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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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convertis en cynisme, c’est-à-dire en refus critique et nihiliste<br />

de tout système de valeurs. D’où la récidive. Tout se<br />

passe comme si, ayant éprouvé intérieurement l’effondrement<br />

de sa propre valeur, et par conséquent, des<br />

valeurs dont il est investi, le sujet honteux projetait sur le<br />

monde extérieur l’expérience de cet effondrement. Et<br />

oui, la vengeance entraine la vengeance. Au final et très<br />

inconsciemment, la société se punirait peut-être ellemême<br />

de ne pas avoir su prévenir les actes de déviance.<br />

Mais, qu’on le veuille ou<br />

non, la réaction <strong>au</strong> crime doit comporter<br />

sa part de coercition, de<br />

rétribution et d’intimidation. La négation<br />

de ces réalités risque fort de<br />

nous faire sombrer dans l’hypocrisie<br />

et la démesure. Hypocrisie,<br />

parce que l’on est conduit à dire<br />

une chose et à en faire une <strong>au</strong>tre.<br />

Démesure, parce que les forces<br />

dont on nie l’existence continuent<br />

de peser sur les esprits ; il est alors à<br />

craindre qu’elles ne se manifestent<br />

de manière incohérente et anarchique.<br />

Cette part inévitable de coercition,<br />

de rétribution et d’intimidation<br />

doit toutefois s’accompagner<br />

d’une véritable politique visant à<br />

faire que la dignité du détenu soit<br />

respectée durant le temps de sa peine et à faire que celuici<br />

ait toutes les chances de pouvoir se réinsérer ensuite<br />

dans la société.<br />

Et cela sans qu’il subisse un préjudice psychologique tel<br />

que son système de valeurs ne s’en relève pas. Car dans<br />

ce cas, il s’agit bien d’une destruction.<br />

Endiguer cet effet pervers exige un véritable<br />

courage moral et politique puisqu’il f<strong>au</strong>dra composer<br />

avec la mission naturellement punitive de la prison. Sans<br />

une définition claire, précise et forte des différentes fonctions<br />

de la prison, cette dualité fera inexorablement peser<br />

sur la société un risque d’hypocrisie générale, à la limite<br />

de la schizophrénie collective.<br />

Il ne s’agit pas non plus de se laisser aveugler par un dessein<br />

idéaliste car quoiqu’il en soit, la recherche d’un bien<br />

finit bien souvent dans celle d’un moindre mal. Se voiler<br />

la face en reniant la finitude de l’homme risque de com-<br />

FINISSONS-EN AVEC L’IDÉE QUI<br />

PRÉVAUT, DANS L’OPINION PUBLIQUE,<br />

SELON LAQUELLE UNE PEINE DOIT ÊTRE<br />

UNE PEINE DE PRISON, UNE PEINE QUI<br />

FAIT MAL. TOUTES LES RÉFLEXIONS<br />

MONTRENT QUE RÉPONDRE À LA<br />

VIOLENCE PAR LA VIOLENCE ENGENDRE<br />

LA VIOLENCE. CELA DEMANDERAIT UN<br />

VÉRITABLE TRAVAIL D’EXPLICATION MAIS<br />

LES POLITIQUES PRÉFÈRENT<br />

SOUFFLER SUR LES BRAISES PLUTÔT QUE<br />

DE FAIRE DE LA PÉDAGOGIE. UN TRAVAIL<br />

QUI PERMETTRAIT À LA SOCIÉTÉ TOUTE<br />

ENTIÈRE DE CONTINUER À FAIRE SON<br />

INTROSPECTION, DE PRENDRE LE RISQUE<br />

D’ASSUMER SES PROPRES FAIBLESSES,<br />

SANS BASCULER DANS L’ÉCUEIL D’UNE<br />

DÉSIGNATION SYSTÉMATIQUE DE<br />

BOUCS-ÉMISSAIRES.<br />

87<br />

pliquer notre tâche. Mais quel est ce moindre mal que<br />

doit poursuivre notre politique pénale ? Au-delà du<br />

maintien d’un ordre social légitime, la société doit mener<br />

un combat pour la s<strong>au</strong>vegarde de la dignité de l’individu,<br />

quoique celui-ci ait pu faire. L’article 3 de la Convention<br />

européenne des droits de l’Homme dispose que « Nul ne<br />

peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements<br />

inhumains ou dégradants ». Il s’agit d’un droit<br />

naturel, intangible et universel, attaché à la seule qualité<br />

d’être humain. Ce droit est bafoué<br />

<strong>au</strong> regard des humiliations que<br />

peuvent subir les détenus des prisons<br />

françaises. Si les États revendiquent<br />

« le monopole de la violence<br />

légitime », selon la célèbre définition<br />

de Max Veber dans son ouvrage<br />

intitulé Le savant et le<br />

Politique, on ne peut bien évidemment<br />

se réduire à considérer la violence<br />

comme légitime <strong>au</strong> seul<br />

motif qu’elle serait étatique.<br />

À moyen et long terme, il est<br />

plus intéressant pour la société de<br />

punir pour responsabiliser, plutôt<br />

que de punir pour punir, pour se<br />

venger, pour humilier, punir pour<br />

finalement détruire. L’état des<br />

conditions de détention actuelles<br />

des prisons françaises est loin de<br />

plaider en faveur d’une réelle<br />

volonté de la société de responsabiliser et de réhabiliter<br />

ses déviants. Le sociologue Slavoj Zizec a d’ailleurs très<br />

bien démontré en quoi les criminels font partie de la<br />

société, contrairement <strong>au</strong> processus mental qui voudrait<br />

que l’on rejette le mal pour ne pas comprendre l’implication<br />

de soi ou du système <strong>au</strong>quel on appartient.<br />

Finissons-en avec l’idée qui prév<strong>au</strong>t, dans l’opinion<br />

publique, selon laquelle une peine doit être une<br />

peine de prison, une peine qui fait mal. Toutes les<br />

réflexions montrent que répondre à la violence par la violence<br />

engendre la violence. Cela demanderait un véritable<br />

travail d’explication mais les politiques préfèrent<br />

souffler sur les braises plutôt que de faire de la pédagogie.<br />

Un travail qui permettrait à la société toute entière de<br />

continuer à faire son introspection, de prendre le risque<br />

d’assumer ses propres faiblesses, sans basculer dans<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMARRSS/AVRRILL 2201122

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