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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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mission de sécurité qui incombe à l’administration.<br />

Pourtant, si l’administration pénitentiaire craint des<br />

conflits découlant du droit d’expression des prisonniers,<br />

ces derniers recherchent la plupart du temps, tant bien<br />

que mal, un moyen d’exploiter leur citoyenneté, de faire<br />

vivre leurs droits. Quant <strong>au</strong>x revendications des prisonniers<br />

sur le prix de la cantine, le peu d’activités proposées<br />

ou encore les diverses restrictions qui leur sont imposées,<br />

elles peuvent relever de la f<strong>au</strong>te disciplinaire 6 .<br />

Ainsi, dans un courrier adressé à la société Eurest, gestionnaire<br />

de cantine dans certains établissements, Hervé<br />

Bompard, un ancien détenu dont nous avons recueilli le<br />

témoignage fait état que : « Pouvoir s’acheter un parfum,<br />

c’est exister socialement. Pouvoir se cuisiner (ou se faire<br />

livrer) un steak-frites, c’est un réconfort pour ne pas devenir<br />

fou, voire attenter à sa vie. [...] On ne rend pas les gens<br />

meilleurs en les méprisant, en les traitant<br />

sans respect, en leur renvoyant<br />

une image dévalorisante, avilissante<br />

d’eux-mêmes. »<br />

Ainsi, ce système entretient<br />

le fait que les personnes incarcérées<br />

ne sont plus libres d’agir par ellesmêmes<br />

lors de l’exécution de leur<br />

peine, elles ne doivent pas « réfléchir<br />

» ; Jean Genet disait d’ailleurs :<br />

« Mon activité se limite à son cadre. Je<br />

ne suis qu’un homme puni ».<br />

En dernier lieu, si, pour nous,<br />

les élections présidentielles sont signe d’expression collective<br />

démocratique, leur organisation en prison relève<br />

d’un vrai parcours du combattant. Dans les faits, des<br />

bure<strong>au</strong>x de vote ne sont que très rarement installés <strong>au</strong><br />

sein de la prison.<br />

La faible information mise à leur disposition n’aide pas à<br />

ce qu’ils puissent s’organiser pour exercer leur droit de<br />

vote. Les prisonniers ont certes le choix de faire une procuration,<br />

le plus souvent à leur famille. Mais ne peuvent le<br />

faire que ceux qui ne sont pas en situation de repli sur eux<br />

mêmes, voire de rupture familiale à la suite de l’entrée en<br />

détention.<br />

« PPOOUUVVOOIIRR SS’’AACCHHEETTEERR UUNN PPAARRFFUUMM,,<br />

CC’’EESSTT EEXXIISSTTEERR SSOOCCIIAALLEEMMEENNTT..<br />

PPOOUUVVOOIIRR SSEE CCUUIISSIINNEERR ((OOUU SSEE FFAAIIRREE<br />

LLIIVVRREERR)) UUNN SSTTEEAAKK--FFRRIITTEESS,, CC’’EESSTT UUNN<br />

RRÉÉCCOONNFFOORRTT PPOOUURR NNEE PPAASS DDEEVVEENNIIRR<br />

FFOOUU,, VVOOIIRREE AATTTTEENNTTEERR ÀÀ SSAA VVIIEE.. [[......]]<br />

OONN NNEE RREENNDD PPAASS LLEESS GGEENNSS<br />

MMEEIILLLLEEUURRSS EENN LLEESS MMÉÉPPRRIISSAANNTT,, EENN<br />

LLEESS TTRRAAIITTAANNTT SSAANNSS RREESSPPEECCTT,, EENN<br />

LLEEUURR RREENNVVOOYYAANNTT UUNNEE IIMMAAGGEE<br />

DDÉÉVVAALLOORRIISSAANNTTEE,, AAVVIILLIISSSSAANNTTEE<br />

DD’’EEUUXX--MMÊÊMMEESS.. »<br />

33<br />

Du sentiment d’abandon de soi<br />

par la perte de liens famili<strong>au</strong>x<br />

Si, comme nous l’avons vu, l’usage de la correspondance<br />

et le soutien des intervenants en prison permettent<br />

<strong>au</strong>x détenus de se sentir entourés, et pris en<br />

considération, la difficulté éprouvée pour mener à bien<br />

une vie familiale reste source de vives tensions. En outre,<br />

la durée d’attente avant la première visite de la famille<br />

peut créer de l’anxiété chez le détenu. Le téléphone reste<br />

limité, coûteux et parfois inaccessible pour certains prisonniers<br />

qui seraient alors poussés à en racketter d’<strong>au</strong>tres<br />

pour maintenir leurs liens famili<strong>au</strong>x…<br />

Parfois, l’attente est si longue que les visages, les sentiments<br />

et les voix s’effacent. Au-delà des souvenirs, les<br />

images des proches passent parfois <strong>au</strong> stade de l’oubli.<br />

« Pour me concentrer il me f<strong>au</strong>t faire<br />

de gros efforts. Réfléchir et penser fatiguent<br />

terriblement » 7 . Réfléchir <strong>au</strong>x<br />

visages, <strong>au</strong>x expressions reste pour le<br />

détenu un exercice de plus à accomplir<br />

sous le poids de l’incarcération.<br />

Ainsi, même si le téléphone est<br />

accessible dans tout type d’établissement<br />

pénitentiaire depuis 2007, son<br />

usage en est limité. Le prisonnier peut<br />

appeler sa famille, mais, en dehors de<br />

celle-ci, son appel doit avoir un lien<br />

avec sa « réinsertion » 8 . Formule vague,<br />

floue, pour une restriction à géométrie<br />

variable. La réinsertion ne commence-t-elle pas par garantir,<br />

apprendre et renouveler le lien social du prisonnier<br />

avec la société, afin qu’il s’y intègre d’une meilleure<br />

manière ?<br />

De plus, le contrôle, par l’enregistrement ou l'écoute, des<br />

conversations téléphoniques réduit considérablement<br />

l’intimité du lien social recherché. Toutes ces restrictions<br />

entretiennent l’isolement sentimental de la personne<br />

détenue.<br />

L’app<strong>au</strong>vrissement des liens soci<strong>au</strong>x poussent<br />

parfois à des facteurs de « m<strong>au</strong>vaises conduites ». En effet,<br />

la découverte de téléphones à l’occasion de fouilles reste<br />

un motif de poursuites disciplinaires fréquent alors même<br />

que le détenu cherche simplement à rest<strong>au</strong>rer l’écoute et<br />

l’échange <strong>au</strong> sein de sa cellule.<br />

À juste titre, une compagne de détenu évoque<br />

son désarroi face <strong>au</strong> traitement aseptisé des liens fami-<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMAARSS/AAVVRRIILL 2201122

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