Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

# 35 MAARS//AAVVRIL 2012
dossier
ter la règle lorsque l’administration que l’on représente
n’est pas capable d’assurer des conditions matérielles
décentes aux détenus.
La rivalité avec les intervenants extérieurs, enfin, est à l’origine
d’une amertume exprimée par les surveillants,
compte tenu du décalage constaté entre l’évolution des
missions de l’administration pénitentiaire, qui doit à la fois
surveiller et réinsérer, et le cantonnement de leurs fonctions
à la seule surveillance. Le Père Jean Cachot, aumônier
à Besançon, précise d’ailleurs que la fonction « s’est
vue reléguer dans les fonctions les plus obscures, les plus
difficiles, les plus pénibles : les fouilles, la surveillance, les
clés... ». On parle même parfois de rôle de « porte-clefs » à
l’égard de ces personnels. Cette amertume est d’autant
plus forte que le niveau de recrutement des surveillants a
été considérablement amélioré. Toutefois, cette évolution
suscite également des frustrations auprès du personnel
qui occupe une fonction ne correspondant pas à ses
diplômes et à ses aspirations.
Cela tend donc à créer des tensions inutiles entre les différentes
catégories de personnel, alors que ces derniers
devraient travailler en équipe en direction de chaque
détenu. Il est en effet absurde d’exclure de ce processus la
seule personne côtoyant quotidiennement le détenu et
qui est susceptible de fournir des renseignements très
utiles aux autres intervenants.
Le rapport souligne par conséquent la nécessité d’une
revalorisation et d’une reconnaissance de la fonction de
surveillance. Maître Henri Leclerc, ancien président de la
Ligue des droits de l’Homme a évoqué en ces termes
devant la commission la nécessité d’une revalorisation de
la fonction : « Le problème des surveillants est important.
J’ai beaucoup parlé avec eux : il existe de très braves types
et de parfaits salauds. Il est essentiel de revaloriser la fonction
de surveillant ; ce serait sans doute un facteur d’amélioration
de l’humanité des prisons. La nation leur a confié
une fonction mais sans leur octroyer les moyens de compréhension
pour exercer cette fonction.
Je rêve d’une prison dans laquelle les surveillants seraient
des éducateurs : la fonction de surveillant serait considérablement
valorisée. Il leur serait donné des filières. Je n’ai
pas assez dit que les conditions de l’amélioration de la
condition pénitentiaire, c’est une transformation du rôle
des surveillants. À cette fin, il s’agirait que le pays les
considère mieux et que leur fonction soit réévaluée. Elle
ne doit pas être uniquement une fonction hiérarchique ;
les surveillants doivent savoir qu’ils remplissent un rôle
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éducatif. Ils constituent parfois le seul contact des détenus.
Si ce contact reste précis et revêche, il ne mènera à
rien ; si les surveillants de prison restent au bas d’une hiérarchie
où ils sont humiliés, ils auront quelquefois tendance
à se retourner contre les détenus et à les humilier
aussi. En revanche, s’ils étaient respectés, ils respecteraient
sans doute davantage les détenus. »
J’ai l’habitude de dire aux surveillants que je forme : « Si
vous considérez que les détenus sont des ordures, alors
vous êtes des éboueurs. Si vous estimez que ce sont des
êtres humains, alors des perspectives énormes s’ouvrent
», parce qu’un être humain, on peut lui faire assumer
les responsabilités de ces actes, on peut espérer
qu’il change 2 .
Paul Mbanzoulou,
responsable du département de recherche à l’ENAP
Par ailleurs, les surveillants souffrent du manque
de reconnaissance de leur métier par l’opinion publique.
« Le surveillant est encore aujourd’hui affublé du surnom
de “maton”. [...] La société veut bien enfermer les gens à
condition que ceux à qui elle confie cette mission soient
occultés. On ne veut pas voir ce qui se passe dans les prisons.
Il faudrait que les surveillants fassent leur travail
dans l’ombre, comme on tenait à distance le bourreau qui
devait se couvrir en public d’une cagoule pour ne pas
contaminer la société de l’œuvre mauvaise qu’on lui avait
pourtant demandée. » 3
Surtout, les détenus ne sont pas les seules victimes
du système carcéral : le personnel subit agressions,
prises d’otages, menaces de mort, et se suicide parfois sur
son lieu de travail, et donc « à cause » de leur travail. Dans
un communiqué, la CGT pénitentiaire s’inquiète et s’interroge
sur « une probable sur-suicidité » dans la profession,
jugeant que « les conditions de travail très dégradées, les
horaires difficiles et la surcharge de travail importante
altèrent gravement la santé de personnels » affectés par
« les conditions indignes de détention ». En outre, le personnel
est en sous-effectif, et on relève un fort taux d’absentéisme,
révélateur du malaise.
Les syndicats se battent d’ailleurs beaucoup sur ce terrain-là.
Il est regrettable toutefois qu’ils n’aient pas pris le
temps de répondre aux sollicitations et prises de contact
effectuées dans le cadre de ce numéro du Passe-Murailles
afin de recueillir leurs témoignages. Au demeurant, les
indices en la matière sont omniprésents.