Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# 35 MAARS//AAVRIL 2012 dossier DR Clémennt Bernis nous confie Mounir Diari, ancien détenu 5 . Ainsi, la prison devrait garantir le maintien des liens sociaux du détenu pour se reconstruire, voire se construire en vue de la sortie. Car, le plus souvent, le prisonnier est réduit à l’acte répréhensible qu’il a commis, et on oublie alors l’Homme derrière cet acte. Certes, la prison est un lieu d’isolement, mais doit-elle être facteur de rupture avec la société dans son ensemble, alors même qu’il est affirmé que le maintien des liens sociaux est facteur de réinsertion et qu’elle est un des objectifs de l’emprisonnement ? 32 Du droit d’être un citoyen entre les murs Si Valery Giscard d’Estaing disait de la prison qu’elle est « la privation de la liberté d’aller et de venir et rien d’autre », il en est tout autrement dans les faits. En outre, l’isolement du « déviant » par rapport à la société s’accompagne de la privation de s’exprimer librement, de se réunir, d’exercer ses droits citoyens. Car, rappelons-le, contrairement à une idée reçue, beaucoup de prisonniers ne sont pas privés de leurs droits civiques et politiques à leur entrée en prison. L’information et l’expression ne doivent pas s’arrêter aux portes du milieu carcéral. Pourtant, certaines publications peuvent être interdites, restreintes de diffusion au sein d’un établissement. De plus, si les journaux peuvent être « cantinés » par les prisonniers, leur coût reste relativement élevé et l’accès à la presse est peu développé en détention, au-delà des murs de la bibliothèque. Lorsque l’on mène une lutte contre l’exclusion à l’extérieur des murs, il serait bon de prendre en compte ces milliers d’hommes en attente de sortie car, pour les réadapter à une société, peut-être changée, le droit d’information devrait être garanti. Au-delà de la privation d’aller et de venir, il existe donc une restriction, pour les personnes incarcérées, de s’informer « librement » et de pouvoir partager ces informations, notamment sur leurs parcours de peines respectifs. La liberté de communiquer est soumise à une obligation de réserve. Les prisonniers, s’ils sont déjà contraints à une restriction quant à la correspondance avec leurs proches, n’ont en aucun cas le droit de faire sortir de leur prison d’éventuels manuscrits, qui, pour la quasi-totalité, ne seront donc jamais diffusés. Lorsqu’ils sont amenés « à témoigner » sur leur parcours, l’anonymat est de mise. Le quotidien en prison fait régner la « non-considération » à leur égard : matricule, infantilisation, faits et gestes observés de façon millimétrée… Leurs possibles témoignages ont alors lieu sous couvert de l’anonymat, à la fois physique et patronymique. Comme si l’administration détenait le droit de restreindre l’usage des identités des personnes incarcérées. Discuter et communiquer sur sa propre situation est un fait peu commun en prison. L’existence d’une forme de démocratie citoyenne à l’intérieur des murs est souvent annihilée par les effets de la
mission de sécurité qui incombe à l’administration. Pourtant, si l’administration pénitentiaire craint des conflits découlant du droit d’expression des prisonniers, ces derniers recherchent la plupart du temps, tant bien que mal, un moyen d’exploiter leur citoyenneté, de faire vivre leurs droits. Quant aux revendications des prisonniers sur le prix de la cantine, le peu d’activités proposées ou encore les diverses restrictions qui leur sont imposées, elles peuvent relever de la faute disciplinaire 6 . Ainsi, dans un courrier adressé à la société Eurest, gestionnaire de cantine dans certains établissements, Hervé Bompard, un ancien détenu dont nous avons recueilli le témoignage fait état que : « Pouvoir s’acheter un parfum, c’est exister socialement. Pouvoir se cuisiner (ou se faire livrer) un steak-frites, c’est un réconfort pour ne pas devenir fou, voire attenter à sa vie. [...] On ne rend pas les gens meilleurs en les méprisant, en les traitant sans respect, en leur renvoyant une image dévalorisante, avilissante d’eux-mêmes. » Ainsi, ce système entretient le fait que les personnes incarcérées ne sont plus libres d’agir par ellesmêmes lors de l’exécution de leur peine, elles ne doivent pas « réfléchir » ; Jean Genet disait d’ailleurs : « Mon activité se limite à son cadre. Je ne suis qu’un homme puni ». En dernier lieu, si, pour nous, les élections présidentielles sont signe d’expression collective démocratique, leur organisation en prison relève d’un vrai parcours du combattant. Dans les faits, des bureaux de vote ne sont que très rarement installés au sein de la prison. La faible information mise à leur disposition n’aide pas à ce qu’ils puissent s’organiser pour exercer leur droit de vote. Les prisonniers ont certes le choix de faire une procuration, le plus souvent à leur famille. Mais ne peuvent le faire que ceux qui ne sont pas en situation de repli sur eux mêmes, voire de rupture familiale à la suite de l’entrée en détention. « PPOOUUVVOOIIRR SS’’AACCHHEETTEERR UUNN PPAARRFFUUMM,, CC’’EESSTT EEXXIISSTTEERR SSOOCCIIAALLEEMMEENNTT.. PPOOUUVVOOIIRR SSEE CCUUIISSIINNEERR ((OOUU SSEE FFAAIIRREE LLIIVVRREERR)) UUNN SSTTEEAAKK--FFRRIITTEESS,, CC’’EESSTT UUNN RRÉÉCCOONNFFOORRTT PPOOUURR NNEE PPAASS DDEEVVEENNIIRR FFOOUU,, VVOOIIRREE AATTTTEENNTTEERR ÀÀ SSAA VVIIEE.. [[......]] OONN NNEE RREENNDD PPAASS LLEESS GGEENNSS MMEEIILLLLEEUURRSS EENN LLEESS MMÉÉPPRRIISSAANNTT,, EENN LLEESS TTRRAAIITTAANNTT SSAANNSS RREESSPPEECCTT,, EENN LLEEUURR RREENNVVOOYYAANNTT UUNNEE IIMMAAGGEE DDÉÉVVAALLOORRIISSAANNTTEE,, AAVVIILLIISSSSAANNTTEE DD’’EEUUXX--MMÊÊMMEESS.. » 33 Du sentiment d’abandon de soi par la perte de liens familiaux Si, comme nous l’avons vu, l’usage de la correspondance et le soutien des intervenants en prison permettent aux détenus de se sentir entourés, et pris en considération, la difficulté éprouvée pour mener à bien une vie familiale reste source de vives tensions. En outre, la durée d’attente avant la première visite de la famille peut créer de l’anxiété chez le détenu. Le téléphone reste limité, coûteux et parfois inaccessible pour certains prisonniers qui seraient alors poussés à en racketter d’autres pour maintenir leurs liens familiaux… Parfois, l’attente est si longue que les visages, les sentiments et les voix s’effacent. Au-delà des souvenirs, les images des proches passent parfois au stade de l’oubli. « Pour me concentrer il me faut faire de gros efforts. Réfléchir et penser fatiguent terriblement » 7 . Réfléchir aux visages, aux expressions reste pour le détenu un exercice de plus à accomplir sous le poids de l’incarcération. Ainsi, même si le téléphone est accessible dans tout type d’établissement pénitentiaire depuis 2007, son usage en est limité. Le prisonnier peut appeler sa famille, mais, en dehors de celle-ci, son appel doit avoir un lien avec sa « réinsertion » 8 . Formule vague, floue, pour une restriction à géométrie variable. La réinsertion ne commence-t-elle pas par garantir, apprendre et renouveler le lien social du prisonnier avec la société, afin qu’il s’y intègre d’une meilleure manière ? De plus, le contrôle, par l’enregistrement ou l'écoute, des conversations téléphoniques réduit considérablement l’intimité du lien social recherché. Toutes ces restrictions entretiennent l’isolement sentimental de la personne détenue. L’appauvrissement des liens sociaux poussent parfois à des facteurs de « mauvaises conduites ». En effet, la découverte de téléphones à l’occasion de fouilles reste un motif de poursuites disciplinaires fréquent alors même que le détenu cherche simplement à restaurer l’écoute et l’échange au sein de sa cellule. À juste titre, une compagne de détenu évoque son désarroi face au traitement aseptisé des liens fami- ## 3355 MMAARSS/AAVVRRIILL 2201122
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dossier<br />
DR Clémennt Bernis<br />
nous confie Mounir Diari, ancien détenu 5 .<br />
Ainsi, la prison devrait garantir le maintien des<br />
liens soci<strong>au</strong>x du détenu pour se reconstruire, voire se<br />
construire en vue de la sortie. Car, le plus souvent, le prisonnier<br />
est réduit à l’acte répréhensible qu’il a commis, et<br />
on oublie alors l’Homme derrière cet acte. Certes, la prison<br />
est un lieu d’isolement, mais doit-elle être facteur de rupture<br />
avec la société dans son ensemble, alors même qu’il<br />
est affirmé que le maintien des liens soci<strong>au</strong>x est facteur de<br />
réinsertion et qu’elle est un des objectifs de l’emprisonnement<br />
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Du droit d’être un citoyen entre les murs<br />
Si Valery Giscard d’Estaing disait de la prison<br />
qu’elle est « la privation de la liberté d’aller et de<br />
venir et rien d’<strong>au</strong>tre », il en est tout <strong>au</strong>trement dans<br />
les faits. En outre, l’isolement du « déviant » par rapport<br />
à la société s’accompagne de la privation de<br />
s’exprimer librement, de se réunir, d’exercer ses<br />
droits citoyens. Car, rappelons-le, contrairement à<br />
une idée reçue, be<strong>au</strong>coup de prisonniers ne sont pas<br />
privés de leurs droits civiques et politiques à leur<br />
entrée en prison. L’information et l’expression ne<br />
doivent pas s’arrêter <strong>au</strong>x portes du milieu carcéral.<br />
Pourtant, certaines publications peuvent être interdites,<br />
restreintes de diffusion <strong>au</strong> sein d’un établissement.<br />
De plus, si les journ<strong>au</strong>x peuvent être « cantinés<br />
» par les prisonniers, leur coût reste relativement<br />
élevé et l’accès à la presse est peu développé en<br />
détention, <strong>au</strong>-delà des murs de la bibliothèque.<br />
Lorsque l’on mène une lutte contre l’exclusion à l’extérieur<br />
des murs, il serait bon de prendre en compte<br />
ces milliers d’hommes en attente de sortie car, pour<br />
les réadapter à une société, peut-être changée, le<br />
droit d’information devrait être garanti.<br />
Au-delà de la privation d’aller et de venir, il existe<br />
donc une restriction, pour les personnes incarcérées,<br />
de s’informer « librement » et de pouvoir partager<br />
ces informations, notamment sur leurs parcours de<br />
peines respectifs.<br />
La liberté de communiquer est soumise à une<br />
obligation de réserve. Les prisonniers, s’ils sont déjà<br />
contraints à une restriction quant à la correspondance<br />
avec leurs proches, n’ont en <strong>au</strong>cun cas le droit<br />
de faire sortir de leur prison d’éventuels manuscrits, qui,<br />
pour la quasi-totalité, ne seront donc jamais diffusés.<br />
Lorsqu’ils sont amenés « à témoigner » sur leur parcours,<br />
l’anonymat est de mise.<br />
Le quotidien en prison fait régner la « non-considération<br />
» à leur égard : matricule, infantilisation, faits et<br />
gestes observés de façon millimétrée… Leurs possibles<br />
témoignages ont alors lieu sous couvert de l’anonymat, à<br />
la fois physique et patronymique. Comme si l’administration<br />
détenait le droit de restreindre l’usage des identités<br />
des personnes incarcérées. Discuter et communiquer sur<br />
sa propre situation est un fait peu commun en prison.<br />
L’existence d’une forme de démocratie citoyenne à l’intérieur<br />
des murs est souvent annihilée par les effets de la