Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MAARS/AVRIL 2012<br />
dossier<br />
quelques rappels, « dans le bon sens », pour qu’il n’oublie<br />
pas ce qu’ils ont subi ; il sait l’humiliation qui a été la leur.<br />
Julien et Hosni parlent peu de la réaction de leurs amis.<br />
Pour l’un, c’est différent : les amis, « tu peux t’en faire d’<strong>au</strong>tres<br />
». Pour l’<strong>au</strong>tre, quand on rentre en prison, il y a peu,<br />
voire très peu d’amis : « seule ton intelligence l’est ».<br />
Avec tout cela, comment assumer l’acte qui nous<br />
a conduit en prison alors que le jugement de la société<br />
double notre première peine qu’est la détention ? Julien<br />
et Hosni répondent tout deux qu’ils assument totalement<br />
leur(s) acte(s). Pour le premier, tout n’a pas été négatif<br />
dans l’expérience de la prison ; selon lui, « c’est ce qu’il fallait<br />
» qu’il lui arrive à ce moment-là de se vie. Pour Hosni,<br />
incarcéré pour des affaires de stupéfiants, c’était une partie<br />
de poker, et l’emprisonnement était un des risques du<br />
jeu, mais cela ne l’empêche pas de confier que son incarcération<br />
a été douloureuse. Pour les deux, « pas le choix »,<br />
on est obligé d’assumer son acte lorsque l’on est emprisonné.<br />
Comme si, sous la peine officielle, d’<strong>au</strong>tres éléments<br />
étaient indispensables.<br />
Bien qu’ils assument, n’éprouvent pas le tabou<br />
du sujet avec leurs proches, sans pour <strong>au</strong>tant en parler,<br />
cela reste un épisode de leur vie à cacher <strong>au</strong>près des<br />
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<strong>au</strong>tres, de la société, et surtout pour le travail : « ça ferme<br />
des portes ». Julien le cache dès qu’il peut car « les gens<br />
ne comprennent et ne savent pas pourquoi tu es passé<br />
par la prison ».<br />
Finalement, l’incarcération est une sorte de mélange<br />
entre la pudeur et l’humiliation provoquée par une punition<br />
particulièrement lourde : la personne détenue est<br />
dépossédée de quelque chose que l’on ne nomme pas, et<br />
on lui ajoute une culpabilité opaque et silencieuse, qui<br />
reste même face à ceux qui ne savent pas.<br />
Le tabou qui existe <strong>au</strong>tour de ce sujet pourrait peut-être<br />
alors surtout s’expliquer par la peur de briser ce silence, et<br />
de se mettre ainsi en position de parler alors que le seul<br />
droit qui est laissé à la personne incarcérée est celui<br />
d’éprouver de la culpabilité, et de se taire. Comme si la<br />
prison psychique survivait à la prison physique.<br />
NOTES<br />
1. « Approches de la connaissance et de l’imaginaire sur la prison », Enquête initiée par<br />
Pierre-Victor Tournier, conçue par des membres (dont l’<strong>au</strong>teur) du séminaire de<br />
recherche Mesures pénales – privation de liberté (MP-PL) animé par Pierre-Victor<br />
Tournier et Antoinette Ch<strong>au</strong>venet, réalisée par le GENEPI, avec la collaboration du<br />
bure<strong>au</strong> des études, de la prospective et des méthodes de la direction de l’administration<br />
pénitentiaire (PMJ1).<br />
2. http://champpenal.revues.org/5773