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26.06.2013 Views

genre de tic-tac réfléchi, désagréable, qui tient à bien faire comprendre que chaque tic et chaque tac vous retire une nouvelle seconde de vie. Le genre de petit bruit qui laisse clairement entendre que dans un hypothétique sablier, quelque part, d’autres grains de sable ont cédé sous vos pieds. Il va sans dire, la lentille du balancier était tranchante, une vraie lame de rasoir. Quelque chose le heurta dans le creux des reins. Il se retourna, en colère. « Écoute, toi, saloperie de caisse, je t’ai dit…» Ce n’était pas le Bagage. C’était une jeune femme, aux cheveux argent, aux yeux argent, plutôt déconcertée. « Oh, fit Rincevent. Euh… hello ? ŕ Vous êtes vivant ? » dit-elle. Elle avait le type de voix qu’on associe généralement aux parasols de plage, aux huiles solaires et aux long drinks bien frais. « Ben, j’espère, répondit Rincevent qui se demanda si ses glandes prenaient du bon temps là où elles se trouvaient. Des fois, j’ai des doutes. Où sommes-nous, ici ? ŕ Chez la Mort, dit-elle. ŕ Ah », fit Rincevent. Il se passa la langue sur des lèvres sèches. « Bon, eh bien, ravi de vous avoir rencontrée, je crois que je dois y aller…» Elle frappa des mains. « Oh, il ne faut pas partir ! dit-elle. Ce n’est pas souvent que nous avons des vivants chez nous. Les morts sont si tuants, vous ne croyez pas ? ŕ Euh… si, approuva Rincevent avec ferveur, l’œil sur la porte. Pas beaucoup de conversation, j’imagine. ŕ Avec eux, c’est toujours : « Quand je vivais…» et « On savait vraiment respirer de mon temps…» sourit-elle en posant une main blanche et menue sur son bras. Et puis ils sont tellement attachés à leurs petites habitudes. Vraiment pas drôles. Tellement guindés. ŕ Raides ? » proposa Rincevent. Elle le propulsait vers un passage voûté. « Absolument. C’est quoi, votre nom ? Moi, c’est Ysabell. 96

ŕ Euh… Rincevent. Excusez-moi, mais si la Mort habite cette maison, qu’est-ce que vous y faites ? Vous ne m’avez pas l’air morte. ŕ Oh, je vis ici. » Elle le regarda attentivement. « Dites, vous ne venez pas sauver la petite amie que vous avez perdue, au moins ? Parce que papa, ça l’embête toujours, il dit qu’il est bien content de ne jamais dormir, sinon il se ferait réveiller à tout bout de champ par le défilé des jeunes héros qui descendent ici pour remonter des tas de bécasses, qu’il dit. ŕ Ça se fait beaucoup, hein ? fit Rincevent d’une voix faible tandis qu’ils longeaient un corridor tendu de noir. ŕ Tout le temps. Je trouve ça très romantique. Seulement, en repartant, il ne faut surtout pas regarder en arrière. ŕ Pourquoi donc ? » Elle haussa les épaules. « Je ne sais pas. Peut-être que la vue est moche. Vous êtes un héros, à propos ? ŕ Euh… non. Pas vraiment. Pas du tout, en réalité. Encore moins que ça, en fait. Je suis juste venu chercher un ami à moi, dit-il, l’air piteux. Vous ne l’avez pas vu, je suppose ? Un petit gros qui cause beaucoup, qui porte des lunettes et de drôles de vêtements. » À mesure qu’il parlait, il prit conscience d’avoir peut-être laissé passer un détail vital. Il ferma les yeux et s’efforça de se remémorer les dernières minutes de conversation. Puis ça lui revint, avec la force d’un sac de sable. « Papa ? » Elle baissa modestement les yeux. « Adoptée, à vrai dire, fitelle. Il m’a trouvée toute petite, qu’il dit. Une triste histoire. » Son visage s’éclaira. « Mais venez donc le voir… Il reçoit ses amis ce soir, je suis sûre que votre visite lui fera plaisir. Il ne fréquente pas beaucoup de monde. Moi non plus, d’ailleurs, ajouta-t-elle. ŕ Désolé, fit Rincevent. Mais j’ai bien compris ? Nous parlons de la Mort, c’est ça ? Grand, maigre, les orbites vides, un as de la faux ? » Elle soupira. « Oui. Les apparences sont contre lui, j’en ai peur. » 97

genre de tic-tac réfléchi, désagréable, qui tient à bien faire<br />

comprendre que chaque tic et chaque tac vous retire une<br />

nouvelle seconde de vie. Le genre de petit bruit qui laisse<br />

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Il va sans dire, la lentille du balancier était tranchante, une<br />

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Quelque chose le heurta dans le creux des reins. Il se<br />

retourna, en colère. « Écoute, toi, saloperie de caisse, je t’ai<br />

dit…»<br />

Ce n’était pas le Bagage. C’était une jeune femme, aux<br />

cheveux argent, aux yeux argent, plutôt déconcertée.<br />

« Oh, fit Rincevent. Euh… hello ?<br />

ŕ Vous êtes vivant ? » dit-elle. Elle avait le type de voix<br />

qu’on associe généralement aux parasols de plage, aux huiles<br />

solaires et aux long drinks bien frais.<br />

« Ben, j’espère, répondit Rincevent qui se demanda si ses<br />

glandes prenaient du bon temps là où elles se trouvaient. Des<br />

fois, j’ai des doutes. Où sommes-nous, ici ?<br />

ŕ Chez la Mort, dit-elle.<br />

ŕ Ah », fit Rincevent. Il se passa la langue sur des lèvres<br />

sèches. « Bon, eh bien, ravi de vous avoir rencontrée, je crois<br />

que je dois y aller…»<br />

Elle frappa des mains. « Oh, il ne faut pas partir ! dit-elle. Ce<br />

n’est pas souvent que nous avons des vivants chez nous. Les<br />

morts sont si tuants, vous ne croyez pas ?<br />

ŕ Euh… si, approuva Rincevent avec ferveur, l’œil sur la<br />

porte. Pas beaucoup de conversation, j’imagine.<br />

ŕ Avec eux, c’est toujours : « Quand je vivais…» et « On<br />

savait vraiment respirer de mon temps…» sourit-elle en posant<br />

une main blanche et menue sur son bras. Et puis ils sont<br />

tellement attachés à leurs petites habitudes. Vraiment pas<br />

drôles. Tellement guindés.<br />

ŕ Raides ? » proposa Rincevent. Elle le propulsait vers un<br />

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« Absolument. C’est quoi, votre nom ? Moi, c’est Ysabell.<br />

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