; Lazuech, 1999). Ces modalités de pratique s’opposent, ainsi,<br />

profondément <strong>à</strong> la fois <strong>à</strong> l’aspect confortable <strong>et</strong> rangé d’un quotidien <strong>et</strong> d’un avenir certain <strong>et</strong><br />

aussi au caractère prophylactique de nos sociétés modernes. Le football, si l’on observe<br />

uniquement ce sport, n’occupe vraisemblablement plus tout <strong>à</strong> fait la même position, « les<br />

élites en venant au stade lui offrent peut être davantage de légitimité sociale édulcorant le côté<br />

populaire, au sens vulgaire du terme, qui lui était jusqu’alors associé » (Bodin, Héas, 2002,<br />

164). Les pratiques sportives <strong>et</strong> le modèle de la réussite ont, de plus, assez largement intégré<br />

les stratégies <strong>et</strong> les cultures d’<strong>entre</strong>prise au travers <strong>des</strong> concepts d’efficience <strong>et</strong> de<br />

performance, transformant la représentation même <strong>des</strong> activités qui servent de support <strong>à</strong><br />

l’expression de l’excellence (Ehrenberg, 1991). Certes, il reste <strong>des</strong> pratiques onéreuses <strong>et</strong> non<br />

abordables par tous. Mais la grille de lecture initialement proposée par Pierre Bourdieu peine<br />

aujourd’hui <strong>à</strong> rendre compte d’autres réalités émergentes. Celles par exemple d’un certain<br />

nombre de choix ou de stratégies qui, de toute évidence, loin <strong>des</strong> parcours <strong>et</strong> <strong>des</strong> décisions <strong>des</strong><br />

agents dont les <strong>des</strong>tins demeurent irrémédiablement liés <strong>à</strong> <strong>des</strong> causes antérieures ou <strong>des</strong><br />

systèmes de classe, voient se <strong>des</strong>siner de manière beaucoup plus évidente la figure de l’acteur<br />

actualise en temps réel une part <strong>des</strong> choix qui guident ses déplacements sur l’échiquier social<br />

en fonction de stratégies adaptatives beaucoup plus singulières, beaucoup plus atypiques.<br />

L’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong> ne nous indique d’ailleurs pas les mobiles de chacun <strong>des</strong> pratiquants. Les<br />

individus y sont <strong>des</strong> agents largement dépendants du système, de champs <strong>et</strong> d’habitus les<br />

réduisant plus ou moins définitivement au rôle… d’agents. Tout au plus Bourdieu <strong>et</strong> Pociello<br />

insistent-ils sur la « bonne volonté culturelle <strong>des</strong> classes moyennes » qui cherchent <strong>à</strong> pratiquer<br />

<strong>des</strong> activités valorisantes <strong>et</strong> valorisées <strong>et</strong> tendent <strong>à</strong> se rapprocher <strong>des</strong> « élites ». Mais en<br />

définitive est-ce bien cela se distinguer ? Doit-on accepter l’idée d’un processus de<br />

normalisation de La distinction qui nous laisserait semblables en matière de goûts <strong>et</strong> d’être,<br />

tout comme la jeunesse d’aujourd’hui qui, rej<strong>et</strong>ant les contraintes <strong>et</strong> les normes culturelles <strong>des</strong><br />

aînés finit par s’habiller d’une manière similaire pour mieux se reconnaître dans sa différence.<br />

Bourdieu <strong>et</strong> Pociello ne prennent pas en compte un certain nombre de facteurs<br />

socioéconomiques déterminants dans l’analyse du fait sportif : l’individuation croissante de la<br />

société pourtant observée par Elias (1991), le culte du corps <strong>et</strong> de la jeunesse dans nos<br />

sociétés modernes, culte remarquable <strong>à</strong> travers la publicité <strong>et</strong> les médias (Héas, Bodin,<br />

Forsyth, 2004), l’allongement de l’espérance de vie, qui plus est en bonne ou meilleure santé,<br />

entraînant de fait un allongement de la vie ou du désir sportif, l’accroissement <strong>des</strong> temps<br />

libres amenant de plus en plus de gens <strong>à</strong> pratiquer <strong>des</strong> APS, la démocratisation de certaines<br />

pratiques comme le tennis, les transformations de certains <strong>sports</strong> vers <strong>des</strong> pratiques plus<br />

hédonistes <strong>et</strong> dionysiaques dans un contexte économique <strong>et</strong> social défavorable, comme ce<br />

peut être le cas du marathon (Lapeyronnie, Bessy, 2000), le mélange <strong>des</strong> cultures « élitistes <strong>et</strong><br />

populaires » <strong>à</strong> travers certaines activités comme le football, la transformation profonde de la<br />

société française dans les années de crise, l’impact <strong>des</strong> 35 heures dégageant plus de temps<br />

libres pour certaines catégories de salariés ou encore l’émergence de nouvelles professions <strong>et</strong><br />

le dégagement de nouvelles élites bouleversant grandement les catégorisations sociales<br />

traditionnelles. Sans vouloir allonger inconsidérément les thèmes potentiels d’étude du fait<br />

sportif ou <strong>des</strong> modifications que sous-tend une lecture renouvelée de l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong>, nous<br />

voudrions tenter de préciser ici ce dernier point. Pour quelles raisons <strong>des</strong> individus en<br />

viennent-ils <strong>à</strong> pratiquer une APS, en l’occurrence le golf, activité ludique <strong>et</strong> sportive définie<br />

traditionnellement comme élitiste <strong>et</strong> distinctive, alors que leur origine sociale (celle de leurs<br />

parents tout au moins) ne les y pré<strong>des</strong>tinait pas ? C’est ici reconnaître <strong>à</strong> la fois la justesse<br />

d’une théorie sociale du sport dont les pratiques donnent corps <strong>à</strong> un espace de concurrence<br />

structuré <strong>et</strong> structurant, mais c’est aussi chercher <strong>à</strong> comprendre dans quelle mesure, renversant<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 152


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

la conception déterministe de l’habitus, certains acteurs sont capables de se saisir de pratiques<br />

hors leur champ initial de distribution sociale afin d’en instrumenter <strong>à</strong> leur profit les usages<br />

distinctifs <strong>et</strong>/ou intégratifs. En eff<strong>et</strong>, dépassant les questions de la simple envie ou de<br />

l’opportunité de s’engager dans telle ou telle activité, deux hypothèses peuvent être émises <strong>à</strong><br />

ce niveau. La première consiste en l’affirmation d’une nouvelle appartenance sociale <strong>à</strong> partir<br />

de c<strong>et</strong>te activité. Le golf est ou devient donc, même si ce n’est pas une nouveauté en soi, un<br />

style de vie classé <strong>et</strong> potentiellement surclassant. La seconde hypothèse, plus intéressante, est<br />

de concevoir c<strong>et</strong>te APS comme un moyen non pas d’affirmer son appartenance sociale <strong>à</strong><br />

travers une pratique distinctive de classe mais comme un viatique susceptible de favoriser<br />

l’intégration <strong>et</strong> l’assimilation <strong>à</strong> un nouveau groupe social dont l’individu ne possède pas<br />

encore les usages <strong>et</strong> plus profondément les habitus. Le golf serait ainsi conçu par certains<br />

comme une composante <strong>des</strong> stratégies d’ascension sociale. Nous examinerons plus<br />

particulièrement ici c<strong>et</strong>te seconde hypothèse.<br />

Le point de départ de c<strong>et</strong>te enquête est la curiosité suscitée par les caractéristiques<br />

socioprofessionnelles de certains interviewés suite <strong>à</strong> une étude de satisfaction concernant les<br />

infrastructures ludosportives en Br<strong>et</strong>agne. Dans c<strong>et</strong>te recherche nous avions interrogé, <strong>entre</strong><br />

autres, 384 golfeurs par questionnaires durant l’année 2000-2001. La première partie <strong>des</strong><br />

questionnaires utilisés visait <strong>à</strong> recenser les structures sociales <strong>et</strong> familiales <strong>des</strong> pratiquants <strong>à</strong><br />

travers, notamment, leur profession <strong>et</strong> catégorie socioprofessionnelle (PCS), ainsi que celles<br />

de leurs parents. 28 d’<strong>entre</strong> eux présentaient une mobilité sociale intergénérationnelle<br />

ascendante « atypique». Fils ou filles d’ouvriers ou d’employés, ils étaient devenus cadres<br />

supérieurs ou membres <strong>des</strong> professions libérales. Leur ascension sociale dépassait donc les<br />

distributions statistiques d’homogamie socioculturelle habituellement constatées dans<br />

lesquelles le fils/la fille occupe généralement une place d’un rang immédiatement supérieur <strong>à</strong><br />

celle de son père (Marchand, Thélot, 1991 ; Lemel, 1991) ; ceci en raison de la mutation<br />

séculaire de l’économie française du secteur primaire vers le tertiaire, appelée mobilité<br />

structurelle <strong>et</strong>, de l’accroissement du nombre global de diplômés. Ce regroupement autour<br />

d’une même APS d’individus présentant une trajectoire ascendante atypique nous a incité <strong>à</strong><br />

recontacter, afin de les interroger, ces personnes.<br />

11 d’<strong>entre</strong> elles (tous <strong>des</strong> hommes) ont accepté de répondre <strong>à</strong> un <strong>entre</strong>tien non directif de type<br />

récit de vie. Leur âge est compris <strong>entre</strong> 28 <strong>et</strong> 34 ans. Les thèmes abordés ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une<br />

reconstruction a posteriori, car l’objectif était de saisir <strong>et</strong> comprendre, non pas un discours<br />

convenu répondant <strong>à</strong> la logique de « la présentation publique, donc l’officialisation d’une<br />

représentation privée de sa propre vie » (Bourdieu, 1986, 71), mais au contraire <strong>des</strong><br />

confidences sur leur trajectoire sociale telles qu’ils l’auraient fait <strong>à</strong> <strong>des</strong> intimes. Nous ne<br />

sommes cependant pas dupe du jeu qui se joue <strong>entre</strong> l’interrogateur <strong>et</strong> l’interrogé, de la<br />

subjectivité <strong>des</strong> propos tenus (Morin, 1984 ; Goffman, 1956, 1974) <strong>et</strong> de l’interprétation qu’il<br />

faut faire <strong>des</strong> dits <strong>et</strong> <strong>des</strong> non dits. Ce travail du « donné aux données » a été réalisé <strong>à</strong> partir de<br />

la méthode de l’analyse structurale <strong>des</strong> récits de Demazière <strong>et</strong> Dubar (op. cit.) en recherchant<br />

les « homologies structurales » de ces différents récits. C<strong>et</strong>te étude n’est, de fait, pas<br />

généralisable, elle est un point de vue qui m<strong>et</strong> en exergue les ruptures sociales <strong>et</strong> fait émerger<br />

les similitu<strong>des</strong> <strong>entre</strong> les trajectoires d’individus contactés par hasard <strong>et</strong> qui ne se connaissent<br />

pas. L’objectif étant cependant, <strong>et</strong> simplement, d’établir une relation objective du sens <strong>et</strong> de la<br />

valeur accordés par chacun de ces propres placements <strong>et</strong> déplacements dans l’espace social.<br />

Un nouveau positionnement dans l’espace social, a priori bénéfique au premier regard pour<br />

celui qui en bénéficie, est décrit très souvent en termes négatifs au plan humain. La réussite<br />

correspond pourtant bien, en termes d’emplois <strong>et</strong> de statuts, aux ambitions de départ <strong>et</strong> <strong>à</strong><br />

l’ascension préalablement envisagée. Mais si c<strong>et</strong>te « trajectoire sociale » était perçue<br />

originellement comme positive elle s’avère en fait être une expérience douloureuse <strong>à</strong> bien <strong>des</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

égards. La mobilité sociale est tout d’abord très ou trop rapide. Non pas en terme de « réussite<br />

sociale » mais bel <strong>et</strong> bien d’adaptation <strong>à</strong> ces nouveaux statuts <strong>et</strong> aux transformations<br />

profon<strong>des</strong> qu’ils induisent. Alors que pour l’essentiel elle se fait habituellement <strong>entre</strong><br />

catégories sociales proches, la plupart <strong>des</strong> personnes interrogées, issues <strong>des</strong> classes<br />

populaires, ont atteint les plus hautes sphères de l’intelligentsia. Il en est ainsi de M., directeur<br />

financier d’un grand groupe industriel national <strong>et</strong> dont le père était ouvrier, ou encore de D.<br />

qui « a fait » sciences politiques, l’École Nationale d’Administration (ENA) <strong>et</strong> dont le père est<br />

contremaître. Leurs discours sont, <strong>à</strong> ce niveau, unanimes. Tous parlent d’une expérience<br />

sociale nouvelle, d’une nécessité d’appréhender un style de vie différent. C<strong>et</strong>te position<br />

sociale acquise récemment brouille les repères sociaux dont ils étaient imprégnés. Ils se<br />

sentent en « porte <strong>à</strong> faux » tout <strong>à</strong> la fois dans c<strong>et</strong>te vie pourtant délibérément choisie mais dont<br />

ils ne soupçonnaient pas les difficultés mais également par rapport aux dispositions<br />

socialement <strong>et</strong> familialement inculquées depuis l’enfance. Ainsi De Gaulejac (1987) a t-il<br />

parlé de « névrose de classe » pour décrire les tiraillements d’un individu <strong>entre</strong> son milieu<br />

d’origine <strong>et</strong> son nouveau groupe d’appartenance.<br />

Beaucoup décrivent le décalage qui existe <strong>entre</strong> eux, issus <strong>des</strong> classes populaires <strong>et</strong> dont<br />

l’ascension sociale est la récompense du mérite, <strong>et</strong> ceux dont la position sociale est en quelque<br />

sorte un « privilège » culturellement transmis. Ils se sentent différents car ils ne possèdent pas<br />

(totalement ou bien encore ?) les co<strong>des</strong>, manières d’être <strong>et</strong> de parler, comme l’avaient fort<br />

bien décrits Ernaux (1997) <strong>et</strong> Strindberg (1996), <strong>et</strong> qui sont nécessaires <strong>à</strong> la vie en société. D.<br />

décrit ainsi sa première invitation chez un collègue issu, lui, <strong>des</strong> milieux bourgeois parisiens :<br />

« Il m’avait invité chez lui <strong>à</strong> venir manger le produit de sa chasse. J’étais très<br />

honoré que lui, appartenant <strong>à</strong> une grande famille, s’intéresse <strong>à</strong> moi. En arrivant<br />

chez lui <strong>à</strong> Neuilly j’étais impressionné. Il habitait une maison de maître. C’est une<br />

servante qui m’a accueillie. […] Lorsque nous sommes passés <strong>à</strong> table, je me suis<br />

r<strong>et</strong>rouvé devant une rangée de fourch<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> de couteaux comme je n’avais jamais<br />

vus. Pour manger les cailles je ne savais pas comment faire. J’attendais de voir ce<br />

que E. <strong>et</strong> sa femme utiliseraient <strong>et</strong> visiblement ils attendaient que je commence <strong>et</strong><br />

puis il a dû comprendre. Il a commencé <strong>et</strong> j’ai fait de même. » (D. 29 ans,<br />

directeur financier).<br />

Ce discours restitué montre bien tout le décalage social mais également le « mal être »<br />

personnel <strong>et</strong> social auxquels sont ou peuvent être confrontés les individus. Alors que leur<br />

parcours <strong>et</strong> leur réussite sociale devraient leur apporter assurance <strong>et</strong> aisance ils ressentent<br />

davantage encore de ne pas faire partie du « même monde » malgré une volonté de bien faire.<br />

L’aisance sociale, capacité <strong>à</strong> être, <strong>à</strong> discuter <strong>et</strong> <strong>à</strong> se comporter de ceux qui ont été élevés dans<br />

les milieux bourgeois, leur manque. Ainsi, J-F. décrit également ces soirées où invité, il se<br />

r<strong>et</strong>rouvait habillé de manière trop « endimanchée » ou trop « décontractée » :<br />

« Je n’avais jamais la bonne tenue ! J’étais toujours hors du coup ! Tout le monde<br />

me regardait. C’était gênant. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’en fait ma<br />

différence je pouvais la cultiver <strong>et</strong> l<strong>à</strong> je devenais quelqu’un d’intéressant, <strong>à</strong> qui<br />

l’on s’intéressait. Et moi je me suis senti mieux, mieux avec moi-même mais<br />

également mieux avec les autres. Pourquoi vouloir leur ressembler <strong>à</strong> tout prix ?<br />

Nous n’avons pas le même parcours, pas les mêmes parents <strong>et</strong> pas les mêmes<br />

amis. Mais c’est une question de confiance en soi. Quand j’ai accepté d’être moimême<br />

finalement j’ai été mieux accepté. » (J-F. 31 ans, directeur du personnel).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Aisance qui se r<strong>et</strong>rouve encore dans la capacité <strong>à</strong> communiquer avec les autres <strong>et</strong> <strong>à</strong> appartenir<br />

<strong>à</strong> un réseau :<br />

« Dans les soirées je me r<strong>et</strong>rouvais seul, une fois que j’avais dit bonjour je ne<br />

savais pas quoi dire ni même <strong>à</strong> qui parler. Les autres se connaissaient,<br />

appartenaient au même milieu, avaient fait leurs étu<strong>des</strong> ensembles, leurs familles<br />

se connaissaient <strong>et</strong> moi rien. Je n’osais pas aller vers eux <strong>et</strong> eux ne venaient pas<br />

vers moi. Je ne pense pas que c’était de l’indifférence ou du mépris. Ils se<br />

connaissaient c’est tout. Mais vous savez ça, c’est dur <strong>à</strong> vivre <strong>et</strong> vous voudriez ne<br />

pas être venu ou encore pouvoir partir comme ça discrètement. Vous savez la<br />

coupe du Monde de football m’a fait un bien extraordinaire. Alors qu’avant c’était<br />

ringard de parler foot tout le monde avant <strong>et</strong> après en parlait <strong>et</strong> l<strong>à</strong> j’avais <strong>des</strong><br />

choses <strong>à</strong> dire, ils savaient que j’y avais joué <strong>et</strong> j’étais intégré. » (J-F. 31 ans,<br />

directeur du personnel).<br />

Mais les difficultés ne s’arrêtent pas l<strong>à</strong> puisque tous parlent de la manière dont ils ont rej<strong>et</strong>é,<br />

dans un premier temps du moins, leur milieu familial. Il s’agissait pour eux de se différencier<br />

« de ne pas r<strong>et</strong>omber dans <strong>des</strong> comportements », <strong>des</strong> habitus <strong>et</strong> <strong>des</strong> valeurs qu’ils jugeaient<br />

erronés <strong>et</strong> incompatibles avec leur nouveau statut. Certains n’hésitent pas même <strong>à</strong> affirmer<br />

qu’ils avaient alors honte de leurs parents, de leur manière de s’habiller, de parler, de leur<br />

voiture ou de leur maison. Ils ne les invitaient pas ou peu de peur que <strong>des</strong> amis les voient.<br />

Autant de discours qui rejoignent ceux analysés <strong>et</strong> décrits par De Gaulejac (op. cit).<br />

L’ascension sociale oblige, ainsi, bien souvent <strong>à</strong> conc<strong>entre</strong>r ses efforts <strong>et</strong> <strong>à</strong> rompre les liens<br />

familiaux <strong>et</strong> amicaux lorsqu’ils peuvent, ou sont perçus comme pouvant, nuire <strong>à</strong> la réussite. Il<br />

y a rupture <strong>et</strong> reniement de l’ancien milieu d’origine, dissociation de l’<strong>et</strong>hos populaire, décrit<br />

par Sansot (op. cit.) faite de convivialité, d’entraide, de bons repas <strong>et</strong> un goût commun pour<br />

<strong>des</strong> bonheurs simples au profit de <strong>relations</strong> plus ascétiques.<br />

Les individus vivent, ainsi, une dualisation de leur identité sociale : d’une part ils possèdent<br />

une identité professionnelle valorisée <strong>et</strong> valorisante, faite d’un statut, d’une fonction, de<br />

diplômes, de pouvoir, de revenus, de <strong>relations</strong> professionnelles, de l’idée que les autres se font<br />

de ce métier <strong>et</strong>, d’autre part ils vivent une identité individuelle tiraillée <strong>entre</strong> leur milieu<br />

d’origine <strong>et</strong> ce qu’ils souhaitent devenir. C<strong>et</strong>te dissonance induit un désenchantement. Ils sont<br />

plus que ce que leur famille <strong>et</strong> son ancrage social représentent initialement <strong>et</strong> pourtant moins<br />

que ce qu’ils espéraient devenir. Leur espoir « d’être quelqu’un » est déçu <strong>et</strong> amplifié par le<br />

fait tout <strong>à</strong> la fois de n’être plus tout <strong>à</strong> fait eux-mêmes mais également parce qu’ils se rendent<br />

compte que malgré la place qu’ils occupent dans la société, il existe, <strong>à</strong> leur niveau également,<br />

<strong>des</strong> « dominants » <strong>et</strong> <strong>des</strong> « dominés ». La position sociale d’un individu ne dépend pas, en<br />

eff<strong>et</strong>, de son seul statut mais est habituellement caractérisée par l’homogénéité <strong>des</strong><br />

dispositions culturelles, intellectuelles, relationnelles <strong>et</strong> économiques. Beaucoup parlent ainsi<br />

de leur honte <strong>et</strong> du sentiment d’infériorité qu’ils ont vis <strong>à</strong> vis de ceux qui, bien nés s’en<br />

« sortent mieux » sont appelés <strong>à</strong> un plus grand devenir. Tous nous décrivent alors les choix<br />

auxquels ils ont été confrontés : se replier sur eux-mêmes, abandonner leurs ambitions <strong>et</strong><br />

opérer en quelque sorte un r<strong>et</strong>rait social ou au contraire développer de nouvelles stratégies<br />

pour accéder <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te aisance <strong>et</strong> <strong>à</strong> ce relationnel qui leur font défaut. Le sport <strong>et</strong> plus<br />

particulièrement le golf répondent <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te logique stratégique qui participe <strong>à</strong> adapter<br />

culturellement <strong>des</strong> dispositions en devenir aux dispositions acquises caractéristiques du milieu<br />

social nouvellement fréquenté.<br />

Pourquoi le golf ? Comment être intégré <strong>à</strong>, ou tout au moins réussir <strong>à</strong> être accepté, par un<br />

groupe socialement favorisé lorsque l’on ne possède pas la même origine culturelle, familiale<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 155


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

ou sociale ? Le sport répond, en partie du moins, <strong>à</strong> c<strong>et</strong> objectif. Pour tous les enquêtés, il<br />

représente un espace particulier où les <strong>relations</strong> sociales s’avèrent plus faciles que dans le<br />

reste de la société. Ainsi, pour K. :<br />

« Lorsque je joue au golf avec mes collègues, c’est une autre relation qui<br />

s’installe, plus facile, moins teintée de nos différences, nous sommes <strong>des</strong> sportifs<br />

qui prennent plaisir <strong>à</strong> être ensemble, <strong>à</strong> rire <strong>et</strong> <strong>à</strong> discuter de choses <strong>et</strong> d’autres, <strong>et</strong><br />

puis l<strong>à</strong> c’est moi qui tient davantage la ved<strong>et</strong>te car finalement le golf même si je<br />

m’y suis mis tard, je suis plus adroit qu’eux, je suis tout simplement plus sportif,<br />

j’ai fait davantage de sport qu’eux étant plus jeune <strong>et</strong>, quelque part ils<br />

m’envient. » (K. 31 ans, directeur du mark<strong>et</strong>ing),<br />

Certains <strong>sports</strong> peuvent donc bien devenir <strong>des</strong> espaces de sociabilité où se fabrique du lien<br />

social, où peut s’amorcer plus facilement le rapprochement d’individus aux milieux <strong>et</strong> statuts<br />

sociaux très différents. Il est un lieu de rencontres <strong>et</strong> de contacts, d’hétérogénéité sociale<br />

acceptée <strong>et</strong> devenue « quasi naturelle », un espace où les distinctions sociales s’euphémisent<br />

sous le couvert <strong>des</strong> parures, <strong>des</strong> co<strong>des</strong> corporels <strong>et</strong> langagiers ad hoc. C’est bien sûr toute la<br />

différence <strong>entre</strong> le jeu <strong>et</strong> le sport tels que les ont analysés, <strong>entre</strong> autres, Elias <strong>et</strong> Dunning (op.<br />

cit.), ainsi que Bourdieu (1978). Il est susceptible de devenir un puissant facteur d’intégration<br />

sociale. L’exemple <strong>des</strong> sportifs dans la société française le montre bien : les joueurs de<br />

« couleur », les athlètes étrangers sont mieux acceptés <strong>et</strong> intégrés par la population que leurs<br />

homologues non sportifs qui subissent au quotidien une stigmatisation, <strong>des</strong> préjugés <strong>et</strong> un<br />

racisme ordinaire (Wieviorka, 1998) que dans bien <strong>des</strong> cas le sport minore, si ce n’est ignore.<br />

Mais le golf pratiqué ici dépasse la simple question de l’intégration. Car <strong>à</strong> la question relative<br />

au choix du golf, tous évoquent sa pratique comme un style de vie, ou tout au moins une<br />

stylisation de la vie, mis en évidence <strong>à</strong> travers une pratique instrumentée, onéreuse, non<br />

abordable par tous, dans un cadre privilégié. Le choix ne s’applique pas seulement au type de<br />

pratique (ici, le golf) mais également <strong>à</strong> ses lieux d’élection <strong>et</strong> ses mo<strong>des</strong> de sélection. Tous les<br />

terrains de golfs ne se valent pas, loin s’en faut. Comme pour les restaurants ou les séjours de<br />

vacances, les golfs font l’obj<strong>et</strong> de choix sélectifs. Plus précisément encore, les modalités de<br />

pratique peuvent cliver les golfeurs. Les formules d’abonnement (au sein d’un même golf ou<br />

bien les formules <strong>entre</strong> golfs d’une même région, ou bien <strong>entre</strong> certains golfs <strong>et</strong> hôtels par<br />

exemple) perm<strong>et</strong>tent, sans le dire, de repérer les usages plus ou moins valorisés. L’individu en<br />

forte ascension se doit d’être vigilant <strong>à</strong> tous ces détails qui constituent <strong>des</strong> co<strong>des</strong> implicites de<br />

bonne conduite golfique. Davantage que les autres <strong>sports</strong>, <strong>à</strong> l’exception peut être du yachting,<br />

<strong>des</strong> courses d’attelages ou du polo, le golf dans une version upper class (club privé, <strong>à</strong> forte<br />

notoriété en raison de la beauté <strong>et</strong> l’<strong>entre</strong>tien irréprochable de son parcours, de son club house,<br />

de ses activités annexes pour les femmes ou les enfants, <strong>et</strong>c.) favorise l’élégance vestimentaire<br />

<strong>et</strong> corporelle, l’esthétisme <strong>et</strong> la beauté du geste, tout autant que le fair-play <strong>et</strong> la « distance au<br />

rôle ». La pratique est pleine de r<strong>et</strong>enue sur les greens, mais également dans les autres espaces<br />

attenant aux parcours. Alors que la société moderne exalte la « vitesse » <strong>et</strong> la compétition, ce<br />

type de golfs select semble se situer hors du temps <strong>et</strong> offrir, plus que toute autre activité, une<br />

sorte de non-lieu <strong>des</strong>tiné <strong>à</strong> la détente <strong>et</strong> <strong>à</strong> la distraction. Mais c’est également un « jeu de<br />

société » au sens le plus noble du terme (Bourdieu, op. cit. ; Jeu, 1972), une activité<br />

« gratuite » exercée de manière hédoniste mais calculée en vue d’accumuler du capital social.<br />

Le golf devient, par la force de l’attraction sociale pour l’individu en forte ascension, prétexte<br />

<strong>à</strong> <strong>des</strong> rencontres choisies, <strong>à</strong> une sociabilité mesurée <strong>et</strong> raisonnée, comme pourraient l’offrir la<br />

fréquentation <strong>des</strong> clubs de bridge ou l’opéra :<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 156


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

« Il faut le dire clairement lorsque j’ai commencé le golf ce n’était pas gratuit.<br />

Pour moi c’était un moyen comme un autre, parmi d’autres, de rencontrer <strong>des</strong><br />

gens de même statut, de m’y faire <strong>des</strong> <strong>relations</strong>, <strong>des</strong> contacts, un carn<strong>et</strong> d’adresses<br />

quoi. Au golf personne ne me regarde de travers, je suis directement accepté. Le<br />

simple fait de pratiquer me fait appartenir <strong>à</strong> un monde <strong>à</strong> part, celui <strong>des</strong> gens biens.<br />

Pratiquer le golf c’est appartenir <strong>à</strong> une élite. C’est presque un signe de<br />

reconnaissance, grâce au golf, je suis d’emblée accepté, coopté. » (F.28 ans,<br />

directeur administratif adjoint),<br />

Il est un lieu où l’on va pouvoir côtoyer <strong>des</strong> individus de même origine <strong>et</strong>, dans notre cas<br />

précis, de même statut social actuellement occupé. Comme l’ont montré Pinçon <strong>et</strong> Pinçon-<br />

Charlot (2003), les milieux bourgeois cultivent via <strong>des</strong> lieux réservés (clubs privés, rallyes) un<br />

« <strong>entre</strong> soi » qui favorisant la reconnaissance mutuelle créée <strong>des</strong> liens de sociabilité qui<br />

deviennent inséparables <strong>des</strong> solidarités économiques <strong>et</strong> de classes. Il a une signification<br />

distributionnelle qui le distingue n<strong>et</strong>tement du tennis qui s’est popularisé, c’est <strong>à</strong> dire<br />

vulgarisé, au sens où l’entendent les élites. Le sport, <strong>et</strong> plus particulièrement le golf lorsqu’il<br />

est pratiqué dans <strong>des</strong> clubs prestigieux <strong>et</strong> reconnus comme sélectifs, est ainsi source <strong>et</strong><br />

recherche de profits sociaux directement exploitables pour ces « néoparvenus ». Pour J-F :<br />

Lorsque j’ai dit dans les soirées que je jouais au golf, tout le monde s’intéressait <strong>à</strong><br />

la pratique, quels parcours je fréquentais, <strong>et</strong>c. C’était <strong>à</strong> la fois une source de<br />

discussion, je jouais au golf donc je faisais partie de leur milieu. J’appartenais <strong>à</strong><br />

leur monde (J-F. 31 ans, directeur du personnel),<br />

Il ne s’agit plus ici d’une pratique de classe distinctive, au sens où l’entendait Bourdieu, mais<br />

bel <strong>et</strong> bien un « accomplissement pratique » (Garfinkel, op. cit.), résultant de la manière dont<br />

les individus interprètent le monde qui les entoure. Jouer au golf peut, ainsi, devenir un calcul<br />

social. Dans ce cas, les individus ne sont plus strictement « prisonniers » de leurs habitus, ils<br />

ne sont pas plus <strong>des</strong> acteurs raisonneurs de leurs <strong>des</strong>tins que les individus en « moindre<br />

mobilité sociale », par contre, en choisissant de pratiquer ils cherchent une distinction<br />

élective <strong>et</strong> professionnellement stratégique : être reconnus <strong>et</strong> acceptés par les membres<br />

(désormais, collègues ou amis) de leur nouveau milieu social. La pratique de type de golf<br />

prestigieux participe de l’ascension sociale <strong>et</strong> de la recherche du profit de distinction. Mais<br />

c’est l<strong>à</strong> toute l’ambiguïté de c<strong>et</strong>te APS qui si elle est un sport de classe n’en est pas pour<br />

autant pratiqué par l’ensemble, ou même la majorité <strong>des</strong> classes dominantes. Pratiquer le golf<br />

est vécu également comme être au somm<strong>et</strong> <strong>des</strong> classes favorisées. C’est renverser <strong>à</strong> son profit<br />

ce sentiment, évoqué précédemment, d’infériorité par lequel <strong>à</strong> l’intérieur d’une même classe<br />

sociale il existe <strong>des</strong> dominants <strong>et</strong> <strong>des</strong> dominés, en espérant, illusoirement peut être que ce<br />

« statut », c<strong>et</strong>te compétence <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te aisance seront transférables au reste de la société.<br />

Pratiquer le golf s’inscrit donc dans une perspective d’accumulation <strong>et</strong> d’appropriation<br />

culturelle <strong>et</strong> sociale qui demande cependant beaucoup d’efforts. Il s’agit donc bien d’un sport<br />

de classe <strong>et</strong> qui classe (catégorise) les individus qui le pratiquent. Il est évident <strong>à</strong> ce stade que<br />

nos golfeurs ne sont pas de simples agents mais bien <strong>des</strong> acteurs qui m<strong>et</strong>tent en place un jeu<br />

complexe fait de stratégies interpersonnelles en recherchant l’intégration dans la plus pure<br />

analyse goffmanienne sur un ajustement mutuel <strong>des</strong> acteurs <strong>et</strong> sur <strong>des</strong> rapports de pouvoirs<br />

plus larges qui m<strong>et</strong>tent en évidence les mécanismes de la domination. Il s’agit d’un jeu mais<br />

c<strong>et</strong>te fois <strong>à</strong> un second niveau, qui vise <strong>à</strong> régler la coopération <strong>entre</strong> les individus <strong>et</strong> qui<br />

concilie la liberté d’être <strong>et</strong> la contrainte de faire pour être intégré. Les contraintes sont fortes<br />

<strong>et</strong> plusieurs interviewés nous font part du calcul <strong>et</strong> de « l’investissement » dont ils ont fait<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 157


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

preuve pour réussir. Certains ont pris <strong>des</strong> cours de golf, d’autres participent <strong>à</strong> <strong>des</strong> stages,<br />

d’autres encore s’inscrivent dans <strong>des</strong> organismes privés comme « formule golf » qui<br />

proposent <strong>des</strong> vacances avec perfectionnement de la pratique sportive sur un grand nombre de<br />

parcours en France. Tous l’ont fait loin de leur domicile, voire de leur région. L’effort<br />

consenti ne doit pas être visible. L’aisance <strong>et</strong> le talent acquis doivent sembler innés <strong>et</strong><br />

naturels. L’objectif n’est plus la seule pratique mais un « bien joué » qui vise <strong>à</strong> l’excellence :<br />

il s’agit de se distinguer dans une APS distinctive. C<strong>et</strong>te recherche de compétence <strong>et</strong><br />

d’habil<strong>et</strong>é spécifique vise toujours <strong>à</strong> l’intégration, <strong>à</strong> devenir un ami ou un « égal » recherché,<br />

<strong>à</strong> obtenir une reconnaissance de son nouveau milieu social, <strong>à</strong> bénéficier d’une relationnel <strong>et</strong><br />

d’un réseau. Car <strong>à</strong> ce niveau tout se mélange : l’intégration mais également le substrat<br />

relationnel qui vise <strong>à</strong> mobiliser <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong>, <strong>des</strong> connaissances <strong>et</strong> <strong>des</strong> intérêts. Même le<br />

choix <strong>des</strong> parcours devient un enjeu. Il ne faut pas pratiquer n’importe où. Le lieu de pratique<br />

indique clairement son appartenance <strong>à</strong> un milieu social donné <strong>et</strong> indique de fait son statut, ses<br />

<strong>relations</strong>, lorsqu’il faut être parrainé pour s’inscrire, <strong>et</strong> sa réussite sociale. Il ne faut cependant<br />

pas passer pour un nouveau riche.<br />

« Lorsque je me suis mis <strong>à</strong> pratiquer le golf, j’ai réussi <strong>à</strong> me faire parrainer <strong>à</strong> Saint<br />

Nom [Yvelines], le simple fait d’utiliser ces parcours c’est déj<strong>à</strong> quelque part un<br />

signe de réussite, les autres te regardent différemment, ils savent que tout le<br />

monde ne peut pas s’y inscrire. Je joue aussi <strong>à</strong> Hossegor, c’est aussi l’histoire du<br />

golf. Le golf au Pays-Basque c’est un art de vivre, un milieu particulier dont les<br />

comportements ne sont pas ceux <strong>des</strong> nouveaux riches. Faire les parcours au Pays<br />

Basque c’est simplement appartenir <strong>à</strong> un cercle fermé d’individus pour lequel le<br />

golf, <strong>entre</strong> autres, est une façon de vivre. » (S. Directeur administratif, 31 ans).<br />

Mais ne sommes nous pas dans ce que Merton (op. cit.) qualifiait de « socialisation<br />

anticipatrice » c’est <strong>à</strong> dire le processus par lequel un individu cherche <strong>à</strong> acquérir <strong>et</strong> intérioriser<br />

les valeurs <strong>et</strong> les normes d’un groupe de référence <strong>et</strong> cherche en même temps <strong>à</strong> s’identifier <strong>à</strong><br />

lui. La logique de La distinction mise en évidence par Bourdieu n’est pas obligatoirement<br />

dépassée. Et ce travail de recherche montre <strong>à</strong> tout le moins comme le soulignait Bourdieu luimême<br />

comment la recherche peut <strong>à</strong> la fois se construire avec <strong>et</strong> contre un paradigme,<br />

comment « l’on peut penser <strong>à</strong> la fois avec <strong>et</strong> contre un penseur » (Bourdieu, 1987).<br />

La distinction reste vraisemblablement un attribut de ceux qui, « bien nés », ont appris <strong>et</strong><br />

intégré un savoir être ou <strong>des</strong> savoirs-faire qui s’avèrent difficiles ou douloureux <strong>à</strong> acquérir<br />

pour les autres. Il n’en reste pas moins vrai que le modèle d’agent prisonnier de ses rôles <strong>et</strong><br />

habitus dans nos sociétés contemporaines semble, lui, dépassé ou tout au moins contestable<br />

dans sa version la plus fruste. La démocratisation <strong>des</strong> pratiques sportives, la médiatisation de<br />

celles-ci, la multiplication <strong>des</strong> infrastructures, l’abaissement <strong>des</strong> coûts <strong>des</strong> matériels par<br />

exemple, perm<strong>et</strong>tent une extension <strong>des</strong> pratiques ou tout au moins une diversification <strong>des</strong><br />

possibilités offertes <strong>à</strong> chacun. Ces phénomènes participent <strong>à</strong> générer de nouvelles formes de<br />

cheminements dans l’espace <strong>des</strong> <strong>sports</strong>. Ils entérinent probablement l’existence de ce que<br />

Bourdieu sans quitter son propre paradigme appelait <strong>des</strong> « sphères de nécessités différentes »,<br />

évoquant la complexification <strong>des</strong> stratégies individuelles <strong>à</strong> travers l’émergence d’une « liberté<br />

laissée <strong>à</strong> <strong>des</strong> formes complexes de l’habitus » (Bourdieu, op. cit.). A l’hypothèse de Bourdieu<br />

sur « le goût de nécessité » (utilisée 202 pour expliquer les comportements <strong>des</strong> classes<br />

populaires dans sa théorie) ne convient-il pas d’ajouter celle d’une nécessité de goût pour<br />

202 Mal utilisée soulignent Blasius, Friedrichs, (op. cit., 550) comme si « du fait de leur situation économique <strong>et</strong><br />

de leur niveau d’éducation relativement faibles, les membres <strong>des</strong> classes populaires ne possèd(ai)ent pas de goût<br />

propre <strong>à</strong> leur fraction, ils sont (seraient) mus par la nécessité ».<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 158


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

ceux « qui s’extraient » justement de ces catégories sociales ? Dans le cadre <strong>des</strong> pratiques<br />

golfiques, la question devient alors celle du statut <strong>des</strong> compétences pratiques. Font-elles, pour<br />

paraphraser le titre d’un article récent, partie du capital culturel (Blasius, Friedrichs, 2003) ?<br />

En eff<strong>et</strong>, les compétences pratiques (notamment corporelles) sont souvent pensées comme <strong>des</strong><br />

marqueurs, voire comme <strong>des</strong> freins, culturels. Bourdieu parle d’hysteresis <strong>des</strong> habitus pour<br />

analyser c<strong>et</strong> « eff<strong>et</strong> de cliqu<strong>et</strong> » <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de pensée <strong>et</strong> d’action qui restent bloqués au niveau<br />

antérieur (Bourdieu, 1979, 158 ; Héas, 1991). Ici, <strong>à</strong> l’inverse, la sportivité pour certains de nos<br />

enquêtés devient un atout lorsque <strong>des</strong> compétences physiques longuement entraînées<br />

perm<strong>et</strong>tent plus facilement de transposer ces compétences <strong>à</strong> de nouveaux comportements. Ces<br />

derniers sont recherchés, selon nous, parce que « la conversion de compétence peut en outre<br />

déboucher sur une densification du tissu social (Blasius, Friedrichs, op. cit., 551) » <strong>et</strong> culturel<br />

espéré. Les conduites relatives <strong>à</strong> l’ascension sociale ont été depuis longtemps décrites. Au<br />

19 ème siècle ce fut même un thème de prédilection pour bon nombre d’écrivains. Parmi<br />

d’autres, Stendahl (Le rouge <strong>et</strong> le noir), Balzac (Le père Goriot) ou encore Zola (Au bonheur<br />

<strong>des</strong> dames) ont, ainsi, décrit l’ascension sociale tortueuse <strong>et</strong> douloureuse de jeunes<br />

provinciaux partis de « rien ». Plus près de nous, le cinéma a su lui aussi m<strong>et</strong>tre en scène ces<br />

trajectoires atypiques, les stratégies plus ou moins conscientisées d’intégration <strong>et</strong><br />

l’instrumentalisation <strong>des</strong> pratiques culturelles qu’elles sous-tendent, comme le montre<br />

magistralement Stanley Kubrick dans Barry Lindon (1975). La distinction est au cœur même<br />

du jeu social, elle est un <strong>des</strong> moteurs de nos conduites, quel que soit le champ étudié. Dans<br />

une logique d’intégration <strong>et</strong> de reconnaissance sociale, les individus sont amenés <strong>à</strong> agir <strong>et</strong><br />

interagir <strong>à</strong> l’intérieur de ces champs qui ne sont rien d’autres que <strong>des</strong> espaces de domination,<br />

de concurrence <strong>et</strong> de conflits. Chacun cherche <strong>à</strong> acquérir <strong>et</strong>/ou conquérir, voire conserver, <strong>des</strong><br />

positions <strong>et</strong> <strong>des</strong> places qui si elles ne valent rien en elles-mêmes ont une valeur en fonction<br />

<strong>des</strong> positions <strong>et</strong> <strong>des</strong> places respectives <strong>des</strong> autres, de l’idée que tout un chacun en a. Le golf<br />

perm<strong>et</strong> ainsi <strong>à</strong> certains d’obtenir place <strong>et</strong> rang, reconnaissance <strong>et</strong> intégration. Il n’est qu’un<br />

moyen, parmi d’autres possibles, pour l’acteur de consolider son ascension sociale, de cultiver<br />

sa différence, d’appartenir <strong>à</strong> sa nouvelle classe <strong>et</strong> de se constituer un capital social. Le choix<br />

d’une pratique élective <strong>et</strong> raisonnée ne contredit pas vraiment le modèle de La distinction<br />

mais en constitue tout simplement une dimension somme toute négligée par Bourdieu :<br />

l’envers de La distinction <strong>à</strong> travers l’utilisation de pratiques culturelles <strong>et</strong> sportives comme<br />

moyen d’intégration <strong>et</strong> de cohésion sociale au sein <strong>des</strong> groupes sociaux. La distinction par la<br />

pratique sportive répond donc également <strong>à</strong> la logique d’un individu plus raisonneur <strong>et</strong><br />

calculateur qui cherche <strong>à</strong> maximiser ses profits sociaux <strong>et</strong> <strong>à</strong> acquérir un pouvoir symbolique.<br />

EPS <strong>et</strong> <strong>violences</strong><br />

La troisième enquête (Bodin, Blaya-Debarbieux, Robène, Héas, op. cit.) examine les<br />

<strong>violences</strong> scolaires dans 8 collèges br<strong>et</strong>ons <strong>et</strong> fait apparaître, tout <strong>à</strong> la fois, une perception<br />

différenciée de la violence dans le corps enseignant, <strong>et</strong> une inégale répartition <strong>des</strong> actes de<br />

<strong>violences</strong>, les enseignants d’EPS semblant être moins touchés ou concernés par ces<br />

problèmes. C<strong>et</strong>te recherche nous a permis d’affiner la réflexion concernant les conditions, les<br />

contextes <strong>et</strong> les modalités de pratique. La question <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>à</strong> l’école est fréquemment<br />

abordée <strong>à</strong> partir de trois grands thèmes : la construction sociale de la violence (Debarbieux,<br />

1996, Debarbieux <strong>et</strong> al., 1999 ; Gottfredson, 2001), la résultante <strong>des</strong> problèmes sociaux dus <strong>à</strong><br />

la déstructuration de la société industrielle <strong>et</strong>, enfin, la crise <strong>des</strong> institutions dont celle de<br />

l’institution scolaire. Malgré c<strong>et</strong>te pluralité d’approches par <strong>des</strong> champs scientifiques souvent<br />

distincts, il existe néanmoins « une profonde convergence dans les recherches actuelles sur la<br />

violence <strong>à</strong> l’école : elles prennent le parti d’écouter les victimes, de ne les enfermer ni dans la<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 159


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

négation, ni dans la culpabilisation » (Debarbieux, 2001, 18). Cependant les enquêtes de<br />

victimation s’intéressent davantage aux élèves qu’aux enseignants pour une raison somme<br />

toute simple : les <strong>violences</strong> qui se donnent <strong>à</strong> voir dans nos écoles, en France du moins,<br />

concernent en premier lieu les élèves <strong>entre</strong> eux, que ce soit en nombre « d’incidents », en<br />

fréquence d’apparition ou en dur<strong>et</strong>é <strong>des</strong> événements. Peu d’étu<strong>des</strong>, pour ne pas dire aucune,<br />

s’intéressent au fait que certains enseignants sont davantage, ou <strong>à</strong> l’inverse moins, victimes<br />

que d’autres. Il est aisé de comprendre c<strong>et</strong>te hésitation <strong>à</strong> aborder ce problème car, dépassant la<br />

simple question de la victime émissaire (Girard, 1972) se trouvent posées <strong>des</strong> interrogations<br />

délicates qui concernent l’enseignant victime dans sa personnalité (qualités personnelles mais<br />

aussi relationnelles) <strong>et</strong> dans sa praxis quotidienne (pédagogie mise en œuvre, matière<br />

enseignée…). Ces entrées constituent ainsi <strong>des</strong> points sensibles susceptibles de stigmatiser<br />

davantage celui qui bien souvent ne comprend <strong>et</strong> n’accepte plus ces <strong>violences</strong>, lesquelles,<br />

quotidiennement, l’affaiblissent dans son métier mais aussi aux yeux <strong>des</strong> autres. Enfin ce<br />

questionnement nous renvoie également au rapport de domination hommes/femmes qui peut<br />

exister dans certains quartiers ou certaines cultures.<br />

Si l’Éducation Physique <strong>et</strong> Sportive (EPS), comme l’ensemble <strong>des</strong> disciplines scolaires, en<br />

France, est confrontée au problème <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, quelles que soient les formes prises par<br />

celles-ci (incivilités, <strong>violences</strong> symboliques, bullying 203 , <strong>violences</strong> physiques <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> quels<br />

que soient les canaux <strong>et</strong> liens structurels que ces <strong>violences</strong> empruntent (élèves/élèves,<br />

garçons/filles, enseignants/élèves, élèves/système <strong>et</strong>c.), elles semblent, de l’avis même <strong>des</strong><br />

enseignants concernés, moins flagrantes <strong>et</strong> moins prégnantes que dans les autres disciplines.<br />

Quelles peuvent en être les causes ? Faut-il les chercher dans l’intérêt <strong>des</strong> élèves pour c<strong>et</strong>te<br />

discipline particulière ? Dans le rapport <strong>à</strong> la violence que peuvent <strong>entre</strong>tenir <strong>et</strong> tolérer <strong>des</strong><br />

enseignants aussi différents qu’un professeur d’EPS ou de mathématiques ? Dans la synergie<br />

<strong>entre</strong> élèves <strong>et</strong> enseignants qui s’inscrit au principe même d’une discipline longtemps<br />

considérée comme « <strong>à</strong> part » au sein de l’institution scolaire ? Dans la prise en considération<br />

par les enseignants d’EPS, mais également par les programmes officiels, du contrôle de la<br />

violence ? Dans la formation de ces mêmes enseignants, privilégiant au même titre que les<br />

savoirs <strong>à</strong> transm<strong>et</strong>tre, la relation pédagogique <strong>et</strong> la gestion <strong>des</strong> affects ?<br />

C’est <strong>à</strong> ces questions que nous avons tenté de répondre <strong>à</strong> partir d’une étude réalisée en 2003<br />

dans 8 collèges (6 publics <strong>et</strong> 2 privés) <strong>des</strong> régions d’Aquitaine <strong>et</strong> de Br<strong>et</strong>agne. Ces collèges<br />

sont tous en ZEP (Zone d’éducation prioritaire) <strong>et</strong> ont été choisis en fonction de c<strong>et</strong>te<br />

caractéristique principale. Deux métho<strong>des</strong> d’investigation ont été utilisées :<br />

• Un questionnaire d’auto révélation de la violence auprès <strong>des</strong> élèves (N= 2358) inspiré<br />

<strong>des</strong> travaux de Debarbieux (1996), ainsi qu’un questionnaire de perception de la<br />

violence auprès de l’ensemble <strong>des</strong> enseignants de ces établissements.<br />

• Des <strong>entre</strong>tiens semi-directifs sous forme de récits de vie avec <strong>des</strong> élèves « violents »<br />

(23) <strong>et</strong> auprès <strong>des</strong> professeurs d’EPS (17 : 9 hommes <strong>et</strong> 8 femmes) tous volontaires.<br />

Ce sont quasi essentiellement les <strong>entre</strong>tiens qui seront exploités dans c<strong>et</strong> article dans le but de<br />

comprendre les différences qui peuvent éventuellement exister dans la perception de la<br />

violence en fonction <strong>des</strong> caractéristiques sociales <strong>des</strong> enseignants, <strong>des</strong> matières enseignées,<br />

voire également <strong>des</strong> cursus de formation.<br />

203 Notion introduite par Olweus (1993, 1999) que l’on peut traduire par « harcèlement <strong>entre</strong> pairs » (Hayden,<br />

Blaya, 2001).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 160


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

A la question 204 « pensez-vous que dans votre établissement il y a énormément… pas du tout<br />

de violence », on observe, conformément aux travaux de Debarbieux (1996, 1999), une faible<br />

perception de la violence. 67 % <strong>des</strong> enseignants répondent « peu ou pas du tout ». C<strong>et</strong>te<br />

impression diffère cependant fortement selon les enseignants. En eff<strong>et</strong>, trois critères<br />

ségréguent les réponses : l’âge, le sexe <strong>et</strong> la matière enseignée. 81 % de ceux qui répondent<br />

« énormément ou beaucoup » ont 49 ans <strong>et</strong> plus <strong>et</strong>, 77 % d’<strong>entre</strong> eux sont <strong>des</strong> femmes.<br />

Ces chiffres se distinguent ainsi fortement <strong>des</strong> statistiques nationales en matière de profil <strong>des</strong><br />

enseignants puisqu’en 2000/2001, seulement 25 % <strong>des</strong> enseignants ont <strong>entre</strong> 49 <strong>et</strong> 54 ans <strong>et</strong>,<br />

63.6 % sont <strong>des</strong> femmes. 205 Comment interpréter ces écarts ? Est-ce <strong>à</strong> dire que les enseignants<br />

de 49-54 ans tous sexes confondus, ainsi que les enseignantes d’une manière générale,<br />

seraient plus concernés, sensibles ou victimes de <strong>violences</strong> que leurs homologues plus jeunes<br />

ou masculin, puisqu’ils sont, au sein de ces établissements, plus nombreux <strong>à</strong> s’en plaindre que<br />

l’équirépartition nationale pourrait le laisser prévoir ? Parmi ces mêmes enseignants quelquesuns<br />

affirment leur lassitude face <strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>violences</strong> qui leur semblent sans cesse plus<br />

nombreuses, pour lesquelles ils n’ont pas été préparés <strong>et</strong> qui s’opposent <strong>à</strong> leurs motivations<br />

premières d’enseignant :<br />

« J’avoue que ces situations d’agressivité, d’incivilités me fatiguent <strong>et</strong> me<br />

désorientent. Me fatiguent car, j’ai le sentiment que plus le temps passe plus les<br />

élèves sont d’une manière ou d’une autre plus indisciplinés <strong>et</strong> violents. Quand j’ai<br />

voulu enseigner, j’avais une toute autre conception de ce métier. Je pensais<br />

pouvoir apporter quelque chose aux élèves : <strong>des</strong> savoirs, une motivation, une<br />

volonté ou une soif d’apprendre <strong>et</strong> j’ai l’impression aujourd’hui d’être fait pour<br />

sanctionner ».<br />

Les <strong>violences</strong> perçues ou ressenties touchent ainsi peut-être davantage ceux qui ont été formés<br />

<strong>à</strong> une époque où les <strong>violences</strong> étaient moins nombreuses, où le chahut qualifié de<br />

« traditionnel » (Testannière, 1967), chahut collectif toléré alors par l’ensemble <strong>des</strong><br />

enseignants <strong>et</strong> supporté par la victime car il servait de catharsis <strong>et</strong> avait une fonction de<br />

construction du groupe, ne concernait cependant que quelques élèves faciles <strong>à</strong> repérer, voire <strong>à</strong><br />

contrôler. De tels décalages dans les représentations trouvent un certain nombre<br />

d’explications au regard de l’histoire du système éducatif en France <strong>et</strong> <strong>des</strong> modifications<br />

structurelles qui ont accompagné le vœu pieu de la démocratisation scolaire dont le collège<br />

unique constitue aujourd’hui un modèle partiellement contesté, y compris par un grand<br />

nombre d’enseignants (Enquête FSU-SOFRES, Laronche, 2002). D’une manière générale, la<br />

massification scolaire (allongement de la scolarité pour tous ; progressive unification <strong>des</strong><br />

parcours scolaires) initiée <strong>à</strong> la fin <strong>des</strong> années cinquante (loi Berthoin, 1959), débouchant sur la<br />

création du collège unique (Loi Fouch<strong>et</strong> / Capelle 1963 ; Loi Haby 1975), a participé, en<br />

particulier durant les trois dernières décennies, <strong>à</strong> favoriser l’émergence d’un public scolaire<br />

socialement <strong>et</strong> culturellement hétérogène. Un processus dont François Dub<strong>et</strong> estime que la<br />

stabilisation au cœur du collège unique se situe autour <strong>des</strong> années 1995-1996, c’est-<strong>à</strong>-dire<br />

« dans un contexte qui n’était pas prévu, de durcissement <strong>des</strong> problèmes sociaux » (Cédelle,<br />

2003). La richesse de ce mixage social est aujourd’hui ardemment défendue pour ce qu’elle<br />

204 Question échelle <strong>à</strong> 5 échelons : énormément, beaucoup, moyennement, peu, pas du tout (de <strong>violences</strong>).<br />

205 Sources statistiques du Ministère de l’éducation nationale concernant les enseignants titulaires de l’éducation<br />

nationale <strong>et</strong> de l’enseignement supérieur pour 2000/2001.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

symbolise au plan de l’équité 206 , du proj<strong>et</strong> politique <strong>et</strong> social, ainsi que pour ce qu’elle<br />

autorise en termes de dynamiques humaine, sociale <strong>et</strong> pédagogique (Cédelle, 2003 ; Meirieu,<br />

2003 a <strong>et</strong> b). Elle fait aussi débat, comme le note Truong (2003), en fonction de<br />

problématiques récurrentes qui fondent une approche plus réactionnaire du thème de l’école<br />

pour tous : critique de la baisse du niveau, critique de la mixité sociale mais également<br />

critiques du phénomène même de massification <strong>et</strong> de démocratisation scolaires. Surgit ainsi le<br />

spectre de contaminations culturelles <strong>et</strong> sociales dont on peut lire en filigrane la projection<br />

causale plus ou moins fantasmée <strong>des</strong> « <strong>violences</strong> scolaires » qu’amplifie la caisse de<br />

résonance médiatique sur fond de délitement <strong>des</strong> cités <strong>et</strong> banlieues difficiles.<br />

Sans doute faut-il, pour mieux comprendre ce qui est en jeu dans ces images différentes,<br />

redonner <strong>à</strong> la culture ou aux cultures, une place centrale dans les analyses qui tendent <strong>à</strong><br />

élucider l’origine de décalages fondamentaux dans les représentations scolaires <strong>et</strong> les<br />

perspectives de production <strong>et</strong> de transmission <strong>des</strong> savoirs dont l’école est le premier<br />

catalyseur. Car, indéniablement, la progressive diversification <strong>des</strong> profils sociaux <strong>des</strong> élèves,<br />

résultante <strong>des</strong> politiques de massification scolaire <strong>à</strong> ambitions démocratiques (Prost, 1968,<br />

1995) renvoie, de part la pluralité de ses ancrages <strong>et</strong> de ses référents culturels, <strong>à</strong> <strong>des</strong> rapports<br />

contrastés avec l’institution, ses fonctions, ses valeurs <strong>et</strong> ses normes, générant dans l’approche<br />

même du système <strong>et</strong> dans les représentations que ses divers publics en ont, <strong>des</strong> distorsions<br />

potentiellement violentogènes : contestation d’un ordre pédagogique longtemps pensé comme<br />

« naturel » ; remise en question de l’autorité intangible du maître (Dub<strong>et</strong>, 2002) ; mise <strong>à</strong><br />

distance du pôle socialisant que constitue l’école ; décalage <strong>entre</strong> motivations, attentes <strong>des</strong><br />

élèves <strong>et</strong> contenus transmis ; contournement <strong>des</strong> modèles traditionnels de la culture scolaire<br />

qui se traduit notamment par le refus d’une stricte ascendance du savoir <strong>et</strong> <strong>des</strong> formes<br />

d’intellectualisations de l’enseignement « frontal », dénonciation plus ou moins diffuse <strong>des</strong><br />

formes d’imprégnations <strong>et</strong> d’encodages culturels longtemps acceptées dans les milieux<br />

privilégiés pour lesquels elles prenaient sens au cœur même d’une école dominée par les<br />

élites, via un système de tacite reconduction de modèles dominants <strong>et</strong> d’incorporation de<br />

normes sociales, processus d’héritage ou d’ingestion d’un patrimoine culturel (Bourdieu,<br />

1964) qui, dans une certaine mesure, pérennise la distinction <strong>entre</strong> les « héritiers » <strong>et</strong> la grande<br />

masse anonyme <strong>des</strong> apprenants plus ou moins déshérités.<br />

Dès la fin <strong>des</strong> années 1980, François Dub<strong>et</strong> remarquait combien le processus d’écartèlement<br />

social <strong>et</strong> culturel, <strong>entre</strong> les nouvelles générations scolaires <strong>et</strong> les structures fossilisées du<br />

système éducatif français, poursuivant sa trajectoire, atteignait le lycée (Dub<strong>et</strong>, 1991).<br />

Appartenant <strong>à</strong> <strong>des</strong> milieux sociaux étrangers <strong>à</strong> la culture scolaire de l’enseignement<br />

secondaire, ces « nouveaux lycéens » <strong>et</strong> leurs représentations ont très largement concouru <strong>à</strong><br />

rendre plus difficile la tâche d’enseignement (Ballion, 1997). Ces distorsions ne peuvent<br />

qu’accentuer le déclin d’un système d’autorité qui jusqu’alors allait de soi. Peralva (1997)<br />

remarque ainsi combien la résistance <strong>à</strong> l’emprise de l’école, au jugement <strong>et</strong> aux injustices<br />

scolaires prennent aujourd’hui de nouvelles configurations, devenant <strong>des</strong> thèmes forts dans les<br />

passages <strong>à</strong> l’acte violents <strong>à</strong> l’école : « avec la massification de l’école, se sont également<br />

brisées les bases socioculturelles qui fondaient un certain consensus <strong>à</strong> propos <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de se comporter. » (Peralva, op. cit.). Debarbieux <strong>et</strong> al. (1999) constate ainsi<br />

l’augmentation de la violence anti-scolaire comme remise en question d’un ordre social établi.<br />

La réalité d’une telle fracture dont l’institution scolaire, occupée <strong>à</strong> modeler les individus pour<br />

la société de concurrence <strong>et</strong> de consommation qui la produit, est elle-même comptable (Illitch,<br />

1971), n’épuise certes pas les éclairages susceptibles de rendre intelligibles la pluralité <strong>des</strong><br />

206 Mais néanmoins pas toujours au sens de la démocratisation du système éducatif car, si aujourd’hui tout le<br />

monde peut <strong>entre</strong>r, <strong>à</strong> l’école, tout le monde ne suit pas le même parcours <strong>et</strong> n’en sort pas avec les mêmes atouts<br />

en poche. (Boudon, 1973 ; Langouêt, 2003).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

décalages de représentations au cœur de l’école ni les comportements marqués par la violence<br />

que ces distorsions peuvent induire ou laisser percevoir. Du reste, l’inégalité <strong>des</strong> chances<br />

conjuguée sur le mode du paradigme déterministe a elle-même fondamentalement fait l’obj<strong>et</strong><br />

de critiques (Boudon, op. cit.) dont il faut bien tenir compte si l’on veut appréhender la<br />

complexité du monde scolaire <strong>et</strong> considérer, bien sûr, que la réussite est aussi un ingrédient<br />

qui interroge le parcours parfois chaotique <strong>des</strong> élèves défavorisés (Charlot, Bautier, Rochex,<br />

1992) : ceux-l<strong>à</strong> même dont on suppose a priori que l’échec social sinon scolaire fourbit<br />

systématiquement les outils de la violence.<br />

D’autres approches, montrent que les transformations <strong>des</strong> représentations <strong>et</strong> les perceptions<br />

qu’elles induisent notamment sur les plans comportementaux, sont aussi liés aux<br />

transformations sociales <strong>et</strong> <strong>à</strong> la montée de générations d’élèves, toutes classes sociales<br />

confondues, pour lesquelles les thèmes traditionnels de l’autorité, de l’effort, voire du savoir,<br />

ne constituent plus <strong>des</strong> évidences, au rebours d’un corps professoral qui, dans le secondaire<br />

essentiellement, ancré dans ses certitu<strong>des</strong>, persiste <strong>à</strong> fonctionner sur un registre de contraintes<br />

<strong>et</strong> d’attentes dont la légitimité est remise en cause au quotidien. L’inappétence pour les<br />

savoirs, la dévalorisation de la culture de l’effort, l’indifférence grandissante affichée par les<br />

élèves <strong>à</strong> l’égard <strong>des</strong> connaissances purement livresques, la contestation même de l’adulte dans<br />

son rôle d’acteur porteur de la loi, du savoir <strong>et</strong> de la parole juste sinon de la justice, renvoient<br />

comme le note Chaupin (2003) aux problèmes de légitimation de l’enseignant dans son rôle<br />

d’enseignant, <strong>et</strong> de l’école dans son rôle d’institution, pôle du savoir <strong>et</strong> moteur de l’intégration<br />

sociale (Dub<strong>et</strong>, op. cit.). L’ensemble souligne, dans un registre nouveau, les écueils qui, en<br />

termes de représentations <strong>et</strong> d’attentes, semblent atteindre aujourd’hui le système scolaire,<br />

véhiculant <strong>entre</strong> élèves <strong>et</strong> enseignants <strong>des</strong> incompréhensions <strong>et</strong> <strong>des</strong> tensions, sources de<br />

conflits plus ou moins violents. Le titre du dossier consacré par la revue Le Monde de<br />

l’éducation au « nouvel élève » en dit long sur le profil scolaire <strong>et</strong> les aspirations <strong>des</strong><br />

nouvelles têtes blon<strong>des</strong> : « De l’enfant roi <strong>à</strong> l’élève client » (2003). L’ensemble <strong>des</strong><br />

problématiques qui sont développées dans ce dossier, analysant les décalages importants <strong>entre</strong><br />

les attentes de l’école <strong>et</strong> la permissivité individualiste <strong>et</strong> consumériste de la sphère privée,<br />

décalages <strong>entre</strong> normes familiales de l’aisance <strong>et</strong> exigences scolaires de l’effort, invitent pour<br />

le moins <strong>à</strong> porter un nouveau regard sur les proj<strong>et</strong>s sociaux <strong>et</strong> scolaires ambitieux qui ont tenté<br />

de placer l’élève au cœur de toutes les attentions de l’école (Loi Jospin, 1989). Car en<br />

adaptant par souci de justice le système aux enfants <strong>et</strong> adolescents qui en constituent la chair<br />

sans attendre en r<strong>et</strong>our d’engagements précis, sans définir de contreparties scolaires <strong>et</strong><br />

pédagogiques claires, l’éducation nationale a sans doute participé <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te évolution <strong>des</strong><br />

mentalités <strong>et</strong> <strong>des</strong> représentations dont elle est aujourd’hui victime : transformant<br />

progressivement les élèves <strong>et</strong> parfois leurs familles en clients exigeants <strong>et</strong> capricieux. Elle les<br />

a conduits <strong>à</strong> devenir en quelque sorte de simples consommateurs d’éducation. Usagers d’un<br />

système qu’ils se sentent naturellement libres d’accepter ou de contester radicalement, autant<br />

dans ses fondements que dans les cadres de son autorité sociale, morale <strong>et</strong> citoyenne. Parfois<br />

avec un manque de recul ou de regard critique, ou <strong>à</strong> l’inverse trop de recul ou de regard<br />

critique en fonction de l’établissement d’origine <strong>et</strong> de la classe sociale <strong>des</strong> parents qui, obérant<br />

les dynamiques traditionnelles de négociation <strong>et</strong> de civilités, conduit aux formes les plus<br />

radicales <strong>et</strong> violentes du refus : celles, par exemple, qui mènent <strong>à</strong> l’agression <strong>des</strong> enseignants<br />

concernés. A moins que nous ne voyons s’amorcer la genèse d’un usager de l’éducation<br />

« averti » cherchant <strong>à</strong> argumenter, discuter <strong>et</strong> négocier mais qui, pour l’heure, privilégie ses<br />

droits sur ses devoirs <strong>et</strong> obligations. La dimension politique de c<strong>et</strong> échec relatif, aujourd’hui<br />

relayée par <strong>des</strong> propositions <strong>et</strong> <strong>des</strong> proj<strong>et</strong>s qui, naturellement, vont rechercher une légitimité<br />

non plus dans l’adaptation du système aux élèves, mais dans la valorisation <strong>des</strong> savoirs<br />

enseignés <strong>et</strong> dans une réhabilitation <strong>des</strong> formes autoritaires de l’acte enseignant (proj<strong>et</strong> de loi<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Luc Ferry 2004), voudrait intégrer la part de responsabilité généralement attribuée au corps<br />

enseignant qui dans sa grande majorité, estime-t-on au plan politique, ne s’est pas senti<br />

suffisamment capable ou suffisamment motivé pour mener <strong>à</strong> terme un proj<strong>et</strong> pourtant<br />

socialement prom<strong>et</strong>teur. Mais au-del<strong>à</strong> <strong>des</strong> soubresauts politiques <strong>et</strong> institutionnels dont nous<br />

ne saurions négliger l’importance, c’est bien dans la pratique quotidienne que s’inscrivent les<br />

causes majeures de l’incompréhension <strong>et</strong> les décalages de comportements <strong>et</strong> de<br />

représentations qui, brouillant les repères institutionnels <strong>et</strong> l’intelligibilité de la culture<br />

scolaire, conduisent élèves <strong>et</strong> enseignants vers <strong>des</strong> rapports de force souvent dommageables.<br />

Il faut bien reconnaître en eff<strong>et</strong> que dans leur grande majorité, les enseignants, dont les<br />

appréciations sur les élèves <strong>et</strong> leurs comportements ou la qualité du travail fourni oscillent<br />

<strong>entre</strong> normes définies institutionnellement <strong>et</strong> critères personnels, donc très largement<br />

arbitraires (Perrenoud, 1984), participent grandement <strong>à</strong> construire, dans c<strong>et</strong>te subjectivité de<br />

jugement <strong>et</strong> d’appréciations, <strong>des</strong> formes d’injustices scolaires qui résonnent comme autant de<br />

défis <strong>à</strong> l’équilibre social de la classe <strong>et</strong> de l’école, avant de déborder les murs de<br />

l’établissement <strong>et</strong> les frontières du quartier (Debarbieux, op. cit.). Comme le montrent Carra<br />

<strong>et</strong> Sicot (1997), « Le sentiment d’injustice constitue donc un élément qui contribue <strong>à</strong> la<br />

variation <strong>des</strong> taux de victimation ». Peralva souligne dans une perspective proche, la nécessité<br />

d’analyser historiquement <strong>à</strong> travers les phénomènes de massification scolaire, les mécanismes<br />

d’érosion qui ont sapé les fondements d’un consensus jusqu’alors marqué par la régulation<br />

sociale <strong>et</strong> scolaire sur la base dune « discipline douce », renvoyant au processus de civilisation<br />

(Elias, 1973) <strong>et</strong> aux stratégies de négociation (Peralva, op. cit.). L’auteur identifie, ainsi, deux<br />

axes historiques d’effritement du consensus comportemental <strong>des</strong> élèves : l’un, faisant de<br />

l’école un enjeu central de médiation de la vie scolaire conduit <strong>à</strong> privilégier la logique du<br />

système car « être exclu de l’école signifie désormais être exclu de la société ». Ainsi, pour<br />

l’enseignant, « la nécessité d’être juste prend de nouvelles significations », l’injustice réelle<br />

ou perçue, violence en soi, devient presque inévitablement le support de <strong>violences</strong> ; la<br />

seconde transformation historique renvoyant <strong>à</strong> l’effritement <strong>des</strong> fondements du consensus<br />

renvoie <strong>à</strong> l’idée d’un possible « renversement <strong>des</strong> cadres hiérarchiques de prééminence <strong>et</strong><br />

dépendance qui fondaient les <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> adultes <strong>et</strong> jeunes ». Ces analyses qui croisent les<br />

problématiques <strong>des</strong> recherches rassemblées par le dossier du Monde de l’éducation consacré<br />

au « nouvel élève » (2003) montrent notamment que « l’adulte n’est plus intrinsèquement<br />

porteur de la vérité de la loi » (Peralva, op. cit.). Comprises pour partie comme produits<br />

culturels <strong>et</strong> sociaux <strong>des</strong> décalages de représentations <strong>entre</strong> générations scolaires montantes <strong>et</strong><br />

strates plus traditionnelles du corps enseignant, les <strong>violences</strong> scolaires reflètent sans doute<br />

partiellement le fossé d’incompréhension qui s’est progressivement creusé <strong>entre</strong> certains<br />

élèves <strong>et</strong> leurs enseignants ; écarts <strong>entre</strong> jeunes générations scolaires, socialement<br />

hétérogènes, ou générations plus consuméristes <strong>et</strong> jouisseuses, générations instruites d’un<br />

rapport plus critique <strong>à</strong> l’institution <strong>et</strong> aux règles scolaires qu’elle secrète, confrontées aux<br />

franges plus anciennes du corps professoral, habituées au traditionnel silence <strong>des</strong> troupes<br />

scolaires méritantes <strong>et</strong> aux comportements feutrés d’élites disciplinées <strong>et</strong> policées, ou<br />

nouveaux élèves-clients, héritiers <strong>et</strong> déshérités, se heurtant au fonctionnement plus ascétique<br />

de professeurs simplement convaincus que leur mission ou leur sacerdoce passe par<br />

l’adoption d’un cadre de fonctionnement plus ou moins rigide qui ne saurait faire l’économie<br />

de la connaissance, de l’ordre <strong>et</strong> de l’effort. Les moins rigi<strong>des</strong> n’en font pas forcément<br />

l’économie, il s’agit plutôt d’une évolution du métier dont la pratique est élargie <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

fonctions d’animation <strong>et</strong> qui demande une subjectivation de l’enseignant plus importante<br />

(Barrère, 2002). On peut aussi interroger la formation initiale <strong>des</strong> enseignants qui ne les<br />

prépare pas vraiment <strong>à</strong> affronter ce que Veenman (1984) <strong>et</strong> Chubbuck <strong>et</strong> al. (2001) désignent<br />

comme le « choc de la réalité », soit le fossé <strong>entre</strong> le métier tel qu’ils l’imaginent ou le<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

perçoivent <strong>et</strong> ce qu’il est. Quelles qu’en soient les causes complexes cependant, les <strong>violences</strong><br />

scolaires m<strong>et</strong>tent finalement en évidence une crise de sens en matière d’enseignement qui<br />

s’exprime aujourd’hui parfois de manière radicale : les enseignants interrogés se demandant<br />

ainsi s’ils sont encore <strong>des</strong> pédagogues, <strong>des</strong> éducateurs chargés de transm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> valeurs, <strong>des</strong><br />

connaissances ou s’ils doivent davantage devenir désormais <strong>des</strong> « surveillants ». Nous<br />

pourrions ajouter que, sans doute, la position idoine devrait davantage composer un subtil<br />

équilibre <strong>entre</strong> formes de transmission du savoir, référence <strong>à</strong> une culture commune,<br />

pédagogie, dimension relationnelle <strong>et</strong> affective de l’acte d’enseignement <strong>et</strong> cadrages<br />

autoritaires fournissant les repères nécessaires d’une règle <strong>à</strong> faire vivre : maniant le<br />

négociable <strong>et</strong> le non négociable. Mais trop souvent la théorie pédagogique néglige la réalité<br />

complexe du terrain <strong>et</strong> il ne suffit pas de dire pour faire. Blaya (2001 ; 2002), dans son<br />

enquête comparative sur le climat social dans les établissements d’enseignement secondaire<br />

anglais <strong>et</strong> français montre qu’une appréhension plus large du métier, le rôle éducatif plus<br />

important <strong>des</strong> enseignants anglais influence positivement le climat scolaire. C<strong>et</strong>te étude<br />

confirme <strong>des</strong> recherches existantes sur le climat dans les établissements tant en France qu’<strong>à</strong><br />

l’étranger (Gottfredson, op. cit. ; Bliss, 1993 ; Newmann, 1989)<br />

La gestion de la classe est aujourd’hui ainsi devenue pour la grande majorité <strong>des</strong> enseignants<br />

une nécessaire préoccupation qui se superpose <strong>à</strong> la préparation <strong>des</strong> cours <strong>et</strong> conduit parfois <strong>à</strong><br />

l’émergence d’une éthique professionnelle m<strong>et</strong>tant en exergue la dimension éducative (Van<br />

Zanten, 2001). Le cadre si particulier de la leçon d’éducation physique n’échappe pas <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te<br />

préoccupation de l’ordre normatif <strong>et</strong> autoritaire ou tout simplement <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te recherche de calme<br />

<strong>et</strong> d’apaisement propice au lien pédagogique <strong>et</strong> au travail. Durand évoque ainsi la<br />

« circularité » de la leçon d’éducation physique qui fonctionne parce que l’ordre est posé,<br />

perm<strong>et</strong>tant au savoir de circuler <strong>et</strong> d’<strong>entre</strong>tenir l’intérêt <strong>des</strong> élèves, intérêt <strong>à</strong> son tour source de<br />

calme <strong>et</strong> de fluidité dans les échanges <strong>et</strong> le quadrillage autoritaire plus souple du groupe classe<br />

(Durand, 1996, 1998). Flavier <strong>et</strong> Méard (op. cit.), m<strong>et</strong>tant en perspective c<strong>et</strong>te dimension avec<br />

les dynamiques éducatives de la leçon d’EPS, parlent de priorités concurrentes : « aider les<br />

élèves dans le processus d’apprentissage, les faire participer, les engager dans l’action, mais<br />

aussi garantir l’ordre <strong>et</strong> le contrôle <strong>des</strong> élèves en classe. ». Cependant c<strong>et</strong>te réalité<br />

« systémique » dont la maîtrise ou la détérioration dépend pour beaucoup du niveau<br />

d’expertise <strong>et</strong> d’expérience de l’enseignant (Ria, 2001) ainsi que, précisément, du domaine<br />

investi (le corps, le jeu, la compétition, les cultures sportives, le mouvement, la santé, <strong>et</strong>c.), de<br />

l’activité physique choisie comme support, du moment de la journée <strong>et</strong> du jour de la semaine<br />

(Flavier & Méard, op. cit.) renvoie aussi de manière prégnante aux différents niveaux du<br />

tolérable <strong>et</strong> du toléré, en matière de chahut, d’incivilités, de désordre, de débordements<br />

verbaux <strong>et</strong> de comportements violents. Autrement dit, elle renvoie <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te évidence, que la<br />

violence culturellement <strong>et</strong> socialement construite ne saurait se définir une fois pour toute <strong>et</strong><br />

qu’elle se nourrit également <strong>des</strong> propres représentations <strong>des</strong> acteurs, élèves, parents d’élèves,<br />

enseignants (fussent-ils professeurs d’EPS), personnels techniques <strong>et</strong> cadres administratifs,<br />

tous impliqués de manière systémique dans c<strong>et</strong>te production <strong>et</strong> ce contrôle <strong>des</strong> <strong>violences</strong>. La<br />

violence, nous l’annoncions en introduction n’est pas que la conséquence <strong>des</strong> représentations<br />

<strong>des</strong> agents mais aussi le résultat d’une construction sociale, d’interactions qui ont lieu dans un<br />

environnement, un contexte qui ne sont pas neutres. Autrement, il n’y aurait qu’<strong>à</strong> changer les<br />

profs….ou les élèves….les conditions externes aux individus, conditions matérielles<br />

d’exercice, participent de la construction du climat de l’établissement. Le tout n’est pas<br />

uniquement basé sur <strong>des</strong> représentations même si elles influencent la façon dont les agents en<br />

question vont agir dans le contexte scolaire (Bliss, op.cit.). Il est donc nécessaire d’interroger<br />

en priorité ce qui semble donner sens aux comportements vécus <strong>et</strong> agis au cœur de l’école :<br />

l’interprétation <strong>des</strong> gestes, <strong>des</strong> actes, <strong>des</strong> paroles. Interprétation que construit chaque<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

professeur au quotidien, face <strong>à</strong> sa classe, en fonction d’une grille de lecture qui, loin d’être<br />

commune <strong>à</strong> la « communauté <strong>des</strong> enseignants », demeure éminemment personnelle <strong>et</strong><br />

professionnelle, située <strong>et</strong> subjective. Parmi les clivages décelables, celui qu’introduit le genre<br />

dans la lecture <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>et</strong> de leur seuil de tolérance, reste incontestablement l’un <strong>des</strong><br />

plus visibles.<br />

Les enseignantes interrogées affirment en eff<strong>et</strong> être plus suj<strong>et</strong>tes aux <strong>violences</strong> <strong>et</strong> avoir<br />

davantage de difficultés que leurs homologues masculins <strong>à</strong> canaliser l’agressivité de certains<br />

élèves <strong>entre</strong> eux ou vis <strong>à</strong> vis de leur propre personne. Les réponses perm<strong>et</strong>tent cependant de<br />

mieux cerner les différences de sensibilité qui délimitent qualitativement les contours de la<br />

violence : 78 % <strong>des</strong> enseignantes ayant répondu qu’il y avait beaucoup de <strong>violences</strong> dans leur<br />

établissement parlent essentiellement de violence verbale <strong>et</strong> d’incivilités tandis que leurs<br />

homologues masculins semblent davantage circonscrire la définition de la violence aux<br />

bagarres <strong>entre</strong> élèves <strong>et</strong> aux <strong>violences</strong> contre les adultes, comme le montrent ces deux extraits<br />

d’<strong>entre</strong>tiens provenant d’un même établissement :<br />

« La vie <strong>à</strong> l’intérieur de l’établissement est insupportable, les élèves chahutent,<br />

s’insultent, voire nous insultent, par derrière évidemment, font du bruit <strong>et</strong> ça aussi<br />

bien dans les couloirs qu’en classe quand ils r<strong>entre</strong>nt… j’ai l’impression de ne<br />

plus rien pouvoir contrôler, je me sens impuissante… comment dire… en<br />

insécurité j’ai, on a mes collègues <strong>et</strong> moi, l’impression que tout peut arriver que<br />

cela peut s’envenimer comme ça ». (professeure de français).<br />

« C’est vrai que les élèves sont remuants, on ne peut pas dire qu’ils soient<br />

toujours de tout repos mais bon, enfin on ne peut pas vraiment dire que cela soit<br />

inquiétant. La plupart du temps, ils chahutent, ils crient mais cela va rarement plus<br />

loin. Alors pour répondre <strong>à</strong> votre question, savoir si je trouve qu’il y a de la<br />

violence dans le collège, franchement non, les bagarres sont très rares <strong>et</strong> jamais<br />

très violentes. Je n’ai jamais vu non plus d’élèves s’en prendre physiquement <strong>à</strong> un<br />

professeur » (professeur de mathématiques).<br />

Se trouve posée ici la question de la définition de la violence. Chacun perçoit-il la violence de<br />

la même manière ? De toute évidence non. Le terme de violence n’est pas unitaire. Il ne<br />

renvoie pas <strong>à</strong> une réalité intangible. Il regroupe tout aussi bien les incivilités, les provocations,<br />

les insultes, les coups <strong>et</strong> blessures volontaires, les <strong>des</strong>tructions diverses en passant bien<br />

évidemment par le rack<strong>et</strong>, <strong>et</strong> même parfois <strong>à</strong> l’école le viol ou le crime prémédité. Ainsi, le<br />

rapport Elton (1989) sur la discipline <strong>à</strong> l’école conclut que la principale source de violence<br />

pour les enseignants reste le manque de travail, d’obéissance, les p<strong>et</strong>ites nuisances<br />

quotidiennes plus que les faits de violence plus spectaculaires. La violence est également<br />

perçue différemment selon que l’on est agresseur ou victime, selon que c<strong>et</strong>te expérience a<br />

marqué ou non notre existence, c’est-<strong>à</strong>-dire qu’elle est ou non inscrite dans un parcours de<br />

vie, personnel ou professionnel. La perception de la violence varie aussi selon l’intensité de la<br />

victimation, la répétition <strong>des</strong> agressions, la multi-victimation (Debarbieux, Blaya, Bruneaud,<br />

Cossin, Mancel, Montoya, Rubi, 2002). De la marginalisation <strong>à</strong> l’exclusion, l’école est ellemême<br />

susceptible de produire comme autant de dommages collatéraux <strong>à</strong> la réussite<br />

standardisée du plus grand nombre, les conditions de la violence. En premier lieu parce que le<br />

système éducatif génère <strong>à</strong> l’égard de ceux qui peinent <strong>à</strong> répondre aux normes scolaires la<br />

première <strong>des</strong> <strong>violences</strong> : une baisse de l’estime de soi qui confine au repli <strong>et</strong> <strong>à</strong> une forme<br />

d’exil. Les risques d’exclusion, leur cortège d’échecs <strong>et</strong> de ressentiments <strong>et</strong>, a contrario, les<br />

échappatoires singulières, sont ainsi abordés dans leurs principes par Charlot, Bautier <strong>et</strong><br />

Rochex (op. cit.) <strong>à</strong> partir de trois ruptures essentielles, réelles ou imaginaires : rupture du lien<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 166


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

social (sentiment de non-appartenance qui peut se traduire par un rej<strong>et</strong> <strong>des</strong> canons de la<br />

citoyenn<strong>et</strong>é), rupture du lien collectif (dissolution <strong>des</strong> liens familiaux, fusion dans la bande,<br />

incapacité <strong>à</strong> affirmer son autonomie) <strong>et</strong> perte d’une image positive de soi-même. Leur<br />

convergence conduit <strong>à</strong> asseoir une situation d’échec <strong>et</strong> d’exclusion obérant les perspectives de<br />

projection dans un futur qui fait sens. L’absence d’avenir <strong>et</strong> de perspective sociale, l’exclusion<br />

du système scolaire, ou encore le manque d’argent conduisent soit <strong>à</strong> être différent, mal<br />

habillé, <strong>à</strong> ne pas pouvoir participer aux mêmes activités, soit au contraire <strong>à</strong> se procurer par <strong>des</strong><br />

moyens illicites (rack<strong>et</strong>s, vols <strong>et</strong> trafics divers), les « marques » éminemment nécessaires <strong>à</strong><br />

l’existence <strong>et</strong> la reconnaissance sociale. Car dans nos sociétés de consommation modernes <strong>et</strong><br />

de plus en plus individualistes, l’avoir prime sur l’être, ou pour mieux dire, l’avoir détermine<br />

dans une certaine mesure l’être car « être c’est avoir ». Les <strong>violences</strong> s’inscrivent donc<br />

d’abord dans une rage de paraître, dans un besoin d’existence <strong>et</strong> de reconnaissance sociale,<br />

mais pas seulement. Ce serait naturaliser <strong>et</strong> sociologiser les <strong>violences</strong> car elles ne sont ni<br />

totalement, ni même obligatoirement, le fait <strong>des</strong> plus démunis. Les enfants <strong>des</strong> familles aisées<br />

rack<strong>et</strong>tent, harcèlent <strong>et</strong> violentent avec autant de ferveur <strong>et</strong> de passion que ceux <strong>des</strong> familles<br />

les plus pauvres. Les <strong>violences</strong> sont aussi bien souvent l’expression d’un contexte d’anomie<br />

sociale, c’est <strong>à</strong> dire l’absence de règles <strong>et</strong> de normes, ou du moins la perte de repères <strong>et</strong> l’oubli<br />

<strong>des</strong> valeurs qui les fondent. Quel meilleur ancrage en eff<strong>et</strong> pour les <strong>violences</strong> de toutes natures<br />

que l’absence de contrat, que celui-ci soit pédagogique, moral, social ou purement<br />

réglementaire. Ce manque ne délimite plus les droits, les libertés <strong>et</strong> les transgressions,<br />

l’absence de punitions <strong>et</strong> de sanctions repousse sans cesse plus loin les limites <strong>des</strong> interdits<br />

qui deviennent de « potentiels possibles » dans un jeu sans fin engagé avec le système<br />

d’autorité <strong>et</strong> ses représentations matérielles <strong>et</strong> symboliques fuyantes. Face <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te multitude de<br />

<strong>violences</strong> possibles, perçues ou ressenties, les réponses ne peuvent que différer en fonction de<br />

chacun. On remarque cependant que si 67 % <strong>des</strong> enseignants, toutes disciplines enseignées<br />

confondues, répondent que leur établissement connaît « peu ou pas du tout » de <strong>violences</strong>, ce<br />

taux passe <strong>à</strong> 88,24 % parmi les enseignants d’EPS. C<strong>et</strong>te différence significative pose<br />

question. Comment expliquer c<strong>et</strong> écart, d’autant que les enseignants d’EPS ayant participé <strong>à</strong><br />

c<strong>et</strong>te enquête ne différent guère, en matière de sexe <strong>et</strong> d’âge, <strong>des</strong> autres enseignants ? La<br />

première réponse est de nature « philosophique », voire épistémologique : la ou les <strong>violences</strong><br />

font partie intégrante de l’EPS, <strong>des</strong> pratiques qui la fondent <strong>et</strong> <strong>des</strong> savoirs qu’elle véhicule.<br />

« Le défi, l’affrontement, l’opposition, le risque <strong>et</strong> l’épreuve orientent les références de<br />

l’EPS » (Davisse, op. cit.). La « combativité » au sens pulsionnel du terme est en quelque<br />

sorte consubstantielle <strong>des</strong> contenus d’enseignements de l’éducation physique <strong>et</strong> de leurs<br />

supports, les APS (activités physiques <strong>et</strong> sportives). Les <strong>violences</strong> inhérentes <strong>à</strong> l’institution<br />

s’articulent donc sans nul doute avec celles liées au champ disciplinaire EPS, mais sans en<br />

recouvrir forcément la totalité de surface comme le montre c<strong>et</strong> enseignant :<br />

« Pour nous c’est paradoxal mais peut être que nous acceptons davantage la<br />

violence, ou même les élèves jugés indisciplinés, voire violents car, la violence a<br />

contrario <strong>des</strong> autres profs fait partie de notre enseignement : savoir vaincre ses<br />

appréhensions, savoir limiter les risques, adopter une certaine forme d’agressivité<br />

dans la pratique sportive, savoir accepter la douleur ou avoir la volonté d’aller<br />

plus loin, accepter les autres <strong>et</strong> coopérer avec eux, se montrer aux autres, devant<br />

les autres, connaître <strong>et</strong> respecter un règlement finalement tout n’est que<br />

<strong>violences</strong> » (professeur d’EPS, 37 ans).<br />

Les <strong>violences</strong> en EPS sont effectivement multiples : <strong>violences</strong> sur soi, <strong>violences</strong> faites aux<br />

autres, <strong>violences</strong> subies <strong>des</strong> autres, tout autant que les contraintes imposées par une discipline<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

obligatoirement normée du fait <strong>des</strong> risques parfois encourus. Car, « faire du sport », pour peu<br />

que nous acceptions l’idée que les APS constituent bien le massif principal de l’EPS, c’est<br />

avant toute chose accepter de produire <strong>des</strong> efforts très particuliers, c’est accepter dans une<br />

certaine mesure d’avoir mal ou de se faire mal, de contraindre son corps, d’engager son être <strong>et</strong><br />

être capable de vaincre parfois ses appréhensions comme ce peut être le cas pour la pratique<br />

<strong>des</strong> agrès en gymnastique ou celle de la natation. Bref, s’engager dans la leçon d’EPS, c’est<br />

être capable <strong>à</strong> un certain niveau de « se faire violence ». Le champ de ces contraintes perçues<br />

comme autant de <strong>violences</strong> potentielles s’avère en réalité très étendu. Sa complexité s’avive<br />

en fonction <strong>des</strong> dimensions relationnelles <strong>et</strong> affectives <strong>des</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> savoirs transmis<br />

qui s’ancrent dans une corporéité prononcée qui touche <strong>à</strong> l’image matérielle <strong>et</strong> profonde de<br />

l’intime. « L’affectivité est la clé <strong>des</strong> conduites motrices » écrivait déj<strong>à</strong> Parlebas (1981). Le<br />

« je » du suj<strong>et</strong> plus qu’ailleurs se trouve sollicité dans ses fondements les plus secr<strong>et</strong>s. Dès<br />

lors, le rapport <strong>à</strong> soi <strong>et</strong> aux autres médié par le corporel, les contacts, la mise en scène du<br />

corps, le rapport <strong>à</strong> la règle <strong>et</strong> <strong>à</strong> la performance, l’excitation générée par la pratique <strong>des</strong> APS,<br />

sans parler <strong>des</strong> problèmes de mixité constituent autant d’ingrédients susceptibles de participer<br />

<strong>à</strong> la construction sociale <strong>et</strong> culturelle d’une violence scolaire bien spécifique <strong>à</strong> l’EPS pouvant<br />

aller de la simple moquerie récurrente (stigmatisant le « gros » ou la « grosse »), forme de<br />

harcèlement moral, <strong>à</strong> l’exclusion de celui qui n’est pas bon, différent, ou « trop bon dans les<br />

autres matières », voire aux coups donnés dans le cadre <strong>des</strong> pratiques sportives. L’idée même<br />

qu’une forme de combativité oriente les contenus de l’EPS transparaît généralement dans les<br />

appellations officieuses ou officielles qui cherchent <strong>à</strong> qualifier les APS <strong>et</strong> les qualités<br />

développées par leurs pratiques. Ainsi, traditionnellement, la pratique <strong>des</strong> <strong>sports</strong> collectifs<br />

allie coopération <strong>et</strong> opposition <strong>des</strong> élèves. Mais est-on sûr que ce qui ne prime pas<br />

originellement dans la dimension collective <strong>des</strong> jeux n’est pas précisément le désir de<br />

s’opposer ? « On ne coopère en <strong>sports</strong> collectifs que pour battre l’équipe adverse » note<br />

Davisse (op. cit.). Faisant nôtre les propos de Jeu (1987) nous osons avancer que l’EPS,<br />

comme le sport <strong>et</strong> les APS, rassemble <strong>des</strong> individus pour mieux les opposer. Ce qui par<br />

ailleurs, au-del<strong>à</strong> <strong>des</strong> discours égalitaristes, reste fondamentalement l’une <strong>des</strong> logiques sousjacentes<br />

de l’école qui rassemble, classe, sélectionne les individus <strong>et</strong> crée du contraste, du<br />

relief <strong>entre</strong> les élèves, en fonction de leurs résultats, pour mieux finalement les orienter <strong>et</strong><br />

déterminer, ainsi, leurs parcours de vie.<br />

Reste <strong>à</strong> comprendre ce qui dans le champ didactique <strong>et</strong> culturel de l’éducation physique <strong>et</strong><br />

sportive perm<strong>et</strong>trait de dépasser ce besoin de s’affronter, ce désir de vaincre <strong>à</strong> tout prix.<br />

Comme le note André Terrisse, c’est la sublimation de la pulsion qui autorise le<br />

développement <strong>des</strong> activités culturelles : « la boxe n’est pas la rixe où tous les coups sont<br />

permis (…) le duel mortel est encadré par la symbolique qui garantit le respect <strong>des</strong> règles,<br />

l’intégrité <strong>des</strong> adversaires » (Terrisse, 1996). D’où l’idée que l’activité culturelle est-elle<br />

même porteuse de ces formes de sublimation, dans sa symbolique <strong>et</strong> dans ses principes. Ce<br />

qui renvoie <strong>à</strong> la dimension fonctionnelle de l’EP, articulant au cœur du système éducatif, la<br />

pratique d’activités culturelles, les APS, activités mobilisatrices <strong>à</strong> fort potentiel régulateur. La<br />

violence apparaît donc sous de multiples aspects comme une constante, un ingrédient de la<br />

leçon d’EPS, mais elle y est davantage qu’ailleurs euphémisée : le classement, la hiérarchie,<br />

l’attribution du titre de « vainqueur » lors de rencontres au sein de la classe, en dehors de<br />

toute évaluation, signent une mort symbolique <strong>et</strong> non la finitude <strong>des</strong> perdants. Chacun peut<br />

cependant y trouver une certaine valorisation même si l’EPS, comme les autres disciplines est<br />

un lieu de réussites mais aussi d’échecs. La notion même d’échec doit pourtant être ici<br />

discutée car finalement elle participe <strong>à</strong> la définition du profil de la discipline <strong>et</strong> intègre<br />

nécessairement les manières de la percevoir. D’un point de vue strictement docimologique, il<br />

convient en eff<strong>et</strong> de rappeler combien les résultats globalement satisfaisants <strong>des</strong> évaluations<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

nationales en EPS (<strong>entre</strong> 13 <strong>et</strong> 14/20 de moyenne nationale pour les épreuves du baccalauréat<br />

en EPS) contribuent, en ne la classant pas comme discipline discriminante, <strong>à</strong> donner une<br />

valence positive <strong>à</strong> la discipline scolaire EPS (Combaz, 1992). C<strong>et</strong>te valence positive associée<br />

<strong>à</strong> d’autres déterminants comme le plaisir, la convivialité, la recherche de bien-être physique,<br />

mental <strong>et</strong> social (Hébrard, 1986), est génératrice dans une certaine mesure de motivations<br />

lesquelles bien souvent participent <strong>à</strong> détourner ou canaliser une partie <strong>des</strong> <strong>violences</strong> liées dans<br />

d’autres matières aux aspects abruptement disciplinaires <strong>et</strong>, naturellement, <strong>à</strong> l’échec scolaire.<br />

Il faudrait cependant terminer en rappelant, parmi les conclusions <strong>des</strong> travaux de Combaz, les<br />

résultats surprenants, car allant <strong>à</strong> l’encontre du sens commun, montrant qu’en EPS, comme<br />

ailleurs, ce sont les élèves <strong>des</strong> classes socialement favorisées qui réussissent le mieux<br />

(Combaz, op. cit.). Ici comme ailleurs, les « héritiers » tirent plus facilement leur épingle du<br />

jeu. Globalement cependant, la réussite flagrante d’une majorité d’élèves en EPS minimise<br />

vraisemblablement les risques de contestations ou de perception de l’injustice scolaire liée<br />

aux stricts résultats, perm<strong>et</strong>tant plus ou moins consciemment aux enseignants de contourner<br />

une partie <strong>des</strong> problèmes liés aux <strong>violences</strong> scolaires : ceux qui précisément se rattachent <strong>à</strong> la<br />

contestation de l’ordre <strong>et</strong> parfois de l’arbitraire <strong>des</strong> logiques scolaires sanctionnées par <strong>des</strong><br />

notes. La distinction avec les autres disciplines ne s’arrête cependant ni <strong>à</strong> la nature même de<br />

l’EPS, ni aux perspectives d’échec ou de réussite <strong>et</strong> de plaisir qu’elle propose. En eff<strong>et</strong> si les<br />

<strong>violences</strong> font partie intégrante de la discipline, elles sont en même temps prises en<br />

considération dans les textes officiels <strong>et</strong> les programmes nationaux. Ce qui participe <strong>à</strong><br />

renforcer le caractère singulier de c<strong>et</strong>te discipline dans le champ scolaire <strong>et</strong> contribue, du<br />

même coup, <strong>à</strong> en révéler l’un <strong>des</strong> nombreux intérêts. L’éducation physique <strong>entre</strong>tient ainsi un<br />

rapport ambigu avec les <strong>violences</strong> dont elle est <strong>à</strong> la fois de part sa nature disciplinaire une<br />

source potentielle <strong>et</strong> un moyen privilégié de remédiation. En eff<strong>et</strong>, si la leçon d’éducation<br />

physique se révèle porteuse intrinsèquement ou consubstantiellement de <strong>violences</strong>, si d’autre<br />

part elle est réinvestie de l’extérieur par d’autres formes de <strong>violences</strong> parce que sa mise en<br />

œuvre (déplacements <strong>à</strong> l’extérieur, temps d’attentes hors action, <strong>et</strong>c.), plus qu’ailleurs, est<br />

susceptible de générer <strong>des</strong> comportements « hors tâche » non désirés tels que excitations,<br />

tensions <strong>et</strong> comportements agressifs (Flavier & Méard, op. cit.) : l’enseignement de l’EPS<br />

semble en revanche se fondre très largement dans une vision très fonctionnaliste de la<br />

discipline au cœur du système éducatif, intégrant <strong>des</strong> vertus particulières de contrôles<br />

auxquels se prêteraient plus spécifiquement ses contenus <strong>et</strong> ses modalités d’enseignement<br />

(Davisse, op. cit.). C<strong>et</strong>te dialectique violence générée / violence contrôlée est parfaitement<br />

mise en évidence au cœur <strong>des</strong> programmes <strong>des</strong> classes de collèges. Ainsi, le programme de<br />

3 ème prévoie t-il :<br />

« Adolescents <strong>et</strong> adolescentes manifestent parfois <strong>des</strong> comportements faits de<br />

<strong>violences</strong> verbales ou physiques, ou au contraire <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> de repli ou<br />

d’inhibition. Si l’EPS est le lieu où ces comportements peuvent s’exprimer, elle<br />

donne aussi les moyens de les dépasser. Elle est <strong>à</strong> c<strong>et</strong> égard un moment privilégié<br />

d’une prise de conscience de ces phénomènes <strong>et</strong> d’une éducation <strong>à</strong> la maîtrise de<br />

soi <strong>et</strong> <strong>à</strong> la civilité […] Le cours d’éducation physique <strong>et</strong> sportive <strong>et</strong> la participation<br />

<strong>à</strong> l’association sportive sont deux occasions de contribuer <strong>à</strong> l’éducation <strong>à</strong> la<br />

citoyenn<strong>et</strong>é : ils perm<strong>et</strong>tent aux élèves d’être acteurs de leurs pratiques, de prendre<br />

<strong>des</strong> décisions <strong>et</strong> <strong>des</strong> responsabilités, <strong>et</strong> d’occuper <strong>des</strong> rôles différents. » (Extrait<br />

<strong>des</strong> programmes d’éducation physique <strong>et</strong> sportive pour les classes de 3 ème <strong>des</strong><br />

collèges, octobre 1998, 61).<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Le cours d’EPS, auquel il faut bien adjoindre la pièce originale que constitue, dans<br />

l’architecture scolaire secondaire française, l’association sportive (AS), se distingue ainsi<br />

fortement <strong>des</strong> autres disciplines. Il s’en démarque au moins dans les textes sinon sur le terrain<br />

par un certain nombre d’injonctions c’est-<strong>à</strong>-dire le repérage clair, l’identification, la prise en<br />

compte <strong>et</strong> la reconnaissance de la violence mais également par le rôle attribué <strong>à</strong> la discipline<br />

elle-même pour la contrôler. Inscrit dans les programmes le rôle socialisant <strong>et</strong> préventif <strong>des</strong><br />

APS <strong>et</strong> du sport devient une <strong>des</strong> priorités que les enseignants d’EPS doivent prendre en<br />

compte. C’est peut-être déj<strong>à</strong> en cela que diffère l’appréhension de la violence chez les<br />

enseignants en dehors de tout aspect sexué. Il existerait ainsi <strong>des</strong> disciplines si contraignantes,<br />

qu’elles ne perm<strong>et</strong>tent pas, a contrario de l’EPS, de dépasser les conduites agonistiques. Mais<br />

ce texte m<strong>et</strong> en évidence une dimension éducative supplémentaire propre <strong>à</strong> l’EPS en indiquant<br />

<strong>et</strong> précisant les manières par lesquelles c<strong>et</strong>te discipline perm<strong>et</strong> « aux élèves d’être acteurs de<br />

leurs pratiques, de prendre <strong>des</strong> décisions <strong>et</strong> <strong>des</strong> responsabilités <strong>et</strong> d’occuper <strong>des</strong> rôles<br />

différents ». L’élève n’est plus en eff<strong>et</strong> seulement considéré comme un suj<strong>et</strong> qu’il convient de<br />

« gaver » de savoirs, il n’est pas c<strong>et</strong>te cire molle dans laquelle se grave passivement la<br />

connaissance. L’élève « acteur » devient au contraire un porteur de possibles qui participe<br />

activement <strong>à</strong> l’acquisition de savoirs qui de fait ne sont plus seulement « savants » mais qui<br />

s’avèrent aussi être sociaux <strong>et</strong> procéduraux. C’est l’éducation <strong>à</strong> être <strong>et</strong> <strong>à</strong> devenir par <strong>et</strong> dans<br />

l’action, par <strong>et</strong> dans le contrôle de soi, qui prime <strong>à</strong> travers l’apprentissage de statuts<br />

différenciés. L’application <strong>et</strong> le respect <strong>des</strong> normes <strong>à</strong> travers différents rôles, comme celui de<br />

joueur ou d’arbitre par exemple, devient un <strong>des</strong> éléments du programme. En exerçant diverses<br />

responsabilités, en participant aux décisions, le statut de l’apprenant change car c’est<br />

également lui reconnaître <strong>des</strong> capacités, c’est aussi lui octroyer une possibilité de contester<br />

<strong>des</strong> décisions ou <strong>à</strong> l’inverse de faire vivre <strong>et</strong> d’appliquer <strong>des</strong> règles <strong>à</strong> travers un cadre normatif<br />

qu’il a, progressivement <strong>et</strong> de différentes manières, incorporé. Il s’agit bien d’un changement<br />

de paradigme dans l’enseignement, par rapport aux autres disciplines. L’individu apprenant<br />

est valorisé, reconnu comme un interlocuteur « valable » <strong>à</strong> un âge, celui de l’adolescence, où<br />

habituellement l’opposition au monde <strong>et</strong> aux décisions <strong>des</strong> adultes est courante, si ce n’est<br />

privilégiée. C’est ainsi que s’établit, peut-être, les bases d’un contrat où l’élève d’EPS plus<br />

acteur de son devenir, mieux impliqué dans son propre développement/épanouissement<br />

devient par hypothèse moins contestataire, voire moins violent, que dans les autres matières.<br />

De toute évidence, l’éducation physique constitue dans ces perspectives pédagogiques <strong>et</strong><br />

didactiques, un champ disciplinaire de pointe <strong>à</strong> l’endroit où les disciplines traditionnelles,<br />

dites intellectuelles, hésitent encore <strong>à</strong> s’aventurer <strong>et</strong> <strong>à</strong> ne plus être seulement <strong>des</strong> champs en<br />

friches car marquée encore trop fortement du sceau de leurs prérogatives savantes <strong>et</strong><br />

classantes. Un clivage <strong>entre</strong> traditions <strong>et</strong> modernités pédagogiques qui, du point de vue de la<br />

formation initiale <strong>des</strong> enseignants <strong>et</strong> dans leur manière d’aborder la classe <strong>et</strong> ses écueils, nous<br />

le verrons, suggère d’autres analyses, d’autres réflexions. Certes, certaines pistes évoquées ici<br />

suggèrent quelques questionnements. Elles renvoient d’abord <strong>à</strong> ce que plus généralement<br />

pourrait être la culture sportive <strong>des</strong> apprenants <strong>et</strong> les modèles de comportement qu’elle induit<br />

comme ensembles d’attitu<strong>des</strong> s’opposant <strong>à</strong> la culture <strong>et</strong> aux modèles scolaires. Pour Davisse<br />

(op. cit.) par exemple, rien ne dit que le rôle d’arbitre vécu <strong>à</strong> l’école, traditionnellement perçu<br />

comme porteur de valeurs régulatrices <strong>et</strong> citoyennes, ne prédispose <strong>à</strong> autre chose que de la<br />

violence dans la mesure où, au milieu du stade, hors les murs de l’école, l’arbitre demeure un<br />

personnage généralement contesté <strong>et</strong> conspué par le public, souvent insulté par les<br />

spectateurs, par les joueurs eux-mêmes <strong>et</strong> par leurs entraîneurs. Rien ne dit non plus que<br />

l’émergence de tels comportements ne donnent pas précisément matière <strong>à</strong> construire dans la<br />

dialectique violence émergente / violence contrôlée, <strong>des</strong> connaissances spécifiques, une<br />

analyse fine <strong>des</strong> comportements <strong>et</strong> le développement <strong>et</strong> l’apprentissage d’attitu<strong>des</strong> <strong>et</strong> de<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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principes de fonctionnement propres <strong>à</strong> canaliser ces débordements <strong>et</strong> <strong>à</strong> dépasser ce que la vie<br />

quotidienne produit dans ses dimensions les plus contestables. Se trouve ainsi posé plus<br />

largement le problème de la référence culturelle <strong>et</strong> sociale <strong>des</strong> élèves face aux valeurs de<br />

l’éducation <strong>et</strong> de la culture scolaires. D’autres exemples montrent a contrario que la plupart<br />

<strong>des</strong> <strong>violences</strong> sportives ou <strong>des</strong> déviances bien réelles dans le monde fédéral n’atteignent pas,<br />

sauf cas exceptionnels, le monde scolaire : dopage, hooliganisme, affairisme, <strong>et</strong>c. Qui plus est,<br />

le rapport éducatif <strong>et</strong> pédagogique aux APS, abordées comme pratiques sociales de<br />

références, constitue le fondement même de l’intérêt de c<strong>et</strong>te discipline <strong>et</strong> lui assure<br />

corollairement, un succès dont on peut saisir l’origine <strong>et</strong> la force dans le sens que ces<br />

pratiques véhiculent au cœur de l’école. Certes, ici encore, il faudrait pouvoir s’entendre sur le<br />

cadre même de ces références. Car selon le sexe, les origines sociales <strong>et</strong> culturelles <strong>des</strong> élèves,<br />

les APS peuvent ne plus faire sens <strong>et</strong> se trouver en décalages avec les normes <strong>et</strong> les<br />

aspirations de ceux <strong>à</strong> qui elles s’adressent. La gymnastique « pointes de pieds tirées » ne<br />

s’impose pas comme motricité signifiante pour les jeunes générations d’élèves, a fortiori dans<br />

les lycées techniques, où la dimension acrobatique <strong>et</strong> les sensations vertigineuses (tourner, se<br />

renverser, se balancer) en revanche lui redonnent un sens anthropologique indéniable<br />

(Goirand, 1998 ; Davisse, op. cit. ; Nahoum-Grappe, 2002). Mais c’est précisément dans la<br />

labilité culturelle, l’évolution <strong>et</strong> la diversité <strong>des</strong> références <strong>et</strong> surtout la nécessité de construire<br />

<strong>des</strong> repères <strong>et</strong> une culture commune (Meirieu, Guiraud, 1997) que doit se penser le rôle<br />

essentiel de l’éducation physique <strong>et</strong> sportive. L’un <strong>des</strong> pôles majeurs de son action comme<br />

régulateur <strong>des</strong> <strong>violences</strong> scolaires se trouve alors dans la gestion scolaire difficile <strong>des</strong><br />

marqueurs <strong>et</strong> obj<strong>et</strong>s culturels multiformes qui constituent la constellation <strong>des</strong> pratiques<br />

sociales <strong>et</strong> leur intégration cohérente <strong>et</strong> efficace au sein d’un enseignement qui fasse sens.<br />

Nous rejoignons en cela les théories de Charlot, Bautier <strong>et</strong> Rochex (op. cit.) concernant le<br />

sens donné par les élèves aux apprentissages <strong>et</strong> aux activités scolaires comme condition<br />

incontournable de la réussite de, dans, par l’école, <strong>et</strong> donc comme condition essentielle pour<br />

faire échec aux <strong>violences</strong> scolaires. L’EPS est semble-t-il moins victime <strong>des</strong> <strong>violences</strong><br />

scolaires parce que sans doute les pratiques qu’elle aborde <strong>et</strong> les réflexions <strong>des</strong> enseignants<br />

sur la légitimité culturelle de ces pratiques donnent le primat au sens qu’elles perm<strong>et</strong>tent aux<br />

élèves de construire <strong>à</strong> travers elles. L’EPS offre donc, peut-être, un cadre privilégié au<br />

dépassement <strong>des</strong> émotions. Son rapport a la violence, nous l’avons vu, est ambigu. L’EPS,<br />

comme le sport sur lequel elle s’appuie de manière privilégiée, est un « moyen<br />

d’apprentissage d’autocontrôle <strong>des</strong> pulsions » tout autant qu’un « lieu de débridement <strong>des</strong><br />

émotions » (Elias & Dunning, op. cit.) qu’il convient d’analyser tant au niveau <strong>des</strong><br />

enseignements que <strong>des</strong> élèves. L’EPS se distingue fortement <strong>des</strong> autres disciplines. Au sens<br />

générique du terme « le sport », c’est-<strong>à</strong>-dire, dans le champ scolaire <strong>et</strong> didactique de l’EPS :<br />

les APS, a longtemps été considéré comme un « obj<strong>et</strong> culturellement bas de gamme par<br />

excellence » (Ehrenberg, 1991). Il est resté longtemps dévalorisé, au sein même de<br />

l’institution scolaire. Il faut rétrospectivement se souvenir <strong>des</strong> querelles qui ont animé la<br />

sphère scolaire lors de l’introduction d’épreuves obligatoires d’éducation physique au<br />

baccalauréat, en 1959, au moment où, pour les plus conservateurs <strong>des</strong> membres du Conseil<br />

Supérieur de l’Éducation, le « grimper <strong>à</strong> la corde » perm<strong>et</strong>trait de pallier les « fautes<br />

d’orthographe » (Martin, 1999). Il faut également se souvenir du dédain <strong>à</strong> peine feint, ou du<br />

mépris souvent convenu, <strong>des</strong> autres enseignants <strong>à</strong> l’égard <strong>des</strong> « profs de sport » comme le<br />

souligne c<strong>et</strong> enseignant :<br />

« Dans l’établissement notre statut a considérablement évolué depuis quelques<br />

années. Il n’y a pas si longtemps dans un collège quand tu étais le prof de<br />

« sport », ou de « gym » comme disaient mes collègues de maths ou de français,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

ton avis était moins important que celui <strong>des</strong> autres. Il n’y a pas si longtemps que<br />

nous pouvons être prof principal. » (professeur d’EPS).<br />

Outre l’évolution de statut, c<strong>et</strong> extrait d’<strong>entre</strong>tien m<strong>et</strong> parfaitement en exergue ne serait-ce que<br />

la difficulté <strong>à</strong> « nommer » c<strong>et</strong>te discipline. Parle t-on de la même manière du « prof<br />

d’arithmétique ou de calcul » par exemple ? Mais les parents font-ils mieux lors <strong>des</strong> réunions<br />

parents/professeurs lorsqu’ils privilégient la rencontre <strong>des</strong> enseignants de mathématiques, de<br />

sciences biologiques <strong>et</strong> physiques, de français, de langues étrangères, d’histoire, de<br />

technologie (nous les avons bien évidemment classés par ordre d’importance décroissante !)<br />

réservant pour la fin <strong>des</strong> visites celle du professeur d’éducation physique, pour se réconforter,<br />

ou lorsque c<strong>et</strong> enseignant, (ne pourrait-on pas parler d’acquis social en la matière ?), accède<br />

au rang longtemps envié de professeur principal. Est-on si loin en définitive du temps où,<br />

comme le note Piédoue « (…) l’appréciation du professeur d’EPS est considérée par les<br />

parents, après toutes les autres, avec indulgence si elle est mauvaise, indifférence si elle est<br />

bonne, avec sourire si elle tente de se particulariser (…) » (Piédoue, 1972). Un signe sans<br />

doute montre une certaine évolution : le regard porté par les chefs d’établissement sur c<strong>et</strong>te<br />

discipline. Aux remarques presque humiliantes <strong>des</strong> décennies précédentes : « Que l’éducation<br />

physique se fasse remarquer le moins possible, <strong>et</strong> les choses iront très bien avec moi.<br />

[remarque d’un chef d’établissement <strong>à</strong> l’équipe pédagogique d’EPS] » (Piédoue, op. cit.),<br />

succède une attention bienveillante dont les fondements apparaissent ici encore relever <strong>des</strong><br />

fonctions régulatrices centrales prêtées de plus en plus fréquemment <strong>à</strong> l’éducation physique.<br />

D’abord parce que l’enseignant d’EPS joue un rôle <strong>à</strong> part dans l’espace scolaire qui<br />

commence <strong>à</strong> mieux être perçu <strong>à</strong> l’école, nous le verrons par les chefs d’établissement, mais en<br />

premier lieu surtout par les élèves eux-mêmes. Paradoxalement, en eff<strong>et</strong>, le professeur d’EPS<br />

est perçu comme « plus ouvert » par les élèves. Sa tenue vestimentaire, « sportive », le<br />

distingue souvent de ses collègues ajoutant peut-être une touche d’intérêt <strong>et</strong> de curiosité <strong>à</strong><br />

l’égard d’un enseignant hors norme dont la singularité se construit aussi très souvent sur <strong>des</strong><br />

capacités de dialogue reconnues. Ainsi pour c<strong>et</strong> élève « violent », plusieurs fois réprimandé<br />

pour <strong>des</strong> bagarres <strong>et</strong> ayant fait l’obj<strong>et</strong> d’une exclusion temporaire :<br />

« Avec le prof d’EPS c’est pas la même chose. Avec lui on peut parler, dire <strong>des</strong><br />

trucs. T’es pas sanctionné tout de suite. Il te juge pas comme un « nullos ». T’as<br />

pas d’étiqu<strong>et</strong>te ».<br />

Il est aussi celui qui anime l’AS <strong>et</strong> qui, chaque mercredi après-midi ou parfois sur d’autres<br />

créneaux, vit avec ses élèves <strong>et</strong> ceux <strong>des</strong> classes dont il n’est pas forcément le professeur, un<br />

moment privilégié, de libre choix pour les collégiens (30% de licenciés UNSS) <strong>et</strong> les lycéens<br />

(10% de licenciés UNSS) : découverte d’une activité, entraînement <strong>et</strong>/ou compétitions, stages<br />

groupés parfois originaux. De fait, le professeur, enseignant d’EPS <strong>et</strong> animateur de l’AS,<br />

impliqué dans de nombreuses activités dans <strong>et</strong> hors le temps purement scolaire, devient pour<br />

beaucoup d’élèves un référent incontournable, une personne respectée <strong>et</strong>, pour beaucoup de<br />

chefs d’établissement, une pièce essentielle de l’architecture sociale, scolaire <strong>et</strong> pédagogique<br />

du lycée ou du collège, une personne importante <strong>et</strong>, de surcroît, un bon « baromètre » du vécu<br />

<strong>et</strong> du ressenti humain au cœur de l’établissement. Matière appréhendée généralement comme<br />

« secondaire » dans la hiérarchie scolaire française le jugement émis par le professeur d’EPS<br />

est peut être moins durement ressenti par les élèves les moins bons. La note en EPS est moins<br />

vécue comme une sanction <strong>à</strong> long terme. Car, bien que le coefficient <strong>des</strong> épreuves d’EPS du<br />

baccalauréat soit en hausse (2), rejoignant celui <strong>des</strong> épreuves classiques du Français (2), les<br />

bons résultats généraux <strong>des</strong> épreuves nationales (Combaz, op. cit.) rassurent généralement les<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

moins débrouillards <strong>des</strong> élèves. D’autre part, le caractère d’épreuve obligatoire pour l’EPS<br />

s’est progressivement accompagné de l’ouverture de nombreuses possibilités d’options,<br />

abordables sur plusieurs années, qui perm<strong>et</strong>tent aux talents individuels de s’exprimer<br />

librement augmentant les chances de marquer <strong>des</strong> points <strong>et</strong> diminuant par conséquent les<br />

risques liés au champ disciplinaire lui-même… Ajoutons, que c’est probablement bien plus le<br />

système <strong>des</strong> représentations que les acteurs traditionnels de l’école (parents, enseignants,<br />

administrations <strong>et</strong> politiques) ont de l’EPS, appréhendée comme discipline « corporelle »,<br />

donc envisagée comme champ technique par opposition <strong>à</strong> l’espace intellectuel <strong>des</strong> disciplines<br />

classiques, qui joue quotidiennement un rôle important dans le tassement de l’estime qui<br />

devrait normalement lui revenir. L’ensemble concourt <strong>à</strong> limiter l’amplitude du levier EPS sur<br />

la <strong>des</strong>tinée scolaire <strong>des</strong> élèves <strong>et</strong> concourt par contrecoup <strong>à</strong> en faire un champ d’action <strong>à</strong><br />

valence plutôt positive, car représentant en quelque sorte un investissement <strong>à</strong> long terme sans<br />

grand risque de perte de rendement. C’est aussi vraisemblablement la forme d’enseignement,<br />

la participation active <strong>des</strong> élèves dans l’acquisition <strong>des</strong> savoirs, la possibilité de bouger, de<br />

s’exprimer par son corps, ainsi que le rapport <strong>à</strong> une culture corporelle, essentiellement<br />

sportive, devenue dominante <strong>et</strong> donc signifiante dans nos sociétés modernes (loisirs, cultures<br />

<strong>et</strong> mo<strong>des</strong> vestimentaires, médiatisation <strong>et</strong> icônes du « sport système », <strong>et</strong>c.), qui donnent c<strong>et</strong>te<br />

impression de liberté, de distance <strong>et</strong> de détachement. L’activité, pourtant contraignante du fait<br />

<strong>des</strong> règles ou règlements <strong>à</strong> respecter, <strong>des</strong> normes de sécurité imposées, est souvent vécue<br />

comme ludique <strong>et</strong> plus ou moins en phase avec les attentes <strong>des</strong> élèves. La pression <strong>des</strong> notes<br />

est moindre. Les élèves aux comportements les plus violents par ailleurs y sont plus<br />

« pacifiques » ce qui souligne peut-être un autre aspect original de l’EPS, sa dimension<br />

« foncière » (consommer de l’énergie, se vider, s’éclater) qui participe <strong>à</strong> évacuer <strong>des</strong> tensions:<br />

« On ne peut pas dire que les élèves agressifs ne le sont plus dans mes cours, je<br />

dirais simplement qu’ils le sont moins. L’EPS leur donne la possibilité de libérer<br />

leur agressivité mais aussi de la canaliser » (Professeure d’EPS, 42 ans).<br />

« C’est vrai que je suis pas pareil en sport. Bon j’ai le droit de bouger, de parler.<br />

Je peux m’éclater quoi ». (Élève).<br />

Perçue plus comme un temps d’apprentissage moins contraignant dans ses principes de<br />

fonctionnement, comme un champ disciplinaire qui ne présente que de faibles enjeux en<br />

termes de <strong>des</strong>tin scolaire <strong>et</strong> social, appréhendée comme un espace de vie scolaire plus libre,<br />

comme animée par <strong>des</strong> enseignants plus ouverts, l’EPS est une discipline paradoxale puisque<br />

c’est vraisemblablement celle parmi toutes les autres qui demande la plus grande application<br />

<strong>et</strong> acceptation <strong>des</strong> règles <strong>et</strong> <strong>des</strong> normes. Une rencontre en <strong>sports</strong> collectifs oblige <strong>à</strong> respecter<br />

strictement le règlement pour que le match puisse avoir lieu. Car le match suppose que l’on<br />

joue au même jeu. Il oblige finalement <strong>à</strong> reconstruire <strong>et</strong> recomposer ce que Peralva (op. cit.)<br />

repère comme une forme alternative proposée au développement « régulateur » d’une culture<br />

de la violence : la gestion d’un « vivre ensemble » qui repose sur « un choix stratégique<br />

rendant la négociation préférable <strong>à</strong> l’emploi de la force, ce qui suppose <strong>des</strong> intérêts<br />

communs ». Le concept même de règle est au c<strong>entre</strong> de ces problématiques. Les règles de<br />

sécurité dans certaines activités ne peuvent être contournées ni par les enseignants, qui<br />

encourent <strong>des</strong> poursuites, ni par les élèves trop conscients <strong>des</strong> dangers qui les menacent. Mais<br />

les règles font partie de l’activité <strong>et</strong> sont <strong>à</strong> ce titre acceptées, donnant immédiatement sens aux<br />

apprentissages qu’elles sous-tendent :<br />

« Tu fais pas n’importe quoi en sport. T’es obligé d’écouter le prof, de faire ce<br />

qu’il te dit ou alors <strong>des</strong> fois tu prends <strong>des</strong> risques comme quand tu plonges ou que<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

tu fais de l’escalade. Mais c’est pas pareil on accepte car on sait pourquoi »<br />

(Élève).<br />

L’EPS n’est donc pas seulement ludique au sens premier du terme, elle est socialisante <strong>à</strong><br />

travers l’acceptation <strong>et</strong> l’intelligibilité de règles partagées pour son bon déroulement. Le<br />

rapport <strong>à</strong> la règle, <strong>et</strong> donc sa contestation possible, voire celle de l’autorité <strong>des</strong> enseignants,<br />

semblent ainsi soumis tout <strong>à</strong> la fois <strong>à</strong> l’intérêt suscité par la discipline <strong>et</strong> l’enseignant chez nos<br />

élèves les plus turbulents, mais aussi <strong>à</strong> la capacité de comprendre, ou faire comprendre<br />

pourquoi celles-ci existent. C’est probablement une <strong>des</strong> différences fondamentales <strong>entre</strong> l’EPS<br />

<strong>et</strong> les autres disciplines : d’un côté <strong>des</strong> règles explicitées, vécues, agies, nécessaires au<br />

fonctionnement même <strong>des</strong> activités <strong>et</strong> <strong>des</strong> savoirs transmis, consubstantielles donc de la leçon<br />

d’EPS <strong>et</strong>, de l’autre, <strong>des</strong> règles imposées vécues comme autant de contraintes extérieures aux<br />

pratiques qu’elles sont sensées ordonner <strong>et</strong> faire vivre. Mais la différence ne s’arrête pas l<strong>à</strong>.<br />

Bien <strong>des</strong> actes de <strong>violences</strong> trouvent leur origine dans le rej<strong>et</strong> de l’Autre jugé comme<br />

différent. L’EPS oblige au dépassement <strong>des</strong> différences. Certains enseignements nécessitent la<br />

coopération <strong>entre</strong> élèves aussi bien pour réussir (dans le cas <strong>des</strong> <strong>sports</strong> collectifs) que pour se<br />

préserver (para<strong>des</strong> en gymnastique). La relation aux autres, pour conflictuelle qu’elle soit<br />

parfois, est indispensable. Le dépassement <strong>des</strong> antagonismes <strong>et</strong> le développement <strong>des</strong><br />

solidarités constituent d’ailleurs <strong>à</strong> la fois <strong>des</strong> valeurs traditionnellement attribuées au sport,<br />

aux APS <strong>et</strong> <strong>des</strong> valeurs éminemment prônées par les textes officiels les plus récents. Le<br />

dépassement, l’acceptation, l’utilisation <strong>et</strong> la gestion <strong>des</strong> différences, qu’elles soient de<br />

niveaux, de besoins ou de compétence (binôme nageur expert/nageur débutant, par exemple)<br />

ou de profils physiques porteurs de pouvoirs moteurs originaux (grands/p<strong>et</strong>its) ou bien encore<br />

différences de profils psychologiques (introverti/extraverti), parfois même différences de sexe<br />

peuvent constituer <strong>des</strong> objectifs <strong>à</strong> part entière dans toute leçon, jouant sur les dynamiques<br />

autonomie/coopération <strong>et</strong> donnant sens aux valeurs citoyennes… telles que les expriment les<br />

textes officiels de l’EPS autour de la solidarité <strong>et</strong> du respect de l’autre dans ses singularités.<br />

Ainsi, si les <strong>violences</strong> scolaires semblent moins ténues, dans le cadre de l’EPS, c’est peut-être<br />

que l’expertise <strong>et</strong> la qualité de l’enseignant s’y conjuguent autant sur le mode du savoir <strong>à</strong><br />

transm<strong>et</strong>tre (adéquation <strong>entre</strong> exigences scolaires, attentes <strong>des</strong> élèves, quête de sens…), du<br />

savoir transm<strong>et</strong>tre (le pédagogique, la relation éducative, l’affectif, la prise en compte <strong>des</strong><br />

élèves dans leurs diversités culturelles <strong>et</strong> sociales), que sur celui de la gestion <strong>des</strong> bonnes<br />

conditions dans lesquelles ce savoir circule <strong>et</strong> est capté par les élèves (identification,<br />

appropriation, implication par rapport <strong>à</strong> un contenu qui fait sens). Si la leçon d’EPS est perçue<br />

comme pacificatrice, c’est qu’elle doit sans doute être analysée comme un système dont les<br />

éléments (enseignant, élèves, savoirs transmis…), davantage que dans les autres disciplines,<br />

sont en interaction permanente. Le savoir, c’est <strong>à</strong> dire non seulement celui qui est directement<br />

appris comme inhérent <strong>à</strong> la logique interne de l’activité, aux conditions de réalisation d’une<br />

activité motrice signifiante (règles, techniques sportives, stratégies…), mais également celui<br />

qui conditionne d’une certaine manière ces actions, le « savoir être », la position de<br />

l’apprenant par rapport <strong>à</strong> l’obj<strong>et</strong> transmis, devient l’élément central d’une politique de la<br />

réussite <strong>et</strong> d’une mise <strong>à</strong> distance <strong>des</strong> différentes formes de <strong>violences</strong>. Si la séance d’EPS est<br />

propice au contrôle <strong>des</strong> <strong>violences</strong>, vivre <strong>et</strong> savoir gérer celles-ci ne sont pas pour autant un<br />

allant de soi pour les enseignants quels qu’ils soient. Beaucoup affirment être démunis devant<br />

l’hostilité ou l’opposition <strong>des</strong> élèves. A la question « Face aux <strong>violences</strong> de toutes natures<br />

(incivilités, verbales <strong>et</strong>c.) diriez-vous que vous êtes… 207 , la différence est flagrante <strong>entre</strong> les<br />

enseignants d’EPS <strong>et</strong> les autres :<br />

207 Question fermée <strong>à</strong> choix multiples. Le total <strong>des</strong> réponses est donc supérieur <strong>à</strong> 100.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 174


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Tous enseignants confondus Enseignants d’EPS<br />

Démunis 59.4 % 28.3 %<br />

Impuissants 53.5 % 26.6 %<br />

Non préparés 44. 6 % 23. 7 %<br />

Les enseignants face <strong>à</strong> la violence.<br />

Ces différences significatives de réponses sont vraisemblablement <strong>à</strong> rechercher dans la<br />

formation <strong>des</strong> enseignants autant sur les plans <strong>des</strong> outils pédagogiques <strong>et</strong> <strong>des</strong> trames<br />

didactiques que le futur professeur s’approprie que sur celui de la vision même du métier<br />

d’enseignant <strong>et</strong> <strong>des</strong> représentations qu’il suppose (ce qu’est un élève, une classe, un groupe, le<br />

statut du professeur, <strong>et</strong>c.) qui se construisent dès le début du cursus. Alors que ceux <strong>des</strong> autres<br />

matières ne commencent les stages en collèges qu’après l’obtention de leur licence <strong>et</strong> être<br />

entrés en IUFM (Institut universitaire de formation <strong>des</strong> maîtres), les futurs enseignants d’EPS,<br />

étudiants <strong>des</strong> UFR STAPS (Unité de formation <strong>et</strong> de recherche <strong>des</strong> sciences <strong>et</strong> techniques <strong>des</strong><br />

activités physiques <strong>et</strong> sportives) font, dans le cadre de leur formation universitaire, <strong>des</strong> stages<br />

parfois depuis leur première année d’université non seulement en milieu scolaire mais<br />

également en milieu associatif dans <strong>des</strong> structures éducatives <strong>et</strong> sportives. Ils sont ainsi<br />

confrontés <strong>à</strong> la réalité du terrain, <strong>à</strong> la préparation <strong>des</strong> cours <strong>et</strong> <strong>à</strong> la prise en compte de la<br />

difficulté de la transmission <strong>des</strong> savoirs. Trois années durant, avant leur entrée en IUFM, ils<br />

effectuent ainsi <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> d’immersion en compagnonnage avec d’autres enseignants. La<br />

distinction ne s’arrête pas l<strong>à</strong>. Car dès leur entrée <strong>à</strong> l’université ils suivent <strong>des</strong> cours de<br />

pédagogie, de didactique, de psychologie <strong>et</strong> de sociologie qui viennent parfaire leur<br />

connaissance <strong>des</strong> individus, <strong>des</strong> comportements violents ou déviants mais également la<br />

conduite <strong>des</strong> groupes. Enfin, les apprentissages sportifs ne se résument pas <strong>à</strong> un savoir-faire<br />

mais intègrent aussi un savoir « faire-faire » dispensé par <strong>des</strong> enseignants certifiés ou agrégés.<br />

Comment dès lors ne pas concevoir que les autres enseignants s’affirment plus démunis ou<br />

impuissants alors qu’ils n’ont durant leur temps principal de formation que répondu aux<br />

attentes spécifiques <strong>et</strong> normatives de leurs disciplines, réduites <strong>à</strong> la seule acquisition de<br />

savoirs ? Il est clair qu’il existe pour ces enseignants une distanciation importante <strong>entre</strong><br />

savoirs <strong>et</strong> savoir enseigner. Distance qui ne peut qu’accentuer la difficulté <strong>à</strong> accompagner <strong>et</strong><br />

comprendre un public difficile ou en difficulté, <strong>à</strong> identifier, accepter <strong>et</strong> contrôler les actes de<br />

<strong>violences</strong>. C’est aussi <strong>à</strong> travers le prisme de la formation qu’il faut comprendre <strong>et</strong> interpréter<br />

les propos précédemment utilisés de c<strong>et</strong> élève « violent » : « Avec le prof d’EPS c’est pas la<br />

même chose. Avec lui on peut parler, dire <strong>des</strong> trucs… ». Si l’efficience de l’enseignement<br />

passe bien évidemment par la maîtrise experte de l’enseignant, la position très particulière de<br />

l’enseignant d’EPS renvoie <strong>à</strong> l’identité d’une discipline « de terrain » historiquement issue du<br />

primaire, dont les préoccupations pédagogiques ont pris quelque avance dans le secondaire<br />

par rapport aux disciplines plus traditionnellement intellectualistes. Dans ce cadre particulier<br />

<strong>et</strong> caractéristique de l’EPS, les problèmes de <strong>violences</strong> deviennent <strong>à</strong> la fois source <strong>et</strong> obj<strong>et</strong><br />

d’interrogations, <strong>et</strong> presque paradoxalement source <strong>et</strong> obj<strong>et</strong> de savoirs pour les enseignants <strong>et</strong><br />

les élèves qui y sont brutalement confrontés. Car l’EPS est un puissant révélateur de nos<br />

enfants : leurs attitu<strong>des</strong>, leur participation, leurs <strong>relations</strong> <strong>à</strong> l’altérité, y différent <strong>des</strong> autres<br />

matières ; <strong>et</strong> l’enseignant d’EPS devient le principal témoin de ce qu’il est <strong>et</strong> deviendra peutêtre<br />

? L’histoire nous montre d’ailleurs que c<strong>et</strong>te vision de l’enseignant d’éducation physique,<br />

observateur privilégié de l’enfant ou de l’adolescent dans ses apprentissages <strong>et</strong> ses<br />

comportements les plus libres, a derrière elle une solide tradition de terrain. Les instructions<br />

officielles de 1945 ne spécifiaient-elles pas déj<strong>à</strong> combien le professeur d’éducation physique<br />

se montrait seul apte <strong>à</strong> percevoir l’élève dans la globalité de son comportement, dans la vérité<br />

de sa personnalité <strong>et</strong> de ses gestes (I. O. 1945) ?<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Les APS <strong>à</strong> l’école n’investissent pas seulement nos enfants comme les autres disciplines<br />

fonctionnant sur le régime strict de « savoirs savants », illusoirement utilisables<br />

ultérieurement. Il les révèle ! Car les forts en maths ou en thèmes ne sont pas toujours les<br />

phénix <strong>des</strong> salles de <strong>sports</strong>. A l’inverse les suj<strong>et</strong>s abêtis dans, <strong>et</strong> par, bien <strong>des</strong> matières se<br />

révèlent sous un jour bien différent en EPS. Il peut y avoir notamment renversement de rôles<br />

<strong>et</strong> de statuts, <strong>et</strong> mise en valeur de ceux que le SAVOIR exclut par ailleurs bien souvent <strong>et</strong> qui<br />

trouvent dans la violence un moyen efficace de se venger <strong>des</strong> humiliations subies <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

exclusions vécues. Face <strong>à</strong> ces jaillissements, le professeur d’EPS, articulant connaissances<br />

issues de sa formation initiale, connaissances de terrain <strong>et</strong> principes institutionnels, semble<br />

bien mieux armé que ses collègues enfermés dans <strong>des</strong> champs « intellectuellement<br />

monovalents ». Un dernier aspect sans doute, fondamental, illustre c<strong>et</strong>te position originale <strong>et</strong><br />

rend compte de c<strong>et</strong>te capacité de réponse qui puise sa force dans les outils construits en temps<br />

réel, sur le terrain, différenciant, au sein d’un même établissement, l’équipe <strong>des</strong> professeurs<br />

d’EPS du reste <strong>des</strong> professeurs. Il s’agit de l’obligation qui est faite <strong>à</strong> toute équipe EPS de<br />

produire un proj<strong>et</strong> pédagogique d’éducation physique <strong>et</strong> sportive. Celui-ci intègre <strong>et</strong> articule <strong>à</strong><br />

la fois la gestion <strong>des</strong> cycles <strong>et</strong> le fonctionnement de l’AS, la construction <strong>des</strong> contenus<br />

d’enseignement <strong>et</strong> leurs mo<strong>des</strong> d’évaluation, la mise en place <strong>des</strong> options <strong>et</strong> leur suivi ; il<br />

prend en compte le statut <strong>et</strong> le fonctionnement de l’établissement, le contexte socioculturel<br />

dans lequel s’épanouissent les élèves <strong>et</strong> naturellement m<strong>et</strong> <strong>à</strong> jour les ingrédients potentiels de<br />

la violence. Bref, il y a l<strong>à</strong> un outil pédagogique essentiel, propre au champ de l’EPS, qui<br />

constitue indéniablement un levier de premier ordre pour prévoir <strong>et</strong> agir sur le développement<br />

de comportements violents en milieu scolaire. L‘EPS est susceptible de rassembler, d’ores <strong>et</strong><br />

déj<strong>à</strong>, <strong>des</strong> modalités de gestion <strong>des</strong> comportements violents <strong>à</strong> l’école. Sans être une nouveauté<br />

<strong>à</strong> proprement parler, la prise en compte de c<strong>et</strong>te valeur non pas forcément spécifique d’une<br />

discipline mais partagée par ses acteurs principaux devient un atout non négligeable.<br />

Aujourd’hui reconnue comme discipline <strong>à</strong> part entière, l’EPS perm<strong>et</strong> de comprendre certains<br />

ressorts <strong>des</strong> actions violentes <strong>et</strong> les moyens d’y parer. Entre imposition de normes strictes <strong>et</strong><br />

<strong>relations</strong> adultes/enfants/adolescents renouées, l’EPS offre un modèle de gestion humaine<br />

efficace <strong>à</strong> la fois symboliquement <strong>et</strong> au sein de situations on ne peut plus concrètes...<br />

APS en milieu carcéral<br />

Dès lors les bases réflexives de notre nouvelle recherche en milieu carcéral étaient amorcées.<br />

Démarrée fin 2002, elle concerne aujourd’hui l’intégralité <strong>des</strong> c<strong>entre</strong>s pénitenciers du grandouest<br />

<strong>à</strong> travers une quadruple perspective : historique gérée par Robène, de la sociologie <strong>des</strong><br />

corps avec Héas, juridique avec Péchillon <strong>et</strong> de la sociologie <strong>des</strong> organisations <strong>et</strong> de<br />

l’éducation pour notre part. Elle implique également un grand nombre d’étudiants (17 en<br />

maîtrise, 1 en DEA <strong>et</strong> 1 en thèse) dans une double activité d’animation <strong>et</strong> de recherche.<br />

L’étude de c<strong>et</strong>te mesure innovante, l’introduction <strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s attendus ou constatés <strong>des</strong> APS<br />

en milieu carcéral, organisée <strong>à</strong> partir d’une double approche comparative -en fonction <strong>des</strong><br />

différentes catégories d’établissement pénitentiaires <strong>et</strong> du point de vue <strong>des</strong> différences de<br />

sexe- offre un cadre complexe <strong>et</strong> intéressant, car elle rompt avec les principes<br />

traditionnellement utilitaristes <strong>des</strong> peines qui se voulaient exemplaires, correctrices <strong>et</strong><br />

rédemptrices durant les siècles, ou simplement les quelques années qui précédent (Foucault,<br />

1975 ; P<strong>et</strong>it, Faugeron <strong>et</strong> Pierre, 2002). Elle nous invite ainsi, comme le suggère Guillarme<br />

(2003), <strong>à</strong> « penser la peine ». C<strong>et</strong>te dernière doit-elle en eff<strong>et</strong> se cantonner <strong>à</strong> <strong>des</strong> aspects<br />

punitifs, ou bien l’enfermement doit-il également offrir aux détenus un cadre humanisé bien<br />

que normatif <strong>et</strong> punitif afin de mieux les réinsérer dans la vie sociale ordinaire ? Il s’agit l<strong>à</strong><br />

d’un changement de paradigme important puisque l’introduction <strong>des</strong> pratiques sportives,<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

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Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

comme c’est le cas également <strong>des</strong> formations qualifiantes <strong>et</strong> diplômantes dans la prison,<br />

rompt avec le souci de l’exemplarité de la peine qui pouvait se concrétiser par le long<br />

cheminement <strong>des</strong> chaînes de bagnards dans la France du 19 ème siècle, aboutissement de la<br />

lente genèse <strong>et</strong> transformation de l’institution carcérale amorcée au siècle <strong>des</strong> lumières<br />

(Joannic-S<strong>et</strong>a, 2000).<br />

Sport <strong>et</strong> éducation<br />

Finalement le développement progressif de nos recherches nous a conduit incidemment aux<br />

aspects éducatifs qui nous préoccupaient de prime abord lorsque naïvement nous nous posions<br />

la question de savoir « d’où venait la violence <strong>des</strong> supporters <strong>et</strong> si l’on pouvait la prévenir » ?<br />

En passant de l’étude <strong>des</strong> manifestations de diverses formes de <strong>violences</strong> observables dans le<br />

« sport » <strong>à</strong> leurs préventions par le « sport », progressivement, a pris corps <strong>et</strong> forme un nouvel<br />

obj<strong>et</strong> de recherche qui s’avère tout <strong>à</strong> la fois complexe <strong>et</strong> infini. La prévention n’est cependant<br />

pas l’éducation. Elle n’en est qu’une infime composante. Et quand bien même nous nous<br />

interrogions sur la prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>des</strong> supporters, nous om<strong>et</strong>tions d’observer que<br />

chez ces mêmes supporters-hooligans existaient <strong>des</strong> formes éducatives <strong>et</strong> socialisantes qui<br />

n’ont rien <strong>à</strong> voir avec la monstruosité <strong>des</strong> actes qu’ils comm<strong>et</strong>tent parfois : investissement<br />

dans le groupe, négociations de déplacements, respects de consignes, rédaction de fanzines,<br />

<strong>et</strong>c.<br />

Le débat sur la, ou les, valeur(s) éducative(s) du « sport » renvoie également <strong>à</strong> une discussion<br />

qui dépasse le simple bénéfice, inter ou intra personnel, que peut induire la praxéologie<br />

sportive (être bien dans son corps, dans sa tête, apprendre <strong>à</strong> se contrôler, <strong>et</strong>c.). Il interroge au<br />

plus profond les politiques sociales <strong>et</strong> éducatives, la place <strong>et</strong> les fonctions du « sport » dans la<br />

société, les transformations sociales <strong>et</strong> sociétales au regard du corps, du temps libre, du<br />

rapport hommes/femmes <strong>et</strong> de bien d’autres choses encore.<br />

Il pose en fait un certain nombre de questions que nous nous proposons d’aborder dans nos<br />

recherches ultérieures :<br />

- Qu’est-ce qu’éduquer ? Ce questionnement renvoie tout simplement aux finalités<br />

éducatives attribuées, ou attribuables, au « sport ». Est-ce la réalisation de la<br />

personne ? L’adaptation de l’homme <strong>à</strong> la société ? Le « redressement » <strong>des</strong> corps <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> esprits ?<br />

- Quelles sont les modalités, valeurs, principes <strong>et</strong> objectifs qui perm<strong>et</strong>tent dans <strong>des</strong><br />

circonstances <strong>à</strong> définir, auprès de publics <strong>à</strong> préciser, d’éduquer par, dans <strong>et</strong> <strong>à</strong> travers le<br />

sport ?<br />

- Qu’est-ce qui dans le sport éduque, insère, intègre ou socialise ? La pratique ? Mais<br />

laquelle ? Le héros sportif ? L’apprentissage de règles édulcorées ? L’éducateur au<br />

sens large du terme ?<br />

- Si nous acceptons l’idée que le « sport » soit, ou puisse être, éducatif, nous sommes<br />

obligés de nous interroger sur la distribution sociale <strong>des</strong> pratiques sportives ainsi que<br />

sur les inégalités observables ? Quelles sont les APSA pratiquées dans nos collèges <strong>et</strong><br />

lycées en fonction de leur implantation urbaine ou rurale ? Dans <strong>des</strong> quartiers riches<br />

ou pauvres ? Dans nos clubs sportifs sur les mêmes critères ?<br />

- Quelles sont les valeurs éducatives poursuivies par les grands pôles créateurs de lien<br />

social (la famille, l’état, les communautés, le travail) <strong>à</strong> travers les pratiques sportives ?<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 177


Chapitre 4 : Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts personnels<br />

Arrêtons-nous l<strong>à</strong> car le questionnement est en fait infini. Il renvoie tout <strong>à</strong> la fois <strong>à</strong> <strong>des</strong> analyses<br />

historiques, philosophiques, politiques, sociales, <strong>et</strong>c., qu’une vie de chercheur ne suffira pas <strong>à</strong><br />

satisfaire. Tout au plus pourrons-nous éclairer certains points particuliers <strong>à</strong> travers ces<br />

questions <strong>à</strong> un moment donné. Il en est ainsi de la recherche menée actuellement avec nos<br />

collègues sur la prison dans les c<strong>entre</strong>s pénitenciers de la « zone grand-ouest ».<br />

Éduquer <strong>et</strong> former dans, par <strong>et</strong> <strong>à</strong> travers le sport posent néanmoins un problème particulier qui<br />

n’est cependant pas propre <strong>à</strong> la seule pratique sportive : celui de l’évaluation <strong>des</strong> politiques<br />

éducatives. Toutes ne sont probablement pas mesurables. D’autres ne le sont que sur le long<br />

terme <strong>à</strong> travers <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> longitudinales. La multiplicité <strong>des</strong> questionnements <strong>et</strong> <strong>des</strong> terrains<br />

induit nécessairement la structuration d’une équipe de recherche sur un tel proj<strong>et</strong>. C’est<br />

probablement l<strong>à</strong> l’enjeu essentiel de notre intérêt pour c<strong>et</strong>te question : pérenniser, développer,<br />

en intégrant de nouveaux chercheurs <strong>et</strong> d’autres étudiants, <strong>et</strong> fédérer, en nous alliant <strong>à</strong> d’autres<br />

laboratoires, autour de c<strong>et</strong>te recherche le groupe constitué depuis 18 mois maintenant.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 178


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

En guise de conclusion : Être ou devenir chercheur ?<br />

Comment conclure ? Si tant est que l’on puisse conclure ce travail qui est <strong>à</strong> notre sens une<br />

étape supplémentaire, <strong>et</strong> parmi d’autres, dans la carrière d’un chercheur. En r<strong>et</strong>raçant ce<br />

parcours de recherche depuis nos interrogations naïves, la construction de notre obj<strong>et</strong>, jusqu’<strong>à</strong><br />

notre contribution personnelle, il nous semble essentiel d’aborder trois points dans c<strong>et</strong>te partie<br />

conclusive : l’humilité, l’orgueil <strong>et</strong> la modélisation de ce cheminement.<br />

De l’humilité nécessaire… <strong>à</strong> l’orgueil<br />

A y penser de plus près c<strong>et</strong>te recherche ressemble <strong>à</strong> un iceberg dont la partie immergée <strong>et</strong><br />

invisible –les processus cognitifs, culturels, historiques <strong>et</strong> sociaux- grâce auxquels elle a pris<br />

corps, forme <strong>et</strong> sens, sont, au moins, aussi importants dans la production <strong>des</strong> résultats que la<br />

rationalisation nécessairement <strong>à</strong> la base de leur construction.<br />

Au tout début de ce travail, je faisais part de la chance que j’avais eue de côtoyer <strong>et</strong> rencontrer<br />

un certain nombre de personnes. A l’écriture <strong>et</strong> <strong>à</strong> la relecture de ce qui précède, je prends<br />

davantage encore conscience de c<strong>et</strong>te chance, mais surtout de la d<strong>et</strong>te contractée auprès de<br />

tous ceux qui m’ont accompagné, ont participé, collaboré, aidé <strong>et</strong> contribué <strong>à</strong> construire c<strong>et</strong>te<br />

recherche <strong>et</strong> ce que je suis. Il s’agit d’une d<strong>et</strong>te ineffaçable car, je n’ai pas été comme d’autres<br />

« immergés dès la naissance, dans <strong>des</strong> univers scolastiques » au point d’en « oublier les<br />

conditions historiques <strong>et</strong> sociales d’exception qui rendent possible une vision du monde <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

œuvres culturelles » (Bourdieu, 1997, 36). Ce n’est pas tant les épreuves traversées, les<br />

diplômes obtenus ou le statut acquis qui comptent. Je me souviens tout simplement d’où je<br />

viens. Issu d’un milieu populaire <strong>et</strong> ouvrier je ne peux en eff<strong>et</strong> faire fi, <strong>et</strong> table rase, de l’aide,<br />

du soutien <strong>et</strong> <strong>des</strong> encouragements reçus, sans lesquels les efforts, parfois exceptionnels qu’il<br />

m’a fallu consentir, seraient restés vains. Sans sombrer dans le misérabilisme il s’agit<br />

simplement d’affirmer qu’<strong>à</strong> mon sens un chercheur <strong>et</strong> une recherche ne peuvent se construire<br />

seuls. L’emploi ponctuel du « je », qui rompt avec les traditions d’écriture, est ici voulu <strong>et</strong><br />

choisi. Il se substitue au nous de convenance censé éloigner le chercheur de son suj<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

limiter mégalomanie <strong>et</strong> outrecuidance. Loin d’être orgueilleux ou sentencieux c’est le « je »<br />

humble <strong>et</strong> réservé du chercheur qui adm<strong>et</strong> sa d<strong>et</strong>te <strong>et</strong> la relativité de son apport. Il correspond<br />

tout simplement <strong>à</strong> la réintroduction du suj<strong>et</strong> dans l’acquisition ou la production de la<br />

connaissance (Morin, 1982).<br />

Singulièrement, faisant suite <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te humilité, affichée <strong>et</strong> revendiquée, se présenter <strong>à</strong><br />

l’habilitation <strong>à</strong> diriger <strong>des</strong> recherches est un acte d’orgueil. Il s’agit bien pour l’impétrant de<br />

présenter ses travaux en affirmant leur pertinence <strong>et</strong> leur validité dans l’attente d’une<br />

reconnaissance officialisée par ceux, qui deviendront alors ses pairs. Il y a l<strong>à</strong> une volonté de<br />

se distinguer, de ses confrères ou, plus simplement par rapport <strong>à</strong> soi-même, d’obtenir une<br />

distinction, un titre, une reconnaissance. Bref de se construire une identité valorisante <strong>et</strong><br />

valorisée par l’institution elle-même, pour soi <strong>et</strong> au regard d’autrui. C<strong>et</strong>te distinction attendue<br />

<strong>et</strong> recherchée n’est pas seulement cela. Elle ne peut se résumer <strong>à</strong> la fatuité. Il s’agit aussi <strong>et</strong><br />

surtout d’un acte « utile ». Elle est l’ouverture vers d’autres possibles : l’officialisation d’un<br />

travail accompli avec les doctorants, une aide <strong>à</strong> la recherche <strong>et</strong> aux démarches que le<br />

chercheur doit accomplir au sein même de l’université, ou dans ses négociations avec les<br />

différents partenaires de sa recherche. C’est tout simplement un acte d’orgueil indispensable <strong>à</strong><br />

la poursuite du travail de chercheur.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 178


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

La modélisation d’un parcours<br />

La question était : être ou devenir chercheur ? De c<strong>et</strong> avant-propos conclusif la réponse ne<br />

peut être, du moins en ce qui nous concerne, de l’ordre de l’habitus pas plus qu’elle ne l’est<br />

de l’inné faisant du chercheur un individu hors norme prédisposé <strong>et</strong> « pré formaté ». A l’être<br />

prédisposé se substitue donc, une ou, <strong>des</strong> manières de devenir chercheur.<br />

Pour rendre compte de ce « devenir » nous utiliserons le modèle, proposé par Latour lors de<br />

sa conférence intitulée « Le métier de chercheur. Regard d’un anthropologue » dans laquelle il<br />

définissait cinq horizons de la recherche. Le premier horizon est celui de la « mobilisation du<br />

monde » qui dans les sciences sociales prend forme dans la construction <strong>et</strong> la constitution<br />

d’enquêtes <strong>et</strong> de banques de données qui devront être « mobilisables », c’est <strong>à</strong> dire<br />

intelligibles, lisibles, combinables <strong>et</strong> manipulables de maintes façons. Le deuxième est de<br />

« créer <strong>des</strong> collègues » capables de comprendre les dires <strong>et</strong> les faits, mais aussi de discuter <strong>et</strong><br />

critiquer une production de plus en plus pointue. Le troisième consiste en la mise en place<br />

« d’alliances » avec « <strong>des</strong> gens que l’on peut intéresser <strong>à</strong> la réalisation <strong>des</strong> opérations<br />

précédentes » (politiques, administrateurs divers <strong>et</strong> variés, <strong>entre</strong>prises, <strong>et</strong>c.). Le quatrième<br />

porte sur « la mise en scène » de l’activité scientifique <strong>et</strong> consiste pour l’essentiel en un travail<br />

de <strong>relations</strong> publiques <strong>des</strong>tiné tout <strong>à</strong> la fois <strong>à</strong> médiatiser la recherche <strong>et</strong> faciliter, notamment,<br />

son financement <strong>et</strong> les alliances. Le cinquième est celui <strong>des</strong> idées <strong>et</strong> <strong>des</strong> concepts servant de<br />

« liens <strong>et</strong> de liants ». Ce dernier est au carrefour <strong>des</strong> quatre horizons précédents, dépend <strong>et</strong><br />

influe de, <strong>et</strong> sur chacun d’eux. Il s’agit du contenu même de l’activité scientifique.<br />

Ce modèle a quelque chose de provocateur. Latour reconnaît même qu’il s’agit davantage l<strong>à</strong><br />

d’une métaphore que d’un modèle. Il présente l’intérêt surtout de rompre avec l’illusion d’un<br />

chercheur qui serait un « esprit-dans-un-bocal, isolé <strong>et</strong> singulier observant un monde extérieur<br />

duquel il est parfaitement coupé » (1999, 316) sorte de professeur Tournesol. Il se doit au<br />

contraire d’être animé d’une pensée stratégique nécessaire au développement <strong>et</strong> <strong>à</strong> la plénitude<br />

de la recherche. En ce sens « on ne naît pas scientifique mais on le devient » (1994, 28).<br />

Qu’en est-il de notre parcours en appliquant ce modèle métaphorique <strong>à</strong> nous-même dans un<br />

effort « d’autocritique » <strong>et</strong> « d’auto-analyse » ?<br />

En ce qui concerne le premier horizon, « la mobilisation du monde », notre travail a été<br />

orienté dès le début sur la constitution d’une vaste base de données. A l’issue de notre thèse,<br />

celle-ci comptait déj<strong>à</strong> plus de 2400 questionnaires pour atteindre aujourd’hui 14 867<br />

personnes interrogées. Il faut reconnaître que tout cela n’aurait jamais été possible sans la<br />

participation <strong>et</strong> le travail d’étudiants. C<strong>et</strong>te collecte a grossi en grande partie grâce <strong>à</strong> leurs<br />

apports. C<strong>et</strong>te collaboration n’est en rien du mandarinat. Il s’agit d’abord d’une aventure<br />

humaine au sens strict du terme. Certains, passionnés par ce suj<strong>et</strong>, voulaient y participer,<br />

rencontrer <strong>et</strong> comprendre les hooligans. Alors que c<strong>et</strong>te recherche n’était pas financée<br />

quelques-uns se déplaçaient avec moi dans mon véhicule personnel. Nous couchions chez mes<br />

amis pongistes <strong>à</strong> Toulouse, Marseille, Nantes, Lyon ou Paris. C’est encore l’histoire d’un<br />

partage. Les données recueillies, même celles personnellement au tout début <strong>des</strong> travaux, ont<br />

toujours été de tous temps accessibles <strong>à</strong> tout un chacun. C<strong>et</strong>te démarche avait profondément<br />

surpris notre jury de thèse, constatant qu’en annexes était livrée l’intégralité <strong>des</strong> bases de<br />

données sous disqu<strong>et</strong>tes qui plus est directement exploitables avec un logiciel de traitement<br />

statistique.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 179


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

C<strong>et</strong>te base de données perm<strong>et</strong> aujourd’hui <strong>des</strong> comparaisons très importantes en terme de<br />

<strong>sports</strong>, de sites, d’époques, de publics <strong>et</strong>, bientôt <strong>des</strong> comparaisons internationales avec<br />

notamment la recherche en Espagne.<br />

Le deuxième horizon, « créer <strong>des</strong> collègues », prend plusieurs formes. La première est la<br />

formation d’un certain nombre d’étudiants de maîtrise, de DEA, <strong>et</strong> de thèse, <strong>à</strong> Bordeaux 239 ,<br />

puis <strong>à</strong> Rennes 240 qui ont travaillé soit directement sur le hooliganisme, soit d’une manière plus<br />

générale, après avoir commencé sur le hooliganisme, sur les <strong>relations</strong> qu’<strong>entre</strong>tiennent <strong>sports</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>violences</strong>. On peut ainsi citer en thèse actuellement Gorodnitchenko 241 (Femmes<br />

hooligans), Creuzé (Insertion <strong>et</strong> exclusion <strong>des</strong> athlètes de haut niveau), Sempé (Sport en<br />

prison : éduquer <strong>et</strong> socialiser approche comparative franco-canadienne) 242 , Grandjean (La<br />

prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> par la pratique <strong>des</strong> APS dans les quartiers sensibles), Sayeux (le<br />

surf : culture déviante ou culture alternative) <strong>et</strong> entrant en 2 ème année de master recherche Piot<br />

(Sport en prison : intégrer les déviants sexuels), Le Yondre (Pratique sportive <strong>et</strong> exclusion<br />

sociale). Derrière la formation d’étudiants, qui deviendront peut-être, nous l’espérons, <strong>des</strong><br />

collègues se cachent en fait de multiples objectifs. Le premier est d’arriver <strong>à</strong> autonomiser ces<br />

jeunes chercheurs en construction afin qu’ils ne soient pas un produit « dérivé » de nos<br />

recherches mais, bien au contraire, qu’<strong>à</strong> partir d’un même obj<strong>et</strong>, ils puissent acquérir une<br />

compétence qui leur sera propre. Le second objectif est de les aider <strong>à</strong> trouver un financement<br />

pour travailler. Sempé est actuellement allocataire <strong>et</strong> monitrice, Sayeux a obtenu un contrat<br />

CIFRE, Creuzé un partenariat financier avec le MJS. Le troisième est de les aider <strong>à</strong> publier en<br />

les aidant dans la rédaction d’articles scientifiques mais également en les faisant cosigner <strong>des</strong><br />

articles que nous écrivons, (pour lesquels ils fournissent néanmoins un réel travail), ou en les<br />

faisant bénéficier de contribution dans <strong>des</strong> ouvrages.<br />

La seconde est la collaboration avec d’autres chercheurs. En travaillant avec le Conseil de<br />

l’Europe, nous avons eu l’occasion de m<strong>et</strong>tre en œuvre <strong>des</strong> travaux communs en ce qui<br />

concerne le hooliganisme : ponctuellement avec le Pr. Enikolopov du Mental Health Reserach<br />

Center de l’université de Moscou, ou sur le moyen terme en Espagne avec la Pr. Ana Criado,<br />

mais également par un système d’échanges, en autorisant l’utilisation du questionnaire sur le<br />

hooliganisme au Danemark avec R. Abergel (Gouvernement danois) avec pour contrepartie la<br />

possibilité d’utiliser les résultats ; sur le sport comme moyen de prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> avec<br />

le « département for education and skills » dirigé par M. Gittins ; pour le sport en prison en<br />

créant <strong>à</strong> l’intérieur de l’UFR Staps un groupe centré sur c<strong>et</strong>te question avec S. Héas, L.<br />

Robène, E. Péchillon <strong>et</strong> en signant une convention liant notre laboratoire avec l’ENAP (École<br />

nationale d’administration pénitentiaire) <strong>et</strong> le CIRAP (C<strong>entre</strong> interdisciplinaire de recherches<br />

appliquées au champ pénitentiaire) par l’intermédiaire de F. Courtine. Ce second type de<br />

collaboration est un moyen de bâtir <strong>des</strong> réseaux <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> tout <strong>à</strong> la fois d’envisager de<br />

nouvelles problématiques <strong>et</strong> de nouveaux terrains avec d’autres chercheurs dans une logique<br />

interdisciplinaire. C<strong>et</strong>te collaboration perm<strong>et</strong> surtout un travail d’investigation <strong>et</strong> d’analyse<br />

plus fin <strong>et</strong> plus compl<strong>et</strong>.<br />

Dans c<strong>et</strong>te optique deux proj<strong>et</strong>s se profilent : d’une part, une collaboration, qui pourrait<br />

déboucher sur une convention, <strong>entre</strong> notre laboratoire <strong>et</strong> l’« Economic research foundation »<br />

de l’Université d’Istanbul, par l’intermédiaire du Pr. K. Erkiner <strong>et</strong>, d’autre part,<br />

239<br />

Sous la responsabilité pédagogique de M. André Menaut, Professeur <strong>des</strong> Universités.<br />

240<br />

Sous la responsabilité pédagogique de M. Yvon Léziart, Professeur <strong>des</strong> Universités.<br />

241<br />

Après avoir fait sa maîtrise <strong>et</strong> son DEA <strong>à</strong> Bordeaux, poursuit son travail de thèse avec le Pr Rauch <strong>à</strong><br />

Strasbourg.<br />

242<br />

En codirection avec M. Martin Gendron, professeur <strong>à</strong> l’Université de Rimouski au Québec.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 180


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

l’établissement d’une convention avec le conseil de l’Europe <strong>et</strong> l’ONG Sport sans frontières<br />

sur les questions d’éducation par le sport.<br />

La troisième est la confrontation avec certains « collègues ». L<strong>à</strong> l’expérience de la recherche<br />

s’avère plus rude. Peut-être sommes-nous tout simplement trop naïf parfois. Que dire en eff<strong>et</strong><br />

quand, travaillant sur un obj<strong>et</strong> similaire, un autre jeune chercheur, récupère sur le terrain,<br />

votre questionnaire pour le dupliquer <strong>et</strong> s’en servir ? C’est une anecdote mais qui nous a<br />

néanmoins conduit <strong>à</strong> déposer les outils <strong>à</strong> la Société <strong>des</strong> gens de l<strong>et</strong>tres ! Que dire encore <strong>des</strong><br />

chercheurs qui souhaitent collaborer ce qui signifie normalement travailler ensemble, m<strong>et</strong>tre<br />

en commun <strong>à</strong> part égal <strong>et</strong> dont l’unique objectif est de pouvoir se servir <strong>des</strong> données<br />

recueillies sans rien fournir en échange ? Ce troisième vol<strong>et</strong> que je nommerai la concurrence,<br />

est pourtant bien inutile dans une recherche sans aucun avenir spéculatif <strong>et</strong>, s’avère tout<br />

simplement décevant.<br />

Le troisième horizon est celui <strong>des</strong> « alliances ». Dans l’esprit de Latour, il s’agit d’une part, de<br />

la capacité de s’allier <strong>à</strong> <strong>des</strong> décideurs afin d’obtenir les crédits éminemment indispensables <strong>à</strong><br />

la recherche <strong>et</strong>, d’autre part, de la constitution-autonomisation de collègues.<br />

En ce qui concerne le premier point notre parcours de recherche a débuté sans aucun<br />

financement. Nous nous rendions sur les sites <strong>à</strong> nos propres frais. Nous emmenions avec nous<br />

<strong>des</strong> étudiants. Ainsi nous avons souvent réinvesti les quelques émoluments obtenus pour <strong>des</strong><br />

interventions, <strong>des</strong> conférences ou les droits d’auteurs perçus. Une de nos premières actions a<br />

donc consisté <strong>à</strong> trouver <strong>des</strong> financements. Ainsi au titre de la recherche sur le hooliganisme<br />

nous avons recueilli : 6 000 euros du Conseil Régional d’Aquitaine, 1 500 euros du Conseil<br />

Général de la Gironde, qui pour l’anecdote sont entrés dans notre laboratoire d’appartenance<br />

de l’époque <strong>et</strong> n’ont jamais été attribués <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te recherche, 6 fois 2 mois saisonniers par la<br />

direction régionale de la Jeunesse <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>sports</strong> d’Aquitaine, 10 000 km de trains gratuits par<br />

la SNCF, 10 locations week-end gratuites de voiture classe A kilométrage illimité chez<br />

Budg<strong>et</strong>.<br />

Les budg<strong>et</strong>s acquis restent du domaine de l’artisanat. A contrario de ce que nous pouvions<br />

imaginer en ce qui concerne le hooliganisme <strong>et</strong>, contrairement <strong>à</strong> d’autres pays européens<br />

(Allemagne, Belgique, Pays-Bas), nous n’avons, par exemple, jamais obtenu de financement<br />

de la part de la LNF ou <strong>des</strong> clubs, ce qui tend <strong>à</strong> confirmer que la prévention <strong>des</strong> actes de<br />

hooliganisme ne les intéressent pas. Ces financements appellent cependant trois remarques.<br />

La première est que l’obtention du budg<strong>et</strong> répond tout <strong>à</strong> la fois de la pertinence du proj<strong>et</strong><br />

proposé mais également du réseau que l’on possède. Si, <strong>à</strong> chaque fois nous avons monté un<br />

dossier solide, montrant aux interlocuteurs, l’intérêt de notre recherche, nous avons en fait<br />

activé les réseaux que nous possédions depuis 18 ans dans le monde sportif. Cela appelle la<br />

seconde remarque. En obtenant un poste sur Rennes, les réseaux proximaux que nous<br />

possédions s’avèrent inutiles. Les réseaux sont <strong>à</strong> (re)construire. Ainsi la recherche sur la<br />

prison ne bénéficie-t-elle actuellement d’aucun financement. Nous attendons la réponse <strong>à</strong><br />

deux dossiers déposés auprès de la Région pénitentiaire grand-ouest <strong>et</strong> du ministère de la<br />

justice. La troisième remarque est l’articulation parfois difficile <strong>entre</strong> indépendance de la<br />

recherche <strong>et</strong> financement de celle-ci. Si pour les financements indiqués ci-<strong>des</strong>sus il n’y a eu<br />

aucun problème, nous avons été obligé de refuser 6 000 euros du Ministère de la Jeunesse <strong>et</strong><br />

<strong>des</strong> Sports (40 000 F <strong>à</strong> l’époque) en 1998 car ils souhaitaient passer une convention tripartite<br />

(laboratoire, ministère <strong>et</strong> nous même) précisant que les données obtenues leur<br />

appartiendraient. Nous avons donc refusé le conventionnement.<br />

En ce qui concerne le deuxième point, la « constitution-autonomisation » de collègues,<br />

l’implication au Conseil de l’Europe nous a beaucoup aidé. C’est tout d’abord la possibilité de<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 181


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

bénéficier <strong>et</strong> d’être en contact avec un réseau de chercheurs travaillant de près ou de loin sur<br />

le même obj<strong>et</strong>, que l’on peut d’autant plus facilement solliciter que l’on collabore dans une<br />

même organisation. C’est d’ailleurs ce réseau que nous activons aujourd’hui autour de deux<br />

proj<strong>et</strong>s. Le premier proj<strong>et</strong> est l’organisation conjointe avec B. Gaillard (MCU) <strong>à</strong> l’UFR de<br />

psychologie de Rennes 2 d’un colloque ayant trait <strong>à</strong> la violence dans la société en novembre<br />

2004 <strong>à</strong> Rennes. Nos réseaux respectifs perm<strong>et</strong>tent de solliciter un certain nombre de<br />

conférenciers invités, d’obtenir <strong>des</strong> participants de l’Europe entière appartenant <strong>à</strong> <strong>des</strong> champs<br />

scientifiques distincts, de faire venir <strong>des</strong> hommes politiques (Ministre de l’éducation suisse,<br />

représentante du gouvernement espagnol, représentant du gouvernement britannique, <strong>et</strong>c.). Le<br />

second proj<strong>et</strong>, en discussion actuellement, est l’organisation conjointe, Conseil de l’Europe-<br />

UFR Staps de Rennes 2, sur le site de l’université de Rennes, d’une conférence européenne<br />

sur le thème Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong> <strong>à</strong> travers deux axes : le sport comme moyen d’éducation de<br />

socialisation ou de prévention <strong>des</strong> <strong>violences</strong> <strong>et</strong> le sport comme théâtre ou lieu de production<br />

<strong>des</strong> <strong>violences</strong>. Dans notre esprit, l’activation de nos réseaux, pour réaliser ce type d’opération,<br />

doit aider également <strong>à</strong> les compléter pour développer la recherche.<br />

Nous en arrivons tout naturellement au quatrième horizon celui de la « mise en scène du<br />

travail scientifique ». Elle prend ici plusieurs formes qui répondent <strong>à</strong> <strong>des</strong> logiques <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

intérêts distincts.<br />

La première forme est purement académique lorsque nous fournissons nos travaux de<br />

recherches <strong>à</strong> la critique <strong>des</strong> « collègues » : articles scientifiques, contribution <strong>à</strong> <strong>des</strong> ouvrages,<br />

rédaction d’ouvrages, participation <strong>à</strong> <strong>des</strong> colloques. Nous ne développerons pas c<strong>et</strong> aspect <strong>à</strong> la<br />

base même de c<strong>et</strong>te HDR.<br />

Il s’agit ensuite d’une mise en scène <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> donner de la « visibilité » <strong>à</strong> la recherche. C’est<br />

même parfois une priorité pour l’obtention de fonds. Ce n’est pas le seul objectif. Disons-le<br />

franchement <strong>et</strong> reconnaissons-le, il y a aussi une part de reconnaissance personnelle du<br />

chercheur qui ne doit cependant pas verser dans la mégalomanie. Il est néanmoins vrai qu’un<br />

décideur associe tout <strong>à</strong> la fois un proj<strong>et</strong> <strong>à</strong> un visage lorsque la mise en scène a été télévisée ou<br />

<strong>à</strong> un contenu lorsqu’il a été publié, cité ou télévisé encore. La recherche sur le hooliganisme <strong>et</strong><br />

certaines de nos publications ont été largement médiatisées : participations <strong>à</strong> <strong>des</strong> débats sur<br />

FR3, M6, Pathé Sport, 13 ème rue, la Chaîne de l’assemblée nationale ; interventions lors de<br />

débats sur France Inter, France culture, RMC <strong>et</strong> quelques radios locales ; articles dans <strong>des</strong><br />

quotidiens nationaux : Le Figaro, La croix ; rédactionnels sur certaines productions comme<br />

l’homosexualité dans le sport dans Le Monde ; rédactionnels ou interviews dans <strong>des</strong> journaux<br />

spécialisés dans le sport ou les questions de jeunesse : Enjeu, Les Jeunes, Sport <strong>et</strong> vie ;<br />

invitation <strong>à</strong> <strong>des</strong> cinés débats : projection du film « ID » <strong>à</strong> Villenave d’Ornon (33),<br />

documentaire « idéologies politiques <strong>et</strong> <strong>sports</strong> » <strong>à</strong> Bègles (33). Ne nous leurrons cependant<br />

pas sur c<strong>et</strong>te médiatisation. Elle correspond parfois <strong>à</strong> une certaine opportunité face <strong>à</strong> un<br />

événement qui vient de défrayer la chronique comme par exemple les violents événements<br />

<strong>entre</strong> le PSG <strong>et</strong> Marseille en janvier 2003. Nous servons aussi de caution scientifique <strong>à</strong> un<br />

débat sans fond, <strong>et</strong> parfois sans fondement, sur les questions de <strong>sports</strong>, de <strong>violences</strong> <strong>et</strong><br />

d’éducation, où les réponses <strong>et</strong> les questions, loin d’<strong>entre</strong>r dans un débat d’idées, ou une<br />

réflexion, sont issues d’un dossier préparé dans l’urgence médiatique <strong>et</strong> lu au prompteur. Le<br />

risque est grand également de céder <strong>à</strong> un ved<strong>et</strong>tariat dont l’origine est le monde en réseau <strong>des</strong><br />

médias. Vous êtes alors invité <strong>à</strong> participer <strong>à</strong> une émission car on vous a vu dans une autre<br />

précédemment ou parce qu’un journaliste <strong>à</strong> eu votre nom par un confrère. Il faut savoir se<br />

limiter <strong>à</strong> ses compétences. En dehors de c<strong>et</strong>te critique sévère, il est indéniable que pouvoir<br />

faire apparaître dans un dossier de demande subvention, par exemple, la participation <strong>à</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 182


En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

débats télévisés, ou <strong>des</strong> interviews réalisées dans un grand quotidien, donne plus de crédibilité<br />

au proj<strong>et</strong>.<br />

Qu’en pensent <strong>à</strong> l’inverse les « collègues » ? Leurs réactions sont souvent mitigées <strong>et</strong><br />

partagées <strong>entre</strong> indifférence, jalousie, incompréhension <strong>et</strong> critiques. Il n’est pas possible pour<br />

autant de leur reprocher ces différentes attitu<strong>des</strong>. Scientifiquement le discours est épuré,<br />

souvent décontextualisé, quand il n’est tout simplement pas tronqué au montage. Que dire<br />

encore lorsqu’un jeune chercheur bénéficie opportunément de ce type de<br />

couverture médiatique alors que d’autres après <strong>des</strong> années de recherches n’en ont jamais eu ?<br />

Rien, si ce n’est qu’il faut replacer tout dans une logique utilitariste, celui de faire connaître la<br />

recherche en générale, une recherche précise ensuite, son laboratoire d’appartenance enfin,<br />

afin d’obtenir, si possible, <strong>des</strong> avantages symboliques <strong>et</strong> financiers.<br />

Le cinquième horizon est celui du contenu de l’activité scientifique elle-même. Bien qu’il ait<br />

été amplement présenté <strong>et</strong> discuté, tout au long de ce travail, il n’est pas inutile d’en présenter<br />

un résumé <strong>et</strong> ce qui nous semble être les idées fortes <strong>et</strong> originales. Elle s’inscrit d’abord dans<br />

une sociologie plus générale de la violence dans les <strong>sports</strong>. Elle pourrait se résumer par les<br />

quelques mots clefs utilisés en quatrième de couverture : sport, violence, hooliganisme,<br />

institutions sportives, jeunes.<br />

Notre contribution <strong>à</strong> la question <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong> se distingue <strong>des</strong> autres<br />

de quatre manières différentes. En choisissant comme entrée première le hooliganisme, nous<br />

avons cherché tout d’abord <strong>à</strong> comprendre pourquoi un sport en particulier était davantage<br />

concerné que les autres, en rem<strong>et</strong>tant ensuite en question la construction sociale de notre obj<strong>et</strong><br />

(contexte socio-économique, utilisation de statistiques policières, présence d’un paradigme<br />

dominant, <strong>et</strong>c.), en prenant en compte, encore, la complexité du phénomène, dépassant<br />

l’habituel <strong>et</strong> trop facile point de vue déterministe, selon l’habituelle <strong>et</strong> abusive équation<br />

criminologique « jeune, pauvre <strong>et</strong> forcément délinquant », qui m<strong>et</strong> en exergue les interactions<br />

subtiles <strong>et</strong> complexes <strong>entre</strong> les différents participants du spectacle sportif <strong>à</strong> partir d’une<br />

acception large de la violence, en montrant, enfin, les responsabilités de l’institution sportive<br />

elle-même dans l’émergence mais aussi dans la propagation <strong>des</strong> actes de violence <strong>des</strong> jeunes<br />

supporters en raison d’attitu<strong>des</strong> collusoires <strong>et</strong> du manque de politique préventive.<br />

La conclusion de ce travail est finalement simple. A partir de l’exemple du hooliganisme, on<br />

ne peut pas considérer comme un allant de soi les aspects éducatifs, insérants, intégratifs, ou<br />

socialisants du sport, au sens générique du terme. Cela dépend de contextes <strong>et</strong> de modalités<br />

que nous cherchons aujourd’hui <strong>à</strong> étudier dans le cas précis du sport en prison poursuivant<br />

ainsi notre devenir chercheur.<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 183


Table <strong>des</strong> tableaux <strong>et</strong> figures<br />

Table <strong>des</strong> tableaux <strong>et</strong> figures<br />

Tableau. Répartition <strong>des</strong> licenciés <strong>et</strong> <strong>des</strong> spectateurs en fonction <strong>des</strong> <strong>sports</strong><br />

étudiés<br />

A.F.C. Répartition sociale <strong>des</strong> publics de quatre <strong>sports</strong> collectifs<br />

Tableau. Répartition par catégories d’âges <strong>des</strong> publics <strong>des</strong> différents <strong>sports</strong><br />

collectifs étudiés<br />

AFC. Thèmes passion par appartenance groupale réalisée <strong>à</strong> partir <strong>des</strong><br />

<strong>entre</strong>tiens<br />

Tableau. Participation aux actes hooligans en fonction du sexe<br />

Tableau. Catégories d'âge <strong>des</strong> femmes hooligans membres <strong>des</strong> noyaux durs<br />

Tableau. Raisons invoquées par les membres <strong>des</strong> noyaux durs pour justifier<br />

le recours <strong>à</strong> la violence<br />

AFC. Tri croisé Indice de Culture Sportive <strong>et</strong> <strong>sports</strong><br />

AFC. Tri croisé ICS <strong>et</strong> affrontements/raisons<br />

Affiche. Apologie de la haine raciale au Kop de Boulogne<br />

Tee-shirts « empruntés » aux supporters parisiens lors de nos investigations<br />

Affiche <strong>des</strong> South Winners pour le déplacement <strong>à</strong> Lyon en 1998<br />

Tableau. Taux de pratique sportive selon le sexe<br />

Tableau. Taux de pratique sportive selon les catégories d'âge<br />

Tableau. Pratique sportive <strong>et</strong> <strong>relations</strong> aux autres<br />

Tableau. Les raisons invoquées <strong>à</strong> la territorialisation de l'espace sportif<br />

Tableau. Les enseignants face <strong>à</strong> la violence<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 184<br />

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leurs préventions. Page 198


Table <strong>des</strong> matières<br />

Table <strong>des</strong> matières<br />

Remerciements 1<br />

Sommaire 3<br />

Introduction 4<br />

Chapitre 1. Un parcours sous influences 7<br />

1. Expériences <strong>et</strong> observations inaugurales<br />

7<br />

2. Rencontres, hasards <strong>et</strong> opportunités<br />

Chapitre 2. Sports <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. <strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> un obj<strong>et</strong> de recherche <strong>à</strong><br />

7<br />

partir de la question du hooliganisme<br />

12<br />

1. Où il est question de sport<br />

12<br />

2. Distinguer les <strong>sports</strong> modernes <strong>des</strong> jeux anciens<br />

14<br />

3. Les <strong>sports</strong> modernes participent au contrôle de la violence<br />

15<br />

4. Le hooliganisme : une violence propre aux sociétés contemporaines ?<br />

17<br />

Les jeux anciens <strong>et</strong> le hooliganisme<br />

18<br />

Hooliganisme <strong>et</strong> football contemporain<br />

20<br />

Un jeu de mots<br />

La Grande-Br<strong>et</strong>agne témoin <strong>et</strong> théâtre de la genèse du<br />

21<br />

hooliganisme<br />

21<br />

Les <strong>violences</strong> changent de nature<br />

21<br />

Le public du stade se modifie<br />

Les problèmes sociaux au fondement de l’aggravation <strong>des</strong><br />

23<br />

actes hooligans<br />

Le hooliganisme : violence « ordinaire » pour les jeunes<br />

25<br />

exclus de la classe ouvrière<br />

27<br />

Les médias catalysent les <strong>violences</strong> hooligans<br />

29<br />

Extension du hooliganisme <strong>à</strong> l’Europe entière<br />

31<br />

5. Construire son obj<strong>et</strong> par del<strong>à</strong> les critiques formulables<br />

Une définition restrictive de la violence hooligan qui ne rend pas compte<br />

33<br />

<strong>des</strong> dynamiques sociales<br />

34<br />

Des analyses « sur-déterminées »<br />

L’interprétation éliassienne du hooliganisme : d’un fonctionnalisme<br />

36<br />

défaillant (en matière de sport) <strong>à</strong> un évolutionnisme latent<br />

37<br />

Des données idéologisées<br />

41<br />

Les chiffres du hooliganisme<br />

41<br />

Le traitement statistique <strong>des</strong> données<br />

42<br />

Des catégorisations <strong>à</strong> nuancer<br />

43<br />

Les hooligans : une catégorie non homogène<br />

44<br />

Premiers choix<br />

44<br />

R<strong>et</strong>our sur la méthode<br />

46<br />

Postulats de départ<br />

Des postulats aux techniques d’enquêtes : élaboration <strong>des</strong> outils <strong>et</strong><br />

46<br />

difficultés<br />

47<br />

Le questionnaire<br />

47<br />

Les <strong>entre</strong>tiens<br />

48<br />

L’observation participante<br />

Confiance, congruence <strong>et</strong> sympathie : trois états essentiels<br />

51<br />

dans la recherche avec les supporters<br />

51<br />

L’étude de divers documents<br />

54<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 185


Table <strong>des</strong> matières<br />

De la méthode <strong>à</strong> la compréhension<br />

Quelques aspects socio-historiques pour différencier les <strong>sports</strong> <strong>et</strong><br />

comprendre l’attrait du football<br />

Implantation urbaine <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> <strong>et</strong> gestion <strong>des</strong> foules<br />

Un contexte anomique<br />

Une application au mieux de l’intérêt général<br />

De la collusion<br />

Des publics distincts en terme de composition sociale<br />

Spectateurs <strong>et</strong> supporters<br />

La construction typologique <strong>des</strong> groupes<br />

Des permanences qui questionnent<br />

Le supportérisme <strong>entre</strong> « officialisation » <strong>et</strong><br />

ignorance : contractualisation <strong>et</strong> anomie<br />

Chapitre 3. Le hooliganisme en France : <strong>des</strong> analyses renouvelées<br />

72<br />

74<br />

1. La structure sociale en défaut ?<br />

74<br />

De l’âge <strong>des</strong> publics violents <strong>à</strong> la rationalité <strong>des</strong> jeunes supporters<br />

74<br />

Une simple question de latence psychosociale ?<br />

74<br />

Age <strong>et</strong> rationalité de l’acteur<br />

76<br />

Dépasser la question du handicap socio-violent<br />

79<br />

Le hooliganisme : masculinité agressive ou rôles sexuellement partagés<br />

Reconsidérer la définition du hooliganisme pour faire émerger le rôle <strong>des</strong><br />

80<br />

femmes<br />

83<br />

De la place <strong>des</strong> femmes dans les <strong>violences</strong><br />

84<br />

2. De l’indicible incidence du spectacle sportif<br />

89<br />

3. De l’inculture supposée <strong>des</strong> supporters<br />

91<br />

4. Le hooliganisme comme « dérive extrême du supportérisme »<br />

95<br />

Contagiosité <strong>et</strong> concurrence<br />

95<br />

Mise en spectacle <strong>et</strong> territorialisation <strong>des</strong> tribunes<br />

98<br />

Violence <strong>et</strong> hooliganisme comme « jeu » social<br />

99<br />

5. Hooliganisme, sous-cultures <strong>et</strong> politique<br />

101<br />

Violences <strong>et</strong> culture <strong>des</strong> groupes<br />

L’idéologie politique <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> en France : <strong>entre</strong> promotion <strong>des</strong> idées <strong>et</strong><br />

101<br />

construction identitaire<br />

102<br />

A l’origine : le mouvement skinhead anglais<br />

103<br />

Supportérisme <strong>et</strong> idéologies politiques<br />

104<br />

De l’idéologie <strong>à</strong> l’identité<br />

L’extrême droite est dans le stade : le cas de la tribune rouge du<br />

105<br />

Paris Saint Germain<br />

A Marseille se distinguer pour exister : l’extrême gauche pour<br />

105<br />

prétexte<br />

107<br />

De la rationalité de l’acteur <strong>à</strong> l’influence <strong>des</strong> minorités actives<br />

Chapitre 4. Renouveler son obj<strong>et</strong> <strong>entre</strong> contraintes sociales <strong>et</strong> intérêts<br />

110<br />

personnels : <strong>des</strong> <strong>violences</strong> observables aux aspects éducatifs<br />

1. R<strong>et</strong>our sur le hooliganisme <strong>et</strong> la question de départ pour comprendre<br />

116<br />

comment on peut progressivement changer de suj<strong>et</strong><br />

117<br />

2. Faire évoluer son obj<strong>et</strong> : oui mais comment ?<br />

119<br />

Entre constructivisme <strong>et</strong> influences<br />

120<br />

L’étude du dopage<br />

Acceptation, intégration <strong>et</strong> exclusion <strong>des</strong> homosexuels dans le<br />

120<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 186<br />

54<br />

57<br />

57<br />

59<br />

59<br />

61<br />

63<br />

64<br />

69<br />

71


Table <strong>des</strong> matières<br />

sport de haut niveau<br />

Acquis <strong>et</strong> influences<br />

Collaborations <strong>et</strong> rencontres<br />

Finalement un choix<br />

Le sport dans la cité<br />

Le sport « instrumentalisé » pour s’insérer <strong>et</strong> s’intégrer<br />

EPS <strong>et</strong> <strong>violences</strong><br />

APS en milieu carcéral<br />

Sport <strong>et</strong> éducation<br />

En guise de conclusion : être ou devenir chercheur ?<br />

1. De l’humilité nécessaire …<strong>à</strong> l’orgueil<br />

2. La modélisation d’un parcours<br />

Table <strong>des</strong> tableaux <strong>et</strong> figures 184<br />

Bibliographie 185<br />

<strong>Contribution</strong> <strong>à</strong> l’étude <strong>des</strong> <strong>relations</strong> <strong>entre</strong> <strong>sports</strong> <strong>et</strong> <strong>violences</strong>. De leurs manifestations <strong>à</strong><br />

leurs préventions. Page 187<br />

126<br />

133<br />

134<br />

135<br />

136<br />

145<br />

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