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[... Huntington est un stratège apprécié.] En 1969-70, Henry Kissinger [Voir « Kissinger, le faucon masqué », p. 545], qui apprécie son goût pour les actions secrètes, le fait nommer à la Commission présidentielle pour le développement international [Presidential Task Force on International Development]. Il préconise un jeu dialectique entre le département d'État et les multinationales : le premier devra exercer des pressions sur les pays en voie de développement pour qu'ils adoptent des législations libérales et renoncent aux nationalisations, tandis que les secondes devront faire profiter le département d'État de la connaissance qu'elles ont des pays où elles sont implantées [8]. [...] En 1974, Henry Kissinger [9] le fait nommer à la Commission des relations USA-Amérique latine. Il participe activement à la mise en place des régimes des généraux Augusto Pinochet au Chili et Jorge Rafael Videla en Argentine. Il teste pour la première fois son modèle social et prouve qu'une économie dérégulée est compatible avec une dictature militaire [Voir « On scanda : "Le fascisme ne passera pas" ? Mais l’opération Condor passa ! », p. 550]. [... Il rédige] La Crise de la démocratie [10] dans lequel il se prononce pour une société plus élitiste, où l'accès aux universités serait raréfié et la liberté de la presse contrôlée. » [3] [Voir « Tambour battant », p. 638] On saura donc promouvoir la diffuson de ses théories justificatives, notamment celle du clash des civilisations. Et en France aussi, on va de l'avant. « En 1989, le lancement dans un établisse- A l’Ouest rien... 568 ment scolaire de Creil, de "l’affaire des foulards islamiques" [avec son utilisation par Nicolas Sarkozy [11] [Voir « Le syndrome de Narkozy », p. 664], et en 1991, la guerre du Golfe (avec l’inquiétude sur l’"attitude" de la "communauté musulmane en France"), ont été le prétexte au développement d’une rhétorique, désormais réactivée à chaque occasion, du "choc des civilisations" [...]. Le retour de la droite au pouvoir en 1993 (jusqu’en 1997) et la série d’attentats islamistes algériens en 1995, dans lesquels des jeunes descendants d’immigrés algériens étaient impliqués [Voir « Algérie aux éclats », p. 248], vont encore renforcer ce passage à la rhétorique de la menace, à la fois dans le débat public et dans leurs traductions journalistiques. D’autant que la principale source d’information des journalistes [...] est la police » [12]. La diffusion mondiale de cette « théorie sousentend en premier lieu que l'islam [confondu ici avec l’islamisme] n'est pas modernisable [...,] indissociable de la société arabe au VIII e siècle dont [il] perpétue les structures, notamment le statut inférieur des femmes. Elle ne conçoit son expansion que par la violence sur le modèle des guerres du Prophète. [...] Corrélativement, cette théorie [du "Choc des Civilisations"] repose sur la croyance dans "les valeurs de l'Amérique" [... ;] un pays dont la Constitution ne reconnaît pas la souveraineté populaire [13], dont le président n'est pas élu mais nommé, où la corruption des parlementaires n'est pas interdite mais réglementée [14], où
des justiciables peuvent être tenus au secret, qui entretient un camp de concentration à Guantanamo [15] [Voir « Sensible Privation », p. 516], qui pratique la peine de mort et la torture [Voir « Outplacement », p. 513], où les patrons des grands journaux reçoivent hebdomadairement leurs ordres de la maison-Blanche [16], qui bombarde des populations civiles en Afghanistan [Voir « Fumeux ? C'est de l'afghan ! », p. 598], qui kidnappe un président démocratiquement élu à Haïti [17], qui finance des mercenaires pour renverser des régimes démocratiques au Venezuela [18] et à Cuba [19], [etc.] » [3] « Cette lutte du Bien et du Mal trouve son point de cristallisation à Jérusalem. C'est en effet là que, à l'issue de l'Armageddon, doit avoir lieu le retour du Christ qui marquera le triomphe de la "destinée manifeste" [20] des États-Unis, "seule nation libre sur terre" [20], chargée par la Divine Providence d'apporter "la lumière du progrès au reste du monde" [20]. Dès lors le soutien inconditionnel à Israël face au terrorisme islamiste est un devoir patriotique et religieux pour tout citoyen états-unien, même si les juifs ne peuvent espérer le salut qu'à travers la conversion au christianisme. » [3] [Voir « Terror is Real », p. 603] « Cette exaltation de la dimension religieuse et morale (choc des cultures, plutôt que choc des idées) est une idée ancienne. Elle est fausse, mais elle tire sa force de sa simplicité. Ce non-sens intellectuel devient une réalité historique. Le faux devient le vrai. » [21] On sait bien qu’on fait tout pour : « "La politique des Etats-Unis au Moyen-Orient alimente le ressentiment islamique", a déclaré [à huis clos, en 2005,] l’amiral Lowell Jacoby, devant la commission du Renseignement du Sénat américain. [... Et ce patron] des 7 000 officiers et analystes du service de renseignement militaire (la DIA, qui dépend du Pentagone) » [22] « d’ajouter : "Une écrasante majorité, au Maroc, en Jordanie et en Arabie Saoudite, estime que les Etats-Unis ont une politique néfaste vis-à-vis du monde arabe." [... Et c'est efficace ! Le] centre national de contre-terrorisme créé par Bush (NCTC) a recensé 651 attentats "importants", de par le monde en 2004. Soit trois fois plus que l’année précédente. » [22] « "Les Américains jouent un jeu dangereux", affirme [dès 2002] un diplomate français. Lequel estime qu’une guerre ne déplairait pas aux partisans de Ben Laden. Selon eux, elle provoquerait le sursaut du monde musulman qu’ils appellent de leurs vœux. » [23] L'ancien ministre des Affaires étrangères « Hubert Védrine [... constate déjà, fin 2002, sur le] Proche-Orient : "[...] L’alliance de la droite et de l’extrême droite, tant aux Etats-Unis qu’en Israël, est presque parvenue à détruire le processus de paix. [...]" » [24]. « Car chaque avancée du chaos sert les extrémistes. Ceux-ci ont désormais beau jeu d’alimenter leur propagande, non seulement anti-américaine, mais antidémocratique. L’Irak leur sert aujourd’hui de contre-exemple idéal. La liberté ? C’est la pagaille. La démocratie ? Une imposture, le masque derrière lequel se dissimulent les appétits des mécréants occidentaux, l’instrument d’une nouvelle conquête coloniale. A bas la démocratie ! » [25] George W. Bush, de son côté, l'affirme humblement : « L'Amérique doit diriger, même si cela déplaît à certains. Ceux-là mêmes qui apprécieront davantage un 569 A l’Ouest rien...
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[... Huntington est un stratège apprécié.]<br />
En 1969-70, Henry Kissinger [Voir<br />
« Kissinger, le faucon masqué », p. 545],<br />
qui apprécie son goût pour les actions<br />
secrètes, le fait nommer à la Commission<br />
présidentielle pour le développement<br />
international [Presidential Task Force on<br />
International Development]. Il préconise<br />
un jeu dialectique entre le département<br />
d'État et les multinationales : le premier<br />
devra exercer des pressions sur les pays<br />
en voie de développement pour qu'ils<br />
adoptent des législations libérales et<br />
renoncent aux nationalisations, tandis<br />
que les secondes devront faire profiter le<br />
département d'État de la<br />
connaissance qu'elles ont<br />
des pays où elles sont<br />
implantées [8]. [...]<br />
En 1974, Henry Kissinger<br />
[9] le fait nommer à la<br />
Commission des relations<br />
USA-Amérique latine. Il<br />
participe activement à la<br />
mise en place des régimes<br />
des généraux<br />
Augusto Pinochet au Chili<br />
et Jorge Rafael Videla en<br />
Argentine. Il teste pour la<br />
première fois son modèle<br />
social et prouve qu'une<br />
économie dérégulée est<br />
compatible avec une dictature militaire<br />
[Voir « On scanda : "Le fascisme ne passera<br />
pas" ? Mais l’opération Condor<br />
passa ! », p. 550]. [... Il rédige] La Crise<br />
de la démocratie [10] dans lequel il se<br />
prononce pour une société plus élitiste,<br />
où l'accès aux universités serait raréfié et<br />
la liberté de la presse contrôlée. » [3]<br />
[Voir « Tambour battant », p. 638]<br />
On saura donc promouvoir la diffuson<br />
de ses théories justificatives, notamment<br />
celle du clash des civilisations.<br />
Et en France aussi, on va de l'avant. « En<br />
1989, le lancement dans un établisse-<br />
A l’Ouest rien... 568<br />
ment scolaire de Creil, de "l’affaire des<br />
foulards islamiques" [avec son utilisation<br />
par Nicolas Sarkozy [11] [Voir « Le syndrome<br />
de Narkozy », p. 664], et en<br />
1991, la guerre du Golfe (avec l’inquiétude<br />
sur l’"attitude" de la "communauté<br />
musulmane en France"), ont été le prétexte<br />
au développement d’une rhétorique,<br />
désormais réactivée à chaque<br />
occasion, du "choc des civilisations" [...].<br />
Le retour de la droite au pouvoir en<br />
1993 (jusqu’en 1997) et la série d’attentats<br />
islamistes algériens en 1995, dans<br />
lesquels des jeunes descendants d’immigrés<br />
algériens étaient impliqués [Voir<br />
« Algérie aux éclats »,<br />
p. 248], vont encore renforcer<br />
ce passage à la<br />
rhétorique de la menace,<br />
à la fois dans le débat<br />
public et dans leurs traductions<br />
journalistiques.<br />
D’autant que la principale<br />
source d’information<br />
des journalistes [...] est la<br />
police » [12].<br />
La diffusion mondiale de<br />
cette « théorie sousentend<br />
en premier lieu<br />
que l'islam [confondu ici<br />
avec l’islamisme] n'est<br />
pas modernisable [...,]<br />
indissociable de la société arabe au VIII e<br />
siècle dont [il] perpétue les structures,<br />
notamment le statut inférieur des<br />
femmes. Elle ne conçoit son expansion<br />
que par la violence sur le modèle des<br />
guerres du Prophète. [...]<br />
Corrélativement, cette théorie [du "Choc<br />
des Civilisations"] repose sur la croyance<br />
dans "les valeurs de l'Amérique" [... ;] un<br />
pays dont la Constitution ne reconnaît<br />
pas la souveraineté populaire [13], dont<br />
le président n'est pas élu mais nommé,<br />
où la corruption des parlementaires n'est<br />
pas interdite mais réglementée [14], où