79 - Vaincre et Convaincre
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et que Dieu ordonnera peut-être de sacrifier pour décevoir ceux qui ont plongé dans l'oppression et la vanité»(17). Ce texte reproduit la réponse intégrale du pouvoir central ottoman au discours orientaliste politique adressé par Napoléon Bonaparte au peuple musulman d'Égypte. Si le discours orientaliste n'a pas émergé du néant, mais il s'est plutôt constitué à partir de l'interlocuteur colonisé qui est l'islam; il s'avère que le discours orientaliste constitué par l'Islam est lui-même constituant d'une certaine réponse islamique qui vint ici, de la part du pouvoir central cicatriser 1a «blessure du nom propre» tracée par le séducteur étranger. Cette riposte politico- idéologique recouvre trois procès complémentaires: 1 - Elle précède 1a lecture de ce discours en retraçant le cadre et les limites entre le dedans et le dehors, c'est le cadre de l'Islam à partir duquel est située la communauté française en dehors de l'Islam; elle déjoue le discours «islamique» de l'étranger en l'opposant à son cadre historique dans le contexte de la Révolution française où il devient athée; et c'est par ce biais que le pouvoir central ottoman retire à Bonaparte le droit à la nomination au sein de cet intérieur; l'étranger est rappelé à sa vérité qui ôte à son discours, et à priori, toute crédibilité. 2 - La riposte du pouvoir central ottoman s'approprie le discours orientaliste et le dédouble d'une lecture critique et démystificatrice; lecture qui travaille sur l'opacité du discours orientaliste, et cherche à la rendre transparente afin de révéler derrière cette opacité mensongère ce qui se cache comme intentions et visées; les mots n'ont plus le même sens, ou leur sens ici devient le contraire de ce qu'ils disent. Le discours orientaliste de Bonaparte, moyennant l'Islam et promettant le paradis au peuple musulman, vise tout autre chose que ce qu'il déclare, il ne vise rien moins que 1a dislocation de l'Islam et l'oppression de ceux à qui il promet le paradis.
3 - Une fois effectuée cette lecture démystificatrice qui a chassé l'étranger en dehors de l'Islam et sauvegardé le nom propre blessé, le pouvoir central ottoman reprend à son compte la religion menacée et tente de souder la cohésion interne qui était gravement menacée; ce qui fait que chacun se trouve dans l'obligation de se défendre en s'identifiant au pouvoir central qui représente les valeurs à défendre. C'est ce triple procès, se complétant dans la lecture ottomane du discours orientaliste, qui nous porte à affirmer que le discours orientaliste ne s'est pas constitué du néant, et ne s'adressait pas au vide. Nous avons vu comment s'est constitué le discours de Napoléon, à son arrivée en Égypte, à travers l'ordre de connaissance prévalant chez l'autre (le colonisé), et il est venu habiter le langage du vaincu (l'Islam) en essayant d'insérer ce langage dans le cadre, plus englobant des principes au nom desquels le colon se donne le droit de nommer l'autre et de décrire et classer ses problèmes. Disons que ce discours «politique» de l'orientalisme ne colle pas avec la proposition de Roland Barthes qui peut s'adapter au discours orientaliste plutôt idéologique; dans son texte consacré à Ignace de Loyola et publié sous le titre de «comment parler à Dieu», Barthes présente les prescriptions des «Exercices spirituels» comme branchées sur l'élaboration de ce qu'il appelle «un champ d'exclusion». Il faut, pour parler à Dieu, faire abstraction de tous les langages antérieurs, en particulier des «paroles oiseuses» selon le mot de Loyola, et les recettes des «Exercices» s'y prêtent: «Tous ces protocoles ont pour fonction d'installer une sorte de vide linguistique, nécessaire à l'élaboration et au triomphe de la langue nouvelle: le vide est idéalement l'espace antérieur de toute sémiophanie»(17). Il paraît, dans notre cas d'un discours plutôt politique, que ce discours connaissait bien le plein auquel il s'adressait et qui formait sa condition de possibilité; on ne peut donc lire le discours de Bonaparte sans tenir compte de 1a contradiction qui opposait deux mouvements:
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menacée <strong>et</strong> tente de souder la cohésion interne qui était gravement<br />
menacée; ce qui fait que chacun se trouve dans l'obligation de se<br />
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C'est ce triple procès, se complétant dans la lecture ottomane du<br />
discours orientaliste, qui nous porte à affirmer que le discours<br />
orientaliste ne s'est pas constitué du néant, <strong>et</strong> ne s'adressait pas au vide.<br />
Nous avons vu comment s'est constitué le discours de Napoléon, à son<br />
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l'autre (le colonisé), <strong>et</strong> il est venu habiter le langage du vaincu (l'Islam)<br />
en essayant d'insérer ce langage dans le cadre, plus englobant des<br />
principes au nom desquels le colon se donne le droit de nommer l'autre<br />
<strong>et</strong> de décrire <strong>et</strong> classer ses problèmes. Disons que ce discours<br />
«politique» de l'orientalisme ne colle pas avec la proposition de Roland<br />
Barthes qui peut s'adapter au discours orientaliste plutôt idéologique;<br />
dans son texte consacré à Ignace de Loyola <strong>et</strong> publié sous le titre de<br />
«comment parler à Dieu», Barthes présente les prescriptions des<br />
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appelle «un champ d'exclusion». Il faut, pour parler à Dieu, faire<br />
abstraction de tous les langages antérieurs, en particulier des «paroles<br />
oiseuses» selon le mot de Loyola, <strong>et</strong> les rec<strong>et</strong>tes des «Exercices» s'y<br />
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«Tous ces protocoles ont pour fonction d'installer une sorte de vide<br />
linguistique, nécessaire à l'élaboration <strong>et</strong> au triomphe de la langue<br />
nouvelle: le vide est idéalement l'espace antérieur de toute<br />
sémiophanie»(17).<br />
Il paraît, dans notre cas d'un discours plutôt politique, que ce<br />
discours connaissait bien le plein auquel il s'adressait <strong>et</strong> qui formait sa<br />
condition de possibilité; on ne peut donc lire le discours de Bonaparte<br />
sans tenir compte de 1a contradiction qui opposait deux mouvements: