Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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Les entreprises privées<br />
recrutent en prison<br />
MKT Societal à nouve<strong>au</strong> sous les projecteurs. En juin 2010, les médias relayaient la dimension sociale de<br />
ce centre d’appel implanté dans la maison d’arrêt de Versailles. En février 2012, une des détenues porte<br />
plainte contre l’entreprise pour licenciement abusif. Communiquer sur l’emploi de cette main d’œuvre<br />
particulière peut se révéler être une tactique à double tranchants.<br />
«Il s’agit d’un métier de l’ombre. » Les entreprises privées,<br />
concessionnaires de l’administration pénitentiaire,<br />
ne « s’affichent ni dans les magazines ni dans<br />
les salons » 1 , généralise Fabrice Guilb<strong>au</strong>d, sociologue spécialiste<br />
du travail en détention. La communication n’est<br />
pas une stratégie prise à la légère. Les critiques ne manquent<br />
pas pour décourager les sociétés d’intervenir en<br />
milieu carcéral où le droit du travail n’existe pas : exploitation<br />
de la misère humaine, emploi de prisonniers <strong>au</strong> lieu<br />
de chômeurs, concurrence malhonnête. Révéler qu’elles<br />
emploient des détenus risque alors de ternir leur image.<br />
Pourtant elles sont présentes. En 2010, 39,1 % des<br />
détenus avaient une activité rémunérée. Parmi eux 33,8 %<br />
étaient employés en concession 2 , c’est-à-dire par des en-<br />
treprises privées installant des ateliers<br />
en prison. Différents types de<br />
trav<strong>au</strong>x y sont réalisés comme l’assemblage,<br />
le conditionnement ou le<br />
façonnage. Il s’agit du deuxième<br />
régime fournissant le plus d’emplois<br />
en détention, après le service général<br />
qui touche <strong>au</strong>x fonctions d’hôtellerie<br />
et de maintenance pour l’établissement.<br />
L’administration pénitentiaire<br />
attire les sociétés en les<br />
démarchant directement. « Souvent<br />
elles ne connaissent pas les avantages<br />
de la prison », explique Christophe<br />
Usanos, chargé du travail à la Direction interrégionale<br />
des services pénitentiaires de Toulouse, « elle fournit<br />
des loc<strong>au</strong>x sécurisés, une main d’œuvre flexible et disponible<br />
lors des pics d’activité puis offre des intérêts financiers<br />
importants ». Selon l’article D432 du Code de procédure<br />
pénale, la rémunération ne peut être inférieure à<br />
45 % du Smic pour les activités de production. Elle est<br />
rarement supérieure. En 2010, le salaire mensuel net s’élevait<br />
en moyenne à 374 euros en concession.<br />
Une faible rémunération qui serait nécessaire<br />
pour éviter de délocaliser les activités en Europe de l’Est<br />
ou en Asie. La plaquette promouvant l’emploi en détention<br />
destinée <strong>au</strong>x entreprises le rappelle en inscrivant en<br />
UNE FAIBLE RÉMUNÉRATION<br />
NÉCESSAIRE POUR ÉVITER DE<br />
DÉLOCALISER LES ACTIVITÉS EN EUROPE<br />
DE L’EST OU EN ASIE. UNE PLAQUETTE<br />
PROMOUVANT L’EMPLOI EN DÉTENTION<br />
DESTINÉE AUX ENTREPRISES LE<br />
RAPPELLE EN INSCRIVANT EN PREMIÈRE<br />
PAGE : « DDÉÉLLOOCCAALLIISSAATTIIOONN UUTTIILLEE..<br />
PPRROOXXIIMMIITTÉÉ,, FFLLEEXXIIBBIILLIITTÉÉ,, QQUUAALLIITTÉÉ,,<br />
RRÉÉAACCTTIIVVIITTÉÉ ». SANS OUBLIER « LLAA<br />
DDÉÉMMAARRCCHHEE CCIITTOOYYEENNNNEE » DÉTAILLÉE<br />
DANS UN PETIT LIVRET.<br />
05<br />
Par Audrey Vucher, du GENEPI-Toulouse<br />
première page : « Délocalisation utile. Proximité, flexibilité,<br />
qualité, réactivité ». Sans oublier « la démarche<br />
citoyenne » détaillée dans un petit livret.<br />
MKT Societal a pris ce parti en mettant en avant<br />
l’expérience bénéfique apportée par le centre d’appel. Sa<br />
fondatrice, L<strong>au</strong>re Geradon de Vera affirme que « le premier<br />
ennemi en prison, c’est l’ennui. Là, ces femmes travaillent,<br />
apprennent et gagnent de l’argent » 3 . Une intention<br />
a priori noble tournée vers l’insertion d’une population<br />
carcérale marginalisée et peu qualifiée. L’initiative se<br />
<strong>trou</strong>ve toutefois mise à mal par l’assignation <strong>au</strong>x<br />
Prud’hommes de l’entreprise.<br />
« NNii hhoonntteeuuxx,, nnii ffiieerr dd’’eemmppllooyyeerr ddeess ddéétteennuuss »<br />
« Pour la première fois, c’est un<br />
acteur privé contre laquelle on<br />
porte plainte et non pas contre l’administration<br />
pénitentiaire », assure<br />
l’avocat Fabien Arakélian qui<br />
défend la détenue de Versailles<br />
contre MKT Societal. La médiatisation<br />
de l’affaire n’<strong>au</strong>rait <strong>au</strong>cun lien<br />
avec la communication <strong>au</strong>près du<br />
grand public et axée sur la dimension<br />
sociale de la société. « Ils ne<br />
peuvent pas dire <strong>au</strong>tre chose »,<br />
ajoute-t-il. Pourtant d’<strong>au</strong>tres choisissent<br />
de ne rien dire du tout.<br />
L’imprimerie industrielle, Evoluprint, intervient<br />
<strong>au</strong> centre de détention de Saint Sulpice depuis plusieurs<br />
années. Elle compte 85 salariés et délègue à trois détenus<br />
le travail de reliure et d’encartage. Payés à la pièce, leur<br />
salaire s’élève en moyenne à cinq euros de l’heure. « On ne<br />
communique pas plus dessus car il s’agit d’une activité<br />
mineure pour nous », confie le responsable financier,<br />
G<strong>au</strong>tier Marchal. « Nous ne sommes ni fiers, ni honteux<br />
d’employer des détenus. Nous faisons appel à eux pour<br />
des raisons économiques. Si cela sert à leur réinsertion,<br />
c’est la cerise sur le gâte<strong>au</strong> », assume-t-il.<br />
Meteore international intervient depuis 25 ans<br />
## 3<strong>35</strong>5 MMAARRS//AAVVRRIILL 2201122