Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Pourquoi la prison
humilie-t-elle ?
«Humilier » vient du mot latin « humilio », se rendre
humble, décliné en « humilis » signifiant humble mais
aussi abject, différence que nous retrouvons entre
humilité et humiliation. Si l’humilité, c’est respecter ce qui
est plus grand que nous sans aucune dévalorisation de
soi-même, l’humiliation, c’est mettre plus bas que terre,
enterrer, faire mourir symboliquement ou réellement,
séparer de l’appartenance humaine définie par un code
de valeurs. D’un côté, nous avons l’appel de la vie à l’aimer
dans la simplicité de ce que l’on est et, de l’autre, le rejet
stigmatisant où la dignité individuelle est refusée. Il y a là,
dans cette racine, à la fois l’inclusion et l’exclusion. Nous
avons tous le choix et c’est là où s’engage notre responsabilité.
La prison est un des lieux de cette exclusion et il
n’est donc pas étonnant qu’un bon
détenu soit un détenu mort ; autrement
dit, celui qui ne demande rien,
ne parle pas, se soumet sans discuter,
bref, un prisonnier qui n’existe pas,
qui reste un numéro d’écrou. Il n’est
pas étonnant non plus que l’opinion
publique ne veuille rien savoir de la
réalité de l’univers carcéral et préfère
rester dans le mensonge des prisons
club Med aux télés à écran plat. Rester
sourd et aveugle aux principes même du respect des
droits fondamentaux participe grandement de l’humiliation,
déversoir de la lâcheté ordinaire.
La prison n’est que le bras armé de l’humiliation. Elle met
en acte la décision de la mise au ban d’une personne.
C’est certainement pour cela qu’elle y met autant de zèle,
au delà de la haine individuelle, hélas quotidienne,
puisqu’elle n’est pas le décideur. Elle se protège derrière
son obéissance qui la déresponsabilise, la porte aux exactions
étant ainsi déjà ouverte, et elle élabore ses propres
règles de détention sans contrôle réel des autorités
publiques, bafouant ainsi les lois. Elle profite aussi de cette
situation pour se défouler de ce goût amer de servilité qui
l’avilit. Les murs et leur omerta en sont d’autant plus protecteurs
qu’ils assurent une forme d’impunité.
Quant aux décideurs, l’écrasante majorité des juges, ne
savent pas ce qu’est la prison ; ils n’y vont jamais, et veulent
ignorer les basses œuvres de leurs exécutants. En
cela, ils initient le regard détourné de l’opinion publique.
Enfin le législateur, lui, est à des années-lumières des
conséquences des lois qu’il promulgue, n’étant préoccupé
que de son pouvoir, et non du fait qu’il est, normale-
Témoignage d’Alain Cangina,
ancien détenu,
président de l’association Renaître
LA PRISON EST UN DES LIEUX DE
CETTE EXCLUSION ET IL N’EST DONC
PAS ÉTONNANT QU’UN BON DÉTENU
SOIT UN DÉTENU MORT ;
AUTREMENT DIT, CELUI QUI NE
DEMANDE RIEN, NE PARLE PAS, SE
SOUMET SANS DISCUTER, BREF, UN
PRISONNIER QUI N’EXISTE PAS, QUI
RESTE UN NUMÉRO D’ÉCROU.
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ment, en démocratie, le porte-parole de la citoyenneté
élu.
Pour bien comprendre ce phénomène de l’humiliation,
il est nécessaire de repérer, grâce à René Girard 1
que nous vivons dans la logique du mimétisme (mimésis),
autrement dit dans une organisation du partage des
biens, non pas en fonction des besoins mais de la hiérarchie
sociale et de la domination. Ce phénomène se produit
à travers les étapes d’identification de l’enfant qui
grandit, permettant la croissance du sentiment d’appartenance
et de reconnaissance dans sa communauté nécessaire
à la construction de sa personnalité. Aucun système
d’éducation, malheureusement, et il n’y a là aucun hasard,
ne vient élever cette évolution vers une mise en confiance
de soi et une démarche partageuse, mais au contraire va
renforcer la lutte contre l’autre par le
risque d’être déchu à tout moment.
C’est ce processus d’appropriation
qui est, de fait, générateur de violences
par l’ambiance concurrentielle
et l’ambition individuelle.
Lorsque les antagonismes se
cristallisent autour de la remise en
cause des attributions à cause de la
rivalité et mettent en danger la
logique de distribution, il faut dénouer
les crises. C’est la fonction du bouc émissaire. On
désigne et on juge un individu qui est désigné comme
coupable de l’ordre public et qui devient alors le porteur
symbolique des noirceurs de l’ensemble. Nous avons là
un processus qui évite ainsi à la collectivité de regarder ce
que son système génère et qui permet à chacun de se
dédouaner de sa propre part d’ombre, autrement dit de la
nier. En ce sens, le bouc émissaire est l’opposé de l’idole
(le veau d’or, par exemple), sa face cachée mais néanmoins
indissociable, son ombre en quelque sorte.
L’illusion est nette : en excluant le bouc émissaire, on croit
pouvoir ainsi exclure cette part d’entropie collective et ce
qui pèse dans l’individualité intime, sans forcément d’ailleurs
en être conscient. Elle a un autre avantage, celui de
conjurer la peur de sa propre exclusion du groupe social
auquel on appartient. Il suffit d’observer les « abandons »
des prisonniers par leurs amis, leur famille, mais aussi les
humiliations supplémentaires faites aux proches qui persistent
à maintenir les liens et viennent aux parloirs visiter
le condamné. Dès lors, nous comprenons bien que c’est
une course sans fin où le besoin de bouc émissaire ne sera
jamais assouvi tant que les paradigmes des valeurs qui
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