Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

cer de contrôle social ni, d’une manière générale, de rôle
dans la cité. Si ce phénomène est répété un grand nombre
de fois dans une même zone, le risque est que cela
détruise tout lien et tout contrôle. L’absence de discrimination
ne permettrait pas forcément une meilleure réinsertion
dans la mesure où le faible contrôle effectué par la
famille, les amis, les voisins… rendrait le retour vers la
délinquance très aisé.
Cette théorie est difficile à tester dans la pratique avec des
outils quantitatifs. La seule tentative effectuée par ces
mêmes auteurs 20 consiste à mesurer l’évolution de la
délinquance dans des quartiers selon le nombre de personnes
condamnées à des peines de prison. Ils constatent
une diminution suivie d’une ré-augmentation de la délinquance
suite à un fort taux d’incarcération. Si la théorie est
séduisante, le test reste peu convaincant dans la mesure
où il est difficile d’évacuer les effets d’incapacitation.
À l’échelle individuelle, plusieurs facteurs peuvent
influencer la perception qu’une personne a des sortants
de prison. La discrimination peut varier selon des
variables sociodémographiques (niveau d’étude, sexe…),
la légitimité accordée à la loi et aux autorités et la perception
que l’on a de la banalité du phénomène. Hirschfield
et Piquero 21 se sont intéressés à ce phénomène en enquêtant
par téléphone auprès de 2 200 personnes tirées au
hasard. Ils constatent que la normalisation a un impact
très fort sur la discrimination : une personne fréquentant
d’anciens détenus aura tendance à nettement moins rejeter
des sortants de prison. La légitimité des institutions a
un effet plus ambigu : le manque de confiance dans la
police ne change rien à la stigmatisation tandis qu’une
corrélation est observée avec la confiance dans la justice.
L’âge, le sexe ou l’appartenance à une minorité ethnique
semble également avoir un effet sur la discrimination.
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Les études économiques portant sur la discrimination
à l’encontre des sortants de prison aident à clarifier
certains aspects de cette question. Tout d’abord, elles permettent
de démontrer l’existence de ce phénomène,
indépendamment des effets de sélection : à expériences
professionnelles égales, les personnes ayant été détenues
éprouvent plus de difficultés sur le marché de l’emploi. On
ne peut cependant exclure que ce résultat provienne de
la conviction des entrepreneurs que la détention
« révèle » une part de la personnalité des condamnés et
non d’un simple rejet moral.
L’effet de stigmatisation varie selon les cultures
ou les quartiers d’habitation mais semble revêtir une
réelle fonction sociale de dissuasion, au moins pour les
atteintes aux biens. Cet effet est néanmoins modulé selon
l’ampleur du recours à l’incarcération et pose d’importants
problèmes de réinsertion.
Beaucoup reste à faire pour comprendre les
déterminants sociaux et individuels de la stigmatisation.
Par ailleurs, peu de travaux économiques s’intéressent aux
autres aspects de la vie sociale telle que les relations amicales
ou amoureuses.
NOTES
1. Loïc Wacquant, Punir les pauvres, Agone 2004.
2. Entre 1977 et 1997, les libérations conditionnelles sont passes de 72 % à 28 % aux
États Unis. Cf. When prisoners return to communities, Petersilia 2001.
3. Le terme d’économie est ici à prendre dans son sens universitaire et non dans son
sens courant. D’un point de vue méthodologique, les travaux présentés se basent sur
la modélisation des comportements ou l’analyse des données disponibles (économétrie).
4. Cette dichotomie est soulignée notamment dans Rasmusen, « Stigma and self-fulfilling
expectations of criminality », Journal of Law and Economics, 1996.
5. C’est l’effet modélisé par Tirole et Benabou dans Laws and norms, NBER, 2011.
6. Nagin, Criminal deterrence research at the outset of the twenty-first century, Crime
and Justice, 1998.
7. Pour une discussion de ces aspects, voir Posner, « Social Norms and the Law : An
Economic Approach », American Economic review, 1997.
8. Cet effet est mis en avant par Nagin, Op. cit.
9. En statistiques, valider un résultat en fonction d'un échantillon choisi au hasard.
10. Pate Hamilton, « Formal and informal deterrents to domestic violence : the dade
county spouse assault experiment », American Sociological Review, 1992.
11. Dara N. Lee, The Digital Scarlet Letter : The Effect of Online Criminal Records on Crime,
2011.
12. Cf Bruce Western, Punishment and inequality in America, Russell Sage Foundation,
2006.
13. Ibid., chapitres 5 et 6.
14. Quillian Pager, « The mark of criminal record », American Journal of Sociology, 2006.
15. Quillian Pager, « Walking the talk ? What employers say versus what they do »,
American Sociological Review, 2005.
16. Kling, Incarceration length employment and earning, NBER, 2006.
17. Richard Schwartz and Jerome Skolnick, « Two studies on legal stigma », Social
Problems, 1962.
18. Cohen Nisbett, Field experiments examining the culture of honor : the role of institutions
in perpetuating norms about violence, Sage Publications, 1997.
19. « Incarceration, social capital and crime : implication for social disorganization
theory », Rose clear criminology, 1998.
20. Coercive mobility and crime : a preliminary examination of concentrated incarceration
and social disorganization, Clear Rose Waring Scully, Justice Quaterly, 2003.
21. Hirschfield Piquero, « Normalization and legitimation modeling stigmatizing attitudes
toward ex-offenders », Criminology, 2010.
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