Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# 35 MARS/AVRIL 2012 dossier La prison est un univers à part, régie par ses propres lois, ses propres codes, un environnement que l’on ignore souvent, et dont on ignore le fonctionnement. Un milieu victime de préjugés, d’idées reçues et de lieux communs entretenus bien souvent par les médias et l’imaginaire collectif. On oublie que les personnes détenues sont des pères, des mères, des fils, des filles, des compagnons, des maris, des ami(e)s… Les proches qui vont les visiter vont se retrouver confronter à la réalité carcérale et subir les mêmes préjugés que ceux qui entourent le lieu et les gens qui y sont enfermés. Tant que l’on n’a pas eu à faire à la prison, on se dit, qu’après tout, ça ne nous regarde ni nous concerne pas. On oublie aussi que les détenus ne sont pas les seuls à subir la détention, mais que leur incarcération concerne tout un noyau familial et affectif. La prison est trop souvent synonyme de honte et ce sentiment va se répercuter aussi sur ceux que la justice n’a pourtant pas condamnés : les proches, famille et/ou amis. L’ignorance, la méconnaissance des règles qui régissent la prison, et l’image persistante négative (par exemple, on occulte que de nombreuses personnes incarcérées le sont dans l’attente d’un procès et ne sont donc pas considérées comme coupables) qu’elle véhicule, rendent la détention d’un proche et les visites au parloir au parloir difficiles à vivre pour l’entourage de la personne incarcérée. Cela mène bien souvent à un sentiment de honte, au repli sur soi, à l’isolement. « La majorité des proches de détenus choisissent de ne rien dire, seul moyen de ne pas avoir à supporter le poids du regard extérieur, l’incompréhension. Silence qui accentue davantage encore l’écart entre la famille et les autres. Ainsi, quand leur fils a été incarcéré, Lyliane et Maurice ont choisi de vivre seuls avec ce secret, d’abord par peur d’être jugés, mais aussi dans l’espoir de “pouvoir un jour Témoignages de parloir 66 Par Elsa Berkowicz Son blog, larmurerie.over-blog.com ambitionne de dénoncer tous les fascismes, et le système réclusionnaire français dans sa globalité. « LLaa pprriissoonn,, cc’’eesstt uunn mmoonnddee iimmmmoobbiillee eett cc’’eesstt uunnee iimmmmeennssee ttrraannsshhuummaannccee :: ffiilleess dd’’aatttteennttee ddee ffeemmmmeess ffaattiigguuééeess,, ppoorrtteeuusseess ddee lliinnggeess,, ddee mmoottss,, ddee ppaattiieennccee eett dd’’aammoouurr eeffffiilloocchhééss.. DDuu ccôôttéé ddeess ddéétteennuuss,, cc’’eesstt uunnee vviiee ggeellééee,, uunn eessppaaccee ffiiggéé,, ddeess ppaarroolleess ttoouujjoouurrss lleess mmêêmmeess.. DDuu ccôôttéé ddee llaa ffaammiillllee,, cc’’eesstt ll’’eerrrraannccee àà ttrraa-vveerrss lleess ttrraaiinnss,, lleess ccoouullooiirrss dduu ttrriibbuunnaall,, llaa ssaallllee dd’’aatttteennttee ddeess aavvoo-ccaattss,, lleess ssaalllleess dd’’aauuddiieennccee...... » Odile Barral, magistrat, LLeess ppaasssseeuurrss ddee mmuurraaiilllleess.. FFaammiilllleess eett iinntteerrvveennaannttss eenn pprriissoonn, Éditions Eres tourner la page” : “Nous vivons cette situation comme une parenthèse dans notre vie et dans celle de notre fils. En ne mettant personne au courant, on se dit que le jour où il sortira, tout redeviendra comme avant ; cette histoire n’aura laissé aucune trace, aucun autre témoin que nous. On pourra oublier”. » 1 On ne sort jamais indemne d’une prison, même en temps que visiteur. Le temps de la détention d’un proche nous amène à vivre quotidiennement avec la prison. La société et la justice ignorent trop souvent les conséquences que vont avoir la détention sur l’entourage du détenu. Les témoignages de personnes dont un proche est ou a été détenu parlent tous de ce sentiment d’être aussi soi-même emprisonné par le regard des autres, le jugement de la société. Ils sont finalement condamnés au même crime et au même isolement. « Si la mise à l’écart fait partie de la peine infligée aux prisonniers, elle vaut également pour leur famille : “Beaucoup de gens que je croyais être des amis m’ont tourné le dos dès qu’ils ont appris que mon ami était en prison, dit Agnès, 28 ans. C’est très dur. D’un coup, je me suis sentie complètement isolée, comme si l’on me mettait moi aussi en prison”. » 2 « Vous vous retrouvez seule, la famille partie en fumée, les amis inexistants, quand vous avez le malheur de leur parler, ils vous font bien comprendre que dorénavant, nous n’êtes qu’une “femme de détenu”... Femme de détenu, voilà désormais notre nouveau grade au sein de la société... On vous traite avec dédain, on vous méprise (on ne connaît pas le crime qu’a fait votre mari mais ce n’est pas grave, on le considère comme tueur en série au plus haut degré). » Emmanuelle Delouvée, femme d’un prisonnier en centre de détention 3 .

Les premières règles à ne pas ignorer sont celles qui régissent le droit de visite. Pour visiter un proche, il faut d’abord obtenir un permis de visite. Le permis est nominatif et strictement personnel (les mineurs doivent également détenir un permis de visite individuel). Pièces à fournir pour l’obtention d’un permis de visite : •photocopie de tout document attestant de l’identité du demandeur (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire, titre de séjour) ; • deux photos d’identité récentes ; • photocopie d’un document attestant des liens de parenté pour les visites de proches des personnes détenues (copie du livret de famille, certificat de concubinage) ; • enveloppe timbrée au nom et adresse du demandeur ; • lettre motivant l’objet de la visite et décrivant la nature des liens avec la personne détenue (familiaux pour les proches ou dans le cadre de la réinsertion de la personne détenue pour les personnes extérieures). Une fois le permis obtenu, vous devez appeler l’établissement pour réserver un parloir 4 . Vous ne pouvez apporter que certains objets très précis dans les parloirs et vous serez soumis à des mesures de contrôle à votre arrivée et votre départ (contrôle d’identité, contrôle des objets apportés et passage sous un portique de détection, avec possible palpation de sécurité avec votre consentement en cas de déclenchement de l’alarme ou d’impossibilité d’utiliser ce moyen). Les personnes mineures doivent avoir l’autorisation de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale et être accompagnées d’une personne majeure, ellemême titulaire d’un permis de visite. Le mineur de plus de 16 ans peut venir sans accompagnateur si les titulaires de l’autorité parentale ont donné leur accord écrit et si la visite concerne un parent détenu. Suite à leur premier parloir, des proches de détenus témoignent de leur expérience. Ce sont toutes des femmes, et pour celles qui vont visiter leur conjoint, il faut se rappeler que si un détenu a droit de s’abonner à la télévision, de cuisiner dans sa cellule, de faire du sport, de suivre des études, d’avoir un travail rémunéré, il n’a pas le droit (sauf dans les Unités de vie familiale) d’avoir des relations sexuelles avec sa compagne. « Je ne comprends pas pourquoi des parloirs “conjugaux” ne peuvent être mis en 67 place. Un détenu, aimé, entouré, câliné par sa compagne ne deviendra-t-il pas plus vite un “homme bien” ? À quoi sert la prison ? Seulement à punir ? Uniquement à payer sa dette, à racheter sa faute en frustrant au passage le plus possible la famille du détenu ? Cette famille qui n’a pas su prévenir, empêcher “l’acte fatidique”. » 5 J’ai rencontré quatre femmes – Cécile, Nath, Océane et Louise –, qui ont accepté de me raconter leur histoire, sans détour ni pudeur. Cécile s’est rendue plusieurs fois au parloir pour visiter un ami : « La première fois que je me suis rendue au parloir, c’était pour visiter un ami qui venait d’être placé en détention provisoire. J’avais conscience de la dureté de la prison et que c’était un monde à part. Je n’avais par contre pas conscience qu’en en franchissant les portes en tant que visiteuse, j’allais devoir moi aussi renoncer à ma dignité. Mon ami était détenu à plus de 300 bornes de mon domicile, mais je ne pouvais pas réserver de parloir à l’avance, j’entamais donc le trajet très tôt, en essayant de réserver pendant le voyage en train, sans être sûre d’obtenir de parloir et en risquant donc de rebrousser chemin. La première fois, je lui avais amené des affaires, sans savoir ses besoins et ce à quoi il avait droit. J’avais rangé des habits, des livres, des cigarettes, une peluche dans une petite valise. Arrivée sur place, le gardien m’a demandé où je me croyais avec ma valise, que c’était dans des sacs plastiques qu’il fallait amener les affaires, comme si c’était évident. Il a ensuite refusé les cigarettes, les livres et la peluche. Plus tard j’ai compris que tout dépendait du gardien sur lequel on tombait, et j’ai pu lui faire parvenir des livres, des cigarettes et cette peluche qui m’importait tant de lui transmettre. On s’attache à des choses sans importance en prison, à l’intérieur, comme de l’extérieur. Ma méconnaissance des règles avait fait perdre un peu de temps et les autres visiteurs commençaient à s’impatienter. Je me sentais gênée. Au moment de passer les portiques, j’ai sonné. Après plusieurs tentatives, il s’est avéré que c’était mes chaussures, les responsables. Le gardien n’a rien voulu savoir, si je voulais ce parloir, je devais accepter de porter les espadrilles qu’il me tendait. J’ai ravalé ma fierté. Je m’étais faite “jolie” pour ce parloir, ces espadrilles venaient à bout de tous mes efforts, de toute ma volonté pour faire bonne figure, et de mes dernières convictions humanistes qui pouvaient encore avoir espoir en un système. Avec le temps, j’ai appris à faire selon les gardiens et à ne ## 3355 MMARRSS/AVRIILL 2201122

# <strong>35</strong> MARS/AVRIL 2012<br />

dossier<br />

La prison est un univers à part, régie par ses propres<br />

lois, ses propres codes, un environnement que l’on<br />

ignore souvent, et dont on ignore le fonctionnement.<br />

Un milieu victime de préjugés, d’idées reçues et de<br />

lieux communs entretenus bien souvent par les médias et<br />

l’imaginaire collectif.<br />

On oublie que les personnes détenues sont des pères, des<br />

mères, des fils, des filles, des compagnons, des maris, des<br />

ami(e)s… Les proches qui vont les visiter vont se re<strong>trou</strong>ver<br />

confronter à la réalité carcérale et subir les mêmes<br />

préjugés que ceux qui entourent le lieu et les gens qui y<br />

sont enfermés. Tant que l’on n’a pas eu à faire à la prison,<br />

on se dit, qu’après tout, ça ne nous regarde ni nous<br />

concerne pas.<br />

On oublie <strong>au</strong>ssi que les détenus ne sont pas les seuls à<br />

subir la détention, mais que leur incarcération concerne<br />

tout un noy<strong>au</strong> familial et affectif. La prison est trop souvent<br />

synonyme de honte et ce sentiment va se répercuter<br />

<strong>au</strong>ssi sur ceux que la justice n’a pourtant pas condamnés :<br />

les proches, famille et/ou amis.<br />

L’ignorance, la méconnaissance des règles qui<br />

régissent la prison, et l’image persistante négative (par<br />

exemple, on occulte que de nombreuses personnes incarcérées<br />

le sont dans l’attente d’un procès et ne sont donc<br />

pas considérées comme coupables) qu’elle véhicule, rendent<br />

la détention d’un proche et les visites <strong>au</strong> parloir <strong>au</strong><br />

parloir difficiles à vivre pour l’entourage de la personne<br />

incarcérée. Cela mène bien souvent à un sentiment de<br />

honte, <strong>au</strong> repli sur soi, à l’isolement. « La majorité des<br />

proches de détenus choisissent de ne rien dire, seul<br />

moyen de ne pas avoir à supporter le poids du regard<br />

extérieur, l’incompréhension. Silence qui accentue<br />

davantage encore l’écart entre la famille et les <strong>au</strong>tres.<br />

Ainsi, quand leur fils a été incarcéré, Lyliane et M<strong>au</strong>rice<br />

ont choisi de vivre seuls avec ce secret, d’abord par peur<br />

d’être jugés, mais <strong>au</strong>ssi dans l’espoir de “pouvoir un jour<br />

Témoignages de parloir<br />

66<br />

Par Elsa Berkowicz<br />

Son blog, larmurerie.over-blog.com ambitionne de<br />

dénoncer tous les fascismes, et le système réclusionnaire<br />

français dans sa globalité.<br />

« LLaa pprriissoonn,, cc’’eesstt uunn mmoonnddee iimmmmoobbiillee eett cc’’eesstt uunnee iimmmmeennssee<br />

ttrraannsshhuummaannccee :: ffiilleess dd’’aatttteennttee ddee ffeemmmmeess ffaattiigguuééeess,, ppoorrtteeuusseess<br />

ddee lliinnggeess,, ddee mmoottss,, ddee ppaattiieennccee eett dd’’aammoouurr eeffffiilloocchhééss.. DDuu ccôôttéé<br />

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lleess ssaalllleess dd’’a<strong>au</strong>uddiieennccee...... »<br />

Odile Barral, magistrat,<br />

LLeess ppaasssseeuurrss ddee mmuurraaiilllleess..<br />

FFaammiilllleess eett iinntteerrvveennaannttss eenn pprriissoonn,<br />

Éditions Eres<br />

tourner la page” : “Nous vivons cette situation comme<br />

une parenthèse dans notre vie et dans celle de notre fils.<br />

En ne mettant personne <strong>au</strong> courant, on se dit que le jour<br />

où il sortira, tout redeviendra comme avant ; cette histoire<br />

n’<strong>au</strong>ra laissé <strong>au</strong>cune trace, <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre témoin que nous.<br />

On pourra oublier”. » 1<br />

On ne sort jamais indemne d’une prison, même<br />

en temps que visiteur. Le temps de la détention d’un<br />

proche nous amène à vivre quotidiennement avec la prison.<br />

La société et la justice ignorent trop souvent les<br />

conséquences que vont avoir la détention sur l’entourage<br />

du détenu. Les témoignages de personnes dont un<br />

proche est ou a été détenu parlent tous de ce sentiment<br />

d’être <strong>au</strong>ssi soi-même emprisonné par le regard des<br />

<strong>au</strong>tres, le jugement de la société. Ils sont finalement<br />

condamnés <strong>au</strong> même crime et <strong>au</strong> même isolement. « Si la<br />

mise à l’écart fait partie de la peine infligée <strong>au</strong>x prisonniers,<br />

elle v<strong>au</strong>t également pour leur famille : “Be<strong>au</strong>coup<br />

de gens que je croyais être des amis m’ont tourné le dos<br />

dès qu’ils ont appris que mon ami était en prison, dit<br />

Agnès, 28 ans. C’est très dur. D’un coup, je me suis sentie<br />

complètement isolée, comme si l’on me mettait moi <strong>au</strong>ssi<br />

en prison”. » 2<br />

« Vous vous re<strong>trou</strong>vez seule, la famille partie en fumée,<br />

les amis inexistants, quand vous avez le malheur de leur<br />

parler, ils vous font bien comprendre que dorénavant,<br />

nous n’êtes qu’une “femme de détenu”... Femme de<br />

détenu, voilà désormais notre nouve<strong>au</strong> grade <strong>au</strong> sein<br />

de la société... On vous traite avec dédain, on vous<br />

méprise (on ne connaît pas le crime qu’a fait votre mari<br />

mais ce n’est pas grave, on le considère comme tueur<br />

en série <strong>au</strong> plus h<strong>au</strong>t degré). » Emmanuelle Delouvée,<br />

femme d’un prisonnier en centre de détention 3 .

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