Jean Massart - La Presse Clandestine dans la Belgique Occupee
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<strong>La</strong> <strong>Presse</strong> <strong>C<strong>la</strong>ndestine</strong> <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>Belgique</strong> <strong>Occupee</strong><br />
Voyons maintenant les plus interessantes de nos publications: les journaux et les brochures donnant, non des<br />
reimpressions de livres, de chroniques, de poesies... faites a l'etranger pour l'etranger, mais des articles ecrits<br />
par des Belges residant en <strong>Belgique</strong> a l'intention de leurs co−prisonniers.<br />
<strong>La</strong> toute premiere p<strong>la</strong>ce est tenue par un journal, <strong>La</strong> Libre <strong>Belgique</strong>. Du 1er fevrier 1915 au 31 decembre<br />
1916, il en a paru 100 numeros.<br />
Ceux−<strong>la</strong> seuls qui ont vecu sous une tyrannie tracassiere et abhorree peuvent comprendre avec quelle curiosite<br />
ardente on attend <strong>La</strong> Libre <strong>Belgique</strong>.<br />
Quand le prochain numero paraitra−t−il? Nul ne le sait, car le journal est regulierement irregulier, comme le<br />
dit le sous−titre.<br />
Comment nous parviendra−t−il? On ne le sait pas non plus. Tantot il est depose sous enveloppe <strong>dans</strong> <strong>la</strong> boite<br />
aux lettres, tantot un ami vous le glisse mysterieusement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> main, tantot on le trouve en bonne p<strong>la</strong>ce sur<br />
sa table de travail (c'est de cette maniere que M. le baron von Bissing le recoit).<br />
Ou l'imprime−t−on? Mystere. A en croire <strong>la</strong> manchette du journal, son adresse telegraphique est<br />
“Kommandantur Bruxelles”. Quant au bureau et a l'administration, “ne pouvant etre un emp<strong>la</strong>cement de tout<br />
repos, ils sont installes <strong>dans</strong> une cave automobile”!!<br />
Quels sont les auteurs? Les jesuites, disent les uns; les francs−macons, assurent les seconds. Deux assertions<br />
aussi exactes l'une que l'autre; car il n'y a plus en <strong>Belgique</strong> ni clericaux, ni socialistes, ni liberaux, ni<br />
f<strong>la</strong>mingants, ni wallingants: il n'y a que des Belges, animes d'une meme ardeur et accomplissant<br />
indistinctement leur devoir patriotique.<br />
A combien tire−t−il? A 10.000, assure−t−on. Mais nul ne pourrait le dire avec precision, pas meme ceux qui<br />
sont ses plus audacieux propagateurs. Celui qui se charge de repandre <strong>La</strong> Libre <strong>Belgique</strong> recoit de chaque<br />
numero un certain nombre d'exemp<strong>la</strong>ires. Il en fait trois ou quatre paquets qu'il remet a autant d'amis; chacun<br />
de ceux−ci partage de nouveau son stock entre un petit nombre de personnes sures, et ainsi de suite jusqu'a<br />
ceux qui distribuent le journal aux “clients”.<br />
Chaque distributeur sait donc de qui il recoit les numeros et a qui il les remet, mais il ignore quels sont les<br />
echelons superieurs et inferieurs. Chacun repartit ses exemp<strong>la</strong>ires entre quelques personnes qu'il connait bien;<br />
il n'est donc pas oblige d'inscrire leurs noms.<br />
On saisit les avantages de cette facon de proceder. Si, lors d'une visite domiciliaire, <strong>la</strong> police de <strong>la</strong><br />
Kommandantur a accidentellement <strong>la</strong> chance de mettre <strong>la</strong> main sur un paquet de numeros de <strong>La</strong> Libre<br />
<strong>Belgique</strong>,—tout arrive!—elle pourra condamner le detenteur a quelques milliers de marks d'amende, s'il est<br />
riche, ou a quelques mois de prison, s'il n'a pas de fortune; mais on ne saura pas encore a qui les exemp<strong>la</strong>ires<br />
sont destines, ni surtout quelle est leur origine. Le talent de conspirateur des Belges s'est si bien aiguise, et les<br />
intermediaires entre le directeur et les lecteurs sont si nombreux que, lorsqu'on a une idee a soumettre aux<br />
redacteurs, il faut de dix a quinze jours pour que le message arrive d'echelon en echelon jusqu'a <strong>la</strong> “cave<br />
automobile”.<br />
De temps en temps, <strong>la</strong> premiere page du journal est illustree. Le n deg. 50 nous montre Guil<strong>la</strong>ume II en enfer,<br />
d'apres le tableau bien connu d'Ant. Wiertz, “Napoleon en enfer”. Le n deg. 52 donne un bon portrait du roi<br />
Albert. Le numero anniversaire (n deg. 62) nous montre le pauvre baron von Bissing au milieu d'une<br />
montagne de mandats de perquisitions destines a mettre <strong>la</strong> main sur les redacteurs de <strong>La</strong> Libre <strong>Belgique</strong>; on y<br />
represente aussi <strong>la</strong> cave automobile ou siege <strong>la</strong> redaction, celle ou fonctionne <strong>la</strong> machine a imprimer et celle<br />
ou se fait l'embal<strong>la</strong>ge; puis <strong>la</strong> perquisition <strong>dans</strong> un water−closet et l'arrestation de <strong>la</strong> statue d'Andre Vesale<br />
I. CE QUI EST DEFENDU ET CE QUI EST TOLERE 7