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POUR AVOIR

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El Watan Week-end<br />

Vendredi 24 mai 2013<br />

SUD Torturés pour avoir manifesté<br />

Coups, insultes mais aussi<br />

refus de soins et torture<br />

organisée. Les militants,<br />

manifestants et simples<br />

citoyens du sud du pays<br />

font face de plus en plus<br />

fréquemment à la violence,<br />

injustifi ée, des forces<br />

de sécurité. Leur tort ?<br />

Demander un logement,<br />

un travail, dénoncer des<br />

injustices ou être au mauvais<br />

endroit, au mauvais moment.<br />

Ouargla, Ghardaïa, Laghouat.<br />

Yasmine Saïd<br />

ysaid@elwatan.com<br />

Mohamed, 30 ans, était dans le bus où il<br />

exerce comme receveur. Il est arrêté par<br />

plusieurs policiers et inculpé d’incitation à<br />

attroupement et agression par violence contre<br />

les forces de l’ordre. Lorsqu’il retrouve la<br />

liberté, il a des marques de coups sur tout le<br />

corps et son diabète s’est aggravé. Ce matin-<br />

là, des jeunes de Laghouat avaient organisé<br />

un sit-in devant le bureau de main-d’œuvre<br />

pour protester contre l’absence d’offres<br />

d’emploi. Pour empêcher les manifestants de<br />

bloquer l’entrée, les policiers finissent par<br />

arracher la porte du bureau de l’ANEM. S’en<br />

suit une série d’arrestations ciblées dans la<br />

ville. «Dès qu’on nous a arrêtés, les coups<br />

ont commencé», raconte un manifestant. «A<br />

l’entrée du commissariat, les policiers<br />

avaient fait deux lignes, nous étions obligés<br />

de passer au milieu, et à notre passage, ils<br />

nous frappaient les uns après les autres avec<br />

leurs matraques, leurs poings.» Les<br />

manifestants sont enfermés dans des cellules.<br />

Dix personnes dans la même pièce. Les<br />

gardiens jettent des seaux d’eau froide sur les<br />

manifestants. Ils sont ensuite frappés à<br />

nouveau. Les insultes pleuvent. Les gifles<br />

aussi. «Au commissariat, ils nous ont accusés<br />

d’être les marionnettes d’une main<br />

étrangère.»<br />

MANIPULATION<br />

Les forces de l’ordre tentent alors de<br />

convaincre les manifestants de se retourner<br />

contre Mohamed. «Ils ont demandé à tous les<br />

autres de témoigner contre moi, comme quoi<br />

j’incite les jeunes à manifester et que je suis<br />

soutenu par le Qatar. En échange de leur<br />

témoignage, les policiers leur ont promis de<br />

les libérer», révèle Mohamed. Adlène, 23<br />

ans, a été arrêté le même jour. Il était devant la<br />

porte de sa maison. Des forces antiémeute<br />

l’ont embarqué dans une camionnette. Au<br />

commissariat, il a reçu tellement de coups sur<br />

la tête qu’il saigne. Les policiers finissent par<br />

convoquer un médecin au commissariat, en<br />

enfreignant la procédure. Ce dernier prescrit<br />

6 points de suture. Mais toutes les<br />

ordonnances et les certificats médicaux<br />

seront confisqués. Pendant les 48 heures de<br />

garde à vue, les autorités refusent que Adlène<br />

obtienne de l’insuline pour traiter son diabète.<br />

«Comme nous refusions de signer les PV, ils<br />

nous ont frappés jusqu’à ce que nous<br />

signions.» Madani a perdu plus d’une dizaine<br />

de dents sous les coups. Sans insuline, il a fini<br />

par s’évanouir. Un autre homme a été arrêté<br />

avec eux. Il a été mis à l’écart et battu par trois<br />

policiers. Voyant que les coups ne suffisaient<br />

pas, les forces de l’ordre ont menotté et se<br />

sont mis à arracher la barbe du jeune chômeur<br />

à main nue. Le jeune homme, traumatisé, a<br />

quitté la ville. «Nous ne sommes que des<br />

il a dit<br />

DAHO OULD KABLIA.<br />

Ministre de l’Intérieur<br />

Personnellement, je trouve que s’il y a<br />

excès, il provient de la part des<br />

manifestants et la plupart des blessés<br />

recensés lors des protestations sont des<br />

éléments de la police.»<br />

aujourd’hui 7<br />

Policiers, gendarmes et membres du DRS sont accusés dans de nombreux témoignages d’avoir torturé de façon régulière des manifestants arrêtés<br />

chômeurs», s’indigne l’un d’eux. Dans la<br />

foulée de leur arrestation, tous les militants<br />

passent devant le juge, accusés<br />

d’attroupement. «Au procès, il y avait 4<br />

accusés, pour 40 policiers blessés. Ces<br />

militants sont-ils comme Superman ?»,<br />

plaisante un chômeur. Pas de preuves, mais<br />

les 4 accusés sont envoyés en prison, sans<br />

possibilité de passer par la pharmacie pour<br />

ceux qui sont blessés. Le directeur de la<br />

prison dira aux autres prisonniers de les<br />

mettre à l’écart. «Depuis 2003, c’est toujours<br />

comme ça, soupire un militant, qui a fini par<br />

faire un mois de prison. Parfois, c’est toutes<br />

les semaines. Il n’y a pas de justice ici !»<br />

DIRECTIVES<br />

A Ghardaïa, en mars dernier, deux militants<br />

des droits de l’homme ont fini à l’hôpital.<br />

Sans prévenir, les brigades antiémeute ont<br />

chargé les manifestants qu’ils ont frappés<br />

avec leurs matraques et leur boucliers.<br />

Violemment battus, deux manifestants âgés<br />

d’une quarantaine d’années en auront pour 15<br />

jours d’arrêt de travail. Un manifestant qui a<br />

perdu connaissance a été roué de coups de<br />

pied alors qu’il était à terre. Un autre,<br />

Belkacem, est gravement blessé à la tête. Il<br />

est emmené au commissariat où on refuse de<br />

le diriger vers l’hôpital. C’est uniquement<br />

lorsqu’il se met à vomir que les protestations<br />

des autres détenus pousseront les policiers à<br />

appeler un médecin. Ce dernier ausculte<br />

Belkacem et lui remet deux ordonnances.<br />

L’une pour un traitement, l’autre pour un<br />

scanner du crâne. Les deux ordonnances<br />

seront confisquées et détruites par les<br />

policiers. Belkacem et les autres militants<br />

resteront 36 heures au commissariat, sans<br />

nourriture, avant d’être transférés au tribunal.<br />

Malgré des années de militantisme, c’est la<br />

première fois que Belkacem est victime de<br />

telles violences. L’un des militants arrêtés<br />

l’affirme : «Je pense que les forces de l’ordre<br />

ont de nouvelles directives.»<br />

ETOUFFEMENT<br />

Plus à l’est du pays, dans la wilaya d’El Oued,<br />

17 personnes seront jugées la semaine<br />

prochaine pour une manifestation lors des<br />

coupures d’électricité l’été dernier. L’un des<br />

prévenus a été longuement battu par les<br />

gendarmes lors de son arrestation. Sur les<br />

réseaux sociaux, on voit une vidéo de lui le<br />

corps violacé par les coups. Le cas d’El<br />

Hachemi Boukhalfa est des plus alarmant. Un<br />

matin de janvier 2011, sans comprendre<br />

pourquoi, alors qu’il est assis devant la<br />

maison de son cousin pour assister aux<br />

funérailles de son oncle, huit personnes<br />

descendent de deux voitures banalisées. «Ils<br />

m’ont happé et mis de force dans la voiture»,<br />

raconte cet habitant de Ouargla. El Hachemi<br />

est emmené dans la caserne militaire de la<br />

ville. Les coups commencent. Et ce n’est<br />

qu’un début. On l’accuse d’avoir tué trois<br />

militaires et caché une kalachnikov chez lui.<br />

On lui met un sac sur la tête, on verse de l’eau<br />

dessus. Il a l’impression d’étouffer. On le<br />

force à se déplacer à genoux pendant des<br />

heures. Déshabillé. Des hommes l’obligeront<br />

à manger des excréments. La torture a lieu la<br />

nuit. Au bout de trois jours, El Hachemi finit<br />

par admettre que l’arme est bien chez lui. «Je<br />

n’avais qu’une idée en tête. S’ils vont<br />

perquisitionner chez moi, ma famille saura<br />

au moins où je suis.»<br />

FRACTURE<br />

Les militaires convoquent la mère d’El<br />

Hachemi. «Elle avait 75 ans à l’époque.»<br />

Pendant ce temps, lui, reste enfermé. Le 4e<br />

jour de détention, l’homme est poussé d’un<br />

coup de pied dans les escaliers. Son corps<br />

roule sur les marches. Arrivé en bas, sa<br />

cheville est brisée. Pendant ses 9 jours de<br />

détention, aucun membre de la caserne ne<br />

viendra poser de question sur la légalité de<br />

son arrestation. «Il n’y a que le médecin de<br />

l’hôpital militaire qui a réagi, lorsqu’ils<br />

m’ont fracassé la cheville.» La jeune femme<br />

aurait lancé aux militaires : «Mais enfin,<br />

pourquoi êtes-vous allés si loin, c’est un<br />

civil !» Les raisons de sa détention ne sont pas<br />

claires. A la fin de l’année 2010, El Hachemi<br />

avait participé à plusieurs reprises à des<br />

manifestations contre le chômage. Mais pour<br />

le relâcher, ses ravisseurs ont exigé la<br />

promesse d’obtenir une 406. «Certains<br />

criminels sont prêts à tout», soupire-t-il. Le<br />

médecin lui a prescrit 12 jours<br />

d’immobilisation. El Hachemi a déposé une<br />

plainte à Alger. A Ouargla, les autorités ont<br />

refusé sa plainte. La justice le convoquera<br />

mais ce sera en qualité de «témoin».<br />

L’homme sait qu’il n’est pas le seul à avoir<br />

été torturé. Mais personne ne parle. «Je n’ai<br />

plus rien à perdre. Tout ce que je veux, c’est<br />

la justice. Si j’enfreins la loi, emmenez-moi<br />

en prison. Mais si d’autres enfreignent la loi,<br />

il faut les envoyer en prison aussi ! Regardez<br />

en France, même Sarkozy est convoqué par<br />

les juges !», ajoute-t-il. La caserne n’est qu’à<br />

quelques centaines de mètres de chez lui. El<br />

Hachemi a été menacé plusieurs fois. «Il<br />

m’arrive de croiser des hommes de la<br />

sécurité militaire près de la maison. Qu’estce<br />

que je peux faire ? Partir ? Mais où ?» Ses<br />

enfants sont traumatisés. «Ma fille crie dès<br />

qu’elle voit un policier.» Selon lui, dans la<br />

ville de Ouargla, les forces de sécurité<br />

utilisent la violence extrême pour faire taire<br />

les populations. «Les jeunes d’ici ne le<br />

supportent plus. Ils n’ont comme solution que<br />

de partir combattre au Mali !» ■<br />

EL Hachemi Boukhalfa a été torturé pendant 9<br />

jours dans une caserne militaire de Ouargla<br />

l’actu<br />

Amnesty International<br />

dénonce les abus du DRS<br />

«Le Département du renseignement et de la<br />

sécurité (DRS) disposait toujours de vastes<br />

pouvoirs en matière d’arrestation et de<br />

détention», indique Amnesty International<br />

dans son rapport annuel publié hier. «Ses<br />

agents pouvaient notamment maintenir au<br />

secret des personnes soupçonnées d’actes de<br />

terrorisme, ce qui favorisait le recours à la<br />

torture et aux mauvais traitements», ajoute<br />

le rapport. Malgré la levée de l’état d’urgence,<br />

les autorités continuent «de harceler les<br />

défenseurs des droits humains, notamment<br />

en entamant des poursuites judiciaires contre<br />

eux», selon l’ONG.<br />

PHOTO :EL WATAN WEEK END<br />

PHOTOS :D.R.

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