Léon Rosenthal, Notre musée, l'art expliqué par les œuvres…

V. - LIGIER RICHIER - GERMAIN PILON
Le sens plastique de la Renaissance revêt une
force singulière dans la statue tombale de René de
Châlons, exécutée, vers 1547, par le grand sculpteur
lorrain LIGIER RICHIER. Thème médiéval, presque
répugnant et dont l'horreur n'est pas dissimulée,
magnifié par la pensée et le style. Tendant son
cœur vers le ciel, ce
cadavre, plus qu'à
demi décomposé, proclame
le triomphe de
la foi sur la mort. En
Cl. Bullox.
un geste grandiose qui
l'anime tout entier il
dessine, d'un seul jet,
une arabesque harmonieuse
où le pathétique
se discipline en un
accord d'une imprévue
et paradoxale
beauté.
Les trois Vertus
théologales qui portent
l'urne funéraire
du cœur de Henri II,
sculptées de 1561 à
1563, n'ont rien de
chrétien. A moitié
dévêtues, unies en un
groupe léger presque
dansant, indifférentes
: on les appelle,
d'ordinaire, les trois
LIGIER KICHIER. — Monument r.rârpc PIPRUAIN PIde
René de Chdlons. U RACES. UEKMAIN ri-
Egllse Saint-Etienne, Bar-le-Duc. LON (1535-1590) y
développe la même
esthétique que J. Goujon avec un autre tempérament
: sens plastique moins large, moins ample,
visages jolis, draperies cassantes, élégance raffinée
non sans afféterie; sous la généralisation du costume,
saveur contemporaine, écho de la vie de cour.
Les désordres et les ruines des guerres 6e religion font, comme
au temps de la Guerre de Cent ans, renaître le sens dramatique.
La Contre-Réforme oppose au protestantisme raisonneur l'évocation
sensible et presque sensuelle des mystères sacrés, de la Passion,
des tourments des damnés, des joies ineffables des élus.
Dans cet Ensevelissement du Christ, Germain Pilon
met au service de cette conception religieuse sa
science plastique et son instinct du rythme. Ce
bas-relief de bronze conçu, selon l'exemple de Ghiberti,
comme un tableau, est modelé avec une parfaite
sûreté : autour du corps du Christ, dont le
relief est déjà
atténué, le modelé
s'amortit
jusqu'à se
réduire, à l'arrière-plan,
à
des suggestions
à peine exprimées.Composition
balancée
en surface, (la
Madeleine
répond à Saint-
Jean) et en
profondeur
comme si le
Christ et ceux
qui le pleurent
étaient les éléments
d'un
anneau idéal.
La ligne droite
est quasi éliminée,
les volumes,leslignes
—
flexueuscs,
s'accordent
pour former un
tout onduleux.
GERMAIN PII.ON. — Les Vertus théologales.
Musée du Louvre.
C'est le système de composition baroque (voir
p. 48). Le corps du Christ est modelé avec morbidezza
: atténuation des contours, expression des
muscles palpitants. Exécution à la fois très près et
très loin des Nymphes de Jean Goujon; pensée
diamétralement opposée. J. Goujon n'aspire qu'à
satisfaire les yeux et le rêve de beauté. Germain
Pilon, par la beauté plastique et par ce rythme
fluide, nous convie à la plus dramatique déploration.