Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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## 35 MARRS//AAVVRIL 2012 association « on se voit quand ? ». En fait, le projet est parti parce que lui était intéressé, il connaissait déjà le système des réseaux d’échanges. G / Il n’a eu aucune appréhension du fait que ce projet soit détaché d’un enseignement « classique » en prison ? MH / Non... Non, parce que je pense que c’est quelqu’un qui avait déjà cette fibre, à se dire finalement qu’il faut parfois sortir du cadre très carré. C’est ce que j'ai ressenti chez lui. G / A-t-il été votre principal appui au niveau de l’établissement ? MH / Au début, oui. Sans lui, je crois que je ne l’aurais jamais fait de toute façon puisqu’il était mon interlocuteur à la prison et qu’il a porté le projet auprès de la direction. J’ai quand même rencontré avec lui une fois le directeur adjoint, mais les choses étaient déjà claires. G / À ce sujet, un des objectifs que vous aviez présenté était la circulation des savoirs, par le développement de ce réseau. Au moment de le motiver, et plus globalement, au moment de présenter le projet, quelle réponse l’administration pénitentiaire vous a-t-elle donné ? MH / J’ai eu du mal à analyser. Je ne sais pas si c’était parce qu’ils ne connaissaient pas clairement le fond du projet qu’ils m’ont laissée faire en me faisant confiance ou alors parce que ce responsable de l’enseignement se portait garant et qu’ils ont eu confiance en lui. En fait, je n’ai jamais compris s’ils avaient vraiment cerné le fond du projet. J’avais l’impression – et d’ailleurs, pour les surveillants, c’était un peu ça – d’être une intervenante de plus. Je n’ai pas senti qu’ils ont creusé plus que cela, même si, quand je n’étais pas là, je ne sais pas ce qu’il se racontait. Quoi qu’il en soit, j’ai commencé au mois de mars et ce responsable m’a annoncé au mois de juin qu’il UN JOUR, JE SUIS ARRIVÉE À UNE DES PERMANENCES ET QUELQU’UN M’ANNONCE QUE LE DIRECTEUR VEUT ME VOIR, MAINTENANT. CELUI-CI M’A DEMANDÉ QUI J’ÉTAIS ALORS MÊME QUE J’AVAIS COMMENCÉ LE PROJET DEUX MOIS AVANT. J’ÉTAIS CHOQUÉE ! IL M’A AUSSI DEMANDÉ DE CLARIFIER MON STATUT DANS LA PRISON POUR DES HISTOIRES DE SÉCURITÉ. J’AI ALORS COMPRIS QU’IL N’AVAIT PAS DU TOUT CERNÉ LE PROJET. AU FINAL, ON S’EST DIT QUE JE SERAI INTERVENANTE BÉNÉVOLE, POINT. 92 s’en allait. J’étais choquée : « vous ne pouvez pas m’abandonner ! ». Je savais que ça allait compliquer les choses parce qu’on était sur le début du projet, les détenus commençaient à venir chaque semaine, bref, ça prenait. Celui qui a pris la suite connaissait le projet puisqu’il était auparavant à la maison d’arrêt de Bar-Le-Duc et n’avait pas souhaité le mettre en place. Pas de bol pour lui ! Mais il faut relativiser, il n’était qu'à mi-temps. J’ai donc fait le « forcing » pour revenir après les vacances parce qu’entre temps, la prison m’avait oubliée... Pour moi, c’était bien la preuve que le projet reposait surtout sur une personne, à l’intérieur. J’ai fini par téléphoner à une personne que j’avais rencontrée quand j’y allais. Puis, le nouveau responsable a repris contact avec moi mais seulement fin octobre, c’est-à-dire avec deux mois de retard. Il a fallu tout recommencer car les détenus, pour la plupart d’entre eux, étaient sortis ou avait été transférés. Par contre, ce qui est intéressant c’est que ce nouveau responsable de l’enseignement s’est très vite détaché du projet. J’ai dû tout faire mais c’était bien parce que j’ai eu des contacts directs avec la direction. J’étais vraiment maître de mon projet, ce qui n’était pas le cas avant. G / Dans cette deuxième période, avez-vous pu exposer de nouveau les objectifs du réseau ? MH / Oui. D’ailleurs, c’est drôle parce qu’un jour, je suis arrivée à une des permanences [ndlr : nom donné aux séances introductives du RERS] et quelqu’un m’annonce que le directeur veut me voir, maintenant. Celui-ci m’a demandé qui j’étais alors même que j’avais commencé le projet deux mois avant. J’étais choquée ! Il m’a aussi demandé de clarifier mon statut dans la prison pour des histoires de sécurité. J’ai alors compris qu’il n’avait pas du tout cerné le projet. Au final, on s’est dit que je serai intervenante bénévole, point.

G / Il n’y a eu aucune incompréhension sur les termes du projet ? Parler d’échange, de circulation des savoirs ou de réciprocité dans l’apprentissage... Cela n’a pas été pas un point de blocage ? MH / Non... Mais je pense vraiment que, parce que le premier responsable de l’enseignement était très reconnu dans la prison, le fait qu’il ait amené ce projet a beaucoup contribué à sa réussite. Après, j’ai eu beaucoup plus de difficultés administratives, les détenus n’étaient pas convoqués, on ne réservait pas de salle... Des choses qui bloquent et qui deviennent pénibles aussi. G / En ce qui concerne les ateliers plus particulièrement, quel était leur déroulement ? Comment étaient-ils animés ? MH / Pour revenir sur les blocages de l’administration, elle a bloqué parce qu’elle ne voulait pas que des échanges entre détenus se fassent sans qu’il y ait quelqu’un, ce qui n’est quand même pas rien. Les détenus ne pouvaient pas se rencontrer si je n’étais pas là, où s’il n’y avait pas de surveillant. Cela a été problématique puisque les temps de permanence d’accueil permettaient aux détenus de se renseigner, de proposer leurs savoirs. C’était aussi le temps où l’on procédait à l’échange de savoirs. Ces permanences étaient des temps de discussion informels. Et j’ai compris – mais vraiment tardivement – que ce temps de discussion informel était utile parce que les détenus avaient besoin de se faire confiance avant de rentrer dans l’échange. La discussion avait un sens réel finalement. Je me suis aperçue que les mecs ne se connaissent pas, ou bien seulement sous des rumeurs, des stéréotypes… G / Quelles étaient pour vous les finalités du réseau d’échange en prison ? MH / Il y avait un peu de tout. Je ne me suis jamais fixée un objectif particulier parce que les réseaux d’échanges sont très longs à mettre en place et en si peu de temps, je n’aurai pas pu répondre à un objectif précis. L’intérêt était que les détenus s’expriment et qu’ils se prennent en charge, si vous voulez. Je me suis plus basée sur l’observation, après, de ce qu’il s’est passé. Dans les temps de permanence, on discutait, parfois les mecs n’étaient pas d’accord entre eux mais je me suis aperçue qu’ils arrivaient à entendre le 93 point de vue de l’autre, à s’écouter. C’était un objectif que je ne m’étais pas fixée, à savoir de réinstaller son propre esprit critique. Pour moi, le réseau était fondé sur un retour à la socialisation. Se socialiser au sein d’un groupe et éventuellement partir pour se réinscrire dans un groupe à l’extérieur. J’avais aussi des contacts avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Nous nous étions demandé avec le chef du SPIP si nous pourrions travailler à l’extérieur, ensemble, c’est-à-dire que le réseau de Bar-le-Duc puisse travailler avec des sortants de prison ou en aménagement de peine. Il m’a expliqué que beaucoup étaient en mal de contacts, de liens et que c’était bien le manque de socialisation qui les amenait parfois à récidiver. Je me suis dit que le réseau était une forme de prévention, en apprenant à vivre au sein d’un groupe. G / Y-t-il a eu des demandes d’ouverture sur l'extérieur de la part des personnes détenues ? MH / À Saint-Mihiel, ma finalité était que le réseau soit interne et que les bénévoles de Bar-le-Duc aillent à Saint- Mihiel pour faire fonctionner le système à son commencement. Or, l’administration me l’a refusé, elle a refusé ces liens dehors/dedans. Deuxième refus donc. Il y a tout de même une personne qui est intervenue, anciennement professeur d’histoire au sein de la prison, et qui a animé quatre séances sur la première guerre mondiale. On avait prévu aussi une sortie sur le champ de bataille, ce qu’on avait préparé et puis au dernier moment, elle a été refusée. Cet intervenant est revenu six mois plus tard, quand je prolongeais le projet. La prison a accepté que ce monsieur vienne mais parce qu’ils le connaissaient déjà. G / Dans votre synthèse de l’expérience à Saint-Mihiel, vous souleviez que le système de Réseau d’échangeq réciproque de savoirs était détaché de toute institutionnalisation. Le fait de le proposer en prison, c’est-à-dire au sein de l’institution pénitentiaire, a-t-il été une limite à son développement ? MH / Sans doute parce qu’il ne peut et ne pourra pas ressembler au réseau de l’extérieur. Ce qui est intéressant, c’est que ce réseau n’appartenait à personne. Il a quand même été très longtemps assimilé à l’Éducation nationale, puisqu’on était dans les locaux du scolaire, mais finale- ## 3355 MMAARRSS/AVRRILL 2201122

G / Il n’y a eu <strong>au</strong>cune incompréhension sur les termes du<br />

projet ? Parler d’échange, de circulation des savoirs ou de<br />

réciprocité dans l’apprentissage... Cela n’a pas été pas un<br />

point de blocage ?<br />

MH / Non... Mais je pense vraiment que, parce que le premier<br />

responsable de l’enseignement était très reconnu<br />

dans la prison, le fait qu’il ait amené ce projet a be<strong>au</strong>coup<br />

contribué à sa réussite. Après, j’ai eu be<strong>au</strong>coup plus de difficultés<br />

administratives, les détenus n’étaient pas convoqués,<br />

on ne réservait pas de salle... Des choses qui bloquent<br />

et qui deviennent pénibles <strong>au</strong>ssi.<br />

G / En ce qui concerne les ateliers plus particulièrement,<br />

quel était leur déroulement ? Comment étaient-ils animés<br />

?<br />

MH / Pour revenir sur les blocages de l’administration, elle<br />

a bloqué parce qu’elle ne voulait pas que des échanges<br />

entre détenus se fassent sans qu’il y ait quelqu’un, ce qui<br />

n’est quand même pas rien. Les détenus ne pouvaient pas<br />

se rencontrer si je n’étais pas là, où s’il n’y avait pas de surveillant.<br />

Cela a été problématique puisque les temps de<br />

permanence d’accueil permettaient <strong>au</strong>x détenus de se<br />

renseigner, de proposer leurs savoirs. C’était <strong>au</strong>ssi le<br />

temps où l’on procédait à l’échange de savoirs. Ces permanences<br />

étaient des temps de discussion informels. Et<br />

j’ai compris – mais vraiment tardivement – que ce temps<br />

de discussion informel était utile parce que les détenus<br />

avaient besoin de se faire confiance avant de rentrer dans<br />

l’échange. La discussion avait un sens réel finalement. Je<br />

me suis aperçue que les mecs ne se connaissent pas, ou<br />

bien seulement sous des rumeurs, des stéréotypes…<br />

G / Quelles étaient pour vous les finalités du rése<strong>au</strong><br />

d’échange en prison ?<br />

MH / Il y avait un peu de tout. Je ne me suis jamais fixée un<br />

objectif particulier parce que les rése<strong>au</strong>x d’échanges sont<br />

très longs à mettre en place et en si peu de temps, je n’<strong>au</strong>rai<br />

pas pu répondre à un objectif précis. L’intérêt était que<br />

les détenus s’expriment et qu’ils se prennent en charge, si<br />

vous voulez. Je me suis plus basée sur l’observation, après,<br />

de ce qu’il s’est passé. Dans les temps de permanence, on<br />

discutait, parfois les mecs n’étaient pas d’accord entre eux<br />

mais je me suis aperçue qu’ils arrivaient à entendre le<br />

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point de vue de l’<strong>au</strong>tre, à s’écouter. C’était un objectif que<br />

je ne m’étais pas fixée, à savoir de réinstaller son propre<br />

esprit critique. Pour moi, le rése<strong>au</strong> était fondé sur un<br />

retour à la socialisation. Se socialiser <strong>au</strong> sein d’un groupe<br />

et éventuellement partir pour se réinscrire dans un<br />

groupe à l’extérieur. J’avais <strong>au</strong>ssi des contacts avec le<br />

Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).<br />

Nous nous étions demandé avec le chef du SPIP si nous<br />

pourrions travailler à l’extérieur, ensemble, c’est-à-dire<br />

que le rése<strong>au</strong> de Bar-le-Duc puisse travailler avec des sortants<br />

de prison ou en aménagement de peine. Il m’a expliqué<br />

que be<strong>au</strong>coup étaient en mal de contacts, de liens et<br />

que c’était bien le manque de socialisation qui les amenait<br />

parfois à récidiver. Je me suis dit que le rése<strong>au</strong> était<br />

une forme de prévention, en apprenant à vivre <strong>au</strong> sein<br />

d’un groupe.<br />

G / Y-t-il a eu des demandes d’ouverture sur l'extérieur de<br />

la part des personnes détenues ?<br />

MH / À Saint-Mihiel, ma finalité était que le rése<strong>au</strong> soit<br />

interne et que les bénévoles de Bar-le-Duc aillent à Saint-<br />

Mihiel pour faire fonctionner le système à son commencement.<br />

Or, l’administration me l’a refusé, elle a refusé ces<br />

liens dehors/dedans. Deuxième refus donc. Il y a tout de<br />

même une personne qui est intervenue, anciennement<br />

professeur d’histoire <strong>au</strong> sein de la prison, et qui a animé<br />

quatre séances sur la première guerre mondiale. On avait<br />

prévu <strong>au</strong>ssi une sortie sur le champ de bataille, ce qu’on<br />

avait préparé et puis <strong>au</strong> dernier moment, elle a été refusée.<br />

Cet intervenant est revenu six mois plus tard, quand<br />

je prolongeais le projet. La prison a accepté que ce monsieur<br />

vienne mais parce qu’ils le connaissaient déjà.<br />

G / Dans votre synthèse de l’expérience à Saint-Mihiel,<br />

vous souleviez que le système de Rése<strong>au</strong> d’échangeq réciproque<br />

de savoirs était détaché de toute institutionnalisation.<br />

Le fait de le proposer en prison, c’est-à-dire <strong>au</strong> sein<br />

de l’institution pénitentiaire, a-t-il été une limite à son<br />

développement ?<br />

MH / Sans doute parce qu’il ne peut et ne pourra pas ressembler<br />

<strong>au</strong> rése<strong>au</strong> de l’extérieur. Ce qui est intéressant,<br />

c’est que ce rése<strong>au</strong> n’appartenait à personne. Il a quand<br />

même été très longtemps assimilé à l’Éducation nationale,<br />

puisqu’on était dans les loc<strong>au</strong>x du scolaire, mais finale-<br />

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