Léon Rosenthal, Notre musée, l'art expliqué par les œuvres…

XXXVI. - BOUCHER ET FRAGONARD
Au 18» siècle l'art ne s'assigne d'antres règles que de plaire. La
peinture religieuse, théâtrale, emphatique, est secondaire. Peu de
grandes pages d'apparat. Dans les appartements aux boiseries
claires, une société frivole et raffinée réclame de séduisantes images.
C'est le triomphe de Boucher et sa faiblesse.
BOUCHER (1703-1770), riche de dons dont il abuse,
ne prend rien au sérieux, dessine de chic, peint d'un
pinceau lâche, sans accent, mais c'est un prestigieux
décorateur. Il excelle à meubler un panneau.
Mythologies insignifiantes, pastorales de convention
sont prétextes de nudités roses, de satins et de
rubans, de compositions pimpantes. Les Forges de
Vulcain, 1757, carton de tapisserie pour les Gobelins.
Le sujet : Vulcain remet à Vénus les armes
destinées à Enée, mais ce n'est pas le lieu d'évoquer
l'Enéïde ou de parler d'esthétique. Placée dans
un ensemble brillant, la tapisserie ne sera jamais discutée
par un pédant. L'attention ne s'y fixera pas;
e'ie fera tache fraîche et aimable pour des regards
distraits. Page enlevée de verve. Autour de Vénus
dont le corps d'un blanc nacré fouetté de rose forme
centre, nymphes, amours, colombes, sont multipliés,
répartis selon les besoins de l'effet. Tout est tenu
dans une tonalité blonde (assombrie dans la photographie
où les rouges donnent des noirs). Distribution
arbitraire des masses, des lumières, les angles
a. Eu/loi.
BOUCHER. — Vinus e1 Vulcain. — Musée du Louvre.
plus sombres pour soutenir l'effet. Lignes tourmentées,
accessoires touffus, style rocaille. Fête pour les
yeux, toute pensée absente.
Le portrait travesti, remis à la mode par NAT-
TIER, 1G85-1766, a du piquant, de l'imprévu, permet
un déshabillé osé, une mise en scène variée.
Une des filles de Louis XV, Madame Adélaïde, en
Diane. Art véritable, aisance, palette nuancée dans
des tons rompus « tons Nattier »; intérêt du pay-
ez. Huilât.
NATTIER. — Madame Adtlalde en Diane. — Versailles
sage accompagnateur, charme qui craint la vigueur.
A partir de 1750 un retour lent et progressif se
dessine vers un art d'inspiration plus généreuse,
de facture plus large, la grande manière. FRAGO-
NARD, 1732-1806, continue à célébrer la jeunesse,
les plaisirs, l'amour. Capable de caresser un morceau
il est, surtout, un improvisateur étincelant,
d'une fougue méridionale, coloriste lyrique aux
indications abrégées et éclatantes; au reste, observateur
sensible. La Lecture : ce dessin, à l'encre
de Chine, n'a pas l'acuité pimpante d'un Watteau;
il a, en revanche, un accent plus profond, quelque
chose d'intime, d'abandonné; il suggère une atmosphère;
indications larges, colorées. Charmante attitude
de la jeune fille dont le joli minois et la taille
mince ressortent par contraste avec la jupe d'une
ampleur exagérée; notation spirituelle de la dame
vue de dos, âgée certainement, alourdie, pas élégante.
La grande jupe de soie aux beaux plis cassants, dessinée
avec précision et amour; le reste enlevé, avec
impatience, d'un pinceau prestigieux: étoffes chiffonnées,
la chaise, le fauteuil, avec des accents vigoureux
et sommaires. Dessin frémissant et elliptique
de la main aux doigts fuselés. Le cadre de la scène
inexistant : mais ce lavis sombre a été admirablement
calculé pour mettre en relief les personnages,
placer la jeune fille au premier plan et créer, tout de
même, une sensation d'intérieur chaud et discret.