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N°83<br />
Juin 2010<br />
La lettre de la <strong>Mission</strong> <strong>Nationale</strong> d’Appui <strong>en</strong> <strong>Santé</strong> M<strong>en</strong>tale<br />
La réforme des études<br />
<strong>en</strong> soins infirmiers<br />
Point de vue de professionnels<br />
de la psychiatrie<br />
et perspective historique<br />
Suite de notre numéro double de Pluriels consacré à la réforme des études <strong>en</strong> soins<br />
infirmiers et les conséqu<strong>en</strong>ces que l’on peut <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dre sur le travail des infirmiers <strong>en</strong><br />
psychiatrie et santé m<strong>en</strong>tale.<br />
Dans la première partie (Pluriels n° 82), nous nous sommes attachés à détailler les<br />
changem<strong>en</strong>ts introduits par la réforme, et notamm<strong>en</strong>t les conséqu<strong>en</strong>ces de l’universitarisation<br />
du diplôme.<br />
Dans cette seconde partie, le point de vue exprimé par des professionnels de la psychiatrie,<br />
conduit, inévitablem<strong>en</strong>t et comme à chaque réforme du diplôme d’État d’infirmier,<br />
à reposer, rep<strong>en</strong>ser, la question de la spécialisation. Le sujet ne sera, une fois<br />
de plus, pas épuisé, comme nous le rappelle l’article résumant l’histoire de cette formation<br />
qui vi<strong>en</strong>t clore (et ouvrir ?) la réflexion sur l’av<strong>en</strong>ir du diplôme d’infirmier.<br />
III. Le point de vue de professionnels de<br />
la psychiatrie<br />
Regards croisés sur la réforme<br />
Jean-Marc Dosser (directeur des soins à<br />
l’EPSAN, Établissem<strong>en</strong>t public de santé<br />
Alsace-Nord) et Philippe Meyer (psychiatre,<br />
présid<strong>en</strong>t de la CME du C<strong>en</strong>tre hospitalier<br />
d’Erstein, correspondants MNASM)<br />
Quelles sont les modifications<br />
majeures introduites par cette<br />
réforme <strong>en</strong> termes de bénéfice et/ou<br />
de limitation pour la qualité professionnelle<br />
des futurs infirmiers exerçant<br />
<strong>en</strong> psychiatrie ?<br />
Philippe Meyer. Une des ori<strong>en</strong>tations<br />
majeures et fondam<strong>en</strong>tales de cette<br />
réforme des études infirmières réside dans<br />
le passage d'un appr<strong>en</strong>tissage du métier<br />
d'infirmier <strong>en</strong> miroir du modèle médical,<br />
c<strong>en</strong>tré sur des pathologies (des « troubles »<br />
dirions-nous <strong>en</strong> psychiatrie), vers un<br />
appr<strong>en</strong>tissage plus spécifique c<strong>en</strong>tré sur la<br />
prise <strong>en</strong> compte de la situation d'être<br />
malade et de souffrir. Or, <strong>en</strong> psychiatrie, le<br />
soin procède très souv<strong>en</strong>t d'une analyse<br />
S O M M A I R E<br />
P1<br />
P4<br />
P5<br />
P6<br />
III. Le point de vue de professionnels<br />
de la psychiatrie.<br />
Regard croisé sur la réforme<br />
Jean-Marc Dosser, Philippe Meyer<br />
Infirmiers, infirmières de pratiques<br />
avancées, de quoi parle-t-on ?<br />
Saïd Acef<br />
Réforme des études <strong>en</strong> soins infirmiers<br />
: quels impacts sur les équipes<br />
soig,nantes <strong>en</strong> psychiatrie ?<br />
Catherine Gournet, Christine Abad<br />
IV. Perspective historique<br />
La formation des infirmiers <strong>en</strong> santé<br />
m<strong>en</strong>tale : une longue histoire…<br />
Marcel Jaeger
situationnelle du sujet, de l'intégration du mom<strong>en</strong>t pathologique<br />
dans un parcours de vie et de soin, de l'importance de<br />
p<strong>en</strong>ser les li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre le soigné et ses aidants naturels ou professionnels…<br />
Comm<strong>en</strong>t ne pas considérer alors ce passage d'une<br />
logique d'acquisition de connaissances vers une logique d'acquisition<br />
de compét<strong>en</strong>ces à compr<strong>en</strong>dre et à analyser (au s<strong>en</strong>s<br />
de mettre <strong>en</strong> perspective) comme une évolution très positive<br />
pour la pratique du soin <strong>en</strong> psychiatrie ?<br />
Mais, même <strong>en</strong> psychiatrie, cette évolution peut faire courir le<br />
risque de prise de distance, voire de perte de contact avec ce<br />
que le soin infirmier comporte de proximité avec la personne<br />
soignée, de rapport à son corps et au quotidi<strong>en</strong> de sa souffrance.<br />
Une vigilance s'impose donc pour que l'équilibre soit trouvé<br />
<strong>en</strong>tre « l'universitarisation » et ce qu'elle comporte d'intellectualisation<br />
d'une « sci<strong>en</strong>ce du soin » et, d'autre part, les exig<strong>en</strong>ces<br />
réelles, techniques et pragmatiques de « l’art du soin ».<br />
Jean-Marc Dosser. C’est vrai, cette réforme peut avoir cet<br />
effet. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’elle n’a pas été initiée<br />
uniquem<strong>en</strong>t pour des raisons de cohér<strong>en</strong>ce avec des besoins<br />
id<strong>en</strong>tifiés, mais initialem<strong>en</strong>t plutôt pour se caler avec les<br />
accords de Bologne, pour répondre aux standards europé<strong>en</strong>s et<br />
pour s’articuler avec les autres diplômes du secteur sanitaire.<br />
Que cela soit au passage l’occasion de revoir le cont<strong>en</strong>u d’une<br />
formation qui nécessairem<strong>en</strong>t devait évoluer, c’est parfait. Mais,<br />
je ne suis pas certain que, pour la psychiatrie, cela ne pose pas<br />
un problème à terme.<br />
Je m’explique. Le nouveau programme id<strong>en</strong>tifie clairem<strong>en</strong>t<br />
quatre types de stages et, parmi ceux-ci, il est spécifié un type<br />
pour la santé m<strong>en</strong>tale et la psychiatrie. C’est une bonne chose<br />
mais, <strong>en</strong> ce qui concerne l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t théorique des processus<br />
psychopathologiques <strong>en</strong> particulier, on passe de 400 h à<br />
100 h. Même s’il faut relativiser par une comp<strong>en</strong>sation partielle<br />
<strong>en</strong> première année, est-ce qu’un changem<strong>en</strong>t de paradigme suffira<br />
à comp<strong>en</strong>ser cette perte ?<br />
P.M. Je compr<strong>en</strong>ds les réserves de Jean-Marc au regard de la<br />
réduction du nombre d'heures d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la psychiatrie<br />
qui <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> résonance chez certains d'<strong>en</strong>tre-nous avec la réduction<br />
du nombre d'heures de psychiatrie lors de la disparition du<br />
diplôme d'ISP au profit de celui d'IDE. Je suis, pour ma part,<br />
moins inquiet dans la mesure où le changem<strong>en</strong>t porte égalem<strong>en</strong>t<br />
sur la part laissée à l'étudiant pour l'approfondissem<strong>en</strong>t personnel<br />
de ses connaissances. Par ailleurs, je ne peux résister ici à la<br />
t<strong>en</strong>tation de rappeler que 100 heures d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t théorique<br />
des processus psychopathologiques, c'est plus que ce dont bénéfici<strong>en</strong>t<br />
nos étudiants <strong>en</strong> médecine p<strong>en</strong>dant leurs six années de<br />
premier et second cycle…<br />
Pluriels n°82 Juin 2010<br />
2<br />
J.-M.D. Sur un autre aspect, cette transformation majeure, radicale,<br />
dont on perçoit l’impact pour les terrains de stage, est<br />
mise <strong>en</strong> œuvre <strong>en</strong> un temps très contraint. Les IFSI sont dans<br />
l’obligation de réécrire leur projet pédagogique et c’est un<br />
énorme travail qui a été fait au pas de charge. En ce qui<br />
concerne les terrains de stage, les équipes n’ont pas eu<br />
le temps de s’approprier cette réforme malgré les réunions<br />
d’information et les r<strong>en</strong>contres organisées. Elles ne perçoiv<strong>en</strong>t<br />
pas précisém<strong>en</strong>t ce qui est att<strong>en</strong>du d’elles alors même qu’il est<br />
précisé que le lieu de stage devi<strong>en</strong>t le lieu privilégié de l’acquisition<br />
des compét<strong>en</strong>ces. Il nous reste à espérer que le bon s<strong>en</strong>s<br />
et la motivation des infirmiers vi<strong>en</strong>dront comp<strong>en</strong>ser ce manque<br />
de préparation. Je suis, sur cet aspect, optimiste et confiant, les<br />
professionnels de terrains ont une capacité importante à intégrer<br />
des contraintes ; il faut néanmoins rester vigilant et à<br />
l’écoute des difficultés que les uns et les autres r<strong>en</strong>contreront<br />
lors de la mise <strong>en</strong> œuvre de cette réforme, et ne pas oublier<br />
que d’autres contraintes s’exerc<strong>en</strong>t fortem<strong>en</strong>t sur les équipes<br />
au quotidi<strong>en</strong>.<br />
La reconnaissance du grade de lic<strong>en</strong>ce aux futurs IDE<br />
va leur permettre d’accéder à des formations supplém<strong>en</strong>taires,<br />
de type master. Qu’att<strong>en</strong>driez-vous d’une<br />
év<strong>en</strong>tuelle spécialisation <strong>en</strong> soins psychiatriques et de<br />
santé m<strong>en</strong>tale ?<br />
J.-M.D. Avant de parler des bi<strong>en</strong>faits d’une spécialisation <strong>en</strong><br />
soins psychiatriques, je crois qu’il faut s’arrêter sur le paradoxe<br />
qui consiste à réduire l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t initial de psychiatrie pour<br />
se poser seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite, et dans un cal<strong>en</strong>drier non défini, la<br />
question du bi<strong>en</strong>-fondé d’une spécialisation. C’est <strong>en</strong> tous les<br />
cas l’aveu d’un manque à comp<strong>en</strong>ser et je souscris à cette idée.<br />
Il est à noter que depuis le programme de 1992, les établissem<strong>en</strong>ts<br />
ont été contraints de mettre <strong>en</strong> place des formations<br />
pour <strong>en</strong>richir les connaissances des jeunes professionnels <strong>en</strong><br />
psychiatrie. Si cette réforme acc<strong>en</strong>tue la réflexion dans ce<br />
domaine, c’est tant mieux, surtout si cela aboutit à reconnaître<br />
la psychiatrie de facto comme étant une pratique spécifique,<br />
qui nécessite un complém<strong>en</strong>t de formation.<br />
P.M. La notion de spécialisation porte <strong>en</strong> elle-même l'espoir<br />
d'un r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t des compét<strong>en</strong>ces, autant que la crainte d'un<br />
cloisonnem<strong>en</strong>t inter ou intra-disciplinaire. Ce risque me paraît<br />
d'autant plus important lorsque cette spécialisation est proposée<br />
précocem<strong>en</strong>t dans le parcours de formation, ce qui ne semble<br />
pas être le cas dans cette réforme.<br />
Enfin, la réflexion sur une spécialisation <strong>en</strong> soin psychiatrique<br />
et santé m<strong>en</strong>tale serait au moins, à l'heure du rapprochem<strong>en</strong>t
des champs du sanitaire et du social, l'occasion de définir les<br />
spécificités et la plus-value de ce soin, comparé à l'offre des<br />
métiers non soignants interv<strong>en</strong>ant dans le champ de la santé<br />
m<strong>en</strong>tale.<br />
P<strong>en</strong>sez-vous que cette spécialisation devrait être axée<br />
sur les pratiques managériales (à destination des<br />
cadres par exemple) ou plutôt sur la clinique, <strong>en</strong> termes<br />
de « pratiques avancées » ?<br />
P.M. Axer cette spécialisation sur les pratiques managériales<br />
revi<strong>en</strong>drait à reconnaître qu'il existe une spécificité du managem<strong>en</strong>t<br />
des équipes selon la discipline et, <strong>en</strong> l'occurr<strong>en</strong>ce, de la<br />
psychiatrie… Il me paraîtrait plus <strong>en</strong>richissant pour nos<br />
équipes d'offrir aux infirmiers ainsi spécialisés la possibilité de<br />
participer à des projets de recherche, d'élaborer des outils infirmiers<br />
de prise <strong>en</strong> charge : outils d'évaluation des pratiques, de<br />
coordination des parcours de soins, de partage d'information<br />
avec les part<strong>en</strong>aires non soignants, ou <strong>en</strong>core de piloter directem<strong>en</strong>t<br />
des projets institutionnels.<br />
J.-M.D. Je suis <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t d’accord avec Philippe. Les questions<br />
managériales doiv<strong>en</strong>t être abordées ailleurs et dans le<br />
cadre d’un autre projet professionnel. Cette spécialisation doit<br />
faire la part belle à la clinique et à la pratique <strong>en</strong> psychiatrie. Le<br />
managem<strong>en</strong>t des projets de soins psychiatriques et des équipes<br />
de psychiatrie pose, quant à lui, la question des compét<strong>en</strong>ces<br />
pré-requises et questionne l’idée de « l’universalité » de la fonction<br />
cadre, mais c’est un autre débat.<br />
Quelles modifications du partage des tâches <strong>en</strong>tre<br />
médecins et infirmiers, sous forme d’un transfert de<br />
compét<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>cadré par les textes, cela pourrait-il<br />
induire ?<br />
P.M. La notion de transfert de compét<strong>en</strong>ce est trop souv<strong>en</strong>t<br />
comprise comme un transfert de tâches palliatif de la pénurie<br />
médicale. Abordée sous l'angle de la spécialisation <strong>en</strong> soin psychiatrique,<br />
cette notion est alors p<strong>en</strong>sée positivem<strong>en</strong>t et de<br />
façon constructive. Enfin pourrons-nous peut-être valider officiellem<strong>en</strong>t<br />
ce que beaucoup ont déjà reconnu comme le rôle<br />
propre des infirmiers dans certaines fonctions, et l'intégrer<br />
dans une réflexion à la fois sur la gradation des réponses et sur<br />
de nouvelles missions infirmières ? C'est déjà le cas pour les<br />
missions d'accueil de première ligne, de conseil et d'ori<strong>en</strong>tation,<br />
d'infirmiers de liaison dans les structures médico-sociales,<br />
ou <strong>en</strong>core d'infirmiers référ<strong>en</strong>ts de parcours de soins <strong>en</strong> psychiatrie.<br />
J.-M.D. Il est vrai qu’<strong>en</strong> psychiatrie, dans le cadre de l’équipe<br />
pluridisciplinaire, il n’est pas rare de confier à certains infir-<br />
3<br />
miers des tâches qui, dans d’autres lieux, ne sont dévolues qu’à<br />
des médecins : visites d’accueil, <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s, certaines thérapies,<br />
etc. Qu’une formation valide, cela me paraît être une bonne<br />
chose si tant est que cela se fasse de manière concertée et dans<br />
un but de complém<strong>en</strong>tarité et non de manière palliative à une<br />
pénurie, comme le dit Philippe ou, pire <strong>en</strong>core, dans le cadre<br />
d’un <strong>en</strong>jeu de positionnem<strong>en</strong>t des différ<strong>en</strong>ts acteurs sanitaires.<br />
Une spécialisation post-DE <strong>en</strong> santé m<strong>en</strong>tale pourraitelle<br />
être suivie dans la foulée du diplôme d’État, ou<br />
devrait-elle être réservée aux professionnels ayant par<br />
exemple au moins cinq ans ou plus d’anci<strong>en</strong>neté <strong>en</strong> psychiatrie<br />
?<br />
J.-M.D. Tout dép<strong>en</strong>d naturellem<strong>en</strong>t du cont<strong>en</strong>u de la formation<br />
proposée.<br />
Soit celle-ci vi<strong>en</strong>t comp<strong>en</strong>ser un déficit du niveau de la formation<br />
initiale, il faut alors la proposer avant l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> fonction<br />
<strong>en</strong> psychiatrie, et cela de manière systématique. Mais qu’est-ce<br />
qui obligerait un jeune infirmier, frais émoulu d’un IFSI, à suivre<br />
cette spécialisation ? Qui la pr<strong>en</strong>drait <strong>en</strong> charge ? Le risque est<br />
grand d’avoir principalem<strong>en</strong>t sur le marché de l’emploi des<br />
infirmiers ayant une formation <strong>en</strong> psychiatrie se résumant à<br />
celle disp<strong>en</strong>sée a minima au cours des six semestres de formation<br />
initiale. Ensuite, ce seront hélas vraisemblablem<strong>en</strong>t les établissem<strong>en</strong>ts<br />
qui devront pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge le surcroît de<br />
nécessaire formation.<br />
Soit il s’agit d’atteindre un niveau d’expertise, et il serait alors<br />
préférable, dans ce cas, de pratiquer durant quelque temps<br />
avant d’<strong>en</strong>visager cette spécialisation. Le travail <strong>en</strong> psychiatrie<br />
exige une certaine maturité, un regard particulier sur la souffrance<br />
psychique et du recul. Du temps est nécessaire pour<br />
construire cette id<strong>en</strong>tité professionnelle.<br />
Le programme 2009 semble nous ori<strong>en</strong>ter vers la comp<strong>en</strong>sation<br />
de manques plutôt que vers une expertise. Mais quel que soit le<br />
dispositif mis <strong>en</strong> place, il paraît évid<strong>en</strong>t que le projet personnel<br />
et le profil individuel sont prépondérants.<br />
P.M. Comme le laisse <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre Jean-Marc, la question est de<br />
savoir si cette spécialisation devrait être requise pour travailler<br />
<strong>en</strong> qualité d'infirmier <strong>en</strong> psychiatrie (auquel cas elle devrait<br />
prolonger la formation générale initiale), ou si elle correspond<br />
à un choix d'approfondissem<strong>en</strong>t lié à un projet professionnel<br />
ou de recherche, et construite à partir de l'expéri<strong>en</strong>ce du terrain.<br />
C'est alors aussi un choix et un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t personnels.<br />
Pluriels n°82 Juin 2010
Infirmiers, infirmières de pratiques avancées, de quoi parle-t-on ?<br />
« Une infirmière pratici<strong>en</strong>ne/infirmière de pratique avancée est une infirmière qui a acquis un socle de connaissances<br />
expertes, de compét<strong>en</strong>ces dans la prise de décision face à des situations complexes, et les compét<strong>en</strong>ces cliniques pour la pratique<br />
avancée, dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte et/ou le pays dans lequel il/elle est accrédité à la<br />
pratique. Le niveau universitaire de master est recommandé pour accéder à ce niveau de responsabilités. » (adapté de ICN -<br />
International Council of Nursing, 2008 / Conseil International des Infirmières).<br />
Le terme « infirmière de pratique avancée » (IPA) est apparu<br />
dans la littérature de soins infirmiers dans les années 1980. Si<br />
l’émerg<strong>en</strong>ce de ces pratiques innovantes peut être associée au<br />
problème de démographie des professions de santé, leur développem<strong>en</strong>t<br />
est toujours lié à la prise de consci<strong>en</strong>ce politique et<br />
sociétale d’une nécessaire amélioration de la prise <strong>en</strong> charge<br />
des maladies chroniques (approche de type disease managem<strong>en</strong>t/chronic<br />
care model). Il persiste des difficultés à établir<br />
une définition claire et concise des pratiques avancées. Cela<br />
résulte du fait qu'elles <strong>en</strong>glob<strong>en</strong>t une large variété de compét<strong>en</strong>ces<br />
et de pratiques qui se diversifie <strong>en</strong>core de nos jours.<br />
La pratique avancée peut pr<strong>en</strong>dre trois chemins :<br />
– la substitution/délégation de tâches : certaines tâches auparavant<br />
attribuées et effectuées par les médecins sont transférées<br />
à l’IPA. L’objectif principal dans ce cas est de réduire la<br />
charge de travail pour les médecins et év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t de<br />
réduire les coûts de prise <strong>en</strong> charge ;<br />
– le transfert/reconnaissance des compét<strong>en</strong>ces : les infirmières<br />
se voi<strong>en</strong>t conférer et reconnaître de plein droit de nouvelles<br />
responsabilités directes pour des soins et services aux<br />
pati<strong>en</strong>ts, par exemple, dans des programmes de suivi des<br />
maladies chroniques (« disease managem<strong>en</strong>t »). Les principaux<br />
objectifs sont ici de d’améliorer la continuité des soins<br />
et de prév<strong>en</strong>ir/réduire les risques de complications ;<br />
– une autre conception émerge actuellem<strong>en</strong>t privilégiant la<br />
notion de compét<strong>en</strong>ces partagées <strong>en</strong>tre les professionnels de<br />
santé qui, sur la base de la reconnaissance des compét<strong>en</strong>ces<br />
infirmières, permet de contractualiser le cadre d’un exercice<br />
clinique partagé, d’égal à égal, avec les médecins.<br />
En ce qui concerne les infirmières spécialisées <strong>en</strong> psychiatrie,<br />
si nous regardons du côté de l’Amérique du Nord, les recommandations<br />
insist<strong>en</strong>t sur des pratiques fondées sur un cursus<br />
de formation approfondie et un cadre légal d’interv<strong>en</strong>tion<br />
précis afin de délivrer la gamme de soins et de services aux<br />
pati<strong>en</strong>ts : évaluation et diagnostic des problèmes de santé<br />
physique et m<strong>en</strong>tale, prescription restrictive et ajustem<strong>en</strong>t de<br />
la médication (une liste précise et stricte des traitem<strong>en</strong>ts est<br />
établie), psychothérapie de souti<strong>en</strong>, suivi et coordination des<br />
soins et services, recherche <strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces infirmières.<br />
En Europe, Chypre par exemple, a développé un corps d’IPA<br />
qui représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong>viron 2 % de l’<strong>en</strong>semble des infirmières. Les<br />
Pluriels n°82 Juin 2010 4<br />
compét<strong>en</strong>ces cliniques attribuées sont : consultation d’évaluation<br />
diagnostique, suivi global et coordonné incluant l’éducation<br />
thérapeutique et la gestion des situations aigües,<br />
ori<strong>en</strong>tation vers les spécialistes. Le niveau de formation requis<br />
pr<strong>en</strong>d la forme d’une spécialisation post-diplôme de douze à<br />
dix-huit mois.<br />
En France, la réforme réc<strong>en</strong>te du diplôme infirmier et la future<br />
mise <strong>en</strong> place du LMD <strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces infirmières (Lic<strong>en</strong>ce/<br />
Master/Doctorat) permet de tracer les grandes lignes de<br />
converg<strong>en</strong>ce et de t<strong>en</strong>sions sur la spécialisation <strong>en</strong> psychiatrie<br />
et à terme l’expérim<strong>en</strong>tation de pratiques avancées.<br />
Concernant la formation et la spécialisation, il est acquis pour<br />
le plus grand nombre qu’il s’agirait de construire un socle de<br />
compét<strong>en</strong>ces spécialisées (niveau master 2) accessibles à l’issue<br />
du niveau lic<strong>en</strong>ce (IDE) autour des axes fondam<strong>en</strong>taux de<br />
la pratique clinique :<br />
– évaluation des besoins de soins et de santé des personnes<br />
confrontées à des troubles psychiatriques ;<br />
– principes et pratiques de la relation thérapeutique ;<br />
– prév<strong>en</strong>tion des risques, observance et suivi infirmier spécialisé<br />
;<br />
– coordination, continuité et qualité des soins ;<br />
– gestion de l’urg<strong>en</strong>ce et des situations de crises ;<br />
– démarche réflexive, production de connaissances spécialisées<br />
<strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces infirmières.<br />
L’av<strong>en</strong>ir est donc certainem<strong>en</strong>t à p<strong>en</strong>ser à partir d’expérim<strong>en</strong>tations<br />
<strong>en</strong>cadrées et évaluables tant du côté des équipes<br />
et services de psychiatrie que des pratiques infirmières du<br />
secteur médico-social ou libéral. Un état des lieux des pratiques<br />
appar<strong>en</strong>tées d’ores et déjà existantes pourrait contribuer<br />
à r<strong>en</strong>dre plus explicite les innovations possibles <strong>en</strong><br />
France et leur articulation avec ce que nos part<strong>en</strong>aires europé<strong>en</strong>s<br />
et nord-américains développ<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t.<br />
Saïd Acef, MNASM<br />
Dellanoy C., Mairlot A.-F., « Infirmière <strong>en</strong> pratique avancée, une fonction<br />
à développer <strong>en</strong> Europe », Soins Cadre, n° 58, mai 2006, p. 65-68.<br />
Goudreau J. et al., « Approche clinique <strong>en</strong> soins infirmiers psychiatriques :<br />
étude de cas d’une pratique avancée », Recherche <strong>en</strong> soins infirmiers,<br />
n° 84, mars 2006, p. 118-125.<br />
Ordre National des Infirmiers (CNOI), Rapport de synthèse « psychiatrie<br />
et santé m<strong>en</strong>tale, <strong>en</strong>jeux et perspectives pour les pratiques infirmières »,<br />
CNOI, mars 2010.
Réforme des études <strong>en</strong> soins infirmiers :<br />
quels impacts sur les équipes soignantes<br />
<strong>en</strong> psychiatrie ?<br />
Dès le mois de novembre, nous avons accueilli <strong>en</strong> stage des<br />
étudiants <strong>en</strong> soins infirmiers, selon les modalités de l’arrêté<br />
du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier. Bi<strong>en</strong><br />
que les IFSI ai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>té d’anticiper le déploiem<strong>en</strong>t de ce nouveau<br />
dispositif, nous découvrons l’impact de cette réforme<br />
qui nous oblige à revoir notre dispositif d’accueil et d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t.<br />
Notre établissem<strong>en</strong>t a, depuis une dizaine d’années, développé<br />
une politique d’accueil des étudiants (livret d’accueil et <strong>en</strong>treti<strong>en</strong><br />
de groupe), initiée par le directeur des soins.<br />
Pour adapter ce dispositif à la nouvelle réglem<strong>en</strong>tation, nous<br />
avons constitué un groupe de cadres et d’infirmiers pour concevoir<br />
la charte d’<strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t, la matrice des livrets d’accueil des<br />
structures, et id<strong>en</strong>tifier les situations-clés propres aux unités de<br />
soins.<br />
Un premier constat<br />
À l’issue du premier stage, nous avons réuni les cadres de santé<br />
de proximité et cadres formateurs pour une première évaluation.<br />
La réingénierie par compét<strong>en</strong>ces vi<strong>en</strong>t bousculer :<br />
– les repères des soignants, habitués à une organisation<br />
par modules d’acquisitions de connaissance graduées par<br />
années. Il s’agit aujourd’hui de dix compét<strong>en</strong>ces à acquérir,<br />
des compét<strong>en</strong>ces transférables dans toutes activités de soins.<br />
Ces compét<strong>en</strong>ces sont évaluées à l’aide d’un outil, le portfolio,<br />
qui accompagne l’étudiant tout au long de sa formation et<br />
r<strong>en</strong>d « visible » son parcours de progression et d’acquisition ;<br />
– le temps de stage, rythmé par les MSP (mises <strong>en</strong> situations<br />
professionnelles) et les évaluations finales, qui formalisait les<br />
r<strong>en</strong>contres avec les cadres formateurs des IFSI. Ces li<strong>en</strong>s sont à<br />
redéfinir dans le cadre d’une formation par « alternance-articulation<br />
» : « L’idée de la formation <strong>en</strong> alternance, c’est celle d’un<br />
changem<strong>en</strong>t de pratiques obt<strong>en</strong>u par la confrontation dialectique<br />
de la pratique et de la théorie, qu’on appelle aussi<br />
“praxis” » ;<br />
– la posture de l’étudiant : quid de l’étudiant « passif » <strong>en</strong> qui<br />
se déversai<strong>en</strong>t les sci<strong>en</strong>ces médicales, les sci<strong>en</strong>ces humaines,<br />
les techniques infirmières, que ce soit <strong>en</strong> stage ou <strong>en</strong> cours, et<br />
qui devait appr<strong>en</strong>dre et compiler ses savoirs. La réforme des<br />
études place l’étudiant au cœur de son appr<strong>en</strong>tissage, il devi<strong>en</strong>t<br />
« acteur » de sa formation, il appr<strong>en</strong>d à appr<strong>en</strong>dre et cela tout<br />
au long de sa carrière professionnelle. Les soignants vont<br />
devoir les accompagner dans une pratique réflexive.<br />
5<br />
Le questionnem<strong>en</strong>t des professionnels autour du tuteur,<br />
du portfolio, et des situations emblématiques.<br />
• Le tuteur<br />
La fonction de tuteur ouvre un vrai débat au sein de notre<br />
groupe. Le cadre de santé, de par sa fonction pédagogique,<br />
n’est-il pas le tuteur « naturel » de l’étudiant ? La fonction de<br />
tuteur ne pourrait-elle pas être déléguée à plusieurs infirmiers<br />
par pôle ou, pour l’établissem<strong>en</strong>t, calquée sur le schéma du<br />
tutorat des nouveaux diplômés <strong>en</strong> psychiatrie ?<br />
Jusqu’à maint<strong>en</strong>ant, c’était l’équipe ou le cadre qui portai<strong>en</strong>t<br />
un regard sur le travail de l’étudiant, sur sa capacité à s’adapter<br />
à leur façon de faire.<br />
Demain, cette évaluation sera davantage concertée car un tiers<br />
extérieur y pr<strong>en</strong>dra part. Sa déc<strong>en</strong>tration de l’équipe devrait<br />
permettre à l’étudiant de se distancier de son « faire » pour le<br />
conceptualiser. Il nous faut donc accepter que l’étudiant nous<br />
« échappe », mais nous devons lui garantir un espace cont<strong>en</strong>ant,<br />
structurant et sécurisant pour développer son autonomie.<br />
• Le portfolio<br />
Ce docum<strong>en</strong>t accompagne l’étudiant tout au long de son cursus,<br />
il porte la trace de son évolution, de l’acquisition des compét<strong>en</strong>ces.<br />
Nous avons pu constater à l’issue de ce premier stage<br />
que son usage était difficile car consommateur de temps, et de<br />
répétition par l’ajout d’une feuille d’évaluation du stage repr<strong>en</strong>ant<br />
les dix compét<strong>en</strong>ces et une feuille d’appréciation id<strong>en</strong>tique<br />
à celle du portfolio. Les cadres de santé ont dû<br />
réaménager le temps de l’évaluation qu’ils ont estimé <strong>en</strong>tre<br />
deux et trois heures par étudiant. Ils ont dû r<strong>en</strong>oncer à une évaluation<br />
avec les professionnels de proximité, compte t<strong>en</strong>u du<br />
temps exigé pour son remplissage et à la complexité de son<br />
cont<strong>en</strong>u.<br />
• Les situations-clés comme source de nouvelles<br />
réflexions<br />
Nous avons ret<strong>en</strong>u comme méthodologie de demander à chaque<br />
structure ayant une spécificité dans la spécialité psychiatrique<br />
(soins aux toxicomanes, aux dét<strong>en</strong>us, soins dans le cadre de<br />
l’urg<strong>en</strong>ce, CAP 48, soins aux <strong>en</strong>fants, aux psychotiques déficitaires,<br />
aux personnes atteintes du VIH, aux personnes <strong>en</strong> situation<br />
de précarité…) d’id<strong>en</strong>tifier eux-mêmes leurs propres<br />
situations-clés.<br />
Quatre « grandes » situations émerg<strong>en</strong>t, reflétant le cœur du<br />
métier de l’infirmier <strong>en</strong> psychiatrie, à mettre <strong>en</strong> li<strong>en</strong> avec les<br />
dix compét<strong>en</strong>ces « généralistes » que doiv<strong>en</strong>t acquérir les futurs<br />
professionnels :<br />
Pluriels n°82 Juin 2010
– l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> infirmier dans toutes ses dim<strong>en</strong>sions, d’objet, de<br />
temps, de lieu, d’espace ;<br />
– la gestion des situations de crise ;<br />
– les activités médiatrices ;<br />
– les VAD (visite à domicile).<br />
Les <strong>en</strong>jeux de la réforme sur le terrain de la psychiatrie<br />
Le découpage des stages est réalisé de telle façon que chaque<br />
étudiant doit effectuer au moins un stage dans une spécialité<br />
donnée au cours de son cursus d’études. Par conséqu<strong>en</strong>t, un<br />
étudiant peut effectuer son premier stage de cinq semaines <strong>en</strong><br />
unité de soins psychiatriques et ne plus refaire de stage dans ce<br />
domaine jusqu’à la fin de ses études.<br />
Comm<strong>en</strong>t, dans un temps aussi court, accompagner des étudiants<br />
pour, tout à la fois, transmettre des savoirs, des valeurs,<br />
une id<strong>en</strong>tité culturelle forte, et <strong>en</strong>courager une motivation<br />
pour travailler dans nos services ? Car au-delà de l’appropriation<br />
par les professionnels de cette réforme, l’<strong>en</strong>jeu est bi<strong>en</strong>,<br />
pour la psychiatrie, de susciter des vocations chez les futurs<br />
infirmiers.<br />
Catherine Gournet, Christine Abad,<br />
cadres supérieurs de santé, assistantes de pôle<br />
CH Montperrin d’Aix-<strong>en</strong>-Prov<strong>en</strong>ce<br />
IV. Perspective historique<br />
La formation des infirmiers <strong>en</strong> santé m<strong>en</strong>tale :<br />
une longue histoire…<br />
La naissance de l’idée d’une formation<br />
On doit à Scipion Pinel d’avoir, pour la première fois <strong>en</strong> 1836,<br />
suggéré la nécessité d’écoles pour le personnel « subalterne » et<br />
à Falret d’avoir <strong>en</strong>gagé le processus, dans le cadre de travaux<br />
avec Lasègue <strong>en</strong> 1841-1842, avec son Discours d’un médecin<br />
d’aliénés à ses subordonnés. Les médecins ne cessant de se<br />
plaindre de la médiocrité de leurs auxiliaires, la décision de<br />
structurer un appareil de formation devint de plus <strong>en</strong> plus<br />
urg<strong>en</strong>te. Constans, Lunier et Dumesnil, <strong>en</strong> 1878, écriv<strong>en</strong>t au<br />
ministre de l’Intérieur : « Pour avoir de bons serviteurs,<br />
capables de seconder les efforts des médecins, il faudrait<br />
former un corps spécial de surveillants d’asiles ». Un de leurs<br />
confrères anglais, le Dr Clouston, pr<strong>en</strong>d appui sur les surveillants<br />
<strong>en</strong> chef qu’il a consultés pour affirmer que « les<br />
meilleurs gardi<strong>en</strong>s se recrut<strong>en</strong>t parmi les garçons de ferme » car<br />
ils ont des qualités humaines spontanées : « On se défiera généralem<strong>en</strong>t<br />
des candidats bi<strong>en</strong> élevés et trop instruits ; ce sont<br />
Pluriels n°82 Juin 2010<br />
6<br />
presque toujours des individus tarés ». Par contre, une fois<br />
recrutés, il s’agit de les former, <strong>en</strong> profitant justem<strong>en</strong>t de leur<br />
malléabilité, et même de « créer des diplômes ».<br />
La mise <strong>en</strong> œuvre pratique de l’idée débute avec Bourneville, qui<br />
obti<strong>en</strong>t du Conseil municipal de Paris dont il est membre, <strong>en</strong><br />
1877, la décision d’ouvrir les premières écoles d’infirmiers<br />
d’asile. Deux « écoles municipales » sont créées, celle de la<br />
Salpêtrière (1878) et celle de Bicêtre (1878). La formation est<br />
succincte : elle dure un an et consiste <strong>en</strong> des cours d’anatomie,<br />
de physiologie, d’hygiène, de pansem<strong>en</strong>ts, de petite pharmacie<br />
et d’administration. Elle conduit à un CAP (711 diplômes sont<br />
délivrés <strong>en</strong> 1889). Bourneville fait paraître, la même année, un<br />
volumineux Manuel pratique de la garde-malade et de l’infirmière<br />
(700 pages), qui lui vaudra une critique virul<strong>en</strong>te dans le<br />
compte r<strong>en</strong>du qu’<strong>en</strong> fit un journal médical : « Nous avouerons<br />
sans crainte pour notre part que nous considérons l’instruction<br />
donnée trop ét<strong>en</strong>due aux infirmières comme une prime à l’exercice<br />
illégal de la médecine, comme un obstacle nouveau à l’exercice<br />
de la médecine […]. C’est bi<strong>en</strong> dire qu’il nous paraît un peu<br />
trop avancé pour des infirmières destinées à rester privées d’initiative<br />
individuelle si elles veul<strong>en</strong>t être de bonnes infirmières ».<br />
En dépit de ce type d’opposition, les créations d’écoles se multipli<strong>en</strong>t.<br />
Bourneville inaugure celle de Sainte-Anne <strong>en</strong> 1880.<br />
Cela étant, si les aliénistes sont favorables à la transmission de<br />
connaissances de base, ils ne le sont pas à un diplôme qui<br />
ouvrirait sur des évolutions statutaires. Et surtout, la formation<br />
n’est toujours pas obligatoire.<br />
Une première évolution se fait s<strong>en</strong>tir lorsque H<strong>en</strong>ri Colin,<br />
médecin-chef de l’asile de Villejuif, expérim<strong>en</strong>te à partir de<br />
1906 un programme de formation dans le cadre de la réorganisation<br />
de l’école départem<strong>en</strong>tale d’infirmier et d’infirmière des<br />
asiles d’aliénés de la Seine. Le s<strong>en</strong>s principal de sa réforme est<br />
d’élargir le cadre de la formation et de l’exam<strong>en</strong>, de façon à éviter<br />
l’élimination « d’ag<strong>en</strong>ts excell<strong>en</strong>ts, mais n’ayant pas une instruction<br />
primaire suffisante ».<br />
Il existe un autre préalable à l’organisation de la formation : un<br />
recrutem<strong>en</strong>t de meilleure qualité. Le décret du 2 mai 1913 obligera<br />
les nouveaux embauchés à prés<strong>en</strong>ter leur Certificat<br />
d’études primaires ou à passer un exam<strong>en</strong> probatoire de même<br />
niveau. Faute de pouvoir justifier qu’ils sav<strong>en</strong>t lire, écrire<br />
et compter, les personnels sont embauchés avec le statut de<br />
stagiaires, ne peuv<strong>en</strong>t obt<strong>en</strong>ir leur titularisation ou doiv<strong>en</strong>t<br />
suivre des « cours primaires ».<br />
Le diplôme d’État pour les infirmiers d’asile ?<br />
À partir de 1920, les asiles ne dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t plus du ministère de<br />
l’Intérieur, mais du nouveau ministère de l’Hygiène, de
l’Assistance et de la Prévoyance sociales. Léonie Chaptal<br />
obti<strong>en</strong>t du ministre, Paul Strauss, la signature du décret du<br />
27 juin 1922 qui crée des « brevets de capacité professionnelle<br />
permettant de porter le titre d’infirmière diplômée de l’État<br />
français ». Ce diplôme d’État est destiné aux infirmières hospitalières,<br />
aux visiteuses d’hygiène sociale et aux infirmières à spécialité<br />
restreinte, dans les domaines de la puériculture, de la<br />
surveillance sanitaire des écoles, de l’hygiène m<strong>en</strong>tale.<br />
L’application de cette mesure aux infirmiers d’asiles d’aliénés<br />
pr<strong>en</strong>d plus de temps, car se pose le problème des lieux où les<br />
former. Le premier texte autorisant les écoles d’asile à préparer<br />
« l’exam<strong>en</strong> d’État » est le décret du 25 décembre 1927. La formation<br />
prévue est de cinq ans : une année de cours théoriques<br />
et quatre années de stages pratiques dans les « salles de médecine<br />
» (douze mois, dont deux mois <strong>en</strong> chirurgie) et les différ<strong>en</strong>ts<br />
quartiers de l’asile (le reste du temps). Ces dispositions<br />
sont r<strong>en</strong>forcées par l’arrêté du 26 mai 1930, qui fixe le programme<br />
des études « préparant à l’exam<strong>en</strong> d’État d’infirmiers et<br />
d’infirmières des asiles publics d’aliénés diplômés de l’État français<br />
», avec tr<strong>en</strong>te-six mois d’études à répartir sur cinq ans.<br />
Mais lorsque le décret du 18 février 1938 exige la possession<br />
du diplôme d’État (dit « unique ») pour la reconnaissance de la<br />
qualité d’infirmier, le sort des infirmiers des hôpitaux psychiatriques<br />
(l’appellation asile étant supprimée par la circulaire du<br />
5 avril 1937) est joué. Le diplôme d’État est un diplôme protégé.<br />
Ce ne sera que par commodité de langage que sera<br />
conservée l’appellation d’infirmier pour ceux qui n’auront<br />
qu’une formation locale <strong>en</strong> psychiatrie. P<strong>en</strong>dant plusieurs<br />
années, personne ne sait trop comm<strong>en</strong>t résoudre ce problème.<br />
Si, <strong>en</strong> effet, le diplôme d’État est d’une nécessité absolue pour<br />
être reconnu infirmier, cela implique soit une déqualification<br />
massive des infirmiers d’asiles qui redevi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t de simples<br />
servants, soit la conservation du titre d’infirmier à des ag<strong>en</strong>ts<br />
qui, <strong>en</strong> réalité, n’ont pas le niveau scolaire requis et seront<br />
considérés comme des non-diplômés.<br />
La rupture <strong>en</strong>tre infirmières DE et infirmiers des hôpitaux<br />
psychiatriques<br />
À titre d’aménagem<strong>en</strong>t, la loi du 15 juillet 1943 accorde le<br />
grade pour cinq années de service sur dossier. Cette loi est<br />
reprise à la Libération par l’ordonnance du 21 août 1944. Mais<br />
l’autorisation d’exercer comme infirmier comporte une restriction<br />
: elle n’est valable que pour les hôpitaux psychiatriques<br />
sans droit à exercer dans un hôpital général. La scission avec<br />
les diplômes d’État (DE) est consommée. De manière <strong>en</strong>core<br />
plus radicale, la loi du 8 avril 1946 donne un délai de deux ans<br />
à ceux qui exerçai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> qualité d’infirmier dans les hôpitaux<br />
psychiatriques, sans avoir le diplôme d’État, pour cesser leur<br />
7<br />
activité. Faute de quoi, ils devai<strong>en</strong>t être lic<strong>en</strong>ciées.<br />
L’idée de mettre <strong>en</strong> place une formation de qualité se poursuit<br />
avec des initiatives très limitées ; par exemple l’ouverture, <strong>en</strong><br />
1946, de l’École supérieure d’infirmiers et d’infirmières des<br />
hôpitaux psychiatriques à Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne),<br />
qui n’est pas une école de cadres, mais une école modèle assurant<br />
une formation spécialisée. L’arrêté du 23 juillet 1948 intitule<br />
le diplôme délivré par cette école « Certificat supérieur de<br />
spécialisation des établissem<strong>en</strong>ts psychiatriques ». Mais ce<br />
changem<strong>en</strong>t d’appellation est formel : le diplôme d’État n’est<br />
pas exigé pour <strong>en</strong>gager cette formation et celle-ci ne donne pas<br />
non plus le diplôme d’État.<br />
La formation des infirmiers <strong>en</strong> psychiatrie reste donc dans un<br />
monde séparé, ce qui n’empêche pas des évolutions importantes.<br />
Ainsi, sous la pression de psychiatres comme Paul<br />
Bernard, Roger Mignot, Luci<strong>en</strong> Bonnafé, l’arrêté du 28 juillet<br />
1955, complété <strong>en</strong> 1958, impose un programme id<strong>en</strong>tique à<br />
toutes les écoles départem<strong>en</strong>tales. Le certificat permet d’exercer<br />
dans tous les hôpitaux psychiatriques. Le cont<strong>en</strong>u de la formation<br />
reste succinct : 120 heures de cours sur deux ans. De<br />
façon à ne pas perturber le fonctionnem<strong>en</strong>t des services tout<br />
<strong>en</strong> évitant l’abs<strong>en</strong>téisme des infirmiers aux cours, la circulaire<br />
du 20 septembre 1955 suggère de placer les <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts « à<br />
proximité des heures de changem<strong>en</strong>t d’équipe ».<br />
Dans les années soixante, plusieurs mesures sont prises : les<br />
infirmiers psychiatriques devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des « infirmiers de secteur<br />
psychiatrique » (arrêté du 12 mai 1969). Sont créés, <strong>en</strong><br />
1970, un certificat de moniteurs des écoles d’infirmiers de secteur<br />
psychiatrique, puis, <strong>en</strong> 1976, un certificat de cadre infirmier<br />
de secteur psychiatrique (les mesures semblables<br />
concernant les DE dat<strong>en</strong>t, elles, du décret de 1958). Une nouvelle<br />
réforme de la formation initiale (arrêté du 16 février<br />
1973) institue 1 580 heures de cours théoriques (soit 13 fois<br />
plus qu’auparavant), 50 semaines de stages, dont un stage de<br />
trois semaines à mi-temps <strong>en</strong> extrahospitalier, le tout sur une<br />
durée de 28 mois.<br />
Une unification délicate des statuts et des formations<br />
À partir de 1975, à l’occasion d’accords europé<strong>en</strong>s, l’attraction<br />
s’exerce plus fortem<strong>en</strong>t vis-à-vis du diplôme d’État. L’idée d’une<br />
fusion des diplômes dits DE et de secteur psychiatrique avance.<br />
Pour les infirmiers <strong>en</strong> santé m<strong>en</strong>tale, c’est l’occasion de valoriser<br />
leurs compét<strong>en</strong>ces et de se faire reconnaître à égalité des<br />
infirmiers de médecine générale. Le mouvem<strong>en</strong>t s’amorce,<br />
mais timidem<strong>en</strong>t : l’arrêté du 26 avril 1979 crée une première<br />
année id<strong>en</strong>tique pour les infirmiers de secteur psychiatrique et<br />
pour les diplômés d’État. La durée des études, portée à<br />
33 mois, est la même. La formation pour les infirmiers de sec-<br />
Pluriels n°82 Juin 2010
teur psychiatrique s’étoffe : 1 376 heures<br />
d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t théorique, 504 heures de<br />
travaux dirigés et d’éducation physique, 59<br />
semaines de stages.<br />
Il faut att<strong>en</strong>dre 1992 pour que la fusion se<br />
réalise. Mais l’équilibre n’est pas facile à<br />
trouver <strong>en</strong>tre l’unité de la profession infirmière,<br />
l’id<strong>en</strong>tification d’un socle commun<br />
de connaissances théoriques et techniques<br />
et les besoins de compét<strong>en</strong>ces spécifiques<br />
ajustées aux personnes nécessitant des soins<br />
psychiatriques. La nouvelle réforme oblige à<br />
redéfinir, non sans mal, la place de la psychiatrie<br />
dans la formation initiale est définie.<br />
L’arrêté du 23 mars 1992 relatif aux études<br />
infirmières, tous secteurs d’activité confondus,<br />
prévoit 440 heures, sur le total de 2 080<br />
heures de formation théorique, pouvant être<br />
id<strong>en</strong>tifiées comme des <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong><br />
rapport direct avec la psychiatrie. D’autre<br />
part, plusieurs modules généralistes sont<br />
consacrés aux sci<strong>en</strong>ces humaines, à la législation.<br />
Enfin, outre un module spécifique de<br />
santé publique, plusieurs modules intègr<strong>en</strong>t<br />
les dim<strong>en</strong>sions sociales et éducatives liées<br />
aux pathologies.<br />
Les infirmiers de secteur psychiatrique sont<br />
considérés comme un cadre d'extinction. Ils<br />
doiv<strong>en</strong>t faire trois mois de stage pour obt<strong>en</strong>ir<br />
le diplôme unique. Après une période<br />
très conflictuelle, un arrêté d'octobre 1994<br />
accorde sans condition le diplôme d'État<br />
infirmier à tous les infirmiers de secteur psychiatrique<br />
qui <strong>en</strong> font la demande. Après un<br />
recours auprès du Conseil d’État porté par la<br />
Fédération des infirmiers libéraux et une<br />
âpre lutte juridique, le décret du 29 décembre<br />
1999 ét<strong>en</strong>d l’exercice des anci<strong>en</strong>s infirmiers<br />
de secteur psychiatrique à tous les secteurs,<br />
sauf l’exercice libéral. La fusion est faite,<br />
quitte à ce que l’on se r<strong>en</strong>de compte très<br />
vite que, sans une spécialisation, l’unification<br />
des diplômes prés<strong>en</strong>te un risque de<br />
dégradation de la qualité des soins <strong>en</strong> psychiatrie.<br />
Il apparaît alors que la question <strong>en</strong> arrièreplan<br />
des réformes de la formation des infirmiers<br />
pr<strong>en</strong>d un double visage, avec deux<br />
types de préoccupations id<strong>en</strong>titaires : l’infirmier<br />
<strong>en</strong> santé m<strong>en</strong>tale face, d’une part, à<br />
l’infirmier de médecine générale et soucieux<br />
à ce titre de faire reconnaître une spécialisation<br />
après l’obt<strong>en</strong>tion du diplôme initial, et,<br />
d’autre part, aux professions sociales avec<br />
lesquelles il est de plus <strong>en</strong> plus am<strong>en</strong>é à travailler<br />
au quotidi<strong>en</strong>. Car les besoins et les<br />
att<strong>en</strong>tes des pati<strong>en</strong>ts évolu<strong>en</strong>t aussi sur fond<br />
de transformation des politiques publiques<br />
et du paysage institutionnel.<br />
Marcel Jaeger,<br />
Conservatoire des arts et métiers, chaire de<br />
travail social et d'interv<strong>en</strong>tion sociale.<br />
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Rédacteur <strong>en</strong> chef :<br />
Sabine Rivet<br />
Ont participé à ce numéro :<br />
Christine Abad, Saïd Acef,<br />
Jean-Marc Dosser,<br />
Catherine Gournet, Marcel Jaeger,<br />
Philippe Meyer.<br />
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