Léon Rosenthal, Notre musée, l'art expliqué par les œuvres…

Rembrandt (1606-1666) a, comme Michel-Ange ou Beethoven,
imprégné de sa personnalité tout ce qu'il a touché. Par là il diffère
de ses compatriotes très objectifs sur lesquels il a, d'ailleurs, sans
parler de ses élèves directs, exercé, au moins au point de vue
technique, une profonde action. Génie humain et religieux, il
explore et renouvelle un domaine immense dont on se détournait
autour de lui. Par ailleurs, portraitiste, observateur, paysagiste,
il traite des sujets familiers à tout Hollandais. Ses méthodes, dont
il fait un usage unique, ne sont pas exceptionnelles: Carrache.Caravage,
Adam Elsheimer qui peignit à Rome des paysages nocturnes,
lui en fournissent, comme à tout le 17' siècle, les éléments.
Seulement il en use autrement. Il s'exprime volontiers par la
lumière, concentrée, hallucinante, mais il ne craint ni le grand jour
ni le plein air. Il n'a pas le sens de la pureté du trait, du rythme
plastique, des éliminations synthétiques, mais, par des notations
hardies, incorrectes, riches, de plus en plus complexes à mesure
qu'il vieillit, il réalise la vie; par delà les apparences il fouille au
fond des âmes, dit l'invisible par le visible; aussi admirable par sa
pensée et son coeur que par son art.
La Ronde de Nuit, 1642, représente, en réalité,
en plein jour, dans une rue étroite, où la lumière
tombe de haut (ombre portée de la main du capitaine
sur le costume blanc de son lieutenant), une
prise d'armes par une compagnie de gardes civiques
d'Amsterdam. Rembrandt qui déjà, en 1631, dans
la Leçon d'Anatomie avait, sur un thème ancien,
déployé son originalité, n'a pas recherché un effet
fantastique, mais la notation instantanée d'un groupe
en action. Colorée, avec une verve qui fut, jusqu'à
Cl. BmIIoj.
REMBRANDT. — La Ronde de Nuit. — Musée d'Amsterdam.
ces dernières années, voilée par des vernis devenus
presque opaques, la Ronde de Nuit est supérieure à
sa célébrité fondée sur une suite de contresens. Étudier
la composition lumineuse, la notation des gestes,
le mouvement de ce portrait collectif transformé en
vision dramatique et héroïque.
XXXII. — REMBRANDT
En 1661, Rembrandt atteint les sommets, dans
les Syndics des Drapiers, avec une saisissante simplicité.
Six personnages, honorables hommes d'affaires,
réunis pour étudier, avec sérieux, des intérêts corporatifs,
lèvent la tête pour saluer l'arrivée de
quelque confrère. La convergence des regards, le
ri. ItnOm.
REMBRANDT. — I.es trois Arbres. — Eau-forte.
caractère austère de la salle aux boiseries sombres,
aux murs nus, la lumière très ménagée, la tache
blanche du livre ouvert qui répond aux rabats blancs
dominants et aux visages, le tapis d'orient, d'un
rouge intense, posé sur la table, assurent l'unité.
Le syndic debout, tête nue, celui qui se lève donnent
de la variété, mais celle-ci naît surtout de
l'analyse de ces physionomies où les tempéraments
individuels s'allient à l'empreinte commune imposée
par la même condition et par l'uniformité des
costumes que tempère la variété des rabats. Modelé
des visages, presque sans traits, dans la lumière.
Qualité subtile de la matière, de l'atmosphère, de la
couleur, perfection technique et morale, plénitude
aisée. Chef-d'œuvre typique; expression définitive
de la Hollande marchande. Cf. l'éclat, la verve
spontanée, la psychologie courte de Franz Hais
dans les Archers de Saint-Adrien (p. 64).
Les trois Arbres, 1643. Rembrandt aquafortiste et
paysagiste. Autorité du métier, Cf. les grêles notations
de Van Ostade. Technique complexe. Autorité
de la vision. Puissance de ce bouquet d'arbres qui
se profile sur le ciel. Accumulation de détails que
l'on découvre à la loupe et qui se fondent en larges
accords. Hardiesse tumultueuse de ce ciel balafré.
Paradoxe de ces noirs pour exaspérer la lumière.