POUR AVOIR

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PHOTOS : EL WATAN WEEK END 8 «Je me suis portée candidate lors des élections municipales. Je représentais le parti AHD 54. Nous avons mené notre campagne et avons opté pour une coalition avec le FLN. J’ai finalement obtenu le poste de troisième adjointe au maire d’Abalessa.» Mama Hamdi a 26 ans. Elle est diplômée en journalisme de la faculté des sciences politiques et de l’information d’Alger. Après plusieurs tentatives pour trouver un emploi dans la capitale, Mama se résigne et rentre à Abalessa, sa région natale. La commune d’Abalessa («lieu cultivable» en tamazight) est à 100 km de Tamanrasset. Il faut longer une route déserte aux paysages lunaires pour atteindre ce coin où la végétation fait de la résistance, tout comme pour les femmes de la commune, gardiennes de l’esprit de Tin Hinane, dont le tombeau se situe sur une colline donnant sur la rive gauche de l’oued Tifrit. Mama a fait sa scolarité à Abalessa, comme la majorité des jeunes filles de sa commune. Sans opposition, sa famille l’envoie à Alger pour entamer un cursus universitaire. «Après avoir obtenu ma licence, je ne rêvais que de travailler dans une rédaction ! J’étais motivée par l’idée de travailler dans les médias nationaux. Une sur le net Retrouvez le reportage photo de notre journaliste www.elwatanproject.com Mama, Saïda, Leyla s’impliquent dans la vie politique, sociale et culturelle d’Abalessa, afin d’assurer un développement local et durable El Watan Week-end Vendredi 24 mai 2013 L’esprit de Tin Hinane résiste au machisme Adjointe au maire, vétérinaire, enseignante, activiste culturelle… Les femmes d’Abalessa portent en elles la force de leur ancêtre, reine des Touareg. Attachées à leur profession, elles sont l’avenir du développement de leur ville. Abalessa. Faten Hayed hfaten@elwatan.com envie de connaître d’autres personnes, d’autres modes de vie et de nouvelles expériences. Mes parents ne se sont jamais opposés à mes choix. La vie à Alger était très difficile, la famille m’a beaucoup soutenue, puisque la bourse ne couvrait jamais mes dépenses quotidiennes. Elle est insignifiante.» Candidature après candidature, la jeune femme ne reçoit que des réponses négatives de journaux arabophones. «Etant donné le nombre de demandes, je n’avais aucune chance de travailler à Alger. Je suis retournée auprès des miens, avec la ferme intention de ne pas laisser tomber mon rêve de devenir journaliste.» L’APC d’Abalessa est une imposante bâtisse flambant neuve au centre de la commune. Mama a un vaste bureau avec un mobilier encore sous emballage. Elle est certaine qu’elle n’aurait jamais pu avoir ce type de poste dans la capitale. «Aujourd’hui, je suis un maillon important de la société, il y a de nouvelles perspectives. Cependant, je ne mets pas de côté mon envie de devenir journaliste.» BACHELOR «Le mariage n’est pas une priorité chez les femmes actives d’Abalessa», affirme Saïda Belmessaoud. A 28 ans, elle est une personnalité influente dans sa communauté et dans la région, puisqu’elle exerce le métier de vétérinaire. «On a tendance à croire que les femmes du Sud se marient jeunes. Or, nous choisissons, pour la majorité, de faire des études et des formations afin d’assurer la prospérité de notre village et celle de nos familles», ajoute-t-elle. Sa profession n’est pas aisée puisqu’elle doit travailler en permanence, être sur le terrain, prendre soin des animaux, faire le suivi des élevages, appliquer les traitements, conseiller, faire de la prévention et constamment prouver sa compétence malgré sa jeunesse. «A Tamanrasset, il n’y a que 22 vétérinaires ; mon expérience de trois ans est un atout. Je suis souvent sollicitée par les fermiers. Même si c’est un travail physique, avec le temps on prend l’habitude et on apprend également à gérer les mentalités. Il faut savoir que les gens s’habituent à votre première réaction à leur égard. C’est-à-dire si vous êtes de nature effacée, il y aura moins de sollicitations. Par contre, si vous montrez que vous savez gérer toutes les difficultés, les éleveurs sont plus à l’aise et vous font confiance, les hommes principalement.» Quand on lui demande si elle pense que son métier est compatible avec une vie de famille, elle répond sans hésiter. «Il m’est arrivé de passer un mois loin de chez moi pour m’occuper des animaux. Je ne pense pas que ce soit une contrainte pour mon futur mari. Il notre projet Et si on reprenait tout du début ? Sans préjugé, sans facilité ? Et si on allait là où on ne va jamais, histoire de redécouvrir la réalité ? Chiche ! Pendant une année, nous irons ensemble à Baraki (Alger), El Kouif (Tébessa), Sougueur (Tiaret), Abalessa (Tamanrasset), El Hadjar (Annaba) et El Menia (Ghardaïa). Un seul objectif : rencontrer des habitants pour connaître leurs préoccupations, leurs rêves, leur quotidien et essayer de comprendre quelle sera l’Algérie de 2014. Pourquoi ces villes ? Parce qu’elles nous paraissent représentatives de la complexe réalité du pays. Mais aussi parce que derrière des stéréotypes bien ancrés et malgré leur petite taille, il y a dans ces villes les hommes qui construisent le pays de demain. saura par avance ce que je fais comme métier, c’est à prendre ou à laisser», conclut-elle. Leyla Abdelbaqi, 34 ans, est née et a étudié à Tamanrasset. Elle a enseigné pendant six ans à Ouargla. Sa tenue traditionnelle dissimule un jean, un t-shirt fuchsia et des ballerines à la dernière mode moyen-orientale. «J’ai fini par épouser un fils d’Abalessa. Je trouve que les hommes d’ici sont plus ouverts, chaleureux et respectueux que les gens de la ville de Tamanrasset, qui n’est qu’à une centaine de kilomètres. Je voyage, pars voir ma famille, sans pression morale de la part de mon mari», affirme Leyla. MATRIARCAT «Les gens du Nord sont obsédés par l’idée que la société touareg, qui est majoritaire ici, fonctionne sur un modèle matriarcal. C’est une vérité historique. Cela dit, nous sommes musulmans et nous respectons également ce que nous dicte notre religion, sans dualité ni contraintes. Les femmes ne portent pas le voile par contrainte. Nous portons le voile coutumier par tradition séculaire et non en signe de soumission à l’homme. Il nous protège du sable, du soleil et des insectes. La peau noire a également ses exigences. Le voile a remplacé la mlahfa, parce qu’il nous permet d’être coquettes !» Hannafi, 29 ans, musicien et poète, partage l’avis de Leyla. Selon lui, une femme est d’abord une citoyenne et une «force active» dans la société dans laquelle elle évolue. «Quand ma mère est tombée malade, j’ai dû prendre la décision de la faire hospitaliser à Alger. Le traitement qu’elle a eu était très lourd, elle devait donc passer deux mois dans la capitale. J’ai loué un appartement sur place pour prendre soin de ma mère, j’ai fait beaucoup de rencontres. Les gens du Nord sont très chaleureux et aiment les “étrangers“», plaisante-t-il. «Les femmes sont cloîtrées et ne sortent que pour faire les courses ou aller chez le médecin. Quand je racontais à mes amies le rôle que jouent les femmes du Sud dans la société, elles étaient étonnées. La liberté de la femme ne se résume pas à avoir le droit de porter le pantalon ou conduire une voiture, ça va au-delà. La liberté est d’abord un état d’esprit, et vivre dans un duel constant avec l’autorité de l’homme, qu’il soit mari, père ou frère, ne garantit pas l’émancipation.» ■

El Watan Week-end Vendredi 24 mai 2013 L’assassinat de son compagnon l’a propulsée sur le devant de la scène politique tunisienne, elle qui a fait le choix de militer loin des feux de la rampe. Elle est devenue l’icône d’une Tunisie en lutte. La veuve rebelle dénonce une justice qui «cherche à étouffer» la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd. Hacen Ouali houali@elwatan.com Le Premier ministre, Ali Larayedh, dès sa prise de fonction, avait assuré que les services de sécurité avaient identifié l’assassin de Chokri Belaïd, mais sans pour autant l’arrêter. Où en est la vérité quatre mois après l’assassinat de Belaïd ? Nulle part. L’affaire traîne en longueur. Nous sommes dans une situation de blocage, c’est un processus qui n’avance pas. Ce blocage est sciemment entretenu, car ce ne sont pas des éléments extérieurs objectifs qui font que l’affaire n’avance pas. Non. Les avocats ont démontré qu’il y a de nombreuses pistes qui n’ont pas été exploitées. Ils ont recueilli des informations remises au juge d’instruction, mais ce dernier refuse de les prendre en compte. Pire. Il (le juge d’instruction) a donné un pouvoir total à la brigade criminelle pour mener l’enquête et du coup, lui ne maîtrise plus rien. C’est la brigade qui mène l’enquête et lui ne reçoit que ce que celle-ci lui fournit. Alors que la brigade est sous la coupe du ministère de l’Intérieur d’Ennahdha et même après le remaniement gouvernemental, l’actuel Premier ministre, anciennement ministre de l’Intérieur, suit de près le dossier pour ne pas dire qu’il garde la main dessus. L’enquête n’est pas menée de manière sérieuse. Sinon comment expliquer que le juge d’instruction refuse d’entendre un témoin qui semble détenir des informations capitales. Il s’agit de l’homme d’affaires Fethi Damegh, arrêté dans l’affaire d’achat d’armes. Il a demandé, par écrit, que le juge d’instruction l’entende, mais ce dernier refuse. Pourquoi ? En plus, pourquoi le ministre de la Justice n’intervient-il pas ? Fethi Damegh, qui se trouve en prison, craint pour sa vie, il a peur d’être éliminé. C’est un témoin capital dans cette affaire. Un autre élément que le juge n’a pas pris en considération. Il y a une personne qui a été localisée et son appel téléphonique a été intercepté, la veille de l’assassinat, en bas de notre immeuble parlant de Chokri. Il a été écouté par le juge et ensuite libéré. Bref, il y a beaucoup d’indices et d’interférences dans le travail de la justice pour bloquer le processus. Vous soupçonnez des parties qui cherchent à étouffer l’affaire ? Il est clair que tout est fait pour qu’on ne sache pas qui a tué Chokri. Pourquoi ? Ils font tout pour empêcher que la vérité n’éclate. Ces gens-là doivent savoir que si l’enquête n’aboutit pas en Tunisie, nous irons vers une juridiction internationale. Mais pour l’instant, on met tout cela de côté, parce que, du point de vue légal, la juridiction internationale ne peut se saisir du dossier qu’en cas d’incompétence de la juridiction nationale. Ils veulent nous faire mal avec l’assassinat de Chokri. Et à ces gens, je dis que nous sommes et nous resterons débout. Qui sont ces gens ? Chokri disait toujours qu’Ennahdha cherchait à le liquider. Il était pertinemment sûr que cette formation voulait son élimination du paysage. La veille même de son assassinat, il disait que ce parti a failli sur tous les plans et c’est pour cela qu’il va se diriger vers la violence. Ce mouvement veut nous imposer un projet de société par la violence, d’autant qu’il sent la montée d’une résistance au sein de la société à son projet politique, à son économie, à sa conception rétrograde de la vie. Dans son analyse, Ennahdha fait croire que l’opposition représente la contrerévolution. Ce parti est en train de rééditer toutes les pratiques de l’ancien parti (RCD, ndlr) en monopolisant toute l’administration et les rouages de l’Etat. Ce parti entretien un rapport de méfiance vis-à-vis de ses adversaires, installant le pays dans une grave crise de confiance laquelle s’est accentuée avec l’assassinat de Chokri. Le président Moncef Marzouki s’est-t-il mobilisé à vos côtés pour faire connaître la vérité sur l’assassinat de «son ami» ? Au contraire. Marzouki avait dit à Chokri Belaïd quand il est allé le voir : «Les menaces proférées contre vous sont sérieuses, je dois assurer votre sécurité». Chokri bio express Née le 20 août 1970 dans la région de Kef, Basma Khalfaoui rencontre son compagnon, Chokri Belaïd, à son retour d’Irak, en 1998. Ensemble, ils quittent Tunis pour Paris où ils se marient en 2002 «à la française». Elle rentre au pays en 2006, une année après le retour de Chokri qui est déjà fortement impliqué dans le combat contre la dictature. Depuis l’assassinat de son compagnon, elle se radicalise. Elle compte créer «la fondation Chokri-Belaïd contre la violence». Marzouki a menti au juge avait refusé qu’on mette à sa disposition des gardes du corps. Mais, curieusement, quand Marzouki a été entendu par le juge d’instruction après l’assassinat de Chokri, celui-ci avait nié les propos qu’il avait pourtant tenus à Chokri. Il a dit au juge : «Non, je ne lui ai rien dit.» Pas seulement Marzouki d’ailleurs, Ahmed Nadjib Echabi aussi a nié devant le juge avoir dit à Chokri qu’il était menacé. Marzouki a menti au juge d’instruction. Je ne comprends pas quelle direction il prend. Et c’est pour cela que je refuse de le rencontrer. Il a voulu venir présenter ses condoléances, j’ai refusé et je refuse toujours. Parce qu’il ne veut pas participer à faire «éclater» la vérité. Il n’est pas sans savoir qu’un processus de violence s’installe dans le pays auquel luimême participe en acceptant de recevoir, au palais de Carthage, les comités de la protection de la révolution qui terrorisent les gens et qui utilisent la violence. Aucune prise de décision de sa part, aucune déclaration qui condamne au moins la responsabilité politique de ce gouvernement. Donc moi, je ne peux pas l’accepter chez moi. Vous êtes confiante pour l’avenir de la Tunisie ? Totalement confiante. La réaction courageuse des jeunes, des femmes et de nombreux Tunisiens face à la tentation totalitaire donne de l’espoir. Les Tunisiens se battent et continueront le combat afin de faire aboutir les aspirations pour lesquelles ils se sont soulevés contre la tyrannie. Ils ont fait la révolution pour la liberté, la dignité et le travail. Je reste engagée dans le combat pour l’instauration d’un projet de société de progrès, de liberté, de démocratie et de respect de la dignité humaine et pour une société plurielle qui assume pleinement ses différences d’opinions, de conscience. Une société où on gère de manière non violente les conflits. Les jeunes Tunisiens se sont sacrifiés pour un monde meilleur, un monde où on peut voir des fleurs partout, danser lorsqu’on en a envie, rire quand on veut, lire ce qu’on a envie de lire et réfléchir et avoir des avis sur toutes en aparté 9 BASMA KHELFAOUI-BELAÏD. Veuve de Chokri Belaïd, leader tunisien assassiné Chokri mérite que je marche, même pieds nus, sur les braises pour maintenir la flamme de la liberté. l'actu Mercredi, les partisans du Front populaire se sont rassemblés à Tunis pour demander que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de Chokri Belaïd les questions en toutes liberté. Celui qui veut faire la prière est libre de la faire, tout comme celui qui a envie de boire du vin. Qu’on libère la société des tous les tabous qu’on lui a imposés ; que les gens puissent enfin respirer la liberté. Leur projet à eux (les islamistes), c’est le déni de la liberté et de la démocratie. Contente-toi de ce que tu as et ne t’insurge pas contre le gouvernant. Il milite pour une société morte. Ce projet nous le combattrons comme nous avons combattu la dictature. En Tunisie, nous sommes face à un dilemme : soit nous voulons une société qui avance ou bien une société qui recule renfermée sur elle-même. Le jour de l’enterrement de Chokri Belaïd, le monde entier a découvert une femme courageuse à la tête du cortège funèbre, qui a dit qu’elle n’a pas le droit d’être triste et de faire le deuil, mais de résister ! J’ai des origines algériennes. Je viens de la région d’El Kef et ma mère à des origines algériennes. J’ai des ancêtres algériens. La femme algérienne, elle est en moi tout comme la femme palestinienne. C’est notre culture et notre background. L’image d’une femme qui doit continuer à résister quelle que soit la dureté des conditions. Chokri était un grand homme, un résistant. Il mérite que je marche, même pieds, nus sur les braises pour maintenir la flamme de la liberté. Basma Khalfaoui avec Salah, le père de Chokri Belaïd (à droite) et son frère (à gauche) PHOTOS : AFP

El Watan Week-end<br />

Vendredi 24 mai 2013<br />

L’assassinat de son compagnon l’a propulsée sur le<br />

devant de la scène politique tunisienne, elle qui a fait<br />

le choix de militer loin des feux de la rampe. Elle est<br />

devenue l’icône d’une Tunisie en lutte. La veuve<br />

rebelle dénonce une justice qui «cherche à étouffer»<br />

la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd.<br />

Hacen Ouali<br />

houali@elwatan.com<br />

Le Premier ministre, Ali<br />

Larayedh, dès sa prise de<br />

fonction, avait assuré que les<br />

services de sécurité avaient<br />

identifié l’assassin de Chokri<br />

Belaïd, mais sans pour autant<br />

l’arrêter. Où en est la vérité<br />

quatre mois après l’assassinat de<br />

Belaïd ?<br />

Nulle part. L’affaire traîne en<br />

longueur. Nous sommes dans une<br />

situation de blocage, c’est un<br />

processus qui n’avance pas. Ce<br />

blocage est sciemment entretenu,<br />

car ce ne sont pas des éléments<br />

extérieurs objectifs qui font que<br />

l’affaire n’avance pas. Non. Les<br />

avocats ont démontré qu’il y a de<br />

nombreuses pistes qui n’ont pas<br />

été exploitées. Ils ont recueilli des<br />

informations remises au juge<br />

d’instruction, mais ce dernier<br />

refuse de les prendre en compte.<br />

Pire. Il (le juge d’instruction) a<br />

donné un pouvoir total à la brigade<br />

criminelle pour mener l’enquête et<br />

du coup, lui ne maîtrise plus rien.<br />

C’est la brigade qui mène l’enquête<br />

et lui ne reçoit que ce que celle-ci<br />

lui fournit. Alors que la brigade est<br />

sous la coupe du ministère de<br />

l’Intérieur d’Ennahdha et même<br />

après le remaniement<br />

gouvernemental, l’actuel Premier<br />

ministre, anciennement ministre<br />

de l’Intérieur, suit de près le<br />

dossier pour ne pas dire qu’il garde<br />

la main dessus. L’enquête n’est pas<br />

menée de manière sérieuse. Sinon<br />

comment expliquer que le juge<br />

d’instruction refuse d’entendre un<br />

témoin qui semble détenir des<br />

informations capitales. Il s’agit de<br />

l’homme d’affaires Fethi Damegh,<br />

arrêté dans l’affaire d’achat<br />

d’armes. Il a demandé, par écrit,<br />

que le juge d’instruction l’entende,<br />

mais ce dernier refuse. Pourquoi ?<br />

En plus, pourquoi le ministre de la<br />

Justice n’intervient-il pas ? Fethi<br />

Damegh, qui se trouve en prison,<br />

craint pour sa vie, il a peur d’être<br />

éliminé. C’est un témoin capital<br />

dans cette affaire. Un autre élément<br />

que le juge n’a pas pris en<br />

considération. Il y a une personne<br />

qui a été localisée et son appel<br />

téléphonique a été intercepté, la<br />

veille de l’assassinat, en bas de<br />

notre immeuble parlant de Chokri.<br />

Il a été écouté par le juge et ensuite<br />

libéré. Bref, il y a beaucoup<br />

d’indices et d’interférences dans le<br />

travail de la justice pour bloquer le<br />

processus.<br />

Vous soupçonnez des<br />

parties qui cherchent à étouffer<br />

l’affaire ?<br />

Il est clair que tout est fait pour<br />

qu’on ne sache pas qui a tué<br />

Chokri. Pourquoi ? Ils font tout<br />

pour empêcher que la vérité<br />

n’éclate. Ces gens-là doivent<br />

savoir que si l’enquête n’aboutit<br />

pas en Tunisie, nous irons vers une<br />

juridiction internationale. Mais<br />

pour l’instant, on met tout cela de<br />

côté, parce que, du point de vue<br />

légal, la juridiction internationale<br />

ne peut se saisir du dossier qu’en<br />

cas d’incompétence de la<br />

juridiction nationale. Ils veulent<br />

nous faire mal avec l’assassinat de<br />

Chokri. Et à ces gens, je dis que<br />

nous sommes et nous resterons<br />

débout.<br />

Qui sont ces gens ?<br />

Chokri disait toujours<br />

qu’Ennahdha cherchait à le<br />

liquider. Il était pertinemment sûr<br />

que cette formation voulait son<br />

élimination du paysage. La veille<br />

même de son assassinat, il disait<br />

que ce parti a failli sur tous les<br />

plans et c’est pour cela qu’il va se<br />

diriger vers la violence. Ce<br />

mouvement veut nous imposer un<br />

projet de société par la violence,<br />

d’autant qu’il sent la montée d’une<br />

résistance au sein de la société à<br />

son projet politique, à son<br />

économie, à sa conception<br />

rétrograde de la vie. Dans son<br />

analyse, Ennahdha fait croire que<br />

l’opposition représente la contrerévolution.<br />

Ce parti est en train de<br />

rééditer toutes les pratiques de<br />

l’ancien parti (RCD, ndlr) en<br />

monopolisant toute<br />

l’administration et les rouages de<br />

l’Etat. Ce parti entretien un rapport<br />

de méfiance vis-à-vis de ses<br />

adversaires, installant le pays dans<br />

une grave crise de confiance<br />

laquelle s’est accentuée avec<br />

l’assassinat de Chokri.<br />

Le président Moncef<br />

Marzouki s’est-t-il mobilisé à<br />

vos côtés pour faire connaître la<br />

vérité sur l’assassinat de «son<br />

ami» ?<br />

Au contraire. Marzouki avait<br />

dit à Chokri Belaïd quand il est allé<br />

le voir : «Les menaces proférées<br />

contre vous sont sérieuses, je dois<br />

assurer votre sécurité». Chokri<br />

bio express<br />

Née le 20 août 1970 dans la région de Kef, Basma Khalfaoui rencontre son<br />

compagnon, Chokri Belaïd, à son retour d’Irak, en 1998. Ensemble, ils quittent<br />

Tunis pour Paris où ils se marient en 2002 «à la française». Elle rentre au pays<br />

en 2006, une année après le retour de Chokri qui est déjà fortement impliqué<br />

dans le combat contre la dictature. Depuis l’assassinat de son compagnon, elle<br />

se radicalise. Elle compte créer «la fondation Chokri-Belaïd contre la violence».<br />

Marzouki a menti au juge<br />

avait refusé qu’on mette à sa<br />

disposition des gardes du corps.<br />

Mais, curieusement, quand<br />

Marzouki a été entendu par le juge<br />

d’instruction après l’assassinat de<br />

Chokri, celui-ci avait nié les<br />

propos qu’il avait pourtant tenus à<br />

Chokri. Il a dit au juge : «Non, je<br />

ne lui ai rien dit.» Pas seulement<br />

Marzouki d’ailleurs, Ahmed<br />

Nadjib Echabi aussi a nié devant le<br />

juge avoir dit à Chokri qu’il était<br />

menacé. Marzouki a menti au juge<br />

d’instruction. Je ne comprends pas<br />

quelle direction il prend. Et c’est<br />

pour cela que je refuse de le<br />

rencontrer. Il a voulu venir<br />

présenter ses condoléances, j’ai<br />

refusé et je refuse toujours. Parce<br />

qu’il ne veut pas participer à faire<br />

«éclater» la vérité. Il n’est pas sans<br />

savoir qu’un processus de violence<br />

s’installe dans le pays auquel luimême<br />

participe en acceptant de<br />

recevoir, au palais de Carthage, les<br />

comités de la protection de la<br />

révolution qui terrorisent les gens<br />

et qui utilisent la violence. Aucune<br />

prise de décision de sa part, aucune<br />

déclaration qui condamne au<br />

moins la responsabilité politique<br />

de ce gouvernement. Donc moi, je<br />

ne peux pas l’accepter chez moi.<br />

Vous êtes confiante pour<br />

l’avenir de la Tunisie ?<br />

Totalement confiante. La<br />

réaction courageuse des jeunes,<br />

des femmes et de nombreux<br />

Tunisiens face à la tentation<br />

totalitaire donne de l’espoir. Les<br />

Tunisiens se battent et continueront<br />

le combat afin de faire aboutir les<br />

aspirations pour lesquelles ils se<br />

sont soulevés contre la tyrannie. Ils<br />

ont fait la révolution pour la liberté,<br />

la dignité et le travail. Je reste<br />

engagée dans le combat pour<br />

l’instauration d’un projet de<br />

société de progrès, de liberté, de<br />

démocratie et de respect de la<br />

dignité humaine et pour une<br />

société plurielle qui assume<br />

pleinement ses différences<br />

d’opinions, de conscience. Une<br />

société où on gère de manière non<br />

violente les conflits. Les jeunes<br />

Tunisiens se sont sacrifiés pour un<br />

monde meilleur, un monde où on<br />

peut voir des fleurs partout, danser<br />

lorsqu’on en a envie, rire quand on<br />

veut, lire ce qu’on a envie de lire et<br />

réfléchir et avoir des avis sur toutes<br />

en aparté 9<br />

BASMA KHELFAOUI-BELAÏD. Veuve de Chokri Belaïd, leader tunisien assassiné<br />

Chokri<br />

mérite que je<br />

marche, même<br />

pieds nus, sur les<br />

braises pour<br />

maintenir la<br />

flamme de la<br />

liberté.<br />

l'actu<br />

Mercredi, les partisans du Front populaire se sont rassemblés à Tunis pour<br />

demander que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de Chokri Belaïd<br />

les questions en toutes liberté.<br />

Celui qui veut faire la prière est<br />

libre de la faire, tout comme celui<br />

qui a envie de boire du vin. Qu’on<br />

libère la société des tous les tabous<br />

qu’on lui a imposés ; que les gens<br />

puissent enfin respirer la liberté.<br />

Leur projet à eux (les islamistes),<br />

c’est le déni de la liberté et de la<br />

démocratie. Contente-toi de ce que<br />

tu as et ne t’insurge pas contre le<br />

gouvernant. Il milite pour une<br />

société morte. Ce projet nous le<br />

combattrons comme nous avons<br />

combattu la dictature. En Tunisie,<br />

nous sommes face à un dilemme :<br />

soit nous voulons une société qui<br />

avance ou bien une société qui<br />

recule renfermée sur elle-même.<br />

Le jour de l’enterrement<br />

de Chokri Belaïd, le monde<br />

entier a découvert une femme<br />

courageuse à la tête du cortège<br />

funèbre, qui a dit qu’elle n’a pas<br />

le droit d’être triste et de faire le<br />

deuil, mais de résister !<br />

J’ai des origines algériennes. Je<br />

viens de la région d’El Kef et ma<br />

mère à des origines algériennes.<br />

J’ai des ancêtres algériens. La<br />

femme algérienne, elle est en moi<br />

tout comme la femme<br />

palestinienne. C’est notre culture<br />

et notre background. L’image<br />

d’une femme qui doit continuer à<br />

résister quelle que soit la dureté<br />

des conditions. Chokri était un<br />

grand homme, un résistant. Il<br />

mérite que je marche, même pieds,<br />

nus sur les braises pour maintenir<br />

la flamme de la liberté.<br />

Basma Khalfaoui avec Salah, le père<br />

de Chokri Belaïd (à droite) et son frère<br />

(à gauche)<br />

PHOTOS : AFP

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