Léon Rosenthal, Notre musée, l'art expliqué par les œuvres…

LV III - LA PEINTURE MONUMENTALE : PUVIS DE CHAVANNES
Puvis DE CHAVANNES. '— Vision antique. — Musée de Lyon.
Puvis DE CHAVANNES (1824-1898) a surtout consacré son art
à la peinture monumentale. Delacroix avait (à la Chambre des
Députés, au Sénat, à Saint-Sulpice), couvert les murailles de visions
colorées. Reprenant les recherches d'Ingres (.Apothéose d'Homère,
p. 101), d'Hippolyte Flandrin, éléve chrétien d'Ingres, (Saint-Germain
des Prés) et surtout de Chassériau (décoration détruite de
l'ancienne Cour des Comptes), Puvis de Chavannes a adopté, pour
ses compositions peintes sur toile et collées (marouflées) sur les
murs, les tonalités amorties de la fresque. Ses œuvres donnent une
impression de grandeur et de sérénité; elles appellent le recueillement
et la méditation. Il développe de grands lieux communs :
la Paix, la Guerre (à Amiens), l'Été, l'Hiver à Paris, évoque la vie
de Sainte-Geneviève (au Panthéon), glorifie tour à tour Marseille,
Rouen. Avant tout, il célèbre les nobles vertus, le patriotisme
(i Amiens) et les joies supérieures que donnent la pureté morale
et la culture des hautes facultés de l'esprit (à la Sorbonne, à Boston).
Il s'exprime d'une façon synthétique : dessin abrégé et fortement
caractérisé, gestes sobres, paysages ou architectures évoqués par
des traits essentiels, I.a composition, très étudiée sous une apparence
de liberté, est ample et claire. Le modelé est atténué, la
couleur, dont l'esprit varie selon les convenances de chaque édifice,
est subordonnée. L'exécution matérielle s'efface le plus possible.
Cette réserve hautaine dissimule une sensibilité délicate. Cet art
héroïque, aux aspirations sublimes, demeure profondément humain.
'La décoration exécutée de 1884 â 1886 pour l'escalier du Palais
des Arts à Lyon forme un ensemble caractéristique à la fois et du
génie de Puvis de Chavannes et de la pensée idéaliste qui a animé,
en réaction contre le réalisme, les écrivains et les artistes parnassiens,
symbolistes, ses contemporains.
Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses.—Défendu
contre les bruits du monde, par de grands bois, un
parc où le ciel se reflète dans un lac d'or. Près d'un
petit édicule ionique évocateur du génie grec, les
Muses, aux attributs à peine visibles, toutes unies
dans une même délectation, goûtent le charme
du site noble et entendent l'appel des messagères
célestes. Un même rythme unit les corps jeunes, les
colonnes, les arbres au jet droit et le site apaisé.
La lyre semble y ajouter une musique ineffable.
Deux voies conduisent à cet asile d'élection, l'intelligence
du réel, la divination de l'au-delà. Chacune
d'elles a sa noblesse que Puvis de Chavannes nous
propose avec une largeur souveraine de compréhension.
Vision antique. — Près de la Méditerranée céruléenne,
le sol rocheux où poussent le laurier, l'olivier,
les pins et les figuiers. Tout rayonne dans la pleine
lumière; tout convie à la joie. Les beaux corps se
déploient en attitudes harmonieuses et nobles dans
ce cadre préparé pour eux. Une jeune femme étendue
est la nymphe des sources, une autre qui médite est
une muse; un chevrier joue de la flûte; devant un
berger se révèle une déesse, âme de cette terre inspiratrice;
sur la plage, des cavaliers caracolent comme
aux Panathénées. Un monde d'images, de sensations,
de pensées empruntées aux écrivains classiques surgit
spontanément et aide l'artiste dans cette communion
avec la nature où semble circuler le divin.
Inspiration chrétienne. — Dans un austère couvent
italien, au delà duquel la terre, vouée à la tentation
et au péché, se devine plantée de cyprès funèbres,
des moines et des artistes consacrent leurs pensées
et leur art à la religion. Une Vierge sculptée, portant
l'enfant une fresque « Le Christ au jardin des
Olives » traduisent leurs aspirations. Leurs attitudes,
leur êtie tout entier, expriment le renoncement au
monde, l'exaltation de la vie spitiruelle et le sentiment
d'une mission grave. Composition rythmée
dans l'espace; harmonie froide qui souligne la
pensée. Silhouettes synthétiques où l'observation
directe se revêt de style.