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26.06.2013 Views

Le grand Disque tournait lentement sous un soleil à la peine. La lumière du jour se réduisit à des flaques dans les creux puis s’évanouit à mesure que tombait la nuit. Dans sa chambre frisquette de l’Université de l’Invisible, Trymon gardait le nez plongé dans le livre ; ses lèvres bougeaient en même temps qu’il suivait du doigt l’ancienne et insolite écriture. Il lut que la grande pyramide de Tsort, depuis longtemps disparue, était bâtie d’un million trois mille dix blocs de calcaire. Il lut que dix mille esclaves avaient travaillé jusqu’à la mort à l’édifier. Il apprit qu’elle recelait un dédale de passages secrets dont des extraits de la sagesse de l’ancien Tsort décoraient les parois, à ce qu’on disait. Il lut que sa hauteur additionnée de sa longueur divisée par la moitié de sa largeur égalait exactement 1,67563, ou précisément 1237,98712567 fois la différence entre la distance au soleil et le poids d’une petite orange. Il apprit qu’on avait consacré soixante années entières à sa construction. C’était, songea-t-il, se donner beaucoup de mal rien que pour affûter une lame de rasoir. Dans la forêt de Skund, Deuxfleurs et Rincevent attaquaient leur repas par un manteau de cheminée en pain d’épice et rêvaient d’oignons au vinaigre. Et très loin, mais comme placé sur une trajectoire menant à la collision inévitable, le plus grand héros que le Disque ait jamais produit se roulait une cigarette, parfaitement inconscient du rôle qui lui était réservé. C’était un travail de confection intéressant qu’exécutaient ses doigts experts parce que, comme nombre de mages errants auprès desquels il avait appris le procédé, il avait l’habitude de garder les mégots dans une bourse de cuir pour se roulotter de nouvelles sèches. Selon la loi implacable des moyennes, il avait déjà fumé et refumé une partie de ce tabac depuis des années. Le machin qu’il essayait vainement d’allumer valait… bah, disons qu’il aurait fait un bon revêtement de route. Si grande était la réputation de cet homme qu’un groupe de cavaliers barbares nomades l’avait respectueusement invité à s’asseoir en leur compagnie autour d’un feu de crottin de cheval. 36

Les nomades des régions du Centre migraient d’ordinaire vers le Bord pour l’hiver ; ceux-ci appartenaient à une tribu qui avait dressé ses tentes de feutre dans une vague de chaleur étouffante de moins 20 degrés et arboraient des nez pelés en se plaignant de la canicule. Le chef barbare prit la parole : « Qu’y a-t-il de plus grand qu’un homme puisse trouver dans la vie ? » Le genre de question à laquelle on est censé répondre pour garder son crédit steppique dans les cercles barbares. L’homme à sa droite but pensivement son cocktail Ŕ lait de jument et sang de chat des neiges Ŕ et parla ainsi : « L’horizon tremblé de la steppe, le vent dans les cheveux, un cheval frais entre les jambes. » L’homme à sa gauche dit : « Le cri de l’aigle blanc dans les cieux, la neige qui tombe dans la forêt, la flèche qui vole droit au but. » Le chef opina et renchérit : « C’est assurément la vue de l’ennemi mort, l’humiliation de sa tribu et les lamentations de ses femmes. » Cette succession d’atrocités suscita un murmure général d’approbations velues. Le chef se tourna ensuite respectueusement vers la petite silhouette de son invité, qui réchauffait prudemment ses engelures devant le feu, et dit : « Mais notre invité au nom légendaire doit nous répondre franchement : qu’y a-t-il de plus grand pour un homme dans la vie ? » L’invité s’interrompit au milieu d’une nouvelle et vaine tentative pour allumer sa cigarette. « Qu’èche vous dites ? fit-il d’une bouche édentée. ŕ J’ai dit : quelles sont les plus grandes choses pour un homme dans la vie ? » Les guerriers se penchèrent plus près. Ça devait valoir le coup d’entendre la réponse. L’invité réfléchit dur, longtemps, et répondit posément : « De l’eau chaude, une bonne dentichterie et du papier hygiénique double épaicheur. » * 37

Les nomades des régions du Centre migraient d’ordinaire vers le<br />

Bord pour l’hiver ; ceux-ci appartenaient à une tribu qui avait<br />

dressé ses tentes de feutre dans une vague de chaleur étouffante<br />

de moins 20 degrés et arboraient des nez pelés en se plaignant<br />

de la canicule.<br />

Le chef barbare prit la parole : « Qu’y a-t-il de plus grand<br />

qu’un homme puisse trouver dans la vie ? » Le genre de<br />

question à laquelle on est censé répondre pour garder son crédit<br />

steppique dans les cercles barbares.<br />

L’homme à sa droite but pensivement son cocktail Ŕ lait de<br />

jument et sang de chat des neiges Ŕ et parla ainsi : « L’horizon<br />

tremblé de la steppe, le vent dans les cheveux, un cheval frais<br />

entre les jambes. »<br />

L’homme à sa gauche dit : « Le cri de l’aigle blanc dans les<br />

cieux, la neige qui tombe dans la forêt, la flèche qui vole droit au<br />

but. »<br />

Le chef opina et renchérit : « C’est assurément la vue de<br />

l’ennemi mort, l’humiliation de sa tribu et les lamentations de<br />

ses femmes. »<br />

Cette succession d’atrocités suscita un murmure général<br />

d’approbations velues. Le chef se tourna ensuite<br />

respectueusement vers la petite silhouette de son invité, qui<br />

réchauffait prudemment ses engelures devant le feu, et dit :<br />

« Mais notre invité au nom légendaire doit nous répondre<br />

franchement : qu’y a-t-il de plus grand pour un homme dans la<br />

vie ? »<br />

L’invité s’interrompit au milieu d’une nouvelle et vaine<br />

tentative pour allumer sa cigarette.<br />

« Qu’èche vous dites ? fit-il d’une bouche édentée.<br />

ŕ J’ai dit : quelles sont les plus grandes choses pour un<br />

homme dans la vie ? »<br />

Les guerriers se penchèrent plus près. Ça devait valoir le<br />

coup d’entendre la réponse.<br />

L’invité réfléchit dur, longtemps, et répondit posément :<br />

« De l’eau chaude, une bonne dentichterie et du papier<br />

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