Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MARS/AVRIIL 2012<br />
dossier<br />
Cette anxiété constante vis-à-vis de la société<br />
et de la justice et des conséquences d’une nouvelle<br />
confrontation à celle-ci ne serait rien sans tous les « à<br />
côté » liés à cette stigmatisation. En effet, les anciens<br />
détenus ont certes cette impression de continuation du<br />
contrôle… mais les institutions les renvoient sans cesse<br />
à cette image de détenu.<br />
Le premier des stigmates pour les personnes sortantes<br />
de prison est produit par l’institution judiciaire ellemême<br />
: le casier judiciaire. « Le casier judiciaire est une<br />
marque <strong>au</strong> fer rouge qui rend compliquée toute<br />
recherche de logement ou de travail.<br />
Nombre de métiers sont de<br />
fait impossibles à exercer pour<br />
d’anciens détenus. » 9 Par exemple,<br />
quelqu’un qui a un casier judiciaire<br />
ne peut prétendre à <strong>au</strong>cun<br />
emploi dans la fonction publique,<br />
ou d’aide à la personne... En outre,<br />
les entreprises sont de plus en<br />
plus nombreuses à demander un<br />
extrait de casier judiciaire pour<br />
une emb<strong>au</strong>che. Et un employeur<br />
ne s’inscrira pas nécessairement<br />
dans une démarche d’aide à la<br />
personne sortante de prison mais<br />
plutôt dans une démarche d’exclusion.<br />
« La première fois que j’ai eu un<br />
entretien, on ne m’a pas répondu.<br />
L’employeur demandait un extrait<br />
de casier judiciaire et je lui ai<br />
dit : “je vais être franche avec<br />
vous”. Je lui ai expliqué, il m’a demandé pourquoi, je lui<br />
ai expliqué, il m’a dit qu'ils allaient me recontacter. Au<br />
début il m’a dit que mon CV correspondait à ce qu’il<br />
recherchait, que j’avais une chance. Et quand j’ai dit que<br />
j’avais été incarcérée, plus de nouvelles. Et quand j’ai<br />
rappelé derrière, en essayant de savoir pourquoi, ils<br />
m’ont dit qu'ils avaient une <strong>au</strong>tre candidature, mieux<br />
que la mienne. Des fois, ils ne répondent même pas… Je<br />
n’ai pas trop cherché à en savoir plus. » (Saïda, ancienne<br />
détenue)<br />
Nous pouvons aisément rapprocher ces difficultés<br />
liées <strong>au</strong> casier judiciaire à la problématique du<br />
« LA PREMIÈRE FOIS QUE J’AI EU UN<br />
ENTRETIEN, ON NE M’A PAS RÉPONDU.<br />
L’EMPLOYEUR DEMANDAIT UN EXTRAIT<br />
DE CASIER JUDICIAIRE ET JE LUI AI DIT :<br />
“JE VAIS ÊTRE FRANCHE AVEC VOUS”. JE<br />
LUI AI EXPLIQUÉ, IL M’A DEMANDÉ<br />
POURQUOI, JE LUI AI EXPLIQUÉ, IL M’A<br />
DIT QU'ILS ALLAIENT ME RECONTACTER.<br />
AU DÉBUT IL M’A DIT QUE MON CV<br />
CORRESPONDAIT À CE QU’IL<br />
RECHERCHAIT, QUE J’AVAIS UNE<br />
CHANCE. ET QUAND J’AI DIT QUE J’AVAIS<br />
ÉTÉ INCARCÉRÉE, PLUS DE NOUVELLES.<br />
ET QUAND J’AI RAPPELÉ DERRIÈRE, EN<br />
ESSAYANT DE SAVOIR POURQUOI, ILS<br />
M’ONT DIT QU'ILS AVAIENT UNE AUTRE<br />
CANDIDATURE, MIEUX QUE LA MIENNE.<br />
DES FOIS, ILS NE RÉPONDENT MÊME<br />
PAS… JE N’AI PAS TROP CHERCHÉ À EN<br />
SAVOIR PLUS. »<br />
74<br />
<strong>trou</strong> dans le CV. Comment justifier ce dernier ? Lorsque<br />
ce blanc correspond à une petite peine, on peut songer<br />
à inventer une histoire, à ne pas révéler sa situation d’ancien(ne)<br />
détenu(e). Il s’agira alors d’une « manipulation<br />
du stigmate » pour résoudre les problèmes d’insertion<br />
sociale. Mais quand les peines sont plus longues, comment<br />
arriver à justifier ce vide dans le CV ?<br />
Les individus pourront faire preuve de trois sortes de<br />
manipulation pour pallier ces problèmes de justification<br />
biographique pour les employeurs : « la dissimulation, la<br />
neutralisation et la conversion » 10 . « La dissimulation<br />
consiste à cacher son histoire et à<br />
rompre avec son milieu de vie<br />
passée ». La neutralisation, quant à<br />
elle, remettra en c<strong>au</strong>se le jugement<br />
porté par la justice sur les<br />
actes commis ; « cette forme est<br />
plutôt utilisée par les personnes<br />
<strong>au</strong>teurs de petits délits ou d'actes<br />
dont la pénalisation ne fait pas<br />
l’objet d’un consensus social évident<br />
(tels que la délinquance routière)<br />
». La conversion, comme son<br />
nom l’indique, implique une rupture<br />
de l’individu dans son histoire<br />
et un changement total de la<br />
personne qu’il a été <strong>au</strong>paravant.<br />
Notons que cette justification<br />
peut aller bien <strong>au</strong>-delà du simple<br />
employeur et peut aisément<br />
s’étendre à des champs de la<br />
société plus large.<br />
L’employeur ne sera pas le seul à convaincre<br />
pour retourner à une vie sociale. Effectivement, après<br />
une sortie de prison, il f<strong>au</strong>dra re<strong>trou</strong>ver ses droits<br />
soci<strong>au</strong>x : allocations chômage, RSA, allocations familiales…<br />
Encore une fois, la personne récemment sortie<br />
de détention va être soumise <strong>au</strong> regard du personnel de<br />
ces instances sociales. Ceci est d’<strong>au</strong>tant plus vrai pour les<br />
démarches de retour <strong>au</strong>x droits, que les individus vont<br />
être plus ou moins obligés d’ « avouer » leur passage en<br />
détention pour expliquer leur situation.<br />
« On sort mais il f<strong>au</strong>t refaire tous les papiers. On dirait<br />
qu’on sort d’un <strong>au</strong>tre monde, qu’on n'a pas eu de vie<br />
avant. » (Nadine, ancienne détenue)