Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

L’IMPACT SUR LA FAMILLE
La famille est également fortement touchée par
l’incarcération d’un proche. Cependant, le maintien ou le
non maintien des liens va avoir un impact certain sur la
sortie et les processus en jeu pendant celle-ci. Une personne
ayant le soutien de sa famille à sa sortie pourra dès
lors compter sur son soutien, moral ou matériel.
Cependant, l’incarcération produit souvent une rupture
de ces liens. Notons que la stigmatisation de la personne
détenue ne découle pas seulement de l’incarcération
mais aussi des faits qui lui sont reprochés 5 . Cependant, il
est probable que cela soit plus valable pour les faits les
plus graves ou pour des faits allant à l’encontre des
normes familiales. Comment penser, en effet, que son fils,
sa sœur, son père... est capable de commettre des faits de
la sorte ?
« Tout le monde me regarde com-
me si j’avais tué quelqu’un ou…
Même dans ma famille, on est sept,
il y a que ma mère, mon père et
mon petit frère qui me parle, les
autres ne me parlent pas. Pour eux,
la prison, si quelqu’un y va, c’est
grave. » (Saïda, ancienne détenue)
La stigmatisation liée à
l’incarcération existe donc au sein
même de la famille. Elle est de l’ordre de « l’infamie » 6 ; il est
honteux d’avoir un proche en prison et ceci est d’autant
plus vrai pour les femmes, tant l’incarcération renverse
l’image féminine telle qu’on peut la considérer dans notre
société.
STIGMATISATION : HONTE ET HUMILIATION
Le principal phénomène qui introduit un enfermement
dans le statut de détenu à la sortie de prison est
le stigmate que le monde carcéral produit. « Le sortant de
prison n’est plus à l’extérieur qu’un prisonnier en sursis,
catalogué, toujours suspect et jamais tranquille » 7 . En
somme, malgré sa condition d’homme libre, l’ancien
détenu gardera toujours en lui le stigmate de la détention
et la peur que celui-ci le rattrape au moindre instant.
« Je suis catalogué. Moi, je marche dans la rue, même si j’ai
rien fait, je suis pas tranquille, je sais pas pourquoi. Je
marche dans la rue, j’ai rien fait, je marche, sur le trottoir,
il y a une voiture garée, le carreau, il est cassé. Qu’est-ce
« TTOOUUTT LLEE MMOONNDDEE MMEE RREEGGAARRDDEE
CCOOMMMMEE SSII JJ’’AAVVAAIISS TTUUÉÉ QQUUEELLQQUU’’UUNN OOUU……
MMÊÊMMEE DDAANNSS MMAA FFAAMMIILLLLEE,, OONN EESSTT SSEEPPTT,, IILL
YY AA QQUUEE MMAA MMÈÈRREE,, MMOONN PPÈÈRREE EETT MMOONN
PPEETTIITT FFRRÈÈRREE QQUUII MMEE PPAARRLLEE,, LLEESS AAUUTTRREESS
NNEE MMEE PPAARRLLEENNTT PPAASS.. PPOOUURR EEUUXX,, LLAA
PPRRIISSOONN,, SSII QQUUEELLQQUU’’UUNN YY VVAA,, CC’’EESSTT
GGRRAAVVEE.. »
73
que je fais, tout de suite, je change de trottoir, et je m’en
vais directement. Je cours pas, surtout pas, mais je m’en
vais le plus vite possible, parce que je me dis “la police,
elle passe, elle voit le carreau cassé et moi à côté, c’est
moi”. Même si c’est pas moi, c’est moi. De toutes façons,
c’est moi. Et je pourrais rien prouver, ça va être moi. » 8
« Ça a été au moins deux ans de galère. Avec une épée de
Damoclès au-dessus de la tête, à avoir peur de voir la
police. Je voyais la police, je me disais : “ça y est, c’est pour
moi, ils venaient me chercher”... À avoir peur du courrier,
à avoir peur de tout... » (Catherine, ancienne détenue)
« C’est la prison cauchemar, avec des violences subîtes, le
silence à cause de la peur des représailles... Une détention
cauchemardesque. Donc là, la peur de la prison est omniprésente.
Chaque fois que cette personne voit un policier,
chaque fois qu’elle vient ici me voir, il y a cette peur-là.
Donc, il faut bien qu’on se rendre compte de ce qu’on
représente pour eux, nous, profes-
sionnel de la justice. » (Thibaud, CIP
milieu ouvert)
« Des fois, on leur dit “ce n’est pas
parce que vous avez manqué un
rendez-vous que vous allez retourner
en prison”. Elles vont être plus
scrupuleuse, elles vont plus adhérer,
par crainte, pas du tout parce
qu’elles trouvent ça extraordinaire.
» (Julie, conseiller d’insertion
et de probation – CIP, milieu ouvert)
De la prisonisation peut également découler
cette peur persistante ressentie par l’ancien détenu.
Effectivement, la constante surveillance en détention
implique de sentir un regard omniprésent braqué sur soi.
Une fois sorti de détention, ce regard sera toujours présent,
non pas par le biais des surveillants pénitentiaires,
mais par l’ensemble de la société. C’est la société et les
individus qui la composent qui vont avoir ce « rôle » de
surveillance, de regard sur l’ancien détenu. Beaucoup ressentent
cette impression que tous les observent, que tous
connaissent leur parcours.
« Elle avait 18 ans quand elle a été incarcérée pour deux
ans et demi. Elle a très très mal vécu sa détention et elle
avait l’impression que c’était marqué sur son visage alors
que je lui disais “on vous donnerait le bon dieu sans
confession, on dirait jamais qu’il vous est arrivé quelque
chose, que vous avez été incarcérée”. » (Sophie, CIP milieu
ouvert)
## 3355 MMARSS/AVRRIILL 2201122